Les relations entre anthropologie et psychanalyse ont toujours été quelque peu malaisées et pleines d’ambiguïtés. Par exemple, comment passe-t-on, si la chose est possible et à quelles conditions, de catégories tirées d’un inconscient individuel à un inconscient collectif? C’est une question qui n’est pas encore résolue. Autre interrogation : peut-on utiliser des séquences personnelles, comme celle de la structuration d’un oedipe individuel, pour interpréter le déroulement de certains rituels publics? Le livre de Juillerat répond en partie à ces énigmes de Sphinx. Mais d’abord, en guise de préambule, l’auteur se situe par rapport à un mouvement actuel qui se prétend d’avant-garde. Gêné par ce qu’il appelle l’actuelle « dérive cognitiviste » en anthropologie, dont il exagère à mon avis l’importance, l’auteur pourfend cette approche avec vigueur pour toutes sortes de bonnes raisons, que je fais également miennes, mais aussi parce qu’elle ne tient pas compte de la psychanalyse. Après cette introduction, son livre se divise en deux parties : la première discute des rapports entre anthropologie et psychanalyse en général alors que la seconde tente d’envisager le problème de leur interrelation au niveau des faits, c’est-à-dire du second terrain de Juillerat, la Nouvelle-Guinée. Tous ces chapitres sont des articles parus ailleurs et réunis dans le présent volume. Le premier chapitre est un historique des relations cahotiques entre anthropologie et psychanalyse, avant même que Malinowski n’ait lancé son brûlot (1927) ; il résume très bien l’état des lieux jusqu’à présent. C’est une excellente introduction pour les débutants et une remise à jour pour ceux qui ont traîné de la patte et suivi d’un oeil plutôt distrait ce qui se tramait en sous-main chez les rares anthropologues intéressés par la psychanalyse. Le second chapitre se pose la question du lien entre fantasmes individuels relatifs à la symbolisation d’universaux concernant « la sexualité, l’oedipe et la mort » et à la présence des mêmes universaux dans les représentations collectives. Il y a certes un lien que l’auteur cherche à délimiter, sans pour autant conclure, ainsi qu’il le dit fort sagement. La rupture entre Freud et Jung a été abondamment commentée par les psychanalystes. On s’étonne qu’on puisse y revenir mais Juillerat, dans le chapitre suivant, nous apporte du neuf en se plaçant en anthropologue sur le terrain de leurs divergences concernant la nature du mythe et l’origine des religions. Cela pose quelques questions dont chacun mesurera l’importance à son aune personnelle. Le cinquième chapitre s’attaque au fameux « atome de parenté » introduit par Lévi-Strauss. Cet « atome » avait été plus ou moins contesté par le grand psychanalyste André Green, mentor de Juillerat, lors du séminaire de Lévi-Strauss sur l’identité en 1974-1975. En bref, Green reprochait à Lévi-Strauss, avec ses signes + et -, d’avoir occulté ces valeurs positives ou négatives envers la mère alors qu’il les brandissait pour caractériser les relations entre père et fils, frère et soeur, mari et femme, oncle maternel et neveu utérin. Lévi-Strauss avait courtement répliqué qu’il n’avait pas besoin d’introduire cette variable. Juillerat essaie ici de confronter l’atome lévi-straussien avec un atome psychanalytique qui tient compte des valences différentielles des attitudes entre la mère et l’enfant. Il essaie de combiner ce dernier à l’atome de Lévi-Strauss avec un certain succès, mais ici je me pose au moins deux questions, à mon avis cruciales. Premièrement, rien n’est dit d’un fantasme extrêmement répandu dans lequel, idéalement, l’enfant d’un couple est symboliquement le résultat d’une union incestueuse frère-soeur. Multiples sont les mythes et les coutumes qui en font état. Il faudrait aussi tenir compte de ces faits, car ils constituent un des universaux psychanalytiques qui intéressent en premier lieu …
Appendices
Référence
- Malinovski B., 1927, Crime and Custom in Savage Society. Londres, Routledge et Kegan Paul.