Abstracts
Résumé
Le double est un motif récurrent dans la dramaturgie québécoise des quarante dernières années. Il apparaît de différentes façons : la démultiplication des lieux, des personnages et des intrigues, la choralité, le dédoublement d’un personnage ou d’une situation, la gémellité, le théâtre dans le théâtre, l’hybridité des genres théâtraux et romanesques. Il est présent à tous les niveaux de lecture, qu’il s’agisse du fond ou de la forme. Je propose de discuter et d’analyser ce postulat en m’appuyant sur e de Daniel Danis. Cette pièce reprend ce motif tout en le renouvelant de manière originale et singulière. Pour étayer mon analyse, je m’appuierai sur l’étude de la structure de la pièce, l’entrelacement générique, et interrogerai en particulier le personnage de J’il.
Abstract
The pattern of doubling has been recurrent with Québec playwrights for the last forty years. It presents itself in various ways, from doubling places, characters, plots, or “choralité”, duplication of a character or situation, twins, theatre in the theatre, as well as hybrid “genres” and theatrical fiction. It is represented at all levels, in either form or content. I propose to discuss and analyse this pattern in Daniel Danis’ e. This play borrows from this theme while renewing it in an original and peculiar way. I will analyse the play’s structure, its intertwining genres and will question more specifically the character of J’il.
Article body
Le motif du double tient depuis toujours une place singulière dans le paysage dramaturgique québécois, trouvant même un essor accru à compter des années 1980[1]. À première vue, cela semble avant tout relié à un questionnement sur le personnage. Si on s’appuie sur des pièces telles Albertine, en cinq temps de Michel Tremblay ou Provincetown Playhouse, juillet 1919, j’avais 19 ans de Normand Chaurette[2], le dédoublement du personnage se déploie, d’une part, dans une perspective d’investigation dramatique du personnage, de la mise à découvert de sa complexité interne et, d’autre part, dans sa relation à l’autre. Le dédoublement s’avère un artifice visant à mettre en évidence les déchirements du personnage, ainsi que la dualité découlant de l’irréductibilité de l’un à l’autre : deux personnes ne pouvant être une seule et même personne.
Avec e, le « roman-dit » de Daniel Danis, s’ouvre un objet théâtral entièrement traversé par le motif du double, dépassant la simple thématique pour devenir un mode générateur de la composition du drame. Il ne s’agit plus seulement de dédoublement du personnage ou de multiplication des lieux et des actions, mais d’une présence diffuse qui permet d’entrer dans l’oeuvre et peut-être de saisir une part de sa complexité et des interrogations qu’elle suscite. Pour le dramaturge, le double semble être un médium qui lui permet d’interroger la théâtralité à l’oeuvre dans cette pièce. Non seulement cela questionne-t-il le personnage, le cadre spatio-temporel, mais surtout, le double apparaît comme la tentative de mettre en place un autre regard. Le double donne à voir les différentes strates du réel, du rêve, du fantasme, du présent, du passé, de l’avenir qui se superposeraient dans un effet de verticalité plutôt que d’horizontalité, pour reprendre le vocabulaire de l’auteur. Il ne s’agit pas de profondeur de champ, de développement chronologique, mais d’un empilement et d’une imbrication, strate par strate.
Afin de donner à voir, à notre tour, ce travail architectural, nous avons choisi de nous arrêter sur la structure, la question des genres et le personnage de J’il. Ces trois points apparaissent comme trois angles de vue, trois hypothèses de lecture qui, dans leurs compositions et l’entrelacs des références, participent au même titre que d’autres éléments à lire la pièce sous le sceau de ce motif.
La structure
La pièce de Danis se construit autour d’un cadre visuel avec des emprunts lexicaux et formels à l’art pictural. Elle fait se rencontrer le visuel et l’écrit.
Plasticien, Danis architecture le récit de sa pièce en image, déclinant le champ lexical de la peinture et de la photographie, voire du cinéma. À travers l’organisation et en donnant à chaque scène le titre d’une forme picturale, l’auteur active un réseau de sens qui se donne à voir essentiellement dans la matérialité du texte, de manière subjective, comme des propositions de lecture. Les différentes références à l’art pictural renvoient à des formes précises souvent très codifiées dont la composition répond à des règles strictes, fléchissant le signifié – donnant des indications et des orientations sur ce qui va nous être montré. Je ne m’arrêterai que sur quelques-unes de ces formes qui me semblent être des variantes significatives du motif du double tout en souscrivant aux prérogatives de lecture préconisées par Danis.
