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Maledetto sia il muto maccheronico, iconico intraironico & ipotonico maledetto il mentulico meccanico, usufrutto di unghiatico & di uranico[1]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 9

Tout a commencé par un questionnement autour du recitar cantando ou de la variété et de l’embellissement des modulations par lesquels les musiciens cherchaient à animer le récitatif opératique dès la fin du XVIe siècle. Progressivement, la réflexion s’est étendue à la possibilité de reproduire, par la musique et le son, la pensée dans sa formulation et son expression. En partant d’abord d’une manière rinascimentale (propre à la période de la Renaissance) d’organiser un discours selon des modèles poétiques et passionnels, un glissement semble ensuite s’être opéré vers une idée corpusculaire du langage : catégorie des plus difficiles à saisir, mais située « à la limite entre la pensée pensée et la pensée exprimée » (« la zona di confine fra il pensiero pensato e il pensiero espresso », Vinay, 2006 : 80), et incarnant « il momento in cui l’immagine si stacca dal tronco dell’archetipo e l’espressione si individualizza[2] » (Vinay, 2006 : 80).

Tenter de saisir l’instant de l’échange avec l’inconscient et de la formation des associations d’idées bien plus que travailler avec les mécanismes du discours formalisé et des fluctuations émotives : voilà que le Teatro del Suono naissait. Aux commandes, Andrea Liberovici, enfant ballotté par les compositions paternelles de Sergio et par les chansons maternelles de Margot, sa mère, auteure-interprète. En 1995, le poète Edoardo Sanguineti, séduit par ces élucubrations musico-théâtro-sonores, rejoignait Liberovici. Cela faisait déjà trente ans que le poète collaborait avec des compositeurs, des metteurs en scène, lui, l’acolyte de toutes les expérimentations, comme éternellement revigoré par la créativité offerte par la mise en scène et, lorsque celle-ci implique l’intervention de la musique, par les textes poétiques[3].

Le Teatro del Suono est « un théâtre qui place sa recherche exactement au centre, si l’on peut dire, entre le théâtre de prose et le théâtre musical, en essayant d’utiliser[,] à partir de ces deux formes théâtrales, le sens comme appât et le son comme signifiant dans un rapport dialectique continuel » (« un teatro che colloca la sua ricerca, esattamente al centro – se così si può dire – fra il teatro di prosa e quello musicale provando a utilizzare da queste due forme teatrali, il senso, come esca e il suono como significante in continuo rapporto dialettico fra di loro », Liberovici, 2012b; souligné dans le texte). Par cette voie, Liberovici entend réactiver la communication par une utilisation primordiale et principale du son « entendu dans sa totalité, du bruit organisé à l’orchestre symphonique » (« inteso nella sua totalità dal rumore organizzato all’orchestra sinfonica », Liberovici, 2012b), son qu’il considère comme l’élément le plus à même de « revitaliser l’attention et l’émotion » (« rivitalizzare l’attenzione e l’emozione », Liberovici, 2012b).

Les méthodes semblent mystérieuses. Essayons donc de repartir du commencement des commencements. Dans « Il mio amore è come una febbre e m.a.n.i.f.e.s.t.o. », court essai paru en annexe des textes des deux premiers spectacles que nous aurons l’occasion de parcourir, le metteur en scène propose une explicitation de son esthétique sonore en affublant les neuf lettres du substantif déclaratif de pensées techniques, politiques et poétiques.

M : manifesto, musica, montaggio, musomusica[4], mosaico

(M : manifeste, musique, montage, musico-musique, mosaïque)

E io sento
questo insetto questo buco riflesso,
inflesso,
che mi tocca
diafano e mi tocca
accento[5]

Liberovici et Sanguineti, 1998a : 51

De fait, le Teatro del Suono est une expérience, une lubie, une affirmation : « Prendere all’amo lo spettatore con la tranquillità monotona e consueta di un frammento dichiarato di senso, e trascinarlo attraverso un linguaggio simbolico e a strati della musica[6] » (Liberovici, 1998 : 82-83). Comment? Tout d’abord, en construisant une sceneggiatura-partitura (mise-en-scène-partition), expression déjà plus courante, dans laquelle musique, parole, geste, lumière, texte ainsi que public – les blocs constitutifs du théâtre selon Liberovici – formeraient « un tout à monter créativement [en les combinant] les uns après les autres, les uns sur les autres, l’un puis l’autre » (« un tutto da montare creativamente uno dopo l’altro, uno sull’altro, uno pausa altro », Liberovici, 1998 : 81). Et Liberovici d’ajouter de manière plus concrète :

