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Les productions culturelles québécoises, qu’il s’agisse de la littérature, du cinéma, des séries télévisées, du théâtre ou des arts picturaux, sont traversées par le colonialisme et la race, que ce soit implicitement ou explicitement. Cependant, ces questions demeurent peu étudiées dans les études littéraires québécoises. Dans son livre De Groulx à Laferrière. Un parcours de la race dans la littérature québécoise, Corrie Scott fait le constat que « [l]a théorie critique de la race est la grande oubliée de la littérature québécoise » (2014 : ePub). Elle démontre à partir d’un corpus qui s’étend du Rapport Durham (1839) aux oeuvres de Dany Laferrière (1985) et de Ying Chen (2004), que le statut minoritaire de la société québécoise s’est défini de différentes façons en rapport avec la question de la race, qui est « un concept discursif qui vient appuyer diverses positions idéologiques » (2014 : ePub). Comme principe classificateur sans aucune base génétique ou biologique, la race opère pour « doter des groupes d’une “essence” propre et de qualités spécifiques qui seraient inscrites dans leur chair et dans leur sang » (2014 : ePub). Pourtant, comme le souligne Scott, « [l]a mise en question de la race biologique n’a pas conduit à la disparition du racisme qui est encore bien réel, son impact étant encore bien tangible, palpable et brutal » (2014 : ePub). Alors que Scott a relevé, dès 2014, que la question de la race constitue un angle mort important des études littéraires québécoises, la race et les fondements d’un système social injuste concernent autant l’époque de la Nouvelle-France que l’actualité.
Au fil de la production de ce dossier, plusieurs événements significatifs ont projeté dans le discours public et médiatique québécois l’histoire coloniale raciste trop longtemps occultée, nous rappelant ainsi la pertinence et la nécessité de mener à bien ce projet. Au fil de l’été 2020, le mouvement Black Lives Matter qui milite contre le racisme anti-Noir·e·s s’est mobilisé à une échelle mondiale en réaction au meurtre de George Floyd. Le mouvement a pris de l’ampleur au Québec également, lorsque la sur-surveillance de certains quartiers de Montréal par la police et les inégalités économiques et sociales mises au grand jour par la pandémie ont été aggravées par le refus de la part des politicien·ne·s de prendre au sérieux le racisme systémique dans la province. À l’automne 2020, la mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw, décédée à l’hôpital de Joliette dans des circonstances troublantes, révéla le mépris raciste institutionnel envers les femmes autochtones. À l’été 2021, de nombreux sites où gisent les dépouilles d’enfants décédé·e·s ont été identifiés sur les lieux d’anciens pensionnats autochtones partout au Canada. Cet événement suscita un débat sur la manière de rendre compte des séquelles de la colonisation au Québec, un débat public qui, d’après l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet, n’a pas eu lieu lors de la venue à Montréal de la Commission de vérité et réconciliation en avril 2013. Bousquet a constaté que les médias québécois ont, à l’époque, traité l’histoire des pensionnats comme « s’il s’agissait d’abord et avant tout d’une réalité extérieure » (2016 : 171). À l’aube de la deuxième décennie du xxie siècle, y aurait-il une reconnaissance provinciale réelle des injustices coloniales et racistes passées et actuelles ? On avance, de toute évidence, sur des sols mouvants : ce contexte social et ce moment culturel ont confirmé la nécessité, voire l’urgence, de créer un espace qui fera circuler un discours critique sur l’intersection du colonialisme et de la race.
Nous avons donc voulu situer le présent dossier dans le prolongement des travaux de Scott, tout en ouvrant la discussion à d’autres genres artistiques et au colonialisme. Le colonialisme, même s’il se distingue du concept de race, en partage la logique : celle de légitimer la domination et l’exploitation. Il nous est alors apparu nécessaire de contribuer à l’effort en cours de dévoiler le visage moderne de ces deux structures de domination entrelacées dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Québec en adoptant une perspective multidisciplinaire. Pour ce faire, les études réunies ici mettent de l’avant des analyses diversifiées qui étudient le colonialisme et la race sous toutes leurs coutures dans des oeuvres autochtones et allochtones parues au Québec au cours des xxe et xxie siècles. Les contributrices nous amènent à nous pencher sur le fonctionnement, la manifestation et l’intersection du colonialisme et de la race tels qu’ils sont représentés dans l’essai et le roman québécois, dans l’essai et le récit de vie autochtones, dans les correspondances littéraires entre Autochtones et allochtones, ainsi que dans le milieu artistique au Québec. Avant de présenter les contributions, réfléchissons aux pistes de recherche qui articulent les rapports de domination qui traversent la société, qui nous traversent tous·tes, et qui informent les articles du présent dossier.
