Qu’ils s’en défendent ou non, la plupart des anthropologues tiennent le tourisme pour une occupation frivole et regardent les touristes comme des intrus. Ce préjugé courant n’est certainement pas étranger au fait que l’étude anthropologique du tourisme reste encore peu développée et qu’elle demeure méconnue à l’intérieur même de la discipline. Cette situation est néanmoins en train de changer avec l’intérêt tardivement marqué par les milieux académiques pour ce qui s’avère être un fait social majeur de notre temps et la reconnaissance du tourisme qui s’en est suivie comme sujet d’étude légitime pour l’anthropologie. Il est assez révélateur que les premiers travaux anthropologiques sur le tourisme, dans les années 1960, aient été pour la plupart le résultat d’une confrontation accidentelle de touristes et d’ethnologues étudiant les changements sociaux et culturels entraînés par la modernisation. C’est notamment le cas de ce que l’on considère aujourd’hui comme la première étude anthropologique qui ait mis l’accent sur le tourisme dans l’analyse d’une communauté villageoise, à savoir l’article de Theron Nuñez « Tourism, Tradition and Acculturation. Weekendismo in a Mexican Village » (1963). Il faudra attendre 1974 pour que l’American Anthropological Association décide de consacrer sa réunion annuelle au thème « Tourisme et changement culturel », dans l’intention déclarée de faire reconnaître la légitimité du tourisme comme sujet d’étude pour l’anthropologie, en stimulant des recherches sur ses impacts dans les sociétés d’accueil (Smith 1989 [1977]). Mais ce domaine de recherches ne sera vraiment reconnu qu’après la tenue en 1976 d’un séminaire international sur « L’impact social et culturel du tourisme » sous l’égide conjointe de la Banque Mondiale et de l’Unesco (de Kadt 1979). Par la suite, on peut signaler la parution d’un numéro spécial des Annals of Tourism Research consacré à l’anthropologie du tourisme (Graburn 1983), ainsi qu’un article faisant le point sur ce domaine dans l’Annual Review of Anthropology (Crick 1989). Plus récemment, diverses sociétés savantes se sont constituées, les principales étant l’International Academy for the Study of Tourism, à composante pluridisciplinaire, et le Comité de Recherche sur le Tourisme International, qui réunit sociologues et anthropologues dans le cadre institutionnel de l’Association Internationale de Sociologie. Enfin, en 1998, lors de la conférence annuelle de l’International Union of Anthropology and Ethnological Sciences, une « commission sur le tourisme international » était formée au sein de cette union qui réunit des ténors de la discipline sous l’égide — devenue quasi-tutélaire — de la pionnière Valene Smith. Il est significatif qu’à la fin de cette rencontre, Dennison Nash, qui avait la charge de clore les débats, ait dressé un bilan prudent, insistant sur le travail qu’il restait encore à accomplir pour faire de l’anthropologie du tourisme un champ de recherche légitime : « Without theoretical sophistication balanced by methodological adequacy, anthropological research on tourism could never approach the goal of mature science and earn the unqualified respect of anthropologists and others » (2000 : 817). Il est pour le moins troublant de constater qu’une telle déclaration puisse être publiée après plusieurs décennies de travaux anthropologiques sur le tourisme. Comment expliquer que le champ de recherche sur le tourisme dans les sciences sociales ait été investi, occupé et finalement contrôlé par l’économique, la géographie humaine et, à un moindre degré, par la sociologie, sans que l’anthropologie ne réagisse de façon convaincante ? Et cela, alors même qu’un anthropologue a pu soutenir à juste titre que le holisme et la méthode comparative, tous deux étroitement associés à la discipline anthropologique, constituaient des outils particulièrement appropriés pour l’appréhension et l’analyse du phénomène touristique (Lett 1989 [1977] : 278). La nature du …
Appendices
Références
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