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Cette publication collective vise à rendre compte de la diversité des enjeux et des défis que posent la création, la gestion et la diffusion des archives provenant de minorités migrantes et des communautés amérindiennes en Amérique du Nord. Cette pluralité est aussi présente dans la provenance professionnelle des auteurs. En effet, on y retrouve des articles écrits par des professionnels chevronnés (archivistes, historiens, anthropologues et spécialistes de la gestion documentaire) et des textes provenant de militants bénévoles membres ou non des groupes étudiés. Les approches théoriques et les pratiques présentées dans l’ouvrage sont également considérablement variées.
Le prologue de Richard J. Cox et l’introduction rédigée par les deux directeurs de cette publication rappellent que les archives construisent une communauté, consolident son identité et formatent sa mémoire. Ils font aussi remarquer que l’ethnicité n’est que l’un des paramètres qu’une collectivité ou un regroupement d’individus utilise pour se définir. En effet, l’identité est le produit de choix individuels et collectifs en constante évolution. De ce fait, il faut tenter d’éviter d’essentialiser les communautés dont on conserve les documents en essayant de prendre en compte la diversité interne de celles-ci. De plus, Dominique Daniel et Amalia Levi attirent l’attention sur le besoin de s’occuper de sources d’informations moins traditionnelles que les documents textuels lorsque l’on se penche sur les groupes migrants et les communautés autochtones. Les témoignages oraux[1], les coutumes et les artefacts sont des sources à ne pas négliger.
La première partie du livre, Theorizing Ethnicity in the 21st Century, est composée de deux contributions théoriques. L’article de Jeannette A. Bastien mentionne l’importance de la mémoire pour les groupes minoritaires. Celle-ci y démontre que l’archiviste joue un rôle majeur dans la sélection de ce qui sera gardé en mémoire et de ce qui peut être oublié par une communauté. Pour cette auteure, la mémoire collective est une forme de documentation à laquelle les archivistes devraient porter une plus grande attention. Quant au texte de Michelle Caswell, il se penche plus particulièrement sur l’impact des théories postcoloniales et mondialistes sur le domaine archivistique. Celles-ci permettent, selon elle, d’avoir un point de vue plus critique sur la construction et l’utilisation des informations produites sur les minorités.
La seconde partie du livre, Setting the stage : Personal reflections, expose le parcours professionnel de deux chercheurs. M. Mark Stolarik y commente sa longue expérience dans la recherche, la collecte et la préservation d’archives et d’artefacts[2] provenant de migrants slovaques en Amérique du Nord. Il y signale que les institutions culturelles jouent toujours un rôle primordial dans l’hébergement des archives des immigrants. L’article suivant aborde le thème peu analysé de l’émigration historique et actuelle de citoyens américains aux quatre coins du globe. Son auteur, Joel Wurl, fait remarquer que des sources documentaires sur le phénomène, telles que de la correspondance, peuvent se retrouver à l’extérieur de l’Amérique du Nord et que les chercheurs ne doivent pas en négliger les apports possibles.
La troisième partie du livre, Toward Culturally Sensitive Archiving, relate sept études de cas. Celles-ci font comprendre l’importance des enjeux de justices sociales au coeur de maintes démarches mises en branle par les archivistes professionnels et amateurs afin de préserver la documentation concernant les groupes minoritaires. On y expose, entre autres, les tentatives de collecte, de gestion et de diffusion des archives relatives aux Portugais canadiens, aux Portoricains de la Californie, aux Finlandais américains et aux Afro-Américains de la Floride. Pour sa part, Krisztina Laszlo présente le fascinant exemple de communautés autochtones de l’Ouest canadien ayant réussi à sauver de l’extinction leur langue traditionnelle par l’utilisation d’enregistrements oraux conservés dans un dépôt d’archives.
La quatrième partie du livre, Creating and Re-Creating Identities, est constituée de quatre textes qui posent des questions sur les manières dont furent documentés certains groupes minoritaires comme les Sino-Canadiens et les Arabes américains. Le lecteur y découvre que les renseignements sur certaines communautés sont largement déficients et que certains individus furent en mesure, par leurs démarches, de palier partiellement à cette lacune.
