Analyses
Revue de littératures franco-canadiennes et québécoise
Volume 16, Number 1, Winter 2022 Des voix intimes et politiques : l’engagement des revues québécoises de 1976 à nos jours Guest-edited by Marie-Andrée Bergeron, Karim Larose and Jean-Philippe Warren
Table of contents (8 articles)
Dossier - Des voix intimes et politiques : l’engagement des revues québécoises de 1976 à nos jours
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Des voix intimes et politiques : l’engagement des revues québécoises de 1976 à nos jours : présentation du dossier
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Du récit de l’expérience vécue à l’avènement du sujet féministe révolutionnaire : parcours des subjectivités dans Les Têtes de pioche
Aurore Turbiau
pp. 9–25
AbstractFR:
Cet article propose une analyse de la manière dont la notion de subjectivité est travaillée par les femmes qui ont tenu, entre 1976 et 1978, la revue féministe Les Têtes de pioche. Pour les radicales qui y écrivent, engager sa subjectivité consiste d’abord à raconter son expérience et à exposer son point de vue particulier parce que « la vie privée est politique », que l’expérience vécue produit une forme de savoir sur la société et que la conjonction de tous les singuliers révèle les communs. Les féministes entrent ainsi dans l’action en tant que mouvements et identités à la fois situées, subjectives et collectives, en réfléchissant à la manière dont il leur faut articuler les intérêts communs et les singularités de chacune. Toutefois, la fin des Têtes de pioche est marquée par des conflits qui révèlent la difficulté inhérente à ces partis pris militants : entre gauchistes et radicales ou entre hétérosexuelles et lesbiennes, le dialogue paraît parfois irréconciliable. L’expérience singulière et la vie privée de chacune entrent en opposition avec la nécessité d’une lutte politique commune de telle sorte que la mise en scène des subjectivités finit par prendre toute la place : les « subjectivités engagées » se prennent aussi, parfois, à leur propre piège.
EN:
This article offers an analysis of the way in which the notion of subjectivity is worked on by the women who ran the feminist journal Les Têtes de pioche between 1976 and 1978. For the radicals who wrote in it, engaging one’s subjectivity consists first of all in telling one’s experience and putting forward one’s particular point of view – because “the private is political,” one’s experience produces a form of knowledge about society, and the conjunction of all the singulars reveals the common. Feminists thus enter into action as movements and situated, subjective and collective identities, while reflecting on how they need to articulate common interests and the singularities of each woman. However, the end of Les Têtes de pioche is marked by conflicts that reveal the difficulty inherent in these militant committed stances: between leftists and radicals, or between heterosexuals and lesbians, the dialogue sometimes seems irreconcilable. The singular experience and private life of each woman clash with the need for a common political struggle, and performing subjectivities ends up leaving them the whole stage: the “committed subjectivities” also sometimes get caught in their own trap.
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La force plurielle du je : la revue Françoise Stéréo
Laurence Patenaude
pp. 27–40
AbstractFR:
La revue en ligne Françoise Stéréo met en oeuvre ce que Michel Lacroix considérait être une stratégie propre au genre de la revue, à savoir une « double signature » à la fois individuelle et collective. Cet article présente un survol des diverses stratégies déployées par la revue afin de mettre en pratique cette configuration aussi polyphonique que commune. Par une étude des registres langagiers et des subjectivités, l’analyse permet d’observer le jeu politique s’opérant dans ce balancier constant entre le singulier et le pluriel. C’est en rattachant ces observations à la notion de filiation que le principe de collectivité, si prisé par les Françoise, se complexifie et se densifie, allant jusqu’à questionner les fondements de la revue.
EN:
The online magazine Françoise Stéréo puts forward a strategy that Michel Lacroix considered specific to the genre of the magazine, a form of “double signature” that is simultaneously both individual and collective. This article seeks to be an overview of the many strategies put forward by the magazine to put into practice a configuration that is equally polyphonic as it is common. Through a study of the language register and subjectivities, the article allows the reader to observe the political game operating within the constant balance struck between the singular and the plural. It is by tying these observations together that the notion of collectivity, so prised by its members, becomes more complex, bringing into question even the fundementals of the journal.
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« Pour lesbiennes seulement » : la revue comme praxis révolutionnaire. Le cas d’Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui
Marie-Andrée Bergeron
pp. 41–54
AbstractFR:
Le présent article tente de situer la revue lesbienne radicale Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui et la pensée lesbienne radicale dans l’ensemble du discours militant (et plus spécifiquement féministe) des années 1970 et 1980, dans le but d’en comprendre la place et la portée critique. Nous verrons que cette revue occupe une place bien singulière dans l’économie discursive féministe à l’époque de sa création, dans la mesure où elle permet le développement théorique d’une pensée qui vise l’affirmation de l’existence lesbienne à l’extérieur du système hétéropatriarcal, lequel serait plutôt aménagé que subverti par les hétéroféministes. Par métonymie, la revue crée un espace intellectuel exogène à une presse féministe, par ailleurs dynamique.
EN:
The present article tries to situate the radical lesbian periodical Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui and the radical lesbian thought in the whole of the militant (and more specifically feminist) discourse of the years 1970 and 1980, with the aim of understanding its place and its critical range. We will see that this periodical occupies a very singular place in the feminist discourse at the time of its creation, insofar as it allows the theoretical articulation of a thought which aims at the affirmation of the lesbian existence outside the heteropatriarchal system, which would be rather arranged than subverted by the heterofeminists; the review creates an exogenous intellectual space to an otherwise dynamic feminist press.