Auparavant, j’ajouterai que dans l’étude préalable des formes picturales, on constate une dichotomie entre les scènes proposant un éclairage externe, c’est-à-dire avec un point de vue a priori extérieur, et les scènes proposant au contraire un engagement du regard ou de la parole, autrement dit un point de vue subjectif ou tout au moins interne. Afin de montrer le dialogue que génère cette séparation, l’analyse maintient ces entités distinctes. Les titres renvoyant à un éclairage externe sont : Fresque, Tableau, Miniature, Diptyque, Tableau noir de craie et Poudre de fusain et cire sur papier vélin. Quant aux titres figurant un éclairage interne, on relève : Bas-relief, Camera obscura et Diorama.
La fresque, tout d’abord, vaste peinture, présente à toutes les époques et partout dans le monde, possède une portée universelle et intemporelle. Il s’agit presque toujours de peintures traduisant une vision d’ensemble du monde, d’une religion, d’une histoire de l’humanité. Elle se caractérise donc par son étendue et sa dimension narrative.
Dans e[3], deux fresques encadrent le récit de Danis. La première apparaît comme une introduction de la pièce, elle évoque l’arrivée d’un peuple sur une terre nouvelle, chassé par la guerre, la mort, et contraint à l’exil. Scène de la naissance de J’il, héros de la pièce, elle pose les fondements de l’histoire, celle d’un homme et celle d’un peuple. Dès la première réplique, nous sommes confrontés à un récit des origines, plongeant au coeur d’une fable qui s’énonce comme création : « Dis ce que vois./ Voici que le monde surgit au moment où l’effroyable me provoque à le voir./ Essoufflé, un convoi d’humains lourdement chargés de bagages arrive sur le dessus d’une montagne. Une femme prête à accoucher, soutenu par deux hommes, s’arrête pour respirer » (e : 15). La parole est initiée, le décor est planté, l’histoire peut commencer.
La seconde fresque constitue l’avant-dernier tableau de la pièce, mais elle peut être considérée comme la fin de l’histoire, le tableau suivant étant une ouverture à un autre monde, à un autre temps. Fresque II répond à la fresque initiale. Elle retrace l’ultime duel de la guerre des pères et la mort du père de J’il, le lecteur/spectateur assiste à la fin d’un monde et à la naissance de Soleil, la didascalienne – narratrice et dépositaire de l’histoire – par sa nomination. C’est aussi le moment de la transfiguration de J’il à travers le sacrifice de sa femme et de ses enfants, il se « déploie/ nouveau et ancien » (e : 116), il est en paix avec le « corps de [son] Mond » (e : 108). L’histoire se clôt, mettant fin à chaque élément, les uns après les autres. Tout comme en peinture, les fresques possèdent une certaine étendue du point de vue de la narration. Elles mettent en scène la plupart des protagonistes, permettant à l’auteur d’orchestrer les relations entre les personnages.
Par ailleurs, au milieu de la pièce, à sa césure, on remarque un diptyque désignant le Tableau M, lettre miroir, lettre qui se réfléchit. Le diptyque, comme son nom l’indique, désigne un tableau (ou une oeuvre littéraire) en deux parties qui présente soit une chronologie (avant/après), soit deux visions de la même scène (deux points de vue), ou deux histoires parallèles différentes mais liées par une causalité.
Dans e, l’organisation de la scène relève bien d’une structure binaire. Elle se déroule en deux temps : l’enlèvement de Romane et la blessure de J’il soignée par Romane. Elle se concentre sur ces deux personnages. La scène correspond aussi au moment où la pièce se féminise, ce qui ne veut pas dire que les personnages féminins étaient absents ; la Dodue Doyenne présente dès la Fresque I, par exemple, s’apparente à une figure maternelle. En effet, parce que le diptyque annonce l’amour, l’union entre J’il et Romane, entre la langue et l’écrit, entre le roman et le dit, le sacré et le profane, on peut dire que le roman-dit se féminise. En d’autres termes, le personnage de Romane Languanière personnifie la naissance de la langue : remontant aux origines, elle incarne le passage du latin à la langue vulgaire, le français.
De plus, cette scène joue également un rôle pivot en faisant écho aux scènes Tableau noir de craie et Poudre de fusain et cire sur papier vélin. La libération de Romane, relatée dans la scène Poudre de fusain et cire sur papier vélin, évoque l’enfermement de J’il à la maison de redressement (Tableau noir de craie). Le diptyque nous introduit dans le monde « rêvique[4] » de J’il : celui d’une jeune femme enfermée dans une tour, ce « e » en surimpression sur le visage, ce « e » qu’il a appris à lire et à écrire, ce « e » frappé sur sa chaussure gauche volée par les juvéniles.
