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Le solo scénique constitue certainement l’une des mouvances importantes de la mise en scène contemporaine, en raison notamment de l’abondance de spectacles solo depuis les années 1980, et sans doute aussi parce que plusieurs d’entre eux figurent parmi les productions marquantes des dernières décennies. Au Québec seulement, pensons à The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay, interprété par Jean-Louis Millette, à la trilogie de Pol Pelletier (Joie, Océan, Or), aux solos de Robert Lepage, à ceux de Marie Brassard, ou encore à La cloche de verre et à La nuit juste avant les forêts, deux mises en scène parmi les plus remarquées de Brigitte Haentjens. Parce qu’il engage une relation directe entre l’acteur et le spectateur, le solo, selon Hans-Thies Lehmann, peut être considéré comme une manifestation du déplacement postdramatique du concept de théâtre. Ainsi, le présent dossier sur le solo ajoute une pierre à l’édifice des études abordant cette forme emblématique du théâtre actuel.
Les spectacles faisant l’objet des analyses réunies dans ce dossier empruntent des formes très variées (création scénique pour un seul acteur, adaptation théâtrale de textes littéraires, soliloque scénique, spectacle de marionnettes, performance, déambulation) et sont issus du Québec comme d’ailleurs (France et Canada anglais). Considérant la diversité des spectacles retenus, dont certains constituent des cas limites, l’intention de Gilbert David et de Francis Ducharme, directeurs du dossier, n’est visiblement pas de circonscrire précisément les frontières du solo, d’en proposer une définition stricte. Ils entreprennent plutôt de mettre en lumière, à partir d’exemples éloquents, le potentiel créateur de cette forme. Chacun des auteurs du dossier décrit et analyse minutieusement un ou quelques spectacles d’un artiste. Non seulement ces études détaillées donnent-elles à voir les oeuvres, mais elles montrent aussi à quel point le solo, même dans son expression la plus minimale, est porteur de multiples discours – politique, social, intime. Condensé, centré sur l’acteur qui le porte, le solo est une forme ouverte.
Malgré la disparité des exemples retenus, de nombreuses correspondances apparaissent d’un spectacle à l’autre, ce qui souligne sans doute que le solo représente un creuset hors pair pour expérimenter les moyens de la scène actuelle. On affirme couramment que le monodrame implique une représentation de l’individu et de son intimité, de sa solitude, alors qu’il n’est pas nécessairement synonyme de repli sur soi et de pure introspection, dans la mesure où les spectacles analysés donnent tous l’occasion de mettre en scène une partition polyphonique et de multiples niveaux de présence, notamment grâce à la démultiplication des voix, des corps, des images de soi et de l’autre par le biais des technologies, des objets et des travestissements. Ces différents niveaux se manifestent dans plusieurs cas par une mise en abyme de la figure du créateur, qui implique un discours sur l’art ou un récit de soi. Permettant l’exploration de multiples interactions sur la scène, le solo sollicite aussi particulièrement le spectateur dans le rapport frontal qu’il exacerbe, augmentant l’intensité de la communication. Ainsi, à l’intérieur même du dispositif mettant en scène l’acteur face à lui-même, le dialogisme opère toujours. D’un article à l’autre, différentes approches analytiques sont proposées pour envisager ces composantes des spectacles choisis, tous exemplaires de la forme du solo.
Ailleurs dans ce numéro
Publiée en alternance avec la section « Recherche-création » d’un numéro à l’autre, la rubrique « Pratiques et travaux », qui accueille des textes dont les thématiques ne sont pas liées au dossier principal, est de retour dans cette édition de L’Annuaire théâtral. Dans un premier article, Laura MacDonald, professeure de théâtre musical à l’Université de Portsmouth au Royaume-Uni, s’intéresse au rôle du spectateur dans l’élaboration des stratégies de marketing des comédies musicales sur Broadway depuis les années 1960. Nele Wynants, chercheuse postdoctorale à l’Université libre de Bruxelles (Arts du spectacle vivant) et à l’Université d’Anvers (Research Centre for Visual Poetics), brosse quant à elle le portrait de deux générations d’artistes flamands et remet en question la notion de « vague flamande », qui gomme les différences entre des créateurs dont les esthétiques sont pourtant distinctes. Enfin, Sara Thibault, doctorante à l’Université du Québec à Trois-Rivières, analyse la parole des personnages féminins des Drames de princesses d’Elfriede Jelinek, parole traversée par de multiples discours et qui s’apparente davantage au soliloque qu’au dialogue. Le numéro est complété par une note de lecture signée par Annie Brisset, professeure émérite de l’École de traduction et d’interprétation de l’Université d’Ottawa, qui rend compte du récent ouvrage de Nicole Nolette publié aux Presses de l’Université d’Ottawa : Jouer la traduction : théâtre et hétérolinguisme au Canada francophone, récipiendaire du prix Ann Saddlemyer de l’Association canadienne de la recherche théâtrale. Bonne lecture!