Le présent ouvrage traite de la globalisation, dans une perspective comparative et pluridisciplinaire. Sous la direction d’un éminent anthropologue sud-asiatique en poste, à présent, à l’université de Chicago, ce livre rassemble en plus de la contribution d’Appadurai lui-même celles d’Achille Mbembe, Philippe Rekacewicz, Andreas Huyssen, Jérôme Bindé, Wu Hung, Zhang Zhen, Anna Tsing, Steven Feld, Seteney Shami, Néstor García Canclini, Saskia Sassen, Leo Ching et Jean-François Bayart. Aux textes de ces auteurs provenant de disciplines diverses telles que l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, la géographie et la littérature s’ajoutent les oeuvres d’artistes photographes que sont Boubacar Touré Mandé-mory et Fatou Kandé Senghor ainsi que les écrits de membres de la société civile internationale comme Ralf D. Hotchkiss. Par son titre, le livre d’Appadurai suscite une attente chez son lecteur, celle de voir enfin clarifiés les contours sémantiques de la « globalisation ». Écartelé entre le discours scientifique et le discours populaire, le terme de globalisation est devenu galvaudé aujourd’hui et fait fonction, dans bien des textes, d’exutoire face à la difficulté des analystes d’expliquer les dynamiques économiques et culturelles qui caractérisent notre époque. Ainsi, l’historien américain de l’Afrique Frederick Cooper ne s’y est pas vraiment trompé qui se demandait dans un récent article « À quoi est bon le concept de globalisation? » (Cooper 2001). En raison du peu d’espace imparti qui m’empêche de rendre compte de tous les articles de ce volume, je vais me concentrer sur l’article introductif de l’ouvrage qui est signé par son directeur lui-même. L’intérêt de « Grassroots Globalization and the Research Imagination » réside avant tout dans le souci de l’auteur de rendre compte du terme qui donne son titre à l’ouvrage. Ainsi Appadurai définit la globalisation comme un processus inextricablement lié à la circulation des capitaux à une échelle mondiale, qui étend les logiques traditionnelles du dominion politique et du commerce à d’autres parties du globe. La globalisation apparaît au fond, soutient Appadurai, comme le marqueur définitif de la crise de la souveraineté de l’État-nation. L’auteur entreprend, par ailleurs, une analyse de la globalisation qu’il présente comme un phénomène problématique, tant pour le milieu académique que pour le milieu non académique. Il énumère ainsi pour les professionnels de chaque champ disciplinaire les problèmes que ce phénomène leur pose. Pour les politologues, par exemple, affirme-t-il, la « globalisation » est source d’anxiété parce qu’ils craignent que leur objet d’étude, soit l’État-nation, ne disparaisse à jamais avec l’émergence d’un « monde sans frontières » que l’on soupçonne la globalisation d’engendrer. Tandis qu’à l’extérieur du milieu académique, la globalisation suscite surtout des préoccupations quant à ses conséquences sur le marché du travail, les salaires tant bien que mal maintenus à un niveau convenable pour les travailleurs, l’effort des nations pour définir elles-mêmes les projets économiques pour leur peuple. Elle amène aussi à s’interroger sur la possibilité qu’ont les citoyens, en particulier les plus déshérités, de mettre sur pied des initiatives économiques ou politiques à petite échelle alors que les institutions financières internationales telles que la Banque Mondiale imposent aux nations un mode de gouvernance dont elles fixent, du reste, les critères et les objectifs. L’auteur révèle, en outre, que l’émergence de la problématique de la globalisation s’accompagne de deux formes d’apartheid que nous voyons naître sous nos yeux. La première forme a trait au divorce grandissant entre les discours des universitaires — qui à travers ce concept ravivent leur propres querelles internes portant sur des questions telles que la fin de l’histoire, la représentation — et les débats citoyens, ordinaires, qui se préoccupent plutôt de savoir comment sauvegarder l’autonomie culturelle et la survivance économique dans quelques sphères …
Appendices
Références
- Appadurai A., 2000, « Savoir, circulation et biographie collective », L’Homme, 156 : 29-38.
- Cooper F., 2001, « What is the Concept of Globalization Good for? An African Historian’s Perspective », African Affairs, 100 : 189-213.