Le possibilità d’ingrandire, con lo zoom microfonico, il primo piano sonoro. Inquadrare il fuori campo non diventa così un fatto puramente estetico, ma l’amplificazione e la messa a fuoco dell’emotività e del sottotesto dei personaggi. Il microfono come orecchio meccanico e le tecnologie come memoria e possibilità di rielaborazione del materiale drammaturgico, l’attore con la sua vocalità e con il suo lavoro creativo sul personaggio, ovviamente al centro[7]

Liberovici, 2012b; souligné dans le texte

Le Teatro del Suono, c’est donc, d’une part, un théâtre de montage plurimédial non exclusivement sonore, car faisant intervenir plusieurs moyens d’expression et, d’autre part, un théâtre qui emprunte des systèmes de structuration à la musique. C’est également un théâtre de la voix et de l’orchestre qui utilise des moyens techniques de captation, de traitement et d’amplification des sons. Un théâtre, en cela, sonore.

A : attore, ascolto

(A : acteur, écoute)

sarò la porta aperta che si perde (nel giro
della
bocca che
si becca) : (e che
ti tocca) : faro di vena vera (e vera sfera
che spera) :
e favo.
(e fiato soffiato
fragolato) : la culla della colla della cellula
(che
dondola) :
tuo velo (e cielo) :
sarò il tuo piatto catafratto (affatto
contraffatto) :
casa è
cosa, nel caso : (utero d’uso) : (corno
d’ariete,
lancia) : (e
plancia) : (e pancia) :
sarò il tuo dente incontinente (il tuo sogno,
il tuo
segno) :
(e sarò un seno) (il tuo sogno, il tuo segno)
(e sarò
un seno)[8]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 8

Et les acteurs dans tout ça, qui sont-ils, qu’en reste-t-il, attendu qu’il n’y a pas de mise en scène de personnages incarnés et définis (en tout cas, pas au départ de l’aventure)? Ce sont des comédiens-chanteurs (Andrea Liberovici et Ottavia Fusco) prêts à se laisser galvaniser par une écoute, à se mettre en jeu, en résonance, en péril. Les vrais protagonistes, les moteurs, les catalyseurs artistiques de ces créations sont avant tout les fils d’une écoute reliant les oreilles de la scène et celles du public, des fils engendrés par l’expression de ces fameux sous-entendus sonores qui deviennent des més-entendus, des ré-entendus, des non-entendus, des ab-entendus (ou entendus à côté, de biais, transversalement).

Liberovici structure d’ailleurs les sous-entendus sonores dramaturgiques de départ en trois catégories : les sous-entendus sonores primaires (didascalies – reproductions brutes d’éléments notés dans le texte), secondaires (extraction des potentialités sonores d’un texte par son interprétation, son étude, son analyse) et tertiaires (création ou improvisation, ajouts). L’artiste agence ces derniers selon « une utilisation créative du chaos » (« una sorta d’utilizzo creativo del “caos” », Becheri, 2006 : 33). Cette mise à profit du chaos consisterait, d’une part, à utiliser une sélection de matériaux sonores rencontrés fortuitement (ou expressément) lors du travail préparatoire aux spectacles, en les manipulant éventuellement en vue d’une nouvelle proposition au cours des représentations et, d’autre part, à prendre en compte et à développer le côté aléatoire des représentations – on sent ici la signature de Sanguineti, partisan d’une écriture aléatoire, le polymorphe écrivain étant, entre autres, l’auteur du roman au titre évocateur Il gioco dell’oca (Le jeu de l’oie) – en considérant les réactions du public et en créant, pour et pendant chaque spectacle, une partie considérable de nouveaux éléments sonores (en d’autres mots, créer en temps réel tant au niveau actorial que musical).