Commençons par un constat : la condition du colonialisme demeure intacte au Québec et au Canada. Or, le sens de « colonialisme » doit être précisé, afin de cerner les différentes formes de dépossession qui ont circulé historiquement et qui continuent de circuler. Comme l’observe Scott et plusieurs autres chercheur·se·s s’intéressant à la race dans le contexte québécois, les années 1960 ont vu l’appropriation du discours du colonialisme et du langage de la décolonisation par le mouvement nationaliste québécois, qui a utilisé cette rhétorique pour conceptualiser la réappropriation du territoire face aux Anglais (Mills 2011 [2010] ; Austin 2013 ; Cornellier 2017 ; Giroux 2020). Cette rhétorique emprunte la dépossession noire américaine, des idées des figures du mouvement Black Power aux États-Unis et des penseurs de la négritude de l’Afrique du Nord et des Antilles, afin d’interpréter l’expérience de marginalisation sociale, économique et politique des Québécois·e·s d’héritage canadien-français. Sean Mills souligne la contradiction profonde par laquelle cette population « s’imagine appartenir à un mouvement mondial dont l’objectif explicite est de renverser et vaincre le pouvoir blanc », tout en n’étant ni un peuple autochtone, ni une population dont les ancêtres ont été vendu·e·s en esclavage et dépossédé·e·s de force de leurs terres natales, mais bien les descendant·e·s de colonisateur·rice·s blanc·he·s (2011 [2010] : 100). À cela s’ajoute le fait que la « décolonisation » du Québec lors de cette période s’est faite à travers la poursuite d’un projet de dépossession des Premiers Peuples, en cherchant à conquérir le Nord pour exploiter les ressources naturelles sur le territoire au profit de l’État provincial[2]. Comme l’explique Dalie Giroux dans L’oeil du maître. Figures de l’imaginaire colonial québécois, l’émancipation incarnée dans le slogan emblématique « Maîtres chez nous », basée sur le développement économique, s’accompagnait d’une revendication de la propriété du sol, ignorant totalement les droits territoriaux autochtones (2020 : 59). Giroux révèle la posture ambivalente par laquelle un peuple colonisé à la recherche de la libération a endossé le rôle d’un peuple colonisateur : « le Québec ne semble pas à cette époque en mesure de penser son indépendance autrement que par le biais de l’accaparement de la position du maître » (2020 : 64). Cette trajectoire occulte l’occupation des territoires autochtones, obscurcit la complicité dans le projet colonial et assure la perpétuation de structures de domination.
Si la colonisation est un terme pouvant ouvrir des débats peu fructueux sur qui se trouve ou non dans une situation d’oppression, le « colonialisme de peuplement », un concept que l’on commence tout juste à adopter dans la critique littéraire de langue française, offre une perspective spécifique pour comprendre – et pour nommer – la dépossession des peuples autochtones. Un champ d’études transnational, les settler colonial studies, a été établi pour cerner les contours de ce phénomène qui continue de définir certaines sociétés euro-descendantes bâties sur l’occupation passée et présente des territoires autochtones, incluant les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, le Canada, et au-delà. À la différence du colonialisme de commerce, par exemple, le colonialisme de peuplement ne se situe pas dans une période historique fixe, mais persiste plutôt comme une caractéristique centrale de l’identité nationale et territoriale de la société dominante. L’anthropologue australien Patrick Wolfe, qui a fourni la définition la plus citée et diffusée du colonialisme de peuplement, explique que dans ce modèle colonial, « [l]es colonisateurs viennent pour rester – l’invasion est une structure et non un événement » (1999 : 2), une formule devenue d’ailleurs presque un mantra par la suite en études du colonialisme de peuplement. En tant que structure, le projet colonial se renouvèle constamment à travers la mise en place de différentes mesures politiques, juridiques, économiques et territoriales qui visent à contenir les populations autochtones. Le colonialisme de peuplement s’appuie sur la logique du « remplacement » et de l’effacement des peuples autochtones de leurs territoires afin d’accumuler le capital (Simpson 2016) ; autrement dit, il repose sur une logique fondamentalement raciste. À cet égard, Giroux décrit l’entrecroisement du colonialisme et du racisme de la façon suivante :
parce que la civilisation du colonisateur est précisément celle de la destruction des sources et des lieux de vie, le colonialisme n’est pas pensable sans également penser en lui le racisme qui fonde toutes les formes de déshumanisation produite dans ce cadre sous la modalité de la nécessité : ce qu’il faut faire pour vivre, ce qu’il faut détruire pour créer, le sacrifice qu’il faut justifier
2020 : 174
Dans la description de Giroux, la dichotomie destruction/création montre la violence inhérente de l’idéologie raciste qui soutient la colonisation.