Le Tableau noir de craie est la séquence dans laquelle J’il, emprisonné dans « la blanche prison » (e : 37), subit l’humiliation des viols répétés et apprend à écrire. Point de pathos, juste l’indication de ce noir et de ce blanc venant rythmer la scène et qui sont plus évocateurs que tout autre descriptif. Le temps passé à la cadence des sordides rendez-vous avec les juvéniles se découpe en « Et se passe : Blanc[5] », à l’image de flashs qui accéléreraient le temps, dans un effet de montage, à mesure de la maturation de J’il, une maturation qui se fait à son insu, puisqu’il apprend à écrire malgré lui. Héros et victime, acquisition et perte, voilà ce que le noir et le blanc pourraient induire dans leur dualité. L’outrage apparaît telle une décoloration de l’être, le blanc soulignant la sélection qu’opère la mémoire, ainsi que la noirceur des événements. Dans une perspective plus ludique, cette coloration rappelle aussi le tableau d’apprentissage.
Dans Poudre de fusain et cire sur papier vélin, Romane retrouve le « e » perdu, il devient le premier mot de cette femme encore inconnue, comme un cri de douleur. Dans cette scène, annonciatrice de la rencontre du diptyque, J’il sauve Romane des flammes. Il est important de noter que le fusain est une forme de charbon, que la cire est soit le produit des abeilles – rappel de la fabrique du miel par les Azzédiens –, soit un résidu fondu. Il est donc question de feu, de carbonisation dans le fond comme dans la forme. Le tout se produit sur du vélin, papier rare et cher, fragile et délicat. Il souligne la délicatesse et le caractère éphémère de la rencontre en renvoyant au mythe du chevalier sauvant la princesse, thème récurrent de la littérature chevaleresque au Moyen-Âge. Toutefois, Danis opère une transposition de la thématique en procédant par anachronisme : le chevalier devient pompier avec un costume ultra-sophistiqué, son sauvetage relève des films d’action les plus modernes, le lecteur/spectateur est plongé dans un univers d’héroïc-fantasy, de super-héros. Enfin, il y a toujours la fragilité du papier, puisque la rencontre n’a pas lieu, elle est avortée, le vélin désignant également les peaux des animaux mort-nés. Danis, avec ce titre, nomme le support pictural et donne à voir littéralement la lecture de la scène : de la poudre de fusain et cire sur papier vélin. En effet, la rencontre a lieu dans un moment de vulnérabilité réciproque et amorce la relation qui fera jour dans le diptyque, entre attirance et répulsion, opposition et complémentarité. Elle conjugue dans un même mouvement le principe du double et sa face inverse, l’altérité.
Le motif du double se retrouve également dans les scènes avec un éclairage interne, comme les deux Camera obscura. La camera obscura, ancêtre de la chambre noire, devient une autre façon, pour Danis, de remonter aux origines, de mettre en avant deux regards portés sur eux-mêmes, qui ne sont pas ceux de J’il et qui, pourtant, sont empreints de sa présence tel un écho de sa trajectoire.
La Camera obscura I retrace comment le personnage de Gros-Bec, ami de J’il, est devenu boucher. À travers son expérience, Gros-Bec évoque un monde d’illusions qui finit par s’effriter et même exploser. Ce monde intérieur s’apparente à celui de l’enfance qui se trouve confronté au monde extérieur. La scène traduit une perception du monde confrontée à la réalité, en particulier à la mort, comme s’il s’agissait d’une initiation pour acquérir la vision humaine. On ne peut s’empêcher d’y voir un écho, en mode mineur, de la scène de la maison de redressement où J’il apprend à écrire – scène de la fin de l’innocence liée à l’acquisition d’un savoir.
Dans la Camera obscura II, nous assistons au monologue d’un soldat de la Terre d’À Côté, capturé par l’équipe de J’il. Il raconte la perte de ses hommes et la souffrance qu’il porte à présent en lui – souffrance de la perte et de la confrontation avec les familles. La noirceur de l’âme, l’impossibilité de vivre avec ce mal-être résonne en contrepoint avec le monde de J’il et avec sa volonté de vivre dans un monde de paix. Ces deux scènes fonctionnent donc sur un principe commun de résonance de l’altérité. En faisant entendre une autre voix que celle de J’il, elles permettent paradoxalement de mieux appréhender ce dernier, comme le négatif d’une photographie.
Les différentes formes picturales observées s’opposent, se rejoignent mais toujours se complètent, proposant une structure originale. Les titres des scènes participent ainsi de cet éclairage qui fonctionne soit de manière externe, soit de manière interne. Ils sont toujours des indices de lecture orientant le lecteur dans la fable. L’aspect visuel permet au dramaturge de travailler l’écrit comme un espace qu’il s’approprie par les stratégies narratives mises en place.
En outre, se confronter à e, c’est aussi indubitablement se poser la question des genres – problématique inhérente à l’écriture théâtrale de Danis et à la composition de ses pièces.
