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[…] Nous faisons de notre mieux pour accorder notre pouls au rythme de nos machines, nos réflexes s’essoufflent à courir après nos engins. Chacun connaît l’inversion générationnelle qui s’ensuit. Les enfants donnent des leçons aux parents. Papy demande au bambin de lui enseigner comment ça marche, les machines communicantes, comment bien se tenir dans la société de l’information. Lequel bambin ne lui demande rien en retour (sinon des sous pour acquérir le dernier jeu vidéo). Comme l’urgent fait oublier l’essentiel, les savoirs du bien-communiquer éclipsent à notre insu les arts de transmettre.

Debray 2001 : 7

La figure du jeune enseignant les rudiments de l’Internet ou le fonctionnement du téléphone portable à une personne âgée est populaire : tantôt les responsables d’une université du troisième âge se l’approprient pour présenter un cours d’informatique, tantôt un élu municipal s’en sert pour illustrer un projet visant à favoriser les relations intergénérationnelles. Tantôt enfin, elle séduit les publicitaires qui l’utilisent pour vanter la rapidité d’une connexion Internet ou les mérites d’un téléphone portable dernier cri. Derrière cette image se profile l’idée que la transmission des savoirs techniques s’opèrerait désormais de façon ascendante (des cadets vers les aînés), contrevenant ainsi à la traditionnelle loi des générations au nom de laquelle les plus âgés font bénéficier les jeunes de leurs connaissances. Si ce processus d’inversion précède l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) – Margaret Mead évoquait, au début des années 1970 déjà, le passage d’une société « postftigurative », « dans laquelle les enfants sont instruits avant tout par les parents » à une société « préfigurative » « dans laquelle les adultes tirent aussi des leçons de leurs enfants » (Mead 1979 [1971] : 30) – il s’est amplifié avec la diffusion de technologies de l’information et de la communication dont la complexité et l’évolution rapide nécessitent de disposer d’une capacité d’adaptation particulière pour « rester dans le coup ».

Dans les cybercafés de Bamako, au Mali, tout donnerait à penser que ce processus d’inversion générationnelle est en cours puisque, comme partout ailleurs, les jeunes sont majoritaires dans ces établissements et donc relativement familiarisés avec l’Internet. De là à supposer qu’ils transmettent leurs compétences informatiques à leurs aînés, le pas est vite franchi, d’autant plus vite d’ailleurs que l’on découvre parfois, çà et là, des jeunes et des aînés assis côte-à-côte en face d’un même écran. Or, lorsque l’on procède à une analyse détaillée des relations qui s’établissent dans ces commerces, l’on s’aperçoit que les apparences sont trompeuses : en effet, bien que les jeunes se rendent volontiers au cybercafé, ils ne forment pas pour autant leurs aînés à l’Internet. Généralement, cette initiation a lieu entre pairs, avec des amis ou des camarades d’école ou de travail. Lorsqu’elle s’opère dans le cercle familial, elle conserve une forme traditionnelle puisque, dans ce cas, les aînés continuent de former les jeunes. Si les plus âgés demandent effectivement à leurs cadets de les accompagner au cybercafé à certaines occasions, il n’est pas question d’initiation entre eux mais de « commissions », les plus jeunes faisant office de scribe et écrivant sous leur dictée des lettres, des rapports ou d’autres documents.

Cette réticence des plus âgés à se laisser former par les jeunes doit être interprétée à la lumière de l’organisation sociale du cybercafé et du cyberespace. En effet, comme nous allons l’observer dans le chapitre qui suit, ces deux espaces, tels qu’ils sont conçus, véhiculent un idéal social particulier qui contrevient aux relations entre les aînés et les cadets telles qu’elles sont organisées au Mali. Par conséquent, les tensions entre les jeunes et les plus âgés y sont fréquentes. Pour réduire les potentielles dissensions que peuvent causer ces rapprochements, les clients du cybercafé développent des stratégies d’évitement. Ils détournent le dispositif technique de son usage prescrit (Perriault 2008). Ils « braconnent », pour reprendre une expression chère à Michel de Certeau (1990). Dans la suite de cet article, nous nous attacherons à décrire quelques-unes de ces ruses et, plus largement, la façon dont les relations intergénérationnelles s’organisent dans les établissements bamakois.

Un modèle relationnel particulier

Lorsque l’on s’intéresse au modèle social et idéologique véhiculé par l’Internet, on se trouve rapidement confronté à la nécessité de faire un choix. Ce média comprend plusieurs dispositifs (chats, courriel, web, réseaux sociaux, etc.), chacun d’entre eux pouvant faire l’objet d’une analyse. De surcroît, comme le montre Philippe Breton (1987, 2000, 2002 [1992]), l’histoire de ce média est complexe et oblige à se familiariser avec de nombreux domaines d’étude (automatisme, cybernétique, logique, etc.). Pour notre part, nous avons choisi de nous concentrer sur le courrier électronique. Ce dispositif technique permet d’accéder à la dimension relationnelle de l’Internet, un élément indispensable à cette recherche puisque nous avons précisément choisi d’analyser le cybercafé et le cyberespace à travers les relations qui s’y nouent.