Concrètement, dans Rap (1996), la première création teatrosonore, Sanguineti et Liberovici se sont inspirés d’un texte onirique imaginé par le poète, lui-même guidé par le hasard : un texte rythmé et mélodieux dans une langue faisant appel à la fois aux domaines du rêve et du destin[9]. La poésie, mêlant régulièrement registre parlé et vers libres, est poussée aux limites de l’intelligibilité sans tomber toutefois dans un hermétisme érudit. À partir du texte, Liberovici a agencé plusieurs niveaux de compréhension / conceptualisation sonore des éléments poétiques qu’il a préalablement enregistrés et manipulés, interprétés sur scène, retranscrits musicalement et adaptés vocalement.

Au final, Rap se présente comme un hymne à la poésie sonore intrinsèque des mots qui ne sont pas encore des mots (mots-images, mots-symboles, mots-sonorités), un hymne qui se traduit sur le plateau en une exploration des différents modes de recitar cantando en rimes, rock, rap, pop, balbutiements vocaux, improvisations musicales, et où l’intuition et l’immédiateté interprétatives et perceptives font écho à la liberté d’idées contenues dans la Smorfia napoletana – sans ordre ni loi, si ce n’est celle de l’intuition d’une destinée ou d’une fatalité chiffrée.

N : natura

(N : nature)

dove finisce il mio io,
non lo so io
non lo so i io
non lo so io […]
Tu, se non sei tu,
non ci sei più[10]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 8

La part belle laissée à l’improvisation et à la pluralité des langages sonores / musicaux n’est alors qu’une manière de répondre au besoin d’atteindre et de retrouver une certaine idée de « naturel » et, de fait, une efficacité dans le langage scénique. Cultivant l’improvisation poétique et l’incongruité des relations sémantiques, vues comme les seules possibilités de tendre vers une liberté de la communication, un oubli de soi et un évitement de clichés langagiers, metteur en scène et poète se sont entendus sur un anti-naturalisme anti-narratif. Conséquemment, dans les deux premiers spectacles, conçus pour deux voix et une bande-son, l’objectif était de :

  • Premièrement : attaquer la sémantique et déconstruire le système de concaténation des mots, cette alta catena ottenebrante (longue chaîne ténébreuse) par laquelle nous nous laissons che ci scorta (guider aveuglement). Système par défaut, système maudit, qui n’est pas suffisant. Système de la prédominance du mot figé à questionner. C’est ce que propose Rap (1996) – centré sur le rêve poétique d’un monde sonore guidé par le hasard.

  • Deuxièmement : mettre en exergue le moment de la formation de la pensée en tant qu’acte communicationnel originalement fait de sonorités – moment incarné par le benedetto buco biconvesso (le trou biconvexe béni), antre créateur sexuel ou communicationnel. Célébrer, donc, la pensée non encore exprimée qui conjuguerait une part d’inconscient et une part de poésie intrinsèque sonore. C’est le propos de Sonetto : un travestimento shakespeariano[11] (1997), spectacle ciblant, quant à lui, à travers un travail sur les sonnets de Shakespeare, la matérialité sonore de l’inspiration langagière amenant à l’activité de l’écriture.

Pour cela, la narration est, de fait, délaissée en faveur d’un agencement spontané, immédiat, non filtré, progressant par sauts extra-logiques, poétiques, oniriques, érotiques et sensitifs.

En résumé, le Teatro del Suono originel se voulait une exploration du son par une explosion du sens, proposition d’un nouveau cadre aux mots en vue d’une déconstruction des modalités du mettre-les-mots-ensemble. Autrement dit, le Teatro del Suono désirait monter des spectacles réfléchis sur les plans musical et sonore, et dé-monter l’idée de langage pour en dégager le suc sonore de la pensée, nouvellement libérée de son enveloppe alphabétique.

I : ingrandimento, inizio, identità, istante

(I : agrandissement, début, identité, instant)

Che mi mina,
che mi mima,
c’è la rima[12]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 8

Dans cette optique, la voix reçoit un traitement tout particulier. Par l’expulsion des mots, par l’utilisation des micros, elle est malmenée, auscultée, dépecée. Tantôt dépouillée de ses raclures consonantiques, puis de ses mouillures vocaliques, secouée par la déflagration des mines rimiques, reprise tantôt par des outils de traitement et de déformation, puis par des instruments, mise en doute par la moindre modification, la voix perd son état pur, sa détermination.