La question des genres
La dualité, présente depuis Celle-là (Danis, 2003), première pièce de l’auteur, entre l’épique, le dramatique et le lyrisme, n’a cessé d’évoluer au fil de ses pièces. Petit à petit, Danis est passé d’une parole monologuale à un dialogue plus effectif, tout en maintenant la prégnance de l’épique au sein même de l’échange entre les personnages. e ne fait pas exception et annonce dès le titre que le lecteur/spectateur sera confronté à un « roman-dit » et non à une pièce de théâtre. Ici, l’épique ne se rapporte plus seulement à la dimension narrative, au caractère exemplaire, ni même à sa forme brechtienne, mais se réfère à l’épopée, forme orale dont Hegel définit les grandes règles dans son Esthétique. La lecture de cet essai permet de mieux saisir certains enjeux de la pièce et donne matière à réflexion sur le métissage des genres tel que Danis le pratique dans son théâtre.
Hegel explique que l’épopée « a pour sujet une action passée, un évènement qui, dans la vaste étendue des circonstances et la richesse des rapports, embrasse tout le monde, la vie d’une nation et l’histoire d’une époque tout entière[6] » (1997 : 502). En restituant la fable de e, nous pouvons nous rendre compte des accointances de la pièce avec les propos du philosophe. Comme très souvent chez Danis, le drame présenté est révolu ; la fable retrace l’histoire d’un peuple devenu nation entre deux exils. Par conséquent, l’action nous renvoie à une époque déterminée, nous permettant d’assister à la naissance d’une nation. Cependant, l’antériorité du drame ne se dévoile véritablement qu’à la dernière scène, le Tableau Z, sorte d’épilogue. Parce qu’il est ouverture sur un autre monde, un autre temps, celui de Soleil la Didascalienne, celui de la représentation théâtrale, le Tableau Z oriente la lecture ou la vision du drame dans un mouvement rétroactif qui n’est pas un retour en arrière, trop d’éléments pouvant suggérer que le drame a déjà eu lieu. En effet, la première parole de la pièce attribuée à Soleil énonce « Dis ce que vois » (e : 15). Tout équivoque qu’elle puisse être, la réplique s’apparente davantage à une invocation, une convocation du passé dans le présent plutôt qu’à une anamnèse d’un passé que Soleil n’a pas connu mais dont elle est la dépositaire. Au contraire, donc, ce mouvement rétroactif, provoqué par la réplique finale, confirme la contamination des genres et nous place dans une temporalité où histoire et mythe se reflètent : « Ainsi, moi, Soleil, ai la tâche d’écrire qu’avec ces mots s’achève le roman-dit de J’il » (e : 118). Le rapport entre réel et fiction se brouille complètement avec l’entrelacement générique, roman et drame bousculent toutes considérations chronologiques et font entrer la pièce dans un rapport diachronique, bien que l’appréhension de la fable se fasse dans la continuité. Pour reprendre une expression deleuzienne, nous assistons à un jaillissement du temps comme dédoublement[7]. Le personnage de Soleil permet de décaler le point de vue en étant narratrice de ce qui se joue ou initiatrice de la parole, comme si le lecteur/spectateur pouvait atteindre une vision légèrement surplombante grâce à elle. Ce phénomène s’intensifie à la fin de la pièce lorsque le lecteur ou le spectateur comprend que Soleil est la fille de J’il, et qu’elle se situe dans un temps d’après l’histoire. En perpétuant l’histoire et en la racontant, elle se place en quelque sorte dans un temps mythique. D’ailleurs, peu avant, dans la Fresque II, Ladite Anne invective J’il : « Si tu retrouves ta bâtarde, j’espère qu’elle te rappellera nos souffrances à venir » (e : 112). Avec cette malédiction, Ladite Anne met en valeur la roue du temps par une projection du passé dans le futur, caractérisant la place particulière de Soleil.
Pour revenir à l’épopée, à travers la vie de J’il, de sa naissance à sa mort, nous embrassons la vie d’un peuple dans sa totalité. Au fur et à mesure des événements construisant le parcours du personnage, le dramaturge évoque plusieurs éléments qui se rattachent à une conscience religieuse, à l’organisation politique, sociale et intime d’une communauté. Le caractère a priori anecdotique de certaines scènes permet justement à l’auteur de faire entrevoir au lecteur/spectateur la totalité de ce monde, à l’instar de la Miniature II.
