Article body

INTRODUCTION

Le paysage archivistique du Québec est marqué par plusieurs figures de proue. Que ce soit par leur implication dans la recherche ou dans l’application concrète de concepts et méthodes de travail, ces archivistes ont permis, et permettent encore aujourd’hui, la mise en valeur de la profession auprès du grand public, ainsi que la mise en place de cadres et de procédés assurant une meilleure gestion, préservation et diffusion des archives partout au pays. Parmi ces archivistes, se trouve Gilles Héon, qui, en 2020, a célébré ses cinquante années d’adhésion et d’implication auprès de l’Association des archivistes du Québec. Engagé dans la communauté archivistique depuis les débuts de sa carrière, Gilles Héon devient membre de l’Association des archivistes du Québec en 1970. Il y siège au fil des ans sur de nombreux comités, et y occupe successivement tous les postes administratifs jusqu’à la présidence en 1976, puis la direction générale en 1988 (Université Laval, 2015). Reconnaissante de son travail en son sein, l’Association lui décerne plusieurs marques d’appréciation, dont celle de Membre émérite en 1995. Il intervient ponctuellement auprès de cette dernière jusqu’en 2017 (Université Laval, 2015). Ce 50e anniversaire fait de lui un des plus anciens membres actifs de l’Association des archivistes du Québec.

Le parcours archivistique de Gilles Héon est grandement influencé par ses intérêts et convictions personnels. Sa carrière est marquée du sceau de la démocratisation et de la conservation des archives. Sa formation en histoire lui inculque une profonde compréhension de l’importance des archives et du rôle des archivistes dans l’écriture de l’histoire et dans le domaine de la recherche. Dès ses premières années en tant qu’archiviste, il contribue au rapprochement des disciplines historiques et archivistiques, conscient que les deux s’intéressent « aux documents passés en ce qu’ils témoignent du passage de l’Homme » (Héon, 1974, p. 28). De la même manière, sa foi catholique l’amène à s’impliquer tout au long de sa carrière dans divers projets liés à des organismes religieux. Il agit d’ailleurs à titre d’archiviste-conseil auprès de plusieurs d’entre eux, dont l’Archidiocèse de Québec de 1999 à 2012 (Université Laval, 2015), pour lequel il occupe également un emploi régulier de 2006 à 2009, de même que pour le Monastère des Augustines de 2019 à 2020 (Héon, 2019).

C’est aux Archives nationales du Québec que Gilles Héon entame sa carrière d’archiviste, et il y demeurera pratiquement l’entièreté de sa vie professionnelle. Dès l’été 1967, il obtient un emploi étudiant aux Archives nationales du Québec dans la section des cartes et plans. Il y est engagé de manière permanente en 1969 (Héon, 2019). Poursuivant tout d’abord son travail amorcé dans la section des cartes et plans, il occupe par la suite des postes à Québec, Montréal et Trois-Rivières et ce, jusqu’à sa retraite en 2004. Parmi ces postes figurent ceux de coordonnateur de l’Inventaire national des archives du Québec, directeur des services techniques, puis Archiviste de référence au Centre d’archives de Québec (Héon, 2019).

Une carrière certes, mais surtout une vie à valoriser les archives québécoises et à en faire la promotion et la démocratisation à travers de multiples textes et communications. Une courte rétrospective de sa carrière en tant qu’archiviste s’impose soit, mais également en tant qu’auteur et conférencier marquant du milieu archivistique québécois. Afin de mieux comprendre ce qui a orienté et teinté la carrière de Gilles Héon, il importe de porter un regard sur ses champs d’intérêts les plus marquants. C’est ainsi que seront présentés les grands thèmes abordés et défendus par ce dernier, et ce, à travers les nombreux textes et contributions qui ont marqué son parcours professionnel. La classification des archives et l’importance des instruments de recherche, l’apport et la portée des archives religieuses pour la conservation de la mémoire, et la démocratisation des archives sont autant d’aspects qui seront traités. Le tout débutant avec l’implication de Gilles Héon aux Archives nationales du Québec.

1. ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC : ARCHIVES ET HISTOIRE NATIONALE

À l’emploi des Archives nationales du Québec pendant près de 40 ans, Gilles Héon participe à de nombreuses publications traitant de leur histoire en tant qu’institution, mais également de leur importance dans la conservation et la diffusion de la mémoire collective. Mémoire collective politique certes, mais également mémoires économique, sociétale, culturelle et des mentalités. Dès lors, selon Gilles Héon, il devient très important pour les archivistes de « s’attacher à recueillir les documents les plus divers pour atteindre à une perception plus globale du passé » (Héon, 1971, p. 24). Dans cet esprit, il rédige un « Bref historique des Archives du Québec » qui est publié dans le Rapport des Archives nationales du Québec de 1970. C’est la première d’une série de publications qui témoignent de leur histoire et qui rendent accessibles la compréhension de leur rôle et leur importance dans la recherche (Héon, 1975 ; Héon, 1992 ; Héon 1995a, par exemple). L’Histoire, écrit-il, « repose sur des documents […] En effet, notre démarche nous enseigne cette triste vérité : pour dix documents existants, cent manquent » (Héon, 1970, p. 15). Cette prise de conscience, très tôt dans sa carrière, oriente une partie de ses travaux vers la mise en valeur et le rôle primordial de l’État dans la conservation et dans la diffusion de cette mémoire collective. Il souligne l’importance du Rapport Dorchester (1790) en tant que « sorte d’acte de naissance des archives de l’État québécois » (Héon, 1992, p. 11). Le dépôt de ce rapport au gouverneur général Lord Dorchester mènera à la nomination du secrétaire provincial en tant que « gardien des archives de la Nouvelle-France » de même qu’à la reconnaissance de l’importance de veiller au classement, à la conservation et à la diffusion des documents d’archives (Héon, 1992, p. 11).

Au début des années 80, Gilles Héon publie un texte relatant l’histoire de la mise sur pied ainsi que les réalisations de l’Inventaire national des archives du Québec, dans lequel il agit à titre de coordonnateur dès le tout début et ce, jusqu’en 1982 (Héon, 1982-1983). Ce service a pour mandat, entre autres, la réalisation d’inventaires régionaux menant à l’obtention d’un inventaire global des archives du Québec (Héon, 1982-1983). Une telle entreprise a pour effet de faire connaître ces services d’archives à la population et de permettre une prise de conscience de l’importance générale des documents d’archives :

Peut-on imaginer les effets de sensibilisation aux archives produits par une telle entreprise auprès des populations visitées ? Combien de gens ont alors pris conscience de l’intérêt de leurs archives, de leurs « vieux papiers » ? Combien d’institutions, d’organismes ont réagi de la même manière ? Pour fournir une assistance minimale aux personnes qui désiraient apporter plus de soins à leurs archives, le service a distribué une brochure intitulée « Portefeuille archivistique », rapidement épuisée. Le Service de l’inventaire national se faisait ainsi promoteur et éducateur en matière d’archives.

Héon, 1982-1983, p. 6

L’Inventaire national des archives du Québec, projet de grande envergure, répertorie, en 1982, près de 9 000 fonds d’archives, reproduits sur une trentaine de bobines de microfilm. Pour s’y retrouver, deux index sont disponibles sur microfiches (Héon, 1982-1983). Déjà, dès 1982-1983, Gilles Héon pose les bases de ce qui allait devenir plusieurs de ses thèmes de prédilection, soit l’histoire, les Archives nationales du Québec, la classification des archives ainsi que la démocratisation de ces dernières.

Plus tard, dans son texte Les Archives nationales du Québec : la mémoire de la nation, paru en 1995, Gilles Héon affirme que pour être national, le service d’archives d’un État doit s’appuyer sur quatre éléments fondamentaux : « Fondement en droit des responsabilités archivistiques, structure de gestion, stratégie de normalisation scientifique [et] programme de diffusion et d’accessibilité » (Héon, 1995a, p. 4). C’est donc à travers les âges que les institutions de la mémoire, qui éventuellement deviendraient les Archives nationales du Québec, allaient lentement mettre en place un système qui, avec le temps, réussirait à réunir ces quatre éléments ; éléments qui tiendront compte de tous les documents d’archives, de leur création jusqu’à leur disposition finale (Héon, 1995a).