Dans la lignée des expérimentations de Carmelo Bene, idéateur de la voix-orchestre[13], l’utilisation du microphone devient un expédient dramaturgique puissant et assumé. En parallèle, le jeu sur les perspectives, les profondeurs, les reliefs – visuels et sonores –, le hors-champ comme sous-texte des comédiens en scène, se multiplient, poussant le spectateur à perdre de vue le centre sensé, mais un peu téléphoné, d’un spectacle ourdi par l’ouïe et en partie pour l’ouïe. L’identité des interlocuteurs finit par se dilater. Puisque non déclarés, non prononcés, non nommés, les êtres scéniques, les êtres parlant et pensant le son, disparaissent au profit de leurs avatars mâchés, chantés, dispersés dans l’espace.

F : furto

(F : vol)

Me, me, your, your
I, I, you, you
Io, tu, io
Tu, io, io, tu
il tuo,
mio[14]

Liberovici et Sanguineti, 1998a : 37

Les mots, ces hameçons, ces âmes-sons, sont extirpés de leur enveloppe traditionnelle. Sur scène et sur la bande-son, ils sont diminués, minés, nués, pétaradés (ppttrrdd), mélopés (éééoooééé), rythmés sur une portée (hum! inspirés hum!), mais aussi saccadés, étouffés (...t...ff), réverbérés, rimés et répétés. L’échantillonnage, le travestissement (en tant que traduction réinvestie et interprétation – concept cher à Sanguineti[15]), la boucle sur les voix, mais aussi l’imprévu sont employés ensemble en vue d’opérer une composition – musicale mais non classique – globale du spectacle. Par ailleurs, le traitement et la création électroniques de sons, technique utilisée largement et de manière assez virtuose par Liberovici – aussi bien en studio qu’en direct –, devient, par conséquent, un entrepôt merveilleux de mouvements, de gestes et de scénographies sonores potentielles qu’il s’applique à réagencer et à structurer jusqu’au moment de la représentation.

E : elettronico, essere E non essere

(E : électronique, être ET ne pas être)

tu non vedevi niente, intanto, perché
tu non vedevi niente, intanto,
tu non vedevi niente, intanto perché
tu, guardavi verso il niente[16]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 19-20

Par cette écriture de l’hameçon rêvé, du sens désaxé, du son révélé, du signifiant dérivé, Liberovici et Sanguineti travaillent à l’exploitation sensitive des potentialités sonores du texte et de l’espace afin de revivifier constamment l’attention du spectateur. L’utilisation plurielle des outils électroniques permet justement à Liberovici d’activer et d’inscrire le son dans une matérialité non matérielle qu’il nomme « le baroque invisible[17] ».

S : suono

(S : son)

sognato è il senso, ma sensato è il derma
Sfumato è il grumo in granuli di sperma :
ogni sfera si scioglie e vibra e sfibra
si scioglie e vibra e sfibra
si scioglie e vibra e sfibra[18]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 33-34

tu allora che
illumini le ombre, ombra
illumini le ombre, ombra,
sogno, sogno, sogno[19]

Liberovici et Sanguineti, 1998a : 48

Le son constituerait l’« immatière première » (« immateria prima », Liberovici, 2012a; souligné dans le texte) du théâtre. Tempéré – à savoir cadré par des codes langagiers – ou stemperato (dé-tempéré), « avec sa mémoire, sa langue, sa narration » (« con la sua memoria, lingua, narrazione », Liberovici, 2012a), il serait à la fois le signe, l’écrin et le vecteur d’un rapport différentiel au temps. Il serait, dans le cadre d’un théâtre qui ferait intervenir un tant soit (trop) peu l’auditif – non pas aux dépens mais en amont et aux côtés d’autres sens, notamment du visuel –, primordial pour que chaque image et, plus largement, chaque sensation susceptible d’invoquer un vécu temporel, une communication, une expression et, par extension, un récit puissent être activées. Inversement, le moment théâtral, l’expérience du plateau, constituerait l’outil privilégié, le scalpel rêvé permettant de dépouiller un bloc sensitif sonore figé (dans le langage par exemple) en vue de libérer un rapport dialectique, actif, communicationnel au temps.