Un aspect fondamental du colonialisme de peuplement est la manière dont les allochtones (ou les « colonisateur·rice·s », terme qui souligne de façon critique le rapport au colonialisme) reproduisent, inconsciemment ou non, la logique coloniale dont iels sont les premier·ère·s bénéficiaires, une logique qui s’exprime dans des pratiques quotidiennes qui leur demeurent largement invisibles. Mark Rifkin, chercheur en études queer et autochtones, explique que les projets d’élimination et de remplacement sont si bien intégrés au sein de l’occupation quotidienne des personnes non autochtones que celles-ci ne se perçoivent pas comme étant impliquées dans l’occupation coloniale, même si elles le sont (2013 : 325). Selon Rifkin, les colonisateur·rice·s façonnent un « bon sens du colon » [settler common sense], en participant activement à la recréation continuelle du peuplement à travers leurs actions, leurs sensations, leur sens éthique et leurs aspirations ordinaires (2013 : 327). À travers ce « bon sens », le peuplement devient une évidence et est ainsi naturalisé : le « bon sens » permet aux colonisateur·rice·s de justifier leur présence sur les territoires autochtones et d’accepter les pratiques qui continuent de déposséder les Premiers Peuples parce que ces mêmes pratiques assurent leur propre avenir. Nous ajoutons que le bon sens du colon est une manifestation du privilège blanc – ce sont les colonisateur·rice·s blanc·he·s qui en profitent. En fait, la chercheuse unangax Eve Tuck identifie le colonialisme de peuplement comme le système d’ancrage [the anchor system] qui permet à la suprématie hétéropatriarcale blanche de fonctionner (2011 : 34). Ainsi, le colonialisme de peuplement – accepté comme l’ordre normal des choses – et la blanchité – qui réfère non seulement aux personnes blanches, mais aussi aux structures hégémoniques qui confèrent le pouvoir à celles-ci – travaillent ensemble pour maintenir la dépossession des personnes racisées et autochtones (Moreton-Robinson 2015).
Dans ce contexte où les inégalités structurelles perdurent, les productions littéraires et culturelles offrent un portail à la fois esthétique et politique pour mieux comprendre la race, la blanchité et le colonialisme de peuplement. Certaines oeuvres déstabilisent ces catégories et structures, alors que d’autres affichent une persistance des modèles traditionnels de la race – de l’absence de la question, à la stéréotypie. Nous avons cherché à regrouper des oeuvres réalisées par des créateur·rice·s racisé·e·s et autochtones, ainsi que par des personnes allochtones et blanches, parce que nous considérons que le travail de décolonisation, d’anti-racisme et d’anti-oppression devrait être la responsabilité de ces dernières, et non le fardeau des premier·ère·s. À cet égard, nous souhaitons reconnaître que nous sommes deux colonisatrices blanches qui dirigeons ce dossier sur la race et le colonialisme. Nous reconnaissons que notre position n’est pas neutre ou dépolitisée et que nous sommes impliquées dans une tradition de recherche où les rapports de forces persistent. Avec ce travail, nous ne cherchons pas à mettre en boîte et à « consommer » les personnes touchées par ces systèmes de domination, mais bien à prendre part au travail urgent qu’est celui de l’anti-oppression. En étudiant le traitement littéraire et artistique de la race par les créateur·rice·s blanc·he·s, il n’est pas question de recentrer la blanchité, en continuant de placer les personnes blanches au centre de l’histoire. Nous croyons plutôt, à l’instar de Scott, qu’« [i]l faut ainsi scruter et définir les cultures dites blanches, pour problématiser des identités blanches en identifiant les avantages qui leur sont accordés » (2014 : ePub). Il est impératif de mettre au grand jour le système hégémonique qui attribue une dominance aux Blanc·he·s et qui constitue un système sociale injuste. Dans ce but, pour ce dossier d’Arborescences, nous avons choisi d’élargir notre vision des études littéraires et de décloisonner les cadres des disciplines artistiques afin de réunir des études qui, ensemble, font le bilan des manières dont les réflexions sur les rapports de domination traversent les oeuvres produites au Québec. Que révèlent les interventions artistiques et littéraires des zones d’ombre des structures de domination qui continuent de définir la société québécoise ? Comment la fragilité blanche et les « bonnes intentions » se reproduisent-elles ? Quelles sont les répercussions tant matérielles qu’affectives de l’appropriation culturelle ? Quelles sont les modalités employées pour aborder (ou dissimuler) le racisme systémique ? Et avec tout cela, quelle place et quelles possibilités existe-t-il pour le dialogue et les ponts interculturels ? Les oeuvres peuvent-elles s’engager dans un projet de justice ? Voilà autant de questions qui interviennent dans les pages qui suivent. Les textes inviteront les lecteur·rice·s, nous l’espérons, à contribuer à la discussion autour de la manière de faire bouger le récit collectif de l’ordre des choses et des hiérarchies qui en découlent. Et à se demander : que faut-il faire (et nous reprenons ici la formule de Giroux), pour « crever l’oeil du maître » (2021 : 179) ?
