Selon les économies et la nature des projets, la recherche dans les arts de la scène a tenu une place plus ou moins importante dans les processus de création. Dans l’histoire du théâtre, on pourrait dire que la position réflexive sur la pratique artistique est investie par les théoriciens eux-mêmes quand ils examinent le travail en acte dans l’oeuvre d’art. De même, les créateurs ont régulièrement su se saisir d’un recul critique ou théorique pour écrire, sous forme de journal, de biographie ou de manifeste, des ouvrages fondateurs. La « practice-as-research », comme on la nomme en Grande-Bretagne, qui côtoie aujourd’hui la recherche académique, et malgré le débat qui se maintient, structure et singularise ses méthodologies et ne cesse de croître. Mais les innovations – artistiques, scientifiques, pédagogiques – auxquelles elle participe restent dans l’ombre et ne semblent pas atteindre les canaux de diffusion savante qui prévalent actuellement. Malgré l’évidence de la dimension critique de ses démarches, la part de l’expérience, ce que d’aucuns nomment le récit de création, est souvent décriée et donc effectivement peu ou prou accessible. Or c’est bien, d’une part, une visibilité élargie des praticiens réflexifs et, d’autre part, une ouverture à la diversité des processus que l’on cherchera, dans cette nouvelle rubrique de L’Annuaire théâtral, à valoriser. Si L’Annuaire théâtral comble cette case vide, c’est à la condition d’appliquer les normes d’exigence liées à une démarche scientifique qui fait appel – étant donné le sujet pointu et complexe que la recherche-création représente – à un haut niveau de spécialisation de la part des auteurs. Une telle rigueur ne sera pas vue comme restrictive mais bien comme une possibilité de donner à l’originalité et à la pluralité de la recherche-création toute son envergure au sein d’une revue scientifique. Il n’est pas question de légitimer une démarche, ni de préférer l’oeuvre au discours. Il s’agit de transmettre des descriptions et des analyses sur des processus de / en création dont les données sont précieuses pour les études théâtrales en général, car ils concernent la fabrication d’une écriture scénique, les temps d’atelier, de laboratoire, souvent implicites et encore peu accrédités. Ces champs expérientiels contribuent au développement de la connaissance à travers une théorisation de la pratique et marquent « le désir de sortir des repères habituels de la recherche, en insistant sur la nécessité de substituer des approches multiples, hybrides, non légitimées, remettant en question la véracité des approches scientifiques » (Féral, 2011 : 30). D’autant que le fait de concevoir une oeuvre ne ferme pas à une investigation théorique, expérimenter une intuition ne compromet pas la dimension heuristique (notamment celle qui mène vers de nouvelles démarches d’apprentissage), construire un objet artistique n’exclut pas une distance critique qui appelle à l’analyse d’autres références artistiques, faire cas d’un récit de création n’empêche pas un déploiement vers un ancrage historique. Sur cette question du savoir-faire, le chercheur-créateur est capable de dégager des structures, des concepts, des problématiques théoriques. Il articule à ses expérimentations et à ses stratégies une autre compréhension du champ théâtral. C’est donc une double position, celle à distance, nécessaire à la théorisation, et celle à proximité, en dedans (voire incarnée), nécessaire à la création, qui se développe à partir d’une recherche-création. En s’intéressant spécifiquement au processus, le chercheur-créateur pourrait dégager un espace où les différences entre théorie et pratique se confrontent sans produire nécessairement des clivages, mais bien plutôt des dialogues et des associations entre une pensée individuelle et des enjeux collectifs. Pour notre premier dossier, nous nous joignons au thème de ce numéro. On peut dire qu’il y a un effet miroir dans l’évolution de …
Appendices
Bibliographie
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