Pour « faire parler » le dispositif technique du courriel, nous nous sommes référées non pas à des ouvrages scientifiques mais aux « discours d’accompagnement »[1], c’est-à-dire aux écrits destinés au grand public, à l’image des sites de l’Internet et des ouvrages de vulgarisation rédigés par des passionnés de l’informatique désireux de faire découvrir ce média et d’en enseigner les premiers rudiments, ou encore des Nétiquettes, ces codes de bonne conduite sur la Toile. De prime abord, ces « discours d’accompagnement » sont très banals. Toutefois, ils n’ont que l’apparence de la banalité, car ils véhiculent une certaine représentation de la communication et, plus largement, des relations sociales. Le modèle relationnel prôné par les auteurs de ces discours est celui d’une communication directe, informelle, rapide, abondante et plate, à l’image du réseau[2]. Cet idéal n’est pas seulement de l’ordre du discours – on le retrouve inscrit dans le dispositif technique du courriel, dans son « script »[3]. Ce média a en effet été conçu pour permettre la circulation la plus facile (rapidité, informalité, abondance) et directe possible (malgré la nécessité d’entrer un mot de passe) du message entre les correspondants, correspondants qui sont, sur la Toile, placés sur un relatif pied d’égalité[4].

Ces différentes caractéristiques du courriel – et l’idéal social qu’elles sous-tendent – sont loin d’être anodines. On s’apercevra en effet qu’à Bamako les conflits qui opposent les personnes qui évoluent autour du cybercafé se cristallisent précisément autour de ces impensés, c’est-à-dire la circulation rapide et directe du message, l’informalité du ton adopté et la confidentialité. Il faut dire que l’échange relativement égalitaire et individuel induit par la communication électronique n’est pas du goût de tout le monde, notamment des plus âgés[5] qui considèrent ce rapprochement comme un manque de respect. La distance est, en effet, un élément essentiel des relations entre les aînés et les cadets au Mali. Pour nous familiariser avec cet univers relationnel complexe, nous allons procéder à un petit détour par l’anthropologie de la parenté.

Une mise à distance respectueuse

Deux attitudes antagonistes régissent les relations de consanguinité et d’alliance au Mali, la plaisanterie et l’évitement. Pour celui qui se rend pour la première fois en Afrique de l’Ouest, la parenté à plaisanterie (« sεnεkunya », en bambara) est certainement la plus surprenante des deux. En effet, quoi de plus étonnant que d’entendre un individu rire aux éclats alors qu’il est en train de se faire traiter de tous les noms ? « Esclave » (« jŏn »), « arrière-arrière petit-fils (« fufafu » ; litt. « trois fois rien »), etc. : ces moqueries doivent provoquer le rire, car la plaisanterie a force, dans ce cadre, d’obligation sociale. L’évitement est à la boutade ce que la nuit est au jour. En effet, autant les protagonistes des relations à plaisanterie sont spontanés et leur parole libre, autant les individus unis par un lien d’évitement sont distants et réservés. Simple pratique cérémonieuse à l’égard de certains, cette manifestation respectueuse va jusqu’à l’évitement total avec d’autres. Entre ces pôles antagonistes s’inscrivent deux autres attitudes, moins tranchées. La première est empreinte d’un grand respect, la seconde, bien qu’également déférente, est plus détendue et admet la plaisanterie dans certains cas[6].

Tandis que les relations entre parents à plaisanterie sont construites sur un mode relativement égalitaire, et que, entre ces parents, les propos peuvent – doivent – être très libres, en revanche, dans celles d’évitement et de respect, une mise à distance s’impose. Cet écart est constitutif de la relation : il symbolise le respect du plus jeune à l’égard de son aîné. Pour le maintenir, on doit ainsi faire preuve de pudeur et de retenue lorsqu’on s’adresse à ses aînés. Avec eux, on évite les sujets sensibles et s’exprime avec parcimonie. Le terme de « honte » a d’ailleurs été fréquemment évoqué par nos interlocuteurs. « Mes enfants ont honte de moi », se réjouissent les parents. Dans ce contexte, avoir honte (« maloya » en bambara), signifie « être discret, rester à sa place et s’interdire de faire ou de dire tout ce qui peut ternir l’image personnelle et nuire à autrui » (Doumbia 2001 : 175). La « maloya » va bien au-delà du terme français de « honte », décrit par les auteurs du Petit Robert comme un « déshonneur humiliant », puisqu’elle exprime à la fois le respect d’une personne à l’égard du parent en question et son souci de ne pas lui nuire.

