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Un sentiment d’accomplissement et de fierté accompagne chaque numéro publié. C’est également l’occasion de réfléchir aux succès et aux défis associés à la publication d’une revue académique, en libre accès et bilingue, depuis la première étape de réception d’un manuscrit jusqu’à la relecture des épreuves qui précèdent la publication. Il est indéniable que notre équipe de rédaction a constaté des changements radicaux depuis la pandémie ; l’un d’entre eux étant la difficulté de trouver des pairs pour évaluer les articles soumis. Tous les articles soumis à Anthropologica font l’objet d’une évaluation anonyme par des pairs, y compris ceux faisant l’objet d’un dossier spécial. De nos jours, il n’est pas rare de devoir demander à plus de huit à dix évaluateurs potentiels, simplement pour en trouver deux disponibles à effectuer la tâche. Cela n’avait jamais été le cas avant la pandémie. Nous ne sommes pas la seule équipe éditoriale à avoir remarqué cela. Une conversation avec des rédacteurs de revues académiques, lors du Congrès de l’American Anthropological Association à Seattle, en 2022, confirmait que les autres revues étaient confrontées à ce même enjeu. La difficulté à trouver des pairs évaluateurs survient à un moment où le processus et la valeur de l’évaluation par les pairs sont sérieusement remis en question. Prenons l’exemple de la controverse suscitée par la publication, dans une revue universitaire, d’un manuscrit sur la masturbation devant des bandes dessinées de jeunes garçons, considérée comme une forme de méthodologie ethnographique valable[1]. On se demande comment les évaluateurs anonymes ont pu laisser passer cela, sans parler de l’équipe éditoriale qui a accepté de publier l’article en dépit des préoccupations éthiques. D’autres auteurs se penchent sur le processus abusif et nuisible du processus d’évaluation par les pairs (Docot 2022), qui cible parfois de manière disproportionnée les universitaires les plus vulnérables et/ou BIPOC. Influencée par le travail de certaines revues comme PoLAR : Political and Legal Anthropology, la Rédaction d’Anthropologica a modifié ses lignes directrices et son processus d’évaluation en 2021 dans le but d’encourager les pairs à rédiger leur évaluation dans un état d’esprit équitable et généreux – généreux en termes de collégialité et de substance. Notre désir d’augmenter les soumissions multimodales dans notre revue nous encourage également à réfléchir au processus d’évaluation des projets médiatiques qui, en raison de leur format, ne sont pas aussi facilement modifiables. Cependant, de nombreuses questions restent en suspens et nous espérons continuer à stimuler la conversation sur de nouvelles manières de penser et d’aborder le processus d’évaluation par les pairs, qui reste un critère important pour la titularisation, notamment. Nous espérons trouver des occasions de discuter et d’ouvrir la conversation sur ce défi, et de trouver un moyen de reconnaître le temps et l’implication des fabuleux pairs évaluateurs.
Avec quelques mois de retard, nous pouvons finalement célébrer et partager avec vous le numéro thématique « Les spiritualités contemporaines à l’échelle globale : Regards ethnographiques », publié sous la direction de Géraldine Mossière et Marie-Nathalie LeBlanc. Les huit manuscrits inclus dans ce numéro contribuent à déconstruire les discours ethnocentriques sur la notion de spiritualité. De l’ascétisme et de la conversion (de Guise ; Boucher) aux récits New Age (Farahmand, Piraud et Rouiller ; Parmigiani ; Dansac ; Obadia), en passant par l’expérience du « vivre ensemble » des femmes pratiquant le soufisme à Montréal (Mekki-Berrada, Rousseau et Ben Driss), les manuscrits démontrent que la spiritualité prend des formes diverses et qu’elle est fluide et complexe. Le concept de spiritualité a été (et est encore) approprié et utilisé pour diminuer la complexité de certaines croyances et pratiques. Pourtant, en réfléchissant sur leurs propres communautés, LeBlanc et Gareau montrent que la spiritualité/religion autochtone représente des connaissances et des relations sociopolitiques situées, remettant en question le caractère possessif des récits coloniaux. En outre, les auteurs suggèrent que la spiritualité et la religion autochtones permettent la création de nations et de peuples collectifs et co-constitutifs.