Quelques années plutôt, Gilles Héon fait paraître un texte traitant de l’établissement des centres d’archives régionaux relevant des Archives nationales du Québec (Héon, 1983a). Ces centres d’archives régionaux, neuf à l’époque, ont six fonctions principales, soit promouvoir les archives auprès de la population et de divers organismes ; administrer et gérer ces derniers ainsi que le personnel qui y travaille ; offrir un service de références aux chercheurs ; faire l’acquisition d’archives ; traiter ces archives adéquatement à l’aide d’un personnel formé et d’instruments de recherche efficaces ; et participer au programme d’Inventaire national du Québec (Héon, 1983a, p. 134-136).

Depuis leur création en 1969, les Archives nationales du Québec ont pour mission première d’être gardiennes des archives de la nation. Elles ont également le devoir de contribuer à leur diffusion. Mais pour y parvenir, la classification doit être ordonnée et efficace. Les instruments de recherche doivent l’être tout autant.

2. CLASSIFICATION DES ARCHIVES ET INSTRUMENTS DE RECHERCHE : OUTILS INDISPENSABLES À UNE BONNE GESTION

La classification des archives de même que les instruments de recherche sont des thèmes qui retiennent l’attention de Gilles Héon tout au long de sa carrière. Pour qu’un service d’archives relève le défi que lui impose son mandat, ne faut-il pas qu’il se dote d’outils pertinents et efficaces ? Une de ses premières publications, à titre d’archiviste aux Archives nationales du Québec, décrit le classement de la section des cartes et plans de l’institution (Héon, 1972). Toujours dans un esprit d’efficacité, il participe à l’implantation d’une nouvelle classification de ces derniers dans le but de « simplifier leur consultation et supprimer les risques de perte et de détérioration dus à une classification antérieure complexe et à une disposition qui ne tenait pas compte du format de ces documents » (Héon, 1972, p. 417).

En tant que chargé de cours, Gilles Héon enseigne pendant plusieurs années au Centre d’enseignement des langues vivantes, puis au certificat en archivistique du Département d’histoire de l’Université Laval. C’est dans ce dernier qu’il enseigne les cours Diffusion, référence et recherche, Classement et instruments de recherche et Concepts et méthodes archivistiques (Université Laval, 2015). La classification et l’établissement d’instruments de recherche constituent des chevaux de bataille d’une grande importance pour lui. Il fait d’ailleurs état, dans son texte Les plans de classification en archivistique, publié en 1995, de la question des plans de classification à la lumière de la nouvelle masse documentaire générée par la complexité grandissante des organisations qui la produisent, de même que de la diversité des supports sur lesquels ces documents sont consignés (Héon, 1995b). Une normalisation des méthodes de classification est donc à prioriser. Le plan de classification constitue non-seulement un outil de repérage nécessaire, mais permet également une gestion et une conservation efficace des documents d’archives.

Le plan de classification constitue le premier instrument de repérage intellectuel des documents à quelque niveau documentaire que ce soit, facilitant ainsi le processus de prise de décision et les démarches de recherche administrative et historique. Son existence stabilise en quelque sorte les processus de gestion en proposant un cadre commun de référence et de procédures. Il accélérera la confection des instruments de repérage spécifiques et les processus de transfert et de versement des documents concernés. Ce faisant, il contribuera à une gestion matérielle efficace et efficiente de ces mêmes documents. Finalement, il deviendra un support essentiel au respect des législations en vigueur puisque d’aucuns l’utilisent comme liste de classement au sens de la Loi sur l’accès aux documents [des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, chapitre A-2.1)] ou encore comme modèle de base de leur calendrier de conservation […].