Si l’aîné jouit d’une certaine liberté de parole vis-à-vis de son cadet – dans ce sens de la relation, l’impératif de distance est moins prononcé parce que, principe de séniorité oblige, c’est le cadet qui est tenu de manifester son respect à l’aîné – il doit veiller, malgré tout, à ne pas être trop familier avec lui pour éviter que, encouragé par ce rapprochement, son jeune germain ne soit tenté de prendre ses aises. Ce risque est bien exprimé par le proverbe bambara suivant :

Si tu grignotes des grains d’oseille avec ton petit frère, il te dira plus tard : « Grand frère, allons déféquer les grains d’oseille que nous avons grignotés ensemble ».

Bailleul 2005 : 337

Mieux vaut ainsi, pour les aînés, garder leur distance avec leurs cadets et réserver toutes paroles ou activités susceptibles de favoriser un rapprochement (plaisanteries, confidences, activités ludiques) – ici le grignotage de grains d’oseille – aux pairs.

Le modèle relationnel véhiculé par l’Internet contraste ainsi de façon évidente avec les relations entre aînés et cadets telles qu’elles sont pensées au Mali. L’informalité des propos et le rapprochement préconisé par les concepteurs de ce média contreviennent à l’impératif de distance et de retenue qui prévaut dans les relations d’évitement et de respect. Avant de découvrir quelques-unes des stratégies que développent les clients du cybercafé et leurs proches pour concilier ces impératifs sociaux contradictoires, il est important d’évoquer la méthode que nous avons adoptée et de décrire brièvement comment s’est effectué le processus de récoltes de données sur le terrain.

Des « cybercafés » au « Cyber »

Ces observations dans les cybercafés de Bamako ont été menées dans le cadre d’une thèse de doctorat, intitulée Usages de l’Internet dans les cybercafés de Bamako. Des illusions universalistes aux contraintes des relations de parenté (Steiner 2009). Quatre séjours sur le terrain – dix mois au total – ont été effectués au cours de ces années de recherche doctorale. Ceux-ci ont principalement été consacrés à la réalisation de quatre-vingts entretiens avec des clients et des gérants des cybercafés et à des observations dans six cybercafés de la ville. Afin de varier les points de vue, nous avons incarné tantôt la figure de l’utilisatrice, tantôt celle de la gérante, tantôt enfin celle du badaud qui discute avec le responsable des lieux.

La sélection de ces cybercafés n’a pas présenté de problème puisque nous avions l’embarras du choix : Bamako en compte plus d’une centaine. En revanche, il a été plus difficile de savoir quoi observer dans ces commerces. Fallait-il se concentrer sur le cybercafé en tant qu’espace, sur le type d’informations recherchées sur la Toile ou analyser la position des internautes face à l’ordinateur ? Difficile à dire. À force de nous y rendre et de multiplier les points d’observation, les différentes dimensions de l’usage de l’Internet commencèrent à apparaître. Nous en avons recensé trois : celle du contenu tout d’abord, c’est-à-dire les informations recherchées sur la Toile[7], celle du discours (sur l’Internet, les cybercafés et sur les personnes qui fréquentent ces établissements) et celle des relations qui se nouent à partir du cybercafé. Ce dernier aspect, fort complexe, a constitué le centre de cette étude. Le cybercafé est, en effet, le lieu d’une intense activité relationnelle. Un client du cybercafé, quel qu’il soit, entre en interaction, directement ou non, avec un grand nombre de personnes : les autres clients de l’établissement et le gérant, bien entendu, mais également les personnes qui l’accompagnent, celles qui l’ont formé à l’Internet, celles qui financent sa connexion, celles qui lui ont confié leur mot de passe et/ou à qui il a confié le sien, celles dont il s’est inspiré du nom pour construire son mot de passe, et, bien sûr, celles auxquelles il destine ses missives virtuelles. Le « terrain » sur lequel ces interactions ont lieu dépasse largement les frontières du cybercafé puisqu’il comprend trois espaces – le cybercafé, le cyberespace et la zone médiane[8] – qui composent ce que j’ai appelé « le Cyber ». Cette analyse relationnelle incite dès lors à s’intéresser au profil des acteurs qui interprètent ces personnages selon la place qu’ils occupent dans le Cyber et à s’interroger sur les raisons qui amènent certains proches – les pairs – des clients des cybercafés à être surreprésentés dans les espaces où se déroule la communication électronique (le cybercafé et le cyberespace) tandis que d’autres – en l’occurrence les parents – en sont quasiment absents.

Le cybercafé comme miroir du grin[9]

À Bamako, le cybercafé est le lieu de rencontre des pairs. Les jeunes s’y rendent généralement en compagnie de leurs amis de quartier ou d’école. Parfois, ils se font accompagner par un cousin ou par une soeur. En revanche, les jeunes garçons n’y vont jamais avec leur frère. Les seuls germains du même sexe habilités à jouer le rôle d’accompagnant sont leur jumeau[10]. Il est donc rare que des parents fréquentent le même espace, a fortiori lorsqu’une grande différence d’âge les sépare. Cela ne signifie pas qu’ils ne vont pas au cybercafé, mais tout simplement qu’ils se rendent dans d’autres établissements. Si, du point de vue familial, les générations se rencontrent peu dans le cybercafé, les jeunes sont confrontés, en revanche, aux autres clients plus âgés qui, dans le contexte malien, représentent leurs frères et soeurs et leurs pères classificatoires. Les relations qu’ils entretiennent avec ces parents classificatoires sont empreintes d’une certaine tension, que l’on décèle à l’embarras des aînés.