Dans cette scène, Soleil prête sa voix à une sapine pour raconter la construction de la maison de J’il. Il s’agit du point de vue d’un arbre sur ce qui l’entoure, la parole relève de la notation sensible : J’il bâtit sa maison, près de la fontaine, puis vient Noël, la neige, la maison bleue, le tapis blanc… Cette référence à une forme d’animisme traduit, entre autres, le rapport au monde et à la nature qu’entretient le peuple des Azzédiens. Et si l’on se concentre sur le personnage de J’il, cette scène, en tant qu’enluminure (comme son titre l’indique), sacralise la scène du bâti ; cette nouvelle demeure ouvre une ère nouvelle après la maison de redressement. On reconnaît ici un motif récurrent de l’écriture de Danis, celui de la construction comme double métaphorique et tangible d’une nouvelle vie. Dans Cendres de cailloux, Clermont, en rénovant la grange des Fiset, se construisait déjà une nouvelle peau, « une deuxième peau » (Danis, 2000 : 18).
Si l’épique imprègne le dramatique, l’inverse se vérifie également. Alain Françon[8], qui a créé e, a immédiatement mis en relation la pièce de Danis avec la chanson de geste médiévale. Les textes de cette période ne relèvent pas à proprement parler de l’écrit, dans la mesure où la plupart sont destinés à faire l’objet d’une performance orale. Variante médiévale de l’épopée latine, la chanson de geste transpose aussi dans le monde guerrier des récits hagiographiques des siècles précédents. Par ce mouvement de transposition, il est possible d’envisager sans peine les liens avec e, en particulier avec le personnage de J’il considéré, par sa communauté, à la fois comme un sauveur et comme le responsable de leurs malheurs. Toutefois, l’intérêt dans l’immédiat se porte davantage sur les rapports entre la chanson de geste et la forme dramatique. L’étymologie de cette forme ancienne renvoie au latin gesta signifiant actions, et par extension hauts faits, exploits. Elle souligne le caractère exemplaire des faits rapportés. Quant au terme de chanson, il met en évidence la dimension orale et musicale du texte. Par conséquent, au regard de la chanson de geste, on constate que le caractère épique de la pièce de Danis est empreint d’une oralité constitutive du drame. La topographie de e révèle une interaction du « roman-dit » et s’ancre dans le présent de la représentation par l’énonciation du passé au présent et par le court-circuitage mutuel du récit et d’une parole adressée, échangée, dialoguée :
J’il : Go ! Je viens rendre visite à ma compagne de chambre des grands brûlés. Nous avons passé plusieurs jours ensemble à souffrir, à pleurer ; j’aimerais bien la revoir et prendre de ses nouvelles.
Rien à faire, la tactique du verbe échoue. Je dois encore forcer le passage.
Laissez-moi la voir, c’est devenu presque ma soeur et je ne peux l’imager maintenant en robe blanche et folle. Il me faut la sauver des eaux troubles de cet arraisonnement d’enfermeurs.
e : 68
En l’espace d’une réplique, nous passons d’une interjection réflexive à une adresse directe aux gardiens de l’asile (lieu de l’action), puis nous avons une parole de l’ordre du commentaire dont l’adresse reste floue. Est-ce une parole intérieure ? Est-elle adressée au spectateur ? Rien ne permet clairement de prendre position. Ensuite, il y a retour au dialogue avec la demande amorcée une phrase en amont et, enfin, le discours rebascule sur le récit, l’adresse redevient aléatoire. À travers ces quelques mots, l’écriture traduit comment Danis se joue des genres et n’hésite pas à passer de l’un à l’autre. Dans sa dramaturgie, l’épique et le dramatique se transforment en des matières ductiles et semblent alors constitués d’une nature réversible. Il devient difficile de les dissocier tant les deux genres s’imbriquent pour former un matériau commun. L’auteur joue du matériau théâtral, de la dualité du théâtre écrit pour être dit. L’enjeu ne se situe pas dans la distinction des genres mais dans l’activation de leur réciprocité.
Le personnage de J’il
Par l’intermédiaire du personnage central, J’il, la problématique de la lettre et de la voix[9] se cristallise autour du double en tant que dédoublement, démultiplication. Toute la pièce se bâtit en miroir, et l’axe de réflexion se trouve au centre même du personnage de J’il. Le drame se construit à travers cette figure qui incarne, tout au long de la pièce, le double dans sa dualité et son altérité. Le personnage se retrouve ainsi porteur de la fable, lui, la figure héroïque, à la fois sauveur et responsable des malheurs des Azzédiens.
J’il incarne le super-héros moderne, en particulier dans le tableau Poudre de fusain et cire sur papier vélin où, vêtu d’une combinaison volante à multiples senseurs (e : 55), il sauve Romane des flammes d’un incendie forestier. De manière ironique, il apparaît comme un avatar des personnages d’une littérature populaire américaine, capable de l’impossible dans une situation rocambolesque. Voici comment Soleil décrit la scène :
e : 56Un : mettre en veille sa combinaison.
Deux : ouvrir son équipement de sapeur.
Trois : charger son fusil éteigneur.
Quatre : se frayer un chemin jusque dans une éclaircie.
Ce soldat du feu doit garder mille oeils ouverts sur la tête des arbres.