Héon, 1995b, p. 77

Il contribue, au fil des ans, à la rédaction de plusieurs inventaires, répertoires, guides et annuaires, et ce, au profit de différentes organisations : Guide de consultation des « Anciennes archives françaises » (antérieurement SÉRIES NF) conservées au Centre d’archives de Québec (Héon, 1983b) ; Annuaire des dépôts d’archives canadiens (Caya et Bureau canadien des archivistes, 1986) ; Guide de gestion des documents de l’Archidiocèse de Québec. Séries de gestion et d’exploitation (Héon, 2009) ; ainsi que plusieurs descriptions de fonds regroupés dans le troisième tome du collectif Les chemins de la mémoire, Biens mobiliers du Québec (Commission des biens culturels du Québec, 1999), pour ne nommer que ceux-là.

Gilles Héon contribue également, en 2005, à l’élaboration de guides de gestion d’archives s’adressant à des organisations publiques et privées (Drolet, Héon et Sauvageau, 2005 ; Héon et Sauvageau, 2005). Disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, leur but premier est d’aider et encourager ces dernières, qu’elles soient constituées de partis politiques, de municipalités ou de maisons d’éditions, à entreprendre et maintenir une saine gestion des documents qu’elles produisent (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, s.d.). De façon générale, il défend fortement l’idée que les plans de classification, appliqués à tout le cycle de vie des documents, sont le « premier instrument de repérage intellectuel des documents » et qu’ils facilitent ainsi « le processus de prise de décision et les démarches de recherche administrative et historique » (Héon, 1995b, p. 77).

Il réitère ces propos lors de sa participation à l’ouvrage collectif dirigé par Carol Couture, Les fonctions de l’archivistique contemporaine, paru en 1999 (Héon, 1999). Dans le chapitre qu’il rédige, « La classification », Gilles Héon traite de l’importance des plans de classification de même que des défis et difficultés que doivent relever et surmonter les archivistes dans l’élaboration de ces derniers, et ce, tout en respectant le principe de respect des fonds. Plusieurs modèles et théories, ayant mené à l’adoption des Règles pour la description des documents d’archives par le Canada et le Québec, sont présentés en introduction. La classification des archives doit absolument être normalisée et constitue, selon lui, une des fonctions archivistiques dans laquelle les archivistes doivent exercer le plus leur savoir-faire et leur expertise. Mais encore faut-il qu’ils en respectent les qualités : que les plans de classification soient ancrés à la réalité vécue par les créateurs des documents, qu’ils soient munis de titres uniques, qu’ils soient flexibles et qu’ils soient permanents (Héon, 1999). Les auteurs de l’ouvrage, dont fait partie Gilles Héon, se voient décerner en 2001 le prix Jacques-Ducharme, remis par l’Association des archivistes du Québec (Association des archivistes du Québec, 2016). Ce prix, nommé d’après M. Jacques Ducharme, ancien membre de l’Association des archivistes du Québec et archiviste au Service des archives de l’Université de Montréal (1973-1981), puis aux Archives nationales du Québec (1983-1989), récompense la contribution d’une ou plusieurs personnes au « développement de l’archivistique et de la gestion documentaire » (Association des archivistes du Québec, 2016). L’ouvrage en question demeure, depuis sa publication, un outil de référence indispensable tant aux archivistes de profession qu’aux étudiants.

3. ARCHIVES RELIGIEUSES : IMPORTANTES ET EN PÉRIL

Impliqué de diverses façons tout au long de sa carrière dans l’univers des archives privées, Gilles Héon a beaucoup travaillé à sensibiliser la communauté et le grand public à l’importance et au rôle primordial de la conservation des archives, notamment des archives religieuses. Et malgré une foi catholique assumée et son travail accompli auprès d’organisations religieuses, Gilles Héon se défend d’être un « archiviste-religieux » (Héon, 2004, p. 9). Il se définit plutôt lui-même comme un « observateur », observateur riche d’un intérêt marqué et d’une grande expérience dans le domaine (Héon, 2004, p. 9). Selon lui, les archives religieuses, ou ecclésiastiques, sont d’une grande valeur pour la recherche historique, qu’elle soit scientifique ou populaire :