La cinquième partie du livre, Archiving Ethnicity on the Web, comporte quatre contributions. Les auteurs se penchent sur l’importance de la Toile pour la diffusion d’informations de tous ordres relatifs aux groupes minoritaires. Ils s’entendent pour dire qu’Internet offre de nombreuses possibilités pour l’exploitation des archives produites sur et par ces groupes. La prise en compte des réseaux sociaux par les archivistes, tels que Facebook, permet aussi de documenter la vie de tous les jours des membres d’une communauté donnée.
Après une lecture attentive de cet ouvrage collectif, nous pouvons maintenant en définir les forces et les faiblesses. Un des points forts de cet ouvrage est qu’il permet, à sa lecture, de connaître les principales questions théoriques et pratiques que la gestion des archives des minorités migrantes et des communautés autochtones pose aux archivistes professionnels et amateurs. Les nombreuses contributions de ce livre font ressortir l’importance de documenter l’apport des membres de ces groupes minoritaires pour refléter tous les aspects de nos sociétés multiculturelles. Un autre point digne de mention est le mélange d’études ethniques et d’études autochtones. En effet, le thème général d’identité autorise un rapprochement heureux entre les deux champs de recherches qui ne sont que très rarement regroupés. Il est également intéressant de découvrir que certains projets n’ayant pas eu beaucoup de moyens financiers et techniques lors de leur début furent couronnés de succès et permirent de faire connaître des individus et des faits n’ayant pas été documentés auparavant par les grandes institutions culturelles d’Amérique du Nord. À cet effet, la collaboration est un thème omniprésent dans ce livre. Le lecteur peut constater que malgré certaines frictions occasionnelles, la coopération entre diverses institutions donne généralement de bons résultats en ce qui touche la collecte, la gestion et la diffusion de documents d’archives concernant les minorités.
Malgré les nombreuses qualités de ce livre, nous avons relevé quelques aspects qui pourraient être améliorés. Par exemple, des auteurs de ce collectif font parfois mention d’une dichotomie entre les pratiques et les méthodes traditionnelles des archivistes et celles qui sont utilisées par les archivistes issues des minorités. Ces mêmes auteurs ne prennent pas toujours le temps de décrire ces différences de manières explicites. Dans la même veine, il aurait été approprié de retrouver un article traitant de la formation des archivistes concernant les thématiques touchant l’altérité et les groupes minoritaires. Finalement, quelques auteurs avancent que les nouvelles technologies permettent d’espérer un avenir prometteur pour la diffusion des archives provenant des communautés migrantes et autochtones. Sur cet aspect particulier, certains de ces auteurs tendent à passer sous silence les défis que cette même technologie peut poser pour les documents d’archives et leur conservation pérenne.
En dépit des quelques limites énoncées précédemment, la lecture de ce livre est fortement conseillée aux personnes qui s’intéressent aux enjeux liant archives, identité et altérité. En effet, cet ouvrage vient faire le point sur des aspects du métier de certains archivistes qui n’est pas souvent mis de l’avant dans les ouvrages généraux traitant de l’archivistique. L’importance du rôle des archives et des archivistes y est clairement mise en lumière par rapport à la documentation de toutes les facettes de la société contemporaine. À la lecture de ces divers textes, nous sommes à même de constater le chemin parcouru pour faire connaître les archives de groupes minoritaires et cela se révèle être particulièrement enrichissant.
Appendices
Notes
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[1]
Pour un exemple récent d’ouvrage portant sur l’histoire de l’immigration au Québec et exploitant judicieusement un mélange de documents textuels, iconographiques et de témoignages oraux : Guy Berthiaume, Claude Corbo et Sophie Montreuil (dir.) Histoires d’immigrations au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec ; Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2014.
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[2]
Pour une étude sur l’importance des objets pour une communauté migrante : Marie-Blanche Fourcade, Habiter l’Arménie au Québec : ethnographie d’un patrimoine en diaspora, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011.