Book ReviewsComptes rendus de livres

Thomas C. Patterson, L’Invention de la civilisation occidentale. Herblay-sur-Seine : Libre, 2021, 164 pages. Traduction de Nicolas Casaux[Record]

  • Yves Laberge

…more information

  • Yves Laberge
    Université d’Ottawa

À ce jour, L’Invention de la civilisation occidentale est le seul livre de l’anthropologue Thomas Patterson à avoir été traduit en français. Le but premier de cet ouvrage est de saisir anthropologiquement l’idée même de civilisation et des hiérarchies créées artificiellement entre les « civilisés » et les « non-civilisés » afin de remettre en question la position favorisée des élites (p. 26). L’approche est tour à tour historique, philosophique, anthropologique, voire même transdisciplinaire, puisque l’auteur part du concept de civilisation – et du concept de stratification sociale – pour l’explorer et l’articuler sous diverses dimensions, sans s’encombrer des cadres disciplinaires qui constitueraient des obstacles plutôt que des guides. Un postulat fonde toute l’argumentation de L’Invention de la civilisation occidentale. Selon Thomas Patterson, professeur de psychologie affilié à l’Université de Californie, « des économistes français et écossais inventèrent le mot civilisation dans les années 1760-1770 afin de réfuter l’accusation de Jean-Jacques Rousseau qui affirmait que les hommes étaient moralement corrompus par la vie dans une société civilisée, et que ni une éducation plus conséquente ni le désir d’être meilleur que les autres n’avaient amélioré la condition humaine » (p. 47 ; voir aussi p. 77). Tout le premier quart de l’ouvrage révise et commente ce concept évanescent de civilisation, parfois comprise de manière péjorative ou discriminante. Or, Thomas Patterson la conçoit plutôt comme une sorte de construction sociale : « la civilisation n’est pas une chose : c’est une idée, un concept, une manière d’organiser la réalité » (p. 25). Le chapitre d’ouverture semblerait peut-être moins bien fondé sur le plan de la documentation académique ; l’auteur s’appuyant sur des articles de journaux, quotidiens états-uniens et magazines (comme le New Yorker) pour étayer sa problématique centrée sur la dilution apparente de la civilisation aux États-Unis. Ce manque de balises savantes ou fondées sur des articles parus dans des revues (avec des articles évalués par les pairs) étonne d’emblée ; on le reprocherait même à un étudiant de maîtrise. Néanmoins, les pages qui suivent reprennent l’argumentation du fameux essai du professeur Samuel Huntington sur Le Choc des civilisations (1996), et sur les identités civilisationnelles, pour élaborer le questionnement initial, axé sur les origines des inégalités sociales et culturelles (p. 26). Le deuxième chapitre sur « la civilisation et ses laudateurs » apporte un long détour historique (pp. 32-52) sur dix siècles de rêves, d’espoirs et d’utopies sur le progrès, avant d’entrer spécifiquement dans l’analyse anthropologique proprement dite, par exemple en réitérant la réflexion de Julian Steward autour des mécanismes selon lesquels les changements industriels (comme ceux vécus dans l’Angleterre du XIXe siècle) pouvaient enclencher des mutations culturelles à grande échelle (quant aux modes de vie des classes ouvrières) (p. 58-59). Le troisième chapitre, alignant une suite de critiques de la civilisation occidentale, s’apparente à un exercice d’anthropologie historique reprenant les idées fondatrices de nombreux philosophes et en particulier Montaigne, Nietzsche et Freud sur la conception de « l’Autre » (p. 65-95). Ce chapitre ressemble davantage à un état des lieux et ce bref survol historique s’arrête avec les années 1930, ce qui laisse le lecteur sur sa faim. Peut-être le plus stimulant de tous, le quatrième chapitre sur l’invention de la barbarie – et de la nouvelle barbarie – est, comme les précédents, très centré sur l’histoire récente des États-Unis. Quelques éléments statistiques et démographiques sont amenés afin de bien saisir l’effritement de l’influence européenne sur le continent américain en l’espace d’un siècle : ainsi, aux États-Unis, « au début du XXe siècle, quatre-vingt-quinze pour cent des immigrés venaient d’Europe », tandis que dans la dernière …

Appendices