Le dossier s’ouvre avec une contribution d’Edith Brunette, qui se concentre sur un moment de grandes tensions au sein de la communauté artistique québécoise, celui de la controverse entourant la production de SLĀV et de Kanata à l’été 2018. Se démarquant des analyses qui portent sur le sujet, qui se focalisent surtout sur l’enjeu parfois galvaudé de l’appropriation culturelle, Brunette forge le concept de « fragilité artistique » pour expliquer la réponse hostile d’une partie du milieu artistique aux critiques formulées à l’endroit des deux spectacles. Cette fragilité, apparentée à la notion de « fragilité blanche » développée par Robin DiAngelo (2018), est liée à l’adhésion du milieu artistique à l’idée d’autonomie de l’art, qui conçoit la politique comme une altérité inconciliable avec l’art. Dans son article, l’autrice s’intéresse aux traces de cette fragilité artistique dans les prises de parole des artistes québécois·e·s blanc·he·s, qui révèlent les contradictions dans le milieu artistique québécois par rapport à la sphère politique.
Pour sa part, Joëlle Papillon déplace la discussion du côté des écrivain·e·s allochtones qui se présentent comme des allié·e·s des Autochtones à partir du dressing up (Tuck et Yang 2012), qui consiste à évoquer la décolonisation sans toutefois remettre en question la présence continue des colons en territoire autochtone. En prenant pour exemple le roman Taqawan (2018) d’Éric Plamondon, Papillon illustre les limites des « bonnes intentions » des colonisateur·trice·s, notamment par son analyse du personnage de « bon gars », qui constitue une forme de dédouanement des impacts néfastes du colonialisme. L’autrice soulève la profonde ambiguïté des relations que les allié·e·s allochtones développent dans le contexte du colonialisme à partir d’une analyse des personnages principaux du roman de Plamondon.
Exit la posture d’allié·e et place à l’appropriation du discours racial dans l’article d’Isabelle Kirouac Massicotte, qui propose d’ajouter le white trash aux figures de la rhétorique anti-coloniale des années 1960-1970 au Québec. La catégorie white trash, construite comme une race par l’essentialisme qu’elle suggère, est mobilisée pour exacerber le statut « colonisé » du peuple québécois et contribue, du même coup, à perpétuer le déni du colonialisme et du racisme de ce dernier. L’analyse du white trash soulève également la question du sexisme dans le récit national, car seul l’homme white trash serait doté d’un potentiel révolutionnaire. L’analyse se déploie à partir d’une lecture de l’essai N***** blancs d’Amérique (1968) de Pierre Vallières et des romans Un rêve québécois (1972) et La Grande Tribu (2008) de Victor-Lévy Beaulieu, des textes emblématiques du nationalisme québécois. Kirouac Massicotte pose l’hypothèse que la figure du white trash est possiblement plus prégnante dans les moments de crise, où l’identité québécoise francophone blanche se perçoit comme étant particulièrement fragilisée.