Les archives documentent la présence matérielle de l’Église à travers ses propriétés foncières, ses bâtiments, ses oeuvres d’art et objets de culte. Elles attestent de leurs titres légaux et permettent de les entretenir ou de les transformer au besoin. Les archives rappellent les rites et pratiques de l’oeuvre pastorale de l’Église : oeuvres missionnaires, éducatives et hospitalières, oeuvres d’adoration et de prière, oeuvres d’accueil et de partage. C’est encore par les archives qu’est exprimé le message évangélique de ses représentants dans la société. Elles témoignent ainsi des relations de l’Église avec les autorités civiles, les corps sociaux et les fidèles. Finalement et surtout, elles demeurent le signe visible et tangible de l’expression de la foi dans notre société.

Héon, 2004, p. 9

Plusieurs des écrits et collaborations de Gilles Héon traitent des archives religieuses ou relèvent de colloques ou conférences donnés à ce sujet : Les chemins de la mémoire. Biens mobiliers du Québec (tome 3) (Commission des biens culturels, 1999), « Réflexion sur les archives religieuses » dans L’avenir des biens d’église : Le Saguenay-Lac-Saint-Jean relève le défi ! Actes du premier colloque régional sur le patrimoine religieux (Héon, 1998), Les archives paroissiales de l’Archidiocèse de Québec (Lafontaine, Roberge et Héon, 1999) et le Guide de gestion des documents de l’Archidiocèse de Québec (Héon, 2009), par exemple.

En 2005 et 2006, il contribue, en son nom et au nom de l’Association des archivistes du Québec, aux consultations publiques sur le patrimoine religieux du Québec mises en place par la Commission de la culture de l’Assemblée nationale du Québec en proposant un mémoire sur L’avenir du patrimoine religieux du Québec. Dans ce mémoire, il réitère l’importance des archives religieuses dans les cercles de recherche, mais évoque à quel point ces dernières sont malgré tout sous-estimées, sous-financées et fragilisées (Héon, 2005-2006). Il fait principalement état du traitement malheureux que les archives religieuses du Québec reçoivent, archives dont l’état de conservation général est largement inconnu, dont les lieux d’entreposage sont très souvent inadéquats, qui peinent à recevoir le financement nécessaire au maintien des activités qui les touchent et dont le personnel est souvent insuffisant ou peu qualifié (Héon, 2005-2006).

Malgré le nombre élevé de domaines d’études qui se réfèrent et utilisent régulièrement les archives religieuses dans leurs champs de recherche respectifs, ces dernières demeurent encore peu connues et leur apport, très peu valorisé. Quant au fait que la gestion des archives religieuses est, de manière générale, sous-estimée, Gilles Héon écrit :

… on constate aisément que l’aide financière accordée par l’État au patrimoine archivistique religieux atteint à peine 1,5 % du montant consacré aux autres formes patrimoniales. C’est encore loin du 5 % de son budget accordé par le MCC au fonctionnement des Archives nationales du Québec. Bien plus, pris individuellement, ces programmes ont rapporté à leurs bénéficiaires une somme moyenne de 28 800 $ dans le cas du premier et de 3 500 $ dans le cas du second. Ces sommes dérisoires ne financent même pas l’emploi annuel d’une personne dotée des qualifications universitaires de premier cycle.

Héon, 2005-2006, p. 176

Selon Gilles Héon, il ne faut pas minimiser l’impact négatif de la diminution notoire d’effectifs religieux au sein des congrégations. Ce phénomène affecte les fonds attribués à la gestion des archives, mais en résulte également un manque de personnel clérical qualifié pour traiter adéquatement les archives religieuses, qu’elles soient courantes, intermédiaires ou historiques (Héon, 2005-2006).

