PrésentationMémoires du Nord[Record]

  • François Trudel

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  • François Trudel
    Département d’anthropologie et Groupe d’études inuit et circumpolaires –– GÉTIC
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4

Une plaquette grand public signale l’existence d’une véritable compulsion mémorielle dans les sociétés contemporaines, qui s’exprime de multiples manières : engouement patrimonial, commémorations, passion généalogique, rétrospection généralisée, quêtes multiples des origines ou des « racines », succès éditoriaux des biographies et récits de vie, reviviscence ou invention de nombreuses traditions (Candau 1996 : 4-5). On connaît par ailleurs le succès en France de la série Les lieux de mémoire, maintenant traduite en anglais sous forme révisée, qui a répandu l’usage de ce concept en Occident et fait la notoriété de son éditeur historien (Nora 1984-1992 ; Nora et Kritzman, 1996). En Europe et ailleurs (Bosnie-Herzégovine, Rwanda, Cambodge, etc.), divers génocides, à commencer par l’Holocauste, ont mené à une campagne internationale en faveur des droits de la personne, sous la bannière du « refus de l’oubli » ou, mieux encore, du « devoir de mémoire » (Levi et al. 1995). Au Canada, les audiences de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996) ont révélé au grand jour quantité de réminiscences au sujet de l’histoire relationnelle entre Autochtones et non-Autochtones et mené à diverses réclamations devant les tribunaux pour ethnocide dans les pensionnats et déplacements territoriaux imposés. Que l’on considère à tort ou à raison cette tendance à la compulsion mémorielle comme proclamée à l’excès et même surfaite ou que l’on en vienne à s’interroger sur le bien-fondé de certaines de ses expressions, il faut reconnaître que ce qu’on appelle la « quête mémorielle », l’« exercice de mémoire », l’« enjeu-mémoire » semble avoir acquis une importance considérable au fil des dernières décennies dans la plupart des sociétés et être devenu l’objet d’analyses et de débats importants dans les sciences sociales et humaines. Il y a donc lieu d’esquisser au moins sommairement quelques vecteurs de cette thématique de la mémoire. L’art de la mémoire, conçue comme un ensemble de techniques de mémoration et de remémoration, remonte aussi loin qu’à l’Antiquité et a toujours continué à susciter de l’intérêt au fil des âges (Yates 1975). Dans les sciences sociales modernes, un questionnement scientifique au sujet de la mémoire débute avec le sociologue Maurice Halbwachs (1994 [1925], 1950), qui suggère une distinction entre mémoire individuelle (autobiographique) et collective (historique) et discute de leurs rapports. Selon lui, les mémoires des individus sont provisoires et influencées par les groupes sociaux. Elles se combinent dans le temps en des images stéréotypées qui donnent naissance à des mémoires collectives, comme la mémoire généalogique et familiale, qu’il définit comme étant composée de fragments publics et partageables d’expérience. Ces mémoires collectives sont en continuelle révision, varient d’une société à l’autre et exercent une influence importante dans le présent. Plus porté vers l’anthropologie et se basant surtout sur ses études des religions afro-américaines, le sociologue Roger Bastide (1995 [1960], 1970) donne à l’étude des mémoires tout un envol. En 1970, il parle d’une sociologie de la mémoire comme étant le préalable de toute sociologie de la connaissance, de l’imaginaire ou de nouvelles sociologies en voie de naître. Il met de l’avant une nouvelle conception des mémoires collectives basée non point comme Halbwachs sur le groupe, mais sur l’organisation ou la structure du groupe (« la mémoire collective est la mémoire d’une structure de la remémorisation ») (1970 : 96). Il montre surtout bien en quoi sa perspective est directement inspirée et influencée par certains apports de Lévi-Strauss (La Pensée sauvage, Mythologiques), dont la théorie du bricolage suppose l’importance capitale de la mémoire collective (ibid. 103) et peut contribuer à enrichir la compréhension de ses mécanismes et processus, sinon de ses lois. Depuis Halbwachs …

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