Des aînés embarrassés

A priori, cette gêne des aînés est étonnante dans la mesure où les gérants sont particulièrement soucieux de leur confort. Les responsables des lieux les aident à apprivoiser l’ordinateur parce qu’ils savent qu’ils craignent parfois la complexité de ces machines. Attentifs, ils s’assoient de longs moments à leurs côtés pour créer une boîte électronique, rédiger un message sous leur dictée et pour faire des recherches sur l’Internet à leur place. Les gérants se sentent d’autant plus obligés à leur égard que ces derniers sont à la fois des clients dont ils doivent satisfaire les demandes et des aînés qu’ils sont tenus de respecter. La déférence des gérants s’exprime par un ensemble de petits gestes, parfois très banals. Tantôt ils se faufilent sous la table pour introduire une clé USB dans un port difficile d’accès. Tantôt ils demandent à un garçonnet d’apporter un verre de thé à un vieil homme. Tantôt, dans les cybercafés où certains ordinateurs sont plus récents que d’autres, ils enjoignent un jeune utilisateur à céder sa place aux clients plus âgés et à se contenter d’une machine plus ancienne. Or, le malaise ressenti par les plus âgés n’est pas lié à un quelconque manque d’attention de la part des gérants ou des clients, mais plutôt à la grande différence d’âge qui les sépare des autres utilisateurs. « Je me sens comme une grand-mère entourée de ses petits-enfants », remarque Néné Keita[11], qui se demande d’ailleurs comment ses jeunes voisins interprètent sa présence dans cet endroit : « Ils [les autres utilisateurs] doivent se demander ce que je fais. Ce n’est pas fréquent de voir quelqu’un de mon âge au cybercafé », poursuit-elle.

La présence de la pornographie sur certains écrans renforce cette impression de décalage des internautes plus âgés qui n’apprécient pas d’être confrontés à de telles images. « Bon, moi qui suis à côté, je me sens très gênée et souvent je me dis que je suis peut-être en déphasage avec le temps et que peut-être je ne devrais pas fréquenter ce milieu » (Néné Keita, 50 ans). Si certains clients, à l’image de Néné Keita, sont gênés par la présence même de ces images, d’autres internautes, eux-mêmes amateurs de pornographie, ne supportent pas, quant à eux, que des clients plus jeunes surfent sur de tels sites près d’eux. Le fait qu’un cadet s’adonne sans gêne à une pratique si privée et intime à leur côté est considéré comme un manque de respect. En effet, ce faisant, le jeune tend à réduire la distance qui les sépare.

Enfin, on ne saurait évoquer le malaise des aînés sans mentionner leur crainte de l’ordinateur. Plus que d’abîmer cette machine qu’ils imaginent fragile, ils appréhendent d’exposer publiquement leur incompétence en matière d’informatique, car cela équivaudrait à montrer qu’ils appartiennent à la « multitude qui ne sait pas ». Cela nous ramène à l’aspect de transmission évoqué précédemment. L’initiation à l’Internet s’opère essentiellement, nous l’avons dit, par le biais des pairs. Le fait de s’adresser à des amis ou à des professionnels de l’informatique permet ainsi aux aînés d’éviter de se placer dans une position de faiblesse vis-à-vis de leurs cadets.

Un modèle relationnel qui favorise les pairs

Le malaise ressenti par les aînés dans le cybercafé ne devient véritablement compréhensible que lorsque l’on considère le modèle relationnel véhiculé l’Internet. Derrière ce média, nous l’avons dit, se profile un certain type d’organisation sociale, fondée sur la proximité sociale, l’abondance et l’informalité de propos, ainsi que sur l’égalité. Dans le cybercafé, l’aspect égalitaire s’incarne dans la disposition spatiale des ordinateurs. Même dans les établissements où les machines sont séparées par une cloison de bois, les clients sont très proches les uns des autres et il leur est facile d’apercevoir l’écran de leurs voisins. Sur ce plan, tout le monde est logé à la même enseigne : les vieux voient ce que font les jeunes et vice-versa. Cette proximité physique des internautes et la diversité des sujets abordés font du cybercafé un endroit relativement intime qui se prête bien aux relations symétriques, un endroit a fortiori très similaire au grin. Comme dans ces associations informelles où les hommes d’un même quartier se rendent à la tombée de la nuit pour discuter de tout et de rien, on fréquente le cybercafé en compagnie d’amis et non pas de parents. En effet, la liberté de ton qui prévaut entre ces contemporains et le type d’informations recherchés sur la Toile ne supporteraient ni la présence d’aînés qui s’en offusqueraient, ni celle des cadets qui ne pourraient s’exprimer ouvertement. Entre pairs, en revanche, on ne s’embarrasse pas de tels scrupules, les relations étant assez fortes pour susciter la confiance, tout en étant assez détendues pour permettre la plaisanterie. Comme le grin, le cybercafé est un lieu ambivalent : l’internaute partage avec ses pairs autant qu’il les affronte, ce qui lui permet de se positionner par rapport à eux. La compétition porte aussi bien sur les compétences informatiques des jeunes que sur la beauté et le nombre de jeunes filles courtisées dans le cybercafé ou par le biais des chats. D’ailleurs, le jeune homme invite parfois ses camarades à le rejoindre devant son écran pour qu’ils puissent admirer la jeune fille avec laquelle il est en train de correspondre.

