Recherche-création

Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre…[Record]

  • Peter Missotten

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  • Peter Missotten
    Maastricht University

En utilisant beaucoup de médias assez différents dans mon travail, j’ai développé une hypersensibilité à la voix intérieure de chaque médium. « Ne demandez pas ce qu’un médium peut faire pour vous; demandez-vous plutôt ce que vous pouvez faire pour le médium… » Ce qui m’intéresse d’abord, c’est comment la contamination d’un médium par un autre donne lieu à une forme hybride avec sa propre voix. Cette hybridité (l’intermédialité) nous parle beaucoup des qualités internes de chaque médium. Mettons un peu d’ordre avant tout… L’invention du cinéma, d’abord muet et parlant ensuite, a littéralement volé le quatrième mur du théâtre, tous les accessoires inclus. Depuis, le théâtre comme médium est en deuil permanent de la perte de ses pouvoirs fictionnels. En fait, si on la compare à la force du cinéma, il est devenu un petit peu ridicule de croire encore en la force de la fiction au théâtre. On n’y voit plus des personnages : on y voit des acteurs jouant des personnages (parfois d’une manière virtuose, parfois pas). La présence physique de l’acteur rend la crédibilité de son personnage assez problématique. Si Hamlet se suicide sur scène, en tant que spectateur, on n’a que deux possibilités éthiques : ou bien on court au secours, ou bien on n’y croit pas. Ce dilemme a été résolu dans le cinéma par l’absence de l’acteur physique. Il n’y a que la lumière sur une toile blanche qui se suicide, ce qui donne la possibilité au spectateur d’y croire à fond. Si le cinéma est devenu le paradis de la fiction, qu’est-ce qui reste au théâtre? C’est la réalité, lente et lourde, sans raccourcis. C’est le jeu physique avec la gravité. C’est le jeu se montrant comme jeu. Die Verfremdung (la distanciation) de Bertolt Brecht est un théâtre dérobé de la fiction crédible où l’analyse du réel est sur scène. Dans cette perspective, une scénographie n’est plus un lieu de fiction, référant à un autre lieu préexistant. En fait, une scénographie est une machine qui produit du réel dans le théâtre. C’est une machine à l’action, à la performance. Dans mon travail de scénographe, j’ai la réputation (un peu exagérée et chérie en même temps) de ne jamais lire les pièces pour lesquelles je vais proposer une scénographie. En collaborant avec un metteur en scène, je me considère plutôt comme l’architecte d’un parc : le parc est un lieu de possibilités et d’impossibilités qui ne prédit pas tout ce qui va s’y passer. Le parc n’est pas coupable des tragédies qui vont s’y produire. Parfois, je connais déjà la scénographie avant le premier rendez-vous avec le metteur en scène et le projet. D’autres fois, c’est la façon de parler du metteur en scène, ou la connaissance de ses projets antérieurs qui m’influencent… Je me demande toujours : quelle serait la plus belle machine pour ce projet? Est-ce qu’il faut une machine très rigide produisant des réalités très rythmées, ou est-ce qu’il faut une machine qui génère des libertés et de l’imprévisible? Pour l’opéra Avis de tempête de Georges Aperghis, j’avais dessiné une « bulle d’écrans vidéo », au sein de laquelle se logeait une tour de contrôle en forme de microscope pointu, qui pouvait exploser dans l’espace. Mais tout a changé au cours du projet (le concept et le libretto), sauf la scénographie. Pour le chorégraphe néerlando-brésilien Guilherme Miotto, j’ai conçu quelques scénographies et lumières bien avant la première répétition ou avant le concept du spectacle. Même les lumières étaient déjà préprogrammées. Cela peut paraître un peu bizarre, paresseux ou arrogant même, mais en fait, cela se passe ainsi dans notre …

Appendices