T : teatro, dopo il rock’n’roll teatro è musica

(T : théâtre, après le rock’n’roll, le théâtre est musique)

Quando qualcuno mi chiede : fai teatro?
Rispondo : no faccio il compositore.
Quando qualcuno mi chiede fai il
compositore?
Rispondo : sì, faccio teatro[20]

Liberovici, 2012a

Le théâtre de Liberovici n’est pas vraiment un théâtre musical à proprement parler, mais ce n’est pas non plus uniquement un théâtre du son bruité ou chanté. C’est un théâtre dans le son, pour le son. En ce sens, les approches artistiques ont été multipliées. À la suite des premiers feux Rap et Sonetto,

[una] sfida [che] non era quella di aderire a un percorso estetico preesistente, ma di confrontarsi dialetticamente, dal punto di vista del teatro e quindi dell’attore, con il presente, [scaturi un] percorso necessario. Un tentativo di percorso teatrale che mi piacerebbe chiamare : teatro di evoluzione[21]

Liberovici et Viganò, 2006 : 122

O : osare

(O : oser)

Rotta è l’alta catena ottenebrante
turbante di sirena lancinante
furfante che ci esorta
E che ci scorta,
lì alla porta, a mano morta,
di matrici punitrici
grassatrici da appendici :
nane mamme mammellate,
marmellate le gomme di gonne,
martellate le donne cannoni castrate,
in soldoni di bottoni di calzoni[22]

Liberovici et Sanguineti, 1998b : 7

La mosaïque in progress des applications du son à la création théâtrale au sens large, dans son acception liberovico-sanguinetienne, s’est interrompue après une quinzaine d’essais. Cette aventure a traversé les genres proches du concert théâtralisé (Rap, Sonetto), du théâtre musical électroacoustique (Macbeth Remix) ou radiophonique (Electronic Frankenstein, Intégral), de l’exposition acoustique (portraits sonores des Ritratti acustici), du théâtre classique travesti par l’électro (Sei personaggi.com[23], I quaderni di Serafino Gubbio operatore, Urfaust), du soap opera (Candido : soap opera musical[24]), de l’oratorio aléatoire pour acousmonium et voix (64), du clip vidéo et du court métrage musical (From Ivry, L’ultimo viaggio di Cunégonde en Irak, Cinquecentomila leoni). Le décès de Sanguineti en 2010 a certainement influé sur la conclusion d’une première phase de travail de la compagnie tant l’écriture du poète et l’imagination sonore, musicale et scénique du metteur en scène étaient associées. Aujourd’hui, Liberovici continue ses explorations scéniques et sonores multiples en collaborant au sein de divers projets théâtraux, musicaux et vidéo –, notamment en collaboration avec le Nouvel ensemble moderne de Montréal.

À travers ce bref parcours jonché de lettres – aucunement mortifiées, sonorement alphabétisées –, centré sur l’essence même de l’intuition créatrice du Teatro del Suono, nous avons pu donner un aperçu des intentions générales de ce groupe. Comme en hommage à la Smorfia napoletana, dont l’ordre alphabétique ne constitue qu’une structure apparente, les aspirations du Teatro del Suono cachaient / cachent en réalité une volonté de tendre vers la spontanéité dans laquelle toutes sortes de signes / sens renvoient de façon anarchique à de mystérieux chiffres / sons qui se veulent tour à tour porteurs de chance et symboles d’un narquois destin. Le masque, à la fois rieur et grimaçant, n’est-il pas d’ailleurs le symbole du théâtre par excellence, d’une part, et du double, de l’autre, cette intuition d’une réalité impalpable et fugitive comme l’est ce son qui voulait / voudrait détrôner / seconder le roi de la scène : le tangible mot souverain? Le Teatro del Suono a su aborder, voire approfondir, certaines questions liées aux relations entre son, texte et musique. Par l’aléatoire et le musical, Liberovici et Sanguineti ont contribué à la recherche de modalités d’exploitation de l’inconscient et d’une force émotionnelle cachée, en des termes théâtraux guidés par le filtre sonore au sens large, contribuant ainsi à la (re)découverte d’une possible et nouvelle catharsis.