Si l’organisation du cybercafé se prête bien aux échanges entre pairs, elle convient beaucoup moins aux relations entre les aînés et les cadets qui reposent pour la plupart, comme cela a été dit, sur le respect, voire sur l’évitement. Si, ainsi que l’explique Amadou Tangara, un jeune homme n’est pas censé communiquer par téléphone avec sa « petite amie officielle » lorsqu’il est en présence d’un aîné, ici un oncle paternel, on comprend d’autant mieux la gêne que ressentent les aînés dans le cybercafé quand, assis à côté de leurs cadets, ils les voient draguer leur petit(e) ami(e) respectif(e) ou consulter des sites pornographiques.

[…] une fois, j’étais en voiture avec un oncle à moi, il y avait ma copine qui me téléphone, elle téléphonait de très loin, je ne pouvais pas laisser le téléphone sans décrocher, bon je décroche, je dis « allo », elle dit « qu’est-ce que tu faisais ? », je dis « non, je suis au volant », « ah, tu conduis », je dis « oui », « tu sais, tu me manquais beaucoup, je pensais à toi… », « Hmm… ». Et là, elle dit « tu es à côté de quelqu’un ? », je dis « hmm », elle dit, « c’est qui ? », je dis « hmm », du coup, elle dit « c’est ton oncle ? », je dis « hmm » et après, elle me dit « bon, je te rappelle après ». J’ai raccroché, mon oncle, il a su qui c’était… Comme je n’ai rien dit, donc, il a bien compris que je ne voulais pas parler, que je me cachais et après, quand on est arrivé à la maison, il dit : « tu parlais avec ta copine, tu penses que je n’ai pas compris ? ». « Justement, justement, là », j’ai dit, et il s’est mis à me conseiller : « voilà, la vie, on ne dit pas de mauvais jours de la vie de jeunesse mais il y a des limites, fais très attention »…

Amadou Tangara, 28 ans

Stratégies d’évitement

Bien que les aînés craignent d’apercevoir des images torrides sur l’écran de leurs jeunes voisins ou que ceux-ci ne découvrent leur inexpérience en matière d’informatique, ce malaise reste toutefois à l’état latent et les cybercafés demeurent des endroits relativement calmes. Les éclats de voix que l’on entend sont généralement des éclats de rire, ceux des plus jeunes qui s’esclaffent en voyant les images défiler sur l’écran de leur ordinateur ou en écoutant les plaisanteries qui circulent entre eux. En fait, si les tensions intergénérationnelles ne se muent pas en conflits « ouverts », c’est grâce aux « stratégies d’évitement » mises en oeuvre par les acteurs du cybercafé, en particulier par les plus âgés. Évoquer ces « ruses » est l’occasion de rappeler que le modèle relationnel véhiculé par l’Internet est théorique et qu’il n’informe qu’en partie les usages, les internautes détournant ce dispositif technique de son usage prescrit. En l’occurrence, le détournement n’est pas synonyme de fausse manipulation, mais il résulte de l’adaptation d’un instrument quelconque à la réalisation d’un projet auquel il n’était pas primitivement destiné.

On observe ainsi que les clients des cybercafés bamakois font preuve de beaucoup d’ingéniosité pour réintégrer de la distance là où elle n’est pas prévue, afin d’éviter de faire perdre la face à leur parent direct ou classificatoire, ou de la perdre eux-mêmes. Une première « ruse », radicale, consiste tout simplement à ne pas fréquenter le cybercafé de son cadet. Le parent en question se rend alors dans un autre établissement ou, lorsqu’il en a la possibilité, consulte l’Internet sur son lieu de travail. Refuser de se laisser initier à l’Internet par des internautes plus jeunes pour éviter de s’exposer et privilégier l’aide d’amis ou de professionnels de l’informatique en est une autre. Enfin, une troisième tactique, moins extrême, repose sur la délégation : au lieu d’aller consulter soi-même sa messagerie, on fait appel à un intermédiaire. L’aîné confie ainsi son mot de passe à une personne de confiance de son entourage – une jeune soeur, son enfant, un ami – qui se rend à sa place au cybercafé. Faire appel à un intermédiaire – et ainsi détourner le média de son usage prescrit puisque, nous l’avons dit, il a été conçu pour un usage direct et individuel – permet à l’aîné de réintroduire de la distance dans la relation et donc de regagner une partie de son autorité perdue. Ce faisant, il n’est plus en contact direct avec les autres clients du cybercafé ni avec ses parents, et ne risque donc pas de se voir manquer de respect.