Danis s’appuie sur cette forme ludique, en n’oubliant pas que ces super-héros apparaissent aussi comme des témoins de leur temps. De fait, J’il semble être une curieuse synthèse d’un syncrétisme où les correspondances avec les religions, les mythologies se font jour. Il est à la fois le sauveur et celui par qui le malheur arrive. Au début de la pièce, nouveau-né, il vomit littéralement sur les flammes qui menacent son peuple, le protégeant d’une attaque destructrice. Par contre, quelques années plus tard, il est enfermé, tenu pour responsable du meurtre de Nounourse, fils de Blackburn, lui-même maire de la Terre d’À Côté, ennemi juré des Azzédiens. Ainsi J’il possède-t-il la dualité éclatante de ces êtres évoluant dans un univers proche du nôtre et vivant pourtant des événements impossibles pour le commun des mortels, ici incarné par le peuple azzédien.
Par ailleurs, à cette ambivalence archétypale du héros moderne s’ajoutent les résonances de mondes plus anciens, empreints d’animisme et de mythologie grecque. D’une part, il est décrit comme un ours aux lèvres de fille. Selon les croyances, l’ours, représentant de la caste guerrière, est parfois figuré sous un aspect féminin. Symbole d’équivoque, cet animal est aussi considéré comme l’ancêtre de l’espèce humaine. Les Algonquins, par exemple, appellent l’ours Grand-Père. De cette dernière croyance provient vraisemblablement le mythe, très répandu, des femmes enlevées par des ours et vivant maritalement avec leur ravisseur. Dans e, l’enlèvement de Romane et son union avec J’il peuvent se lire comme une variante mythologique. En Europe, on associe davantage l’ours à la caverne. Il exprime alors l’obscurité, les ténèbres, ce qui en alchimie correspond à la noirceur du premier état de la matière. L’obscurité, l’invisible étant liés à l’interdit, cela renforce la fonction d’initiateur attribuée à l’ours. À travers son animalité, la dualité du personnage de J’il ressort ici une nouvelle fois.
D’autre part, J’il peut être perçu comme le prolongement des héros tragiques grecs victimes de leur hybris. J’il rappelle ainsi Oedipe, l’incestueux, celui au pied enflé puisque Romane, celle qui soigne sa blessure (Tableau M-Diptyque), se révèle être sa demi-soeur. Elle seule peut déceler cette dualité qui l’habite : « Parmi tes différents esprits, J’il, dans lequel te trouves-tu si mal ? Est-ce dans ton esprit d’orgueil lié à ton rôle de sauveur ou dans celui de chef de guerre ? » (e : 96) Les autres personnages ne font que la deviner. Ils ne la comprennent pas et c’est sans doute pourquoi elle les effraye tant : « J’il le parfait guerrier criminel sous un masque de paisible gentillesse avenante. L’infigurable, c’était lui, l’infigurable J, apostrophe, i, l » (e : 64). Si Romane semble l’unique capable de nommer cette part double, peut-être est-ce grâce à son lien de parenté ? Danis pousse à l’excès la situation qu’il met en place jusqu’à son retournement dans un geste d’ironie tragique.
Cette contradiction inhérente au personnage traduit le doute, l’incertitude qui se déploie dans de multiples variations, dont un questionnement existentiel sur l’autre en soi-même. L’interrogation de l’altérité prend une forme concrète dans la pièce avec la démultiplication du personnage de J’il. Non seulement nous le suivons à divers moments de sa vie, mais surtout une fois adulte et lors du passage par la maison de redressement, le personnage se dédouble, et le lecteur/spectateur fait face à J’il et J’il 12. Au cours de cet épisode de la maison de redressement, les violences subies et répétées semblent initier le dédoublement de J’il et fonder sa volonté de ne pas répondre à la violence par la violence. Cela provoque le changement du personnage, son passage de l’enfance à l’âge adulte : « J’il 12. Quand je me parle dans ma tête, je dis je, et toi, J’il ? / J’il. Je me dis tu. / Coupons tes tresses avec ce rasoir jetable avant que les détenus ne te scalpent, mon J’il, je, mon moi d’enfance » (e : 39). L’éclatement du sujet participe de la problématique de l’hétérogène, qui rejoint en ce point la question de l’hybridation générique.
Loin d’être un affaiblissement, la division instaure un rapport actif au monde, la condition dialectique de la créature. En d’autres termes, elle interroge l’homme déchiré et les conditions de sa liberté. Un dialogue s’instaure entre la figure de J’il qui une fois adulte est presque toujours accompagné de J’il 12, donnant accès au monde intérieur du personnage, à sa parole la plus intime. A priori, les autres protagonistes ne peuvent entendre ces échanges, seul le lecteur/spectateur y a accès. Nous oscillons constamment entre la parole des autres sur J’il et la sienne, qui ne passe pas par un épanchement solitaire mais par un dialogue des consciences, caractéristique du théâtre de Danis.