Si le rapport aux Premiers Peuples est clairement établi sous le signe de l’appropriation dans la contribution précédente, celui-ci passe par le dialogue dans le texte de Sylvie Bérard. De Aimititau ! Parlons-nous ! (Morali 2017 [2008]) à Shuni (Fontaine 2019), l’autrice s’intéresse aux dialogues entre Autochtones et allochtones dans plusieurs projets artistiques et littéraires, qu’il s’agisse de projets collaboratifs ou de dialogues à destinataires externes ou muet·te·s. À partir d’une analyse fouillée du discours ainsi que des différentes positions et stratégies d’énonciation, Bérard cherche à savoir si ces oeuvres mettent en place un processus de décolonisation de la parole ou si elles contribuent plutôt, de façon plus ou moins consciente, à la perpétuation d’une énonciation coloniale. Dans tous les cas, les oeuvres soumises à l’analyse invitent toutefois à une réflexion sur l’autochtonisation et la décolonisation.
Les possibilités de la parole autochtone sont approfondies dans l’article d’Élise Couture-Grondin, consacré à la réécriture de l’histoire à partir du récit de soi dans Le crachat solaire (1975) de Jovette Marchessault (Innue). Malgré l’effervescence des mouvements féministes et des mouvements autochtones pendant les années 1970, l’autrice souligne l’absence d’une position anticoloniale chez les féministes québécoises de l’époque. Même si Marchessault adopte une telle position dans son oeuvre, son regard anticolonial a largement été laissé de côté par la critique. L’étude de Couture-Grondin vient combler cette lacune en montrant comment le texte autobiographique de l’écrivaine articule la domination patriarcale à la violence coloniale, afin d’offrir une version féministe et anticoloniale de l’histoire.
La contribution d’Isabella Huberman clôt le dossier avec une analyse du discours savant sur le colonialisme contemporain tel qu’il se déploie dans Shuni. Ce que tu dois savoir, Julie (2019) de Naomi Fontaine (Innue). L’autrice s’applique à montrer en quoi l’essai de Fontaine s’inscrit dans une tradition intellectuelle et littéraire innue et met en valeur l’étude de la blanchité réalisée à partir des expériences personnelles de l’écrivaine. En fin de parcours, l’article se penche sur la pratique d’écoute responsable proposée par Fontaine, qui est présentée comme une étape vers la réconciliation. Huberman insiste sur le principal effet recherché par le texte, celui d’une responsabilisation des colonisateur·trice·s envers le travail anticolonial à accomplir, qui consiste notamment en une rééducation et un désapprentissage des relations de pouvoir coloniales.
Cette invitation à prendre part à la tâche anticoloniale offre certainement une piste de solution pour « crever l’oeil du maître ». Qu’il s’agisse d’artistes québécois·e·s blanc·he·s échaudé·e·s par les remontrances de militant·e·s antiracistes, d’allié·e·s autoproclamé·e·s ou encore de simples citoyen·ne·s qui ne reconnaissent pas le colonialisme et le racisme systémique, il importe de dépasser la fragilité blanche et de prendre pleinement conscience de sa positionnalité. Cela implique de reconnaître son privilège (le privilège blanc et celui du·de la colonisateur·trice) et de pratiquer l’écoute responsable dont parle Fontaine. Cette pratique exige que les discours socialement altérisés deviennent prioritaires et ne restent pas lettre morte. Le travail anti-oppression à l’oeuvre dans les contributions à ce dossier est double ; d’une part il s’agit d’exposer les angles morts qu’il reste encore à éclairer – c’est la déconstruction nécessaire pour réaliser cette tâche – et d’autre part il est question de valoriser les possibilités offertes par la parole autochtone.
Appendices
Notes
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[1]
Cette introduction a été rédigée et ce dossier codirigé à parts égales par Isabella Huberman et Isabelle Kirouac Massicotte. Nous adoptons le principe de direction collective et non celui de premier·ère auteur·trice.
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[2]
Dans Contre le colonialisme dopé aux stéroïdes, l’écrivain inuk Zebedee Nungak explique que même si les limites du territoire du Québec fixées en 1912 transfèrent le District d’Ungava de la juridiction fédérale à la juridiction provinciale, le gouvernement du Québec est entièrement absent du Nord pendant plus de cinquante ans. Ce n’est que lorsque le gouvernement de Bourassa choisit l’hydroélectricité comme symbole de l’identité québécoise que la province cherche à « maîtriser » l’ensemble du territoire (2019 [2017]). Pour illustrer une des façons dont les droits territoriaux des Autochtones (dans ce cas, les Eeyouch et les Inuit) ont été ignorés, mentionnons que la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois ne s’est faite qu’en 1976, après le début des travaux sur la première phase de développement du projet de la Baie James.
Bibliographie
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