Ces différentes stratégies sont généralement adoptées par les parents en ligne directe. Dans le cas de la parenté classificatoire, cet évitement prend des formes plus subtiles puisque les membres de générations différentes peuvent parfaitement s’éviter alors qu’ils se trouvent dans un même espace. On observe ainsi que les internautes évoluent très différemment dans l’établissement selon leur âge. Les jeunes – en particulier les garçons – se tiennent au centre : ils s’étendent, prennent de la place, physiquement et vocalement. Pour eux, le cybercafé a une double fonction, socialisatrice et distinctive. Les adolescents y ravivent certains liens d’amitié, en développent d’autres et s’exposent au regard des garçons de leur âge, qu’ils cherchent à épater par leurs compétences informatiques, par leurs largesses financières (paiement de la connexion à l’Internet) et par la beauté des filles qu’ils conquièrent, soit dans le cybercafé, soit sur la Toile grâce aux chats. Les aînés, en revanche, se tiennent à la « périphérie », spatiale et temporelle, du cybercafé. Temporelle puisqu’ils le fréquentent généralement en début et en fin de journée, le matin étant consacré aux recherches professionnelles, les fins de soirées aux usages plus transgressifs comme la consultation d’images pornographiques et le surfisme. Pendant le reste de la journée[12], ils sont peu présents dans la boutique, qui devient le bastion des plus jeunes. Spatiale, parce que leur présence est moins exubérante que celle de leurs cadets : les plus âgés cherchent avant tout à surfer sur l’Internet. Cet établissement, largement fréquenté par les jeunes, ne se prête pas à la socialisation des plus âgés qui s’y sentent mal à l’aise. Concentrés sur leur écran, ils quittent les lieux une fois qu’ils ont obtenu l’information souhaitée, sans chercher à se mêler aux réseaux sociaux existants ni à en créer de nouveaux. « Il arrive souvent que je croise des amis, des gens que je connais, cela même en dehors du cyber. On se voit, on se salue et tout le monde fait son travail » (Cheick Samacké, 32 ans).

Ce contraste entre les générations qui évoluent parallèlement est tel que l’on semble confronté, non pas à un seul espace – le cybercafé –, mais à plusieurs, qui coexistent sans se rencontrer.

Le cyberespace, un endroit « dangereux » pour les aînés

Si les tensions opposent principalement des parents classificatoires dans le cybercafé, dans le cyberespace, en revanche, elles opposent des parents directs. À l’origine de ces dissensions, on retrouve, là encore, le modèle relationnel égalitaire véhiculé par l’Internet. Dans le cyberespace, cet idéal s’incarne dans la communication électronique qui se caractérise par l’abondance des messages envoyés, par courriel et par chat[13], leur vitesse de transmission, l’informalité de leur ton et par la relative symétrie des échanges « from peer to peer », c’est-à-dire « de pair à pair ». La seule médiation à laquelle les internautes sont confrontés est technique : ils font face à leur écran, à leur modem, aux câbles et au reste du dispositif qu’ils ne voient pas et grâce auquel leur message transite dans l’espace. Tout donne ainsi à penser – c’est du moins ce que souhaitaient les concepteurs de ce média – que, par courriel, on peut prendre contact avec n’importe qui – quels que soient son âge, son sexe et son statut social. L’aspect symétrique des relations qui se nouent sur la Toile est problématique pour les aînés qui redoutent que leur autorité ne s’amoindrisse.

Des parents peu présents sur la Toile

Comme dans le cybercafé, les pairs sont fort nombreux sur la Toile. En effet, les clients de ces établissements communiquent le plus souvent par courriel avec leurs camarades d’école, leurs collègues de travail, leurs amis intimes ou encore leurs anciens promotionnaires. Avec ces correspondants, le ton est souvent léger et, plus que d’informer, le message vise à entretenir le lien. Cet aspect phatique de la communication prend différentes formes : une personne peut chercher à amuser son interlocuteur en lui faisant parvenir une plaisanterie ou en lui racontant de banales nouvelles quotidiennes. Elle peut aussi lui envoyer une animation ou encore profiter des fêtes civiles ou religieuses pour lui adresser des salutations, des voeux et des bénédictions. Plus rarement, elle privilégie le courriel pour se confier à l’un ou l’autre de ses amis intimes. L’aspect asynchrone et direct[14] de ce média se prête particulièrement bien à ce genre d’échange, car contrairement au téléphone et aux interactions face à face, les interlocuteurs ne se voient ni ne s’entendent par courriel. Cette dissimulation des voix et des visages facilite la confidence. En effet, lorsque l’internaute met son âme à nu, il devient vulnérable, si bien qu’il suffit d’un regard ou d’une parole méprisante de son interlocuteur pour qu’il perde la face. Loin du regard de l’ami auquel il ouvre son coeur, il se sent protégé et ose s’exprimer plus librement.