En outre, si nous empruntons l’étymologie du mot double au terme consacré par le mouvement romantique, nous constatons qu’il signifie littéralement « celui qui marche à côté, le compagnon de route » (Fernandez-Bravo, 1988 : 492). J’il 12 figure cet ange gardien suggérant la dialectique du sujet, capable de se voir lui-même dans son altérité. De fait, J’il peut aussi se démultiplier dans le temps, une capacité d’ubiquité reflétant les divers points de vue de J’il sur lui-même. Ainsi, dans le Tableau Y, le personnage se divise en quatre, quatre regards sur le monde, quatre regards intérieurs, faisant imploser l’enveloppe corporelle quand celle-ci n’est plus supportable : « Je ne suis plus capable de vivre dans ce corps-ça. Je veux en sortir » (e : 103). Reprenant le paradigme oedipien développé par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet (Fernandez-Bravo, 1988 : 492)[10], à savoir que, dans sa pièce, Sophocle pose la question de savoir dans quelle mesure l’homme dont la condition est d’être ici (aspect humain) et d’ailleurs (aspect surhumain) est entièrement à la source de ses actions, le personnage apparaît dans son altérité radicale. Il ne cesse de questionner ses actions et leur aboutissement, sachant que ce dernier diffère souvent de l’objectif de départ. Ici la dualité rejaillit sur le sens global de l’oeuvre.
Enfin, le principe actif du dédoublement se loge au coeur de son nom : J’il – J, apostrophe, i, l. « Je » et « il » fusionnant dans un même prénom. L’altérité est au centre et pose la question de l’identité en venant perturber la distance entre un personnage et son auteur. Si J’il est aussi J’il 12 et ses avatars, J’il peut également être perçu comme la présence de l’auteur au sein même de sa pièce. Dans ce J’il, il y aurait la présence imperceptible de Danis, du sujet écrivant qui aurait perdu son « je » pour aller vers l’autre, « il ». Les effets de cette collusion sont sans conteste multiples, mais il en est un qui prend un autre relief au regard de cette problématique, celui de l’adresse. Bien que nous soyons dans une antériorité du drame, nous serions paradoxalement non pas dans un temps passé mais au contraire ancré dans le présent de la représentation : l’auteur venant s’adresser à nous, nous interpeller à travers le personnage de J’il. Danis rejoue une fois de plus les modes de l’adresse théâtrale, non pas en s’appuyant sur le trouble d’un personnage actant et narrateur mais sur l’ambivalence d’un personnage actant et auteur de son drame. Par ce biais, Danis altère son personnage, sans connotation négative, en provoquant une altération sans dégradation, modifiant, transformant notre perception.
Le motif du double s’apparente bien à un principe générateur de la pièce de Danis. Il ouvre également un champ d’expérience plus large, proposant et interrogeant l’hybridité des genres, remettant en cause les données traditionnelles du drame. D’une certaine manière on pourrait donc écrire que le double, dans cette pièce, oeuvre à construire un nouvel espace théâtral. Les virtualités du texte obligent à investir la scène dans sa matérialité en s’interrogeant sur le jeu des acteurs, l’enchaînement des tableaux construits sur la base d’une picturalité qui transcende l’espace et le temps pour entrer en collision avec l’inconscient et le rêve. Les mondes se chevauchent et se donnent à voir dans un même mouvement. e, tout comme les autres pièces de Danis, participe ainsi d’une remise en cause du drame.
Cette crise du drame, dont les études théâtrales n’ont cessé de se faire l’écho ces dernières années, ne se comprendrait plus en termes de finitude ou de mise à mort de la forme dramatique, mais bien comme un processus qui serait capable de se régénérer de l’intérieur, faisant appel à son altérité radicale. Nous ne pourrions plus nous référer à l’agonie décrite par Szondi, mais au contraire à une vitalité, une dynamique qui modifierait en profondeur notre perception et notre interprétation en tant qu’individu. Ainsi, pour revenir à l’objet de notre questionnement, le titre e pourrait alors se comprendre comme « eux[11] », les autres, ceux qui nous entourent, ceux qui sont en nous, ce qui est autre en nous, la part féminine, masculine ou plurielle de l’être humain. Danis invite donc à l’exploration de terres déjà balisées par des voix/voies inconnues.
Appendices
Note biographique
Chargée de cours à l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle, Marie-Aude Hemmerlé termine actuellement un doctorat en Études théâtrales sous la direction de Jean-Pierre Ryngaert. Ses recherches portent sur les évolutions de la dramaturgie québécoise depuis 1980, en particulier sur la fable et le personnage. Elle a publié plusieurs articles traitant de ces questions dans divers collectifs (Nouveaux territoires du dialogue, 2005 ; Jean-Luc Lagarce dans le mouvement dramatique, 2008) et revues (Études théâtrales ; Loxias).
