Bénédicte Boisson – Pourriez-vous revenir sur votre parcours avant votre nomination à la direction du Théâtre du Peuple ? Pierre Guillois – J’ai déposé ma candidature en 2004, pour une nomination en 2005, à un moment où n’avaient postulé que très peu de candidats d’envergure nationale, susceptibles de prendre la direction d’un centre dramatique. Pour ma part, j’étais alors relativement en dehors du système, mais, peu auparavant, j’avais été artiste associé à l’Atelier du Rhin de Colmar où j’avais découvert le travail avec les amateurs. C’était un travail très particulier parce qu’il s’agissait de s’adresser non pas à des gens qui aiment le théâtre et qui ont décidé de ne pas en faire leur métier, mais à des personnes qui ne connaissaient rien à cet art pour leur proposer de le pratiquer. Pendant trois ans, avec Guy Bénisty qui m’a vraiment initié à cela, nous avons mené une démarche d’action culturelle assez exceptionnelle dans un quartier pauvre de Colmar. Avant cette expérience à Colmar, mon parcours s’est principalement situé en dehors de l’institution, plutôt par maladresse à vrai dire. J’ai développé un théâtre dit alternatif, dans des squats par exemple. J’ai fait de l’assistanat à la mise en scène, ce qui m’a permis de comprendre comment fonctionnait le métier, et j’ai eu une compagnie qui consistait surtout en des fidélités, voir des infidélités, avec un certain nombre d’acteurs. La première rencontre vraiment importante pour moi a été celle de Jean-Michel Ribes, même si je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Il m’a appris mon métier, mais finalement, c’est surtout son positionnement au-delà du théâtre noble, du théâtre d’art, qui a été fondamental et m’a permis de me libérer. Grâce à cela, j’ai commencé à écrire ce qui a donné, plus tard, Les caissières sont moches. Bénédicte Boisson – En quoi le projet présenté au Théâtre du Peuple tenait-il compte de la spécificité du lieu, de son histoire et de son esprit ? Aviez-vous déjà une idée de ce que vous souhaitiez y maintenir ou, au contraire, y changer ? Pierre Guillois – Ce qui me paraissait évident et m’intéressait énormément, c’était l’aspect populaire, la dimension, l’objectif populaire de ce lieu et tous les enjeux qui y sont liés. Le public populaire, s’il existe un peu plus à Bussang, existe de manière très fragile et toute relative. Si on faisait des statistiques sur le nombre d’ouvriers qui fréquentent le théâtre, on serait certainement très déçu. On sait, de visu, que vient à Bussang un public qui ne va jamais au théâtre le reste de l’année. Mais on n’a aucune donnée chiffrée précise. Cet aspect populaire, et le fait d’essayer de le maintenir, m’intéressait donc ; l’idée d’un théâtre populaire me captivait. Mais, à vrai dire, je ne crois pas m’être formulé très clairement ce que je voulais faire de ce lieu ; je me suis plutôt demandé comment j’allais faire avec. Et je pense que j’ai tout de suite eu conscience que ce lieu était plus fort que tout. Évidemment, le travail avec les amateurs me passionnait. Je l’avais rencontré à Colmar et cela avait constitué une véritable révélation qui m’avait ouvert de nouvelles perspectives. Il y avait aussi le fait d’avoir cette chance inouïe de penser un spectacle de sa genèse à sa représentation, tant sur le plan de la création que sur celui des relations avec le public. Cette opportunité n’existe pas pour une compagnie qui se produit dans le circuit institutionnel : sa communication, par exemple, dépend en général de celle des lieux où elle est programmée. Pour en revenir au théâtre populaire, …
Entretien avec Pierre Guillois, directeur du Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher (Bussang, Vosges) de 2005 à 2011[Record]
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Bénédicte Boisson
Université de Rennes 2
Ce texte est issu de deux entretiens réalisés par Bénédicte Boisson le 28 août 2009 à Bussang et le 6 novembre 2009, en public, lors de la journée d’études « Héritages et filiations du théâtre populaire ? », coorganisée à l’Université de Rennes 2 – par Bénédicte Boisson et Marion Denizot.
Entretien retranscrit par Magali Le Ny, revu par Bénédicte Boisson et relu par Pierre Guillois.