Bien que minoritaires, les parents ne sont pas totalement absents du cyberespace. Les jeunes internautes correspondent, en effet, avec certains d’entre eux par courriel. Généralement, le message a une visée financière, le cadet profitant de ce que son parent ne le voit pas pour lui adresser diverses demandes matérielles. Les parents en question se trouvent souvent à l’étranger. L’émigré – qui est tenu de partager les fruits de son succès, supposé ou réel, avec les membres du clan restés au pays sous peine de voir sa carrière tenue en échec par la malédiction[15] de ses aînés, blessés par son ingratitude – reçoit par courriel ou par téléphone portable de nombreuses demandes de la part de ses parents restés au pays. Par ailleurs, ces requêtes ne circulent pas dans un seul sens puisque les émigrants utilisent aussi le courriel – ainsi que le téléphone portable – pour demander qu’on leur fasse parvenir certains biens typiques du Mali. En ce sens, les jeunes représentent les « yeux et les oreilles » de leurs aînés à l’étranger : ils les informent de ce qui se passe au pays, leur transmettent les demandes matérielles de leurs parents et recueillent le contenu de leurs attentes. Ils sont également leurs « pieds » dans la mesure où, même quand les plus âgés se trouvent à des milliers de kilomètres, ils continuent de les « commissionner » : tantôt les expatriés leur demandent d’aller chercher de l’argent à la banque et de le remettre à un parent, tantôt ils les chargent de photocopier des documents officiels pour les leur envoyer, tantôt enfin ils leur demandent d’aller saluer un ami.

Des relations plus symétriques entre les aînés et les cadets

Ce rôle d’intermédiaire interprété par les jeunes est potentiellement source de conflits. En effet, par courriel, les liens entre les aînés et les cadets changent quelque peu de nature. Traditionnellement, cela a été dit, la retenue est de rigueur entre eux. Ainsi, les plus jeunes font appel à un intermédiaire pour aborder certains sujets délicats avec leurs aînés. En revanche, le courriel autorise une liberté de ton qui, en d’autres circonstances, serait impossible, comme l’illustre l’exemple d’Amadou Tangara. Lorsque ce jeune homme de 28 ans apprit que son frère aîné s’était marié en France sans l’informer et qu’il avait eu, de surcroît, un enfant en secret, il fut à la fois peiné et rempli de colère à l’idée que son germain ait pu lui cacher un épisode aussi important de sa vie :

Mon frère, il s’est marié et il ne m’a pas parlé de cela. Il a fait son mariage, il a eu un garçon et il ne m’en a pas parlé. Je l’ai appris par une autre personne, qui n’est même pas de la famille.

Amadou Tangara, 28 ans

Oralement, Amadou aurait difficilement pu exprimer son ressentiment. En revanche, par courriel, c’était possible. Il utilisa donc ce média pour expliquer à son aîné combien son comportement l’avait blessé.

[Par téléphone], je ne peux pas m’énerver, quoi. Donc, la meilleure des choses, j’écris un e-mail, je l’envoie, [je lui dis] « tu as fait ceci, tu as fait cela, j’étais vraiment mécontent, mais j’essaie de m’y faire ». Cela, tu peux seulement le faire par e-mail et là, après, il [son frère] m’a répondu calmement, « je suis vraiment désolé, je sais que j’ai eu tort ».

Amadou Tangara, 28 ans

Comme dans le cas des demandes matérielles et des confidences, l’aspect asynchrone joue un rôle important, car cette caractéristique, qui est celle de l’écrit en général, permet au cadet de s’adresser directement à son aîné malgré l’asymétrie de leur lien. Par courriel, les cadets n’ont plus besoin d’emprunter la voix d’un tiers pour « régler leurs comptes » avec leurs aînés, il leur suffit de se cacher derrière le clavier de leur ordinateur. La machine joue ici le rôle d’un « tiers symbolique » qui, en brisant le face-à-face, fait disparaître celui-ci. Toutefois, l’intermédiaire change de nature : d’humain, il devient technique, ce qui introduit un rapport plus direct et plus symétrique entre ces protagonistes des relations d’évitement et de respect.