Toujours dans ce mémoire, il propose des recommandations pour l’amélioration des conditions susmentionnées. En résumé, il suggère la réalisation d’une étude sur l’état de conservation des archives religieuses au Québec ; la mise sur pied d’un groupe de travail ayant pour mission l’identification des critères d’évaluation pertinents pour en assurer la pérennité et la diffusion ; l’aménagement adéquat de leurs locaux d’entreposage, leur permettant une conservation dans des conditions optimales ; l’embauche et la formation d’un personnel compétent et, finalement, l’ajout de fonds monétaires et le développement de programmes nécessaires à la réalisation de ces conditions (Héon, 2005-2006).

Au cours de leur histoire, les communautés religieuses québécoises ont été pionnières dans la gestion de leurs archives. Malgré les difficultés liées à l’abolition d’un nombre grandissant de paroisses et au manque notoire d’effectifs, elles ont réussi à prendre en main efficacement leurs centres d’archives, en ce qui concerne la formation du personnel ainsi que la création de regroupements professionnels (Héon, 2004). Il est donc très important de leur octroyer le support et les fonds nécessaires pour leur permettre à nouveau un traitement et une gestion tout aussi efficaces de leurs documents.

4. DÉMOCRATISATION DE L’ARCHIVISTIQUE : UNE AFFAIRE PERSONNELLE

Gilles Héon contribue à faire connaître l’archivistique non seulement auprès de la communauté scientifique, mais également auprès du grand public. Comprenant que l’histoire ne peut être écrite qu’à l’aide des archives politiques, il participe activement à la mise en valeur des archives privées. À cet effet, il collabore, en 1992, à la création du programme pédagogique Ton portefeuille archivistique, programme s’adressant aux jeunes d’âge primaire et qui a pour but de leur apprendre l’utilité des centres d’archives et des documents qu’ils conservent, tout en leur permettant une prise de conscience de la teneur de leurs archives personnelles. Cet outil s’intègre aux programmes scolaires déjà en place dans les écoles de l’époque et s’avère une réussite auprès des élèves de 4e année qui y participent (Héon, 1994-1995).

Il récidive, en 2000, avec un outil promouvant la classification et la conservation des archives personnelles et familiales dans lequel ses collaborateurs et lui présentent une méthode d’organisation pour ces dernières : Comment classer vos archives personnelles et familiales : vos papiers : supports et témoins de la vie quotidienne. Il y explique, en parlant des divers documents pouvant constituer des archives, que :

… le document d’archives existe dès lors qu’une information est consignée et conservée pour référence future, prochaine ou éloignée. N’est-ce pas le lot de l’acte de naissance, du passeport, du reçu pour fins d’impôts, du testament autant que du mode d’emploi d’un appareil électroménager, du faire-part de mariage, de la carte postale et du diplôme que nous retrouvons tous dans nos archives personnelles ?

Héon, Canac-Marquis, Leclair et Thiébaut, 2000, p. 6

Treize séries documentaires sont proposées à cet effet, lesquelles sont divisées en quatre grandes catégories : « Ce que je suis », « Ceux et celles que je fréquente », « Ce que je fais » et « Ce que je possède » (Héon, Canac-Marquis, Leclair et Thiébaut, 2000). Parmi ces treize catégories se trouvent celles ayant trait à l’histoire et la généalogie, la vie personnelle, la santé, les relations familiales et sociales, les études et le travail, les loisirs, les biens mobiliers et immobiliers, les animaux ainsi que l’information (Héon, Canac-Marquis, Leclair et Thiébaut, 2000). Ouvrage pratique d’un grand intérêt, il est à nouveau publié en 2011, accompagné de nouveaux collaborateurs, dans une version revue et augmentée sous le titre : Comment gérer vos documents personnels. Supports et témoins de la vie quotidienne.

La ligne directrice de l’ouvrage ? Le plan de classification.