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Trajectoire de Claude Beausoleil jusqu’à la revue Lèvres urbaines : l’émergence d’un lyrisme désengagé au coeur de la cité
Élyse Guay
pp. 55–70
AbstractFR:
Cet article s’attache à analyser un florilège de poèmes fortement spatialisés parus dans la revue Lèvres urbaines (1983-). L’autrice centre surtout son regard sur le travail des deux premiers directeurs de la publication, Claude Beausoleil et Michael Delisle. En suivant la trajectoire de Beausoleil, elle montre les transformations successives de l’avant-garde formaliste et contre-culturelle, qui capitalise sur les thématiques de l’urbanité et de l’américanité pour renouveler son rapport au langage, à la subjectivité et à l’écriture au seuil des années 1980.
EN:
This paper construes a collection of urban poems from the periodical Lèvres urbaines (1983). It mainly analyzes the directors’ production, Claude Beausoleil and Michael Delisle. Through the overview of Beausoleil’s career and position, the author shows the successive transformation in modern literature and counter-culture by using the topics of Americanness and urbanity to alter the language and the subjectivity of the poetry at the beginning of the eighties.
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Généalogie du zine contemporain au Québec : de la personnalisation de la politique à une politique de la mise en commun des intimités
Izabeau Legendre
pp. 71–86
AbstractFR:
Cet article présente une brève histoire des fanzines au Québec. En insistant sur ses racines institutionnelles et économiques, il retrace l’évolution du zine et de son rapport au politique. À partir de quatre publications : Requiem (1974-1979) édité par Norbert Spehner, Yé-yé, journal des musiques d’agrément (1983-1990) édité par Richard Baillargeon, Dirty Plotte (1988-1990) de Julie Doucet, et Ce que je sais de moi (2017) de Shushanna Bikini London, cet article met en lumière le passage d’une « personnalisation de la politique » à une politique de la mise en commun des intimités. Les transformations génériques, institutionnelles, économiques et technologiques encadrant et accompagnant cette transition dévoilent ainsi un processus qui marque la scène montréalaise du zine, renouvelant ainsi son rapport avec la vie culturelle contemporaine.
EN:
This article introduces a brief history of French language zine culture in Quebec. Building on a study of its institutional and economic framework, it addresses the generic transformations of the zine genre as a medium, in relation to its relationship with politics. Four case studies – Requiem (1974-1979), edited by Norbert Spehner; Yé-yé, journal des musiques d’agrément (1983-1990), edited by Richard Baillargeon; Dirty Plotte (1988-1990), edited by Julie Doucet; and Ce que je sais de moi (2017), authored Shushanna Bikini London – are used to illustrate the transition from a “personalization of politics” to a “politics of shared intimacies”. Changes on the generic, institutional, economic, and technological levels, providing the background and accompanying this transition, crystallize Quebec’s zine culture around Montreal’s scene. In turn, Montreal’s zine scene contributes to redefine zine culture’s place in Quebec’s cultural field.
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L’Inconvénient : une ironie essentialiste
David Bélanger
pp. 87–101
AbstractFR:
Cet article se propose d’analyser la position rhétorique de la revue L’Inconvénient, fondée en 1999. Il tente de définir cette position sous la forme de « l’ironie essentialiste », laquelle doit être conçue comme défense des idéaux modernes contre la fête relativiste postmoderne. La démonstration s’appuie sur divers acteurs de la revue ainsi que sur leurs productions, parfois extérieures aux pages du périodique.
EN:
This article analyzes the rhetorical position of the journal L’Inconvénient, founded in 1999. It attempts to define this position in the form of “essentialist irony”, which must be conceived as a defense of modern ideals against the postmodern relativist party. The demonstrations are based on various actors of the journal as well as on their productions, sometimes outside the pages of the journal.
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Engendrements de Tristesse : les coups de revers des progressions en mineur
Anne Caumartin
pp. 103–114
AbstractFR:
Tristesse, un zine lancé en 2017, permet de porter un autre regard sur les modes d’engagement et de mobilisation des revues, comme il réussit à donner à « l’extrême-intime » un poids politique. Tristesse ne s’oppose pas à un groupe ou à une idéologie, ne formule aucune revendication, ne cherche pas quelque avancement. Bien au contraire, Tristesse est une revendication qui refuse d’en être une et se fait ainsi le revers d’une tradition intellectuelle qui n’en a pas pour autant moins de portée; il semble se vouloir, par ses voix essayistiques qui sont « en tristesse » (comme on dit en amour ou en colère), une avenue pour penser et (accepter d’)exister autrement. Cet article présente la synthèse des intentions des fondatrices, expliquées davantage lors d’un entretien. Il analyse brièvement l’esthétique de la revue et tente d’indiquer sa portée rhétorique.
EN:
The zine Tristesse (2017) offers a different perspective on the modes of engagement and mobilization usually associated with literary journals as it shows the political potential of “the extreme intimate”. Tristesse does not oppose a group or an ideology, does not make any demands, nor seeks some sort of social progress. On the contrary, Tristesse is a claim that refuses to be presented as such and thus can be viewed as opposing the intellectual tradition shaped by so many literary journals. Tristesse publishes essayistic voices that are “in sadness” (as we say in love) which mark out an avenue for thinking and existing differently. This article presents the synthesis of the founders’ intentions, analyzes briefly the aesthetics of the journal, and attempts to show its argumentative potential.