Comptes rendus

Michel AGIER, Anthropologie du Carnaval. La ville, la fête et l’Afrique à Bahia. Paris, Éditions parenthèses, 2000, 256 p., illustr., gloss., bibliogr.[Record]

  • Éric Maheu

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  • Éric Maheu
    Departamento de educação
    Universidade Estadual de Feira de Santana
    Bahia
    Brésil

Ce livre porte un titre quelque peu trompeur, sans doute choisi par l’éditeur, car après avoir dressé un rapide portrait du carnaval de Bahia, l’auteur se concentre rapidement sur ce qui a fait l’objet de son ethnographie : le Ilê Aiyé, « premier bloc afro-brésilien du carnaval de Bahia » (p. 60). Le véritable objet de ce livre est l’histoire de la réafricanisation du carnaval bahianais à travers la plus africanisante de ses composantes. Africaniste de longue date, l’auteur se penche sur ce qu’il y a de plus africain dans le Carnaval de Bahia et ne prétend pas faire l’ethnographie générale du Carnaval de Bahia et encore moins une prétentieuse « anthropologie du carnaval ». Généralisations et compa-raisons, bien que présentes, cèdent le pas ici à la description. D’autre part, si l’auteur cherche à établir des liens et à faire des généralisations, c’est davantage avec d’autres mouvements identitaires, d’autres formes de métissage et d’autres rites non nécessairement festifs qu’avec d’autres fêtes populaires à proprement parler. La fête est ici davantage perçue comme un rituel identitaire que comme une manifestation ludique et hédoniste. C’est ainsi que de grands classiques des écrits sur le Carnaval (comme Bakhtine) y sont complètement absents et que certains éléments traditionnellement définitoires du Carnaval, tels la suspension des lois et la profanation, n’y sont traités que très marginalement. L’ouvrage débute par une contextualisation générale du carnaval dans l’histoire du Brésil et dans celle de Bahia, dont l’auteur rappelle l’importance passée dans l’économie brésilienne en raison de la position privilégiée de la Baie de tous les Saints dans la production sucrière mondiale. La culture de la canne à sucre s’est appuyée sur l’esclavage de millions d’Africains, d’où cet abondant héritage que l’auteur décrit en citant l’existence des 2000 maisons de candomblé, de la samba, de la capoeira. L’auteur montre ensuite le déclin de la production sucrière, la stagnation économique qui en a découlé et la plus récente indus-trialisation autour du pôle pétrolifère. L’auteur avance que, malgré une mise en valeur officielle du métissage, il demeure une discrimination systémique et une polarisation de la société autour de la couleur, même si le noir peut se « blanchir » par l’acquisition d’un statut social élevé, contre laquelle s’élèvent cependant mille obstacles (des profils tirés d’histoires de vie et des statistiques illustrent ces difficultés). Cela s’incarne aussi dans la segmentation raciale du carnaval. C’est dans ce contexte que l’on a assisté à l’invention du bloc afro. Ilê Aiyé, est né (1974) d’un groupe informel uni par une volonté d’affirmation de la négritude et de l’africanité, subissant en cela certaines influences externes (Black Panthers, Steve Biko). Né durant la dictature, et dès le départ excluant les non-Noirs, le Ilê Aiyé était doublement choquant et a vécu ses premières heures dans le doute et la crainte de la répression policière ; il expérimenta une grande répro-bation publique et fut décrié par les médias et par les autorités comme mouvement raciste. S’il s’agissait au départ d’un bloc carnavalesque s’inventant une identité africaine, il s’est transformé petit à petit en un mouvement culturel plus organisé connaissant une insti-tutionnalisation qui en a fait un mouvement politique, voire une entreprise, profitant de la vogue du axé music et de l’africanisation du carnaval pour parvenir à une certaine commer-cialisation. Au sommet de sa gloire, le Ilê est aujourd’hui une ONG mondialement connue, bénéficiant de subventions étatiques et de commanditaires et établissant des liens avec d’autres organisations internationales. L’auteur approfondit la composition sociale du mouvement en présentant des statis-tiques sur sa composition socioprofessionnelle et en dressant des portraits retraçant la carrière et l’origine de ses différents membres. Il en …

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