Des zones d’ombre qui diminuent

Pour les aînés, le cyberespace représente donc un endroit dangereux, d’une part parce que leur piédestal rétrécit, de l’autre parce que le type de communication directe auguré tant par le téléphone portable que par l’Internet les place dans une position délicate. En effet, ces médias ayant été pensés pour un échange à la fois direct et individuel, tout ce qui s’oppose à la circulation du message est considéré comme insupportable dans « cet univers du “point à point” » (Breton 2000 : 63). Ainsi, si le courrier électronique et le téléphone portable simplifient la vie des personnes qui expriment les demandes matérielles – puisqu’elles peuvent atteindre facilement leur interlocuteur –, en revanche, ces médias compliquent l’existence de ceux qui sont sollicités, car leur marge de manoeuvre diminue. La liberté de l’individu tient précisément à sa possibilité d’élaborer des stratégies pour différer ces demandes, voire pour les contourner. La lettre et le téléphone fixe instituent des espaces temporels et spatiaux plus ou moins importants entre le moment où l’information est envoyée et celui où elle rejoint le destinataire. Une lettre peut mettre jusqu’à plusieurs semaines avant de parvenir à destination, pour autant qu’elle ne se perde pas en route. De même, la personne qu’on appelle ne se trouve pas forcément à proximité du téléphone fixe. Quelqu’un doit donc la chercher ou lui communiquer oralement le message, avec le risque que cet intermédiaire oublie de transmettre la commission. À l’intérieur de ces zones d’ombre, les acteurs sociaux ont la possibilité de « jouer » avec les demandes de leur interlocuteur et parviennent parfois à les déjouer. Avec les médias électroniques, ces espaces de « protection » diminuent. Une personne qui possède un téléphone portable ou une adresse électronique est, en effet, très rapidement atteignable. Elle peut donc difficilement dire qu’elle n’a pas reçu l’appel, le numéro/l’adresse électronique de son correspondant s’affichant sur l’écran. Refuser de lui répondre signifie implicitement qu’elle ne souhaite pas lui parler, ce qui est considéré comme un grave manque de respect. Pour gagner quelques heures de tranquillité, certains rusent. D’aucuns arguent que leur téléphone était réglé sous mode vibration et qu’ils ne l’ont pas entendu sonner, d’autres déclarent être momentanément hors d’atteinte, une information que leur interlocuteur peut difficilement vérifier.

Malgré ces stratagèmes, les propriétaires d’un téléphone portable et d’une adresse électronique reconnaissent qu’ils sont plus sollicités qu’auparavant et que leurs parents et leurs amis prennent contact avec eux au moindre problème, sans chercher d’autres solutions, ce qui fait dire à l’un de nos interlocuteurs que « quand quelqu’un vomit au village, on le sait immédiatement à Bamako ». La façon dont la communication électronique a été pensée et conçue place donc ces pourvoyeurs financiers dans une position délicate : tandis que les demandes auxquelles ils doivent faire face augmentent, leurs possibilités de s’y soustraire diminuent. Ils sont donc confrontés à un véritable dilemme. S’ils refusent, ils craignent d’être maudits par leurs proches. S’ils y répondent, ils risquent de s’épuiser et de se mettre eux-mêmes dans une situation économique difficile.

Conclusion

À Bamako, on constate que l’Internet tend davantage à séparer les générations qu’à les lier. Certes, nous avons pris le parti – notamment pour prendre le contre-pied des discours développementalistes qui voient dans ce média la possibilité de faire de la planète un « village global », pour reprendre l’expression de Marshall Mac Luhan – d’insister sur les tensions et de décrire les conflits qui se jouent dans les cybercafés. Il est certain que l’Internet renforce également certaines relations et qu’il permet d’en créer d’autres. Nous aurions pu évoquer, à ce propos, les liens qui se nouent entre les parents autour du mot de passe (création, gestion) et du financement de la connexion Internet. Cependant, il n’en demeure pas moins que les ressortissants des différentes générations se rencontrent peu dans le cybercafé et dans le cyberespace, et ce, pour éviter de se porter ombrage. Selon le système des attitudes qui prévaut au Mali, les parents, en particulier les consanguins, entretiennent en effet une relation distante. Pour maintenir cet écart, les plus jeunes doivent se comporter de façon réservée avec leurs aînés et éviter d’évoquer avec eux des sujets personnels. Dans le cybercafé et le cyberespace, cette distance est difficile à maintenir, si bien que l’autorité de l’aîné est amoindrie. Non seulement la disposition des ordinateurs dans l’espace permet aux cadets de consulter des sites « légers », voire transgressifs, à côté de leurs aînés, mais l’aspect asynchrone de la communication électronique favorise, de surcroît, une communication plus directe et plus libre entre eux. Toutefois, malgré les apparences, les plus âgés ne sont pas complètement démunis, car ils disposent d’une certaine marge de manoeuvre pour s’opposer à ce qu’ils peuvent considérer comme un affront : ils développent différentes stratégies pour réintroduire de la distance dans la relation et donc regagner une partie de leur autorité perdue. Ce faisant, ils ne sont plus en contact direct avec les autres clients du cybercafé ni avec leurs parents et ne risquent donc pas de perdre la face vis-à-vis d’eux.