Notes
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[1]
Je ne reviendrai pas ici sur les hypothèses formulées sur la dramaturgie des années 1980, de nombreuses études ont été menées dont Dramaturgies québécoises des années quatre-vingt de Jean Cléo Godin et Dominique Lafon (1999), ainsi que des articles comme celui de Gilles Deschâtelets, «L’année de tous les miroirs » (1989-1990).
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[2]
Si je cite ces deux pièces en particulier, c’est qu’elles ont été commentées et analysées dans le cadre d’un séminaire sur les dramaturgies québécoises que j’ai pu donner en 2006-2007 à l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle.
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[3]
Daniel Danis, e, Paris, L’Arche, 2005. Par la suite, on donnera la référence avec cette abréviation (e) et le numéro de page après la citation.
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[4]
Ce mot emprunté au lexique danissien est toujours utilisé comme un adjectif qualifiant un objet qui dépasse le simple rêve pour rejoindre la fiction littéraire.
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[5]
L’expression revient à cinq reprises entre les pages 39 et 42.
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[6]
Je m’appuie principalement sur le « Chapitre III, 3. Épopée, poésie lyrique et drame ».
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[7]
Je reprends ici une expression de Gilles Deleuze (1985).
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[8]
Alain Françon créa la pièce en 2005, au Théâtre National de la Colline à Paris ; elle a tourné la même année au Québec, dans le cadre du Festival de Théâtre des Amériques à Montréal.
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[9]
J’emprunte cette expression au titre de l’ouvrage La lettre et la voix : de la littérature médiévale de Paul Zumthor (1987).
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[10]
Nicole Fernandez-Bravo se réfère, dans cet article, à Mythe et tragédie en Grèce ancienne de Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet (1986).
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[11]
L’hypothèse a été posée par une étudiante dans le cadre du séminaire mentionné plus haut.
Bibliographie
- Chaurette, Normand (1981). Provincetown, Playhouse, juillet 1919, j’avais 19 ans, Montréal, Leméac.
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- Danis, Daniel (2000). Cendres de cailloux, Montréal, Leméac ; Arles, Actes Sud-Papiers.
- Danis, Daniel (2005). e, Paris, L’Arche.
- David, Gilbert (2002). « Comment se joue la résistance à la représentation ? L’exemple du théâtre de Daniel Danis », Études théâtrales, nos 24-25, p. 205-214.
- David, Gilbert (2007). « Le langue-à-langue de Daniel Danis : une parole au corps à corps », Études françaises, vol. 43, no 1, p. 63-81.
- Deleuze, Gilles (1985). Cinéma, t. II, L’image-temps, Paris, Éditions de Minuit.
- Deschâtelets, Gilles (1989-1990). « L’année de tous les miroirs », Veilleurs de nuit, no 2, p. 56-62.
- Desrochers, Nadine (1999). « Le récit dans le théâtre de Daniel Danis », L’Annuaire théâtral, no 26 (automne), p. 119-132.
- Fernandez-Bravo, Nicole (1988). « Double », dans Pierre Brunel (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, [Monaco], Éditions du Rocher, p. 492-531.
- Godin, Jean Cléo, et Dominique Lafon (1999). Dramaturgies québécoises des années quatre-vingt, Montréal, Leméac.
- Hébert, Chantal, et Irène Perelli-Contos (dir.) (2004). La narrativité contemporaine au Québec : le théâtre et ses nouvelles dynamiques narratives, Québec, Les Presses de l’Université Laval.
- Hegel, Georg Friedrich Wilhelm (1997). Esthétique, Paris, Livre de Poche.
- Hemmerlé, Marie-Aude (2006). « Le récit comme avatar du dialogue dans le théâtre de Daniel Danis », Loxias, no 13, [En ligne], [http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=1113] (26 novembre 2009).
- Lesage, Marie-Christine (1996). « Archipels de mémoire, l’oeuvre de Daniel Danis », Cahiers de théâtre Jeu, no 78 (mars), p. 79-89.
- Mak, Joël (2006). « Le super-héros », dans Laurent Gervereau (dir), Dictionnaire mondial des images, Paris, Éditions Nouveau Monde ; Québec, Septentrion, p. 981-982.
- Tremblay, Michel (1991). Théâtre I, Montréal, Leméac ; Arles, Actes Sud-Papiers.
- Vernant, Jean-Pierre, et Pierre Vidal-Naquet (1986). Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, La Découverte.
- Zumthor, Paul (1987). La lettre et la voix : de la littérature médiévale, Paris, Seuil.