Rares sont les semaines où il ne s’écrit ni ne se dit rien dans les médias québécois sur le Cirque du Soleil, sur Robert Lepage ou sur Céline Dion. Les médias (et les gouvernements québécois successifs par-delà leur allégeance) se sont gonflés à bloc par l’omniprésence d’artistes québécois sur les planches vegassiennes, ville tutélaire de l’hyper-Amérique. Contribuant à un discours de triomphalisme culturel québécois, le triumvirat Cirque-Céline-Lepage représente à lui seul – et ce, dans la ville du fantasme américain assumé, brandi, sinon marqué au fer – le symbole du succès international d’une offre culturelle postnationale, voire postidentitaire. Non pas qu’ils rejettent ce qu’ils ont de québécois, bien au contraire, Céline multipliait ses passages éclairs au Québec en avion privé alors même qu’elle présentait son spectacle permanent à Las Vegas ; Robert Lepage, malgré ses innombrables projets de théâtre et d’opéra à l’étranger, maintient un pied à terre artistique et administratif dans sa ville de Québec ; le Cirque, alors qu’il pouvait faire appel à l’échelle planétaire aux plus grands metteurs en scène du divertissement, choisissait plutôt de recruter dans le milieu québécois du théâtre subventionné les principaux metteurs en scène et concepteurs de ses spectacles permanents. Ainsi furent débauchés momentanément à leur pratique théâtrale « légitime » Dominic Champagne, René Richard Cyr, Robert Lepage et Serge Denoncourt à Las Vegas seulement, pour ne rien dire des contrats de mise en scène également octroyés à Fernand Rainville, François Girard et Gilles Maheu. Ce dernier, on s’en souviendra, avait monté le spectacle musical Notre-Dame de Paris contre lequel une partie du milieu et de la critique s’était insurgée devant l’acte « putatif » d’un des leurs. Très peu, hormis les universitaires, s’insurgent publiquement aujourd’hui devant le fait que tant d’artistes québécois se laissent séduire par le chant des Sirènes désertiques de la multinationale du divertissement. Le génie créateur de ces artistes québécois a été mis au service de spectacles dont les budgets et la pérennité dépassent l’entendement. Ces spectacles sont financés par le jeu et présentés dans des salles construites sur mesure, jouxtées aux casinos qu’il faut obligatoirement traverser. On ne se rend pas impunément dans ces théâtres sans d’abord emprunter un parcours dédaléen où est évacuée la lumière du jour et où le spectateur est exposé à la tentation des clinquantes machines à sous et autres moult occasions de se départir de son argent. Les spectacles ne sont pas une fin en soi ; ils font partie de l’offre et visent, en partie, à attirer un public qui aurait autrement dédaigné les casinos ou qui en aurait fréquenté d’autres. Chaque casino propose sa gamme de spectacles, de restaurants, de boutiques, de manèges et d’attractions (les lions du MGM Grand, les montagnes russes du New York-New York, les canaux du Venetian) et même, il faut le noter, ses musées d’art. Or Las Vegas, sous l’influence de Steve Wynn, et grâce à ses collaborations avec le Cirque du Soleil et Franco Dragone (qui a signé les spectacles Mystère et O avec le Cirque et Le rêve avec Wynn sans intermédiaire), a vu sa réputation de capitale du jeu et des plaisirs nocturnes s’élargir à celle du divertissement dont l’offre tient compte de tous les segments de la population, les snobs y compris. On peut vivre Vegas sous le signe de l’hypermodernité et longer le Strip en cogitant Gaston Bachelard et Jean-François Lyotard tout en s’assoyant à la table de Daniel Boulud ou celle de Pierre Gagnaire, en visitant des expositions d’art, en jouant au golf au club verdoyant aménagé discrètement entre le désert et le boulevard tout en néon. Les spectacles familiaux …
Appendices
Bibliographie
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