Parallèlement à ce numéro thématique, nous sommes fiers de publier notre première série de nos « Semences » intitulée « Chaînes d’approvisionnement et produits essentiels : Interruptions, pénuries, crises ? ». Les quatre manuscrits publiés dans cette série répondent à un appel que nous avons lancé en décembre 2022 alors que nous étions confrontés à différents types de pénuries (du ciment aux VTT, en passant par les piles et les tubes périduraux) toutes conséquentes à la pandémie. En s’intéressant aux Coronavirus Makers à Barcelone, Lambert réfléchit à l’agentivité et à la créativité des makers qui ont répondu à la pénurie d’équipements de protection individuelle pendant la pandémie, en utilisant l’impression 3D. Dans une fascinante étude comparative de divers ports à travers le monde, Escobar, Leivestad, Poulimenakos, Schober, et Sibilia montrent le réseau complexe d’interconnexions qui constitue la chaîne d’approvisionnement mondiale. Lamontagne-Cumiford et Lillis examinent la pression et les raisons d’un intérêt récent pour la numérisation et l’automatisation de la chaîne d’approvisionnement et de l’industrie du transport. Zhang retrace les chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques mondiales pour expliquer, de manière détaillée, la pénurie d’antibiotiques pendant et après la pandémie. Par l’intermédiaire de notre série « Semences », nous visons à planter des idées et à les faire croître. Grâce à des appels à contributions spontanés, nous espérons que cette série continuera à stimuler les soumissions émergentes, spontanées, créatives, multimodales, opportunes et ethnographiquement fondées sur des sujets contemporains. Notre prochain appel « Semences », intitulé « Alerte au feu », invite les manuscrits ethnographiques qui s’intéressent à la propagation dramatique des incendies de forêt en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Nous nous réjouissons de continuer à développer notre rubrique « Semences » afin de stimuler des manuscrits plus courts et spontanés qui traitent de sujets d’actualité.
En plus de ces « Semences », quatre manuscrits traitant de la pandémie de COVID-19 proposent des réflexions ethnographiques sur la pandémie telle qu’elle a été vécue en France (Black), en Serbie (Uzelac), en Lettonie (Pokšāns et al.) et en Norvège (Gross).
Finalement, cinq manuscrits hors thème développent un large éventail de sujets. Wiley écrit sur le bien-être dans le contexte d’une université américaine qui produit des attentes normatives ne cultivant pas toujours le bien-être de ses étudiants. Wagner se penche sur le Traité de Colombie pour démontrer son lien avec le projet colonial, ainsi que son impact sur le système alimentaire. Roupnel discute des défis inhérents au diagnostic de stress post-traumatique de soldats français. En présentant une série de transcriptions de plusieurs conversations avec des poètes navajos, Webster propose le concept d’« ethnographie verdoyante », une forme d’écriture qui témoigne d’un sentiment de vie. Enfin, pour la première fois, nous publions un manuscrit sur l’intelligence artificielle et son impact sur la salle de classe, dont l’un des coauteurs est l’intelligence artificielle GPT-3 (c’est-à-dire Sarah Jones dans McIlwraith, Finnis et Jones).
Pour finir, nous voudrions remercier les rédacteurs Daniel Tubb et Karine Gagné, pour leur travail remarquable sur les comptes rendus de livres dans Anthropologica. Leur engagement envers la revue a été grandement apprécié. Nous souhaitons la bienvenue à Marie Michèle Grenon et Noah Pleshet, qui prendront la relève en tant que rédacteur des comptes rendus de livres pour les soumissions francophones et anglophones, respectivement.
Nous espérons que vous apprécierez ce numéro et que vous le partagerez avec vos collègues et vos étudiants. L’équipe d’Anthropologica reste ouverte à toute idée dont vous souhaiteriez nous faire part. N’hésitez pas à nous contacter.
Appendices
Note
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[1]
Cet article publié dans The Guardian nous informe du contexte de cette histoire : https://www.theguardian.com/uk-news/2022/aug/11/manchester-university-phd-masturbating-to-comics-of-young-boys.
Bibliographie
- Docot, Dada. 2022. « Dispirited Away : The Peer Review Process », PoLAR : Political and Legal Anthropology Review, 45 (1) :124-128. https://doi.org/10.1111/plar.12479.