L’application d’un plan de classification à nos archives personnelles et familiales permet donc de réaliser plusieurs objectifs : regrouper et identifier correctement nos archives, faciliter leur repérage et leur consultation, apprendre à reconnaitre leur utilité certes, mais aussi, leur richesse d’évocation et, finalement, conserver la mémoire de nos activités passées et récentes, voire révéler notre personne elle-même. Dès lors, nos archives, à l’égal de nos autres biens transmissibles, constitueront une part significative de notre patrimoine familial, constamment enrichi au fil des générations.

Héon, Canac-Marquis, Leclair et Thiébaut, 2000, p. 6

Quelques années plus tard, il fait paraître un article dans la revue Cap-aux-Diamants dans lequel il réitère l’importance de se munir d’un plan de classification pour les archives personnelles afin de mieux gérer ses activités courantes et de permettre le legs d’un patrimoine documentaire ordonné, pour la famille soit, mais également pour les historiens et chercheurs de demain (Héon, 2017). Tout comme les archives publiques, les archives personnelles et privées sont à risque et il est de notre devoir de les protéger :

… fichiers détruits nonchalamment ou accidentellement ; documents épars qui disparaissent lors de travaux saisonniers ou de déménagements ; boîtes ou classeurs débordants ; abandonnés et jetés avec leur contenu ; photographies non ou mal identifiées dont le sujet est oublié et qui sont finalement détruites.

Héon, 2017, p. 25

C’est ainsi qu’il suggère à nouveau la division des documents d’archives dans les quatre grandes catégories précédemment énumérées.

Une fois de plus, Gilles Héon démontre que la conservation des archives s’effectue à travers une classification ordonnée et efficace et que ce travail n’est pas, et ne devrait pas être, l’apanage exclusif des archivistes de formation.

CONCLUSION

Auteur et conférencier prolifique, Gilles Héon a publié jusqu’à ce jour plus de 115 documents, textes et articles et a participé à de nombreux congrès, colloques, conférences et allocutions (Héon, 2019). Depuis maintenant plus de cinquante ans, Gilles Héon a su mettre de l’avant l’importance des archives dans la reconstruction historique du peuple québécois. Oeuvrant au sein des Archives nationales du Québec pendant de nombreuses années, il s’est fait un devoir de faire connaître leur apport tant dans les sphères académique, scientifique que publique. Leur histoire ainsi que les initiatives et programmes qu’elles ont su mettre sur pied ont été à maintes reprises soulignés à travers les textes de Gilles Héon.

Défenseur de la classification archivistique, il a fait du plan de classification son cheval de bataille dans la conservation et la diffusion des documents d’archives. Il est indéniable, selon lui, qu’un plan de classification est essentiel au traitement des archives, qu’elles soient courantes, intermédiaires ou définitives. De la même manière, il est également très important d’arriver à transposer ces plans et méthodes de classification aux archives personnelles. Ces documents revêtent une importance aussi grande que peuvent l’être les documents d’archives politiques ou religieuses. C’est en partie grâce à ces archives que pourra s’écrire l’histoire de demain.

Maintenant retraité, Gilles Héon est toujours activement impliqué dans le milieu des archives québécoises. Plus qu’un simple travail, le métier d’archiviste semble être une vocation pour lui. Il en a d’ailleurs fait valoir l’importance sur le blason qu’il a créé et fait reconnaître officiellement par la Gouverneure Générale du Canada en 2012 (La Gouverneure Générale du Canada, s.d.). Les armoiries de ce dernier sont marquées, entre autres, par des abeilles qui « évoquent son souci du travail consciencieux et son attachement à l’Association des archivistes du Québec qui avait adopté l’abeille comme emblème en 1969 » (La Gouverneure Générale du Canada, s.d.). L’une des deux devises qui ornent le blason de Gilles Héon est « Trace les chemins de la mémoire », inspirée à la fois de son travail aux Archives nationales du Québec et de l’ouvrage Les chemins de la mémoire. N’est-ce pas là une preuve indéniable de l’attachement de ce dernier envers la profession ainsi que de la passion qui l’a animé dans sa pratique pendant plus de 50 ans ? À la lumière de cette rétrospective, il convient effectivement d’affirmer que Gilles Héon a vécu sa vie au coeur des archives.