Article body

Introduction

Publié en mars 2024, sous la direction d’un collectif d’universitaires, Dialogue citoyen pour l’harmonisation des relations interculturelles se trouve aux Presses de l’Université de Montréal dans la collection Pluralismes. Les auteur·e·s sont : Mireille Tremblay, professeure associée en communication à l’Université du Québec à Montréal et présidente de l’Observatoire québécois de la démocratie; Jorge Frozzini, professeur au département des arts, des lettres et du langage de l’Université du Québec à Chicoutimi et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en communication interculturelle et technologie de gestion en contexte pluraliste; Christian Agbobli, professeur au département de communication sociale et publique et vice-recteur à la recherche à l’UQAM; Bob W. White, professeur en anthropologie à l’Université de Montréal, directeur du Laboratoire de recherche en relations interculturelles et coordonnateur du Réseau des municipalités en immigration et relations interculturelles du Québec et enfin, Nadine Martin, docteure en communication, chercheuse dans le domaine des relations interculturelles et la santé au travail.

Cet ouvrage de 158 pages, écrit dans un langage accessible, s’adresse à un public qui s’intéresse au dialogue comme moyen d’harmonisation des relations interculturelles au Québec. Grâce à un équilibre entre théories et expériences pratiques, le livre peut être lu par un public diversifié : personnes qui évoluent dans le domaine des sciences sociales, dans le monde universitaire (enseignement, recherche, études) ou qui interviennent sur le terrain (milieux politiques et communautaires).

Mise en contexte

Une recherche-action, lancée en 2012, a pris la forme d’une Commission citoyenne multimodale sur les droits et l’harmonisation des relations interculturelles et a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Ce processus a culminé en mai 2016 avec le Sommet citoyen, un événement ouvert au public qui a permis d’explorer l’exercice des droits universels et l’harmonisation des relations interculturelles. La rédaction de cet ouvrage s’est faite à la suite de cette consultation.

Cette recherche-action avait pour objectif de clarifier les enjeux, d’identifier les défis, de développer des connaissances théoriques, d’expérimenter et d’évaluer des pratiques émergentes selon les trois axes du pôle de recherche (droits civils, droits politiques et droits sociaux) pour améliorer la situation des personnes issues de l’immigration. Ce projet repose sur deux approches. La première est basée sur les droits universels, comme les droits civils, sociaux, économiques, culturels ou politiques. La seconde se fonde sur la délibération démocratique et laisse toute la place aux discussions grâce à la création d’un espace ouvert au dialogue et à la prise de décision collective. Le but est de résoudre les tensions interculturelles présentes au Québec.

Plusieurs organismes partenaires issus de la communauté ont été associés au projet, notamment l’Alliance des communautés culturelles pour l’égalité dans la santé et les services sociaux, le Centre d’encadrement des jeunes femmes immigrantes, la Fédération des Travailleurs du Québec, le Mouvement laïque québécois et le Promis, ainsi que d’autres organisations qui ont rejoint les partenaires déjà présents dans la recherche. L’intégration de ces organismes au sein de sept équipes de travail a permis de travailler sur quatre thématiques bien distinctes : 1) droit à la santé, 2) droit au travail, 3) laïcité et diversité religieuse et 4) droit à l’art et à la culture.

Mireille Tremblay et Christian Agbobli ont dirigé les équipes (composées de chercheur·e·s universitaires ou membres de la communauté) et furent responsables de la rédaction du livre. Le sommet avait pour objectif de comprendre la situation des personnes issues de diverses communautés culturelles en matière de droits, en favorisant un dialogue entre les milieux citoyen, communautaire, d’intervention et de recherche et en permettant aux personnes qui se sentaient concernées de participer.

Structure du livre

L’ouvrage est structuré en sept chapitres, chacun abordant un thème central des relations interculturelles. Il s’ouvre sur une introduction qui pose les fondements théoriques de la recherche en mettant l’accent sur l’importance des droits universels et de la délibération démocratique. Un collectif d’auteur·e·s de différentes universités québécoises s’est réparti la rédaction des textes de manière à ce que cette dernière soit réalisée en équipe. Quelques chapitres seulement furent écrits en solo. Le livre adopte une structure qui combine à la fois de la théorie et des récits d’expériences pratiques afin d’aider à la compréhension des obstacles et des conditions favorables à l’harmonisation interculturelle au Québec.

Le premier chapitre, écrit par Bob W. White et Isabelle Comtois, aborde la mobilisation citoyenne. Celle-ci se définit comme un processus d’engagement collectif qui combine participation citoyenne et reconnaissance des différences culturelles, afin de renforcer l’inclusion et l’émancipation des individus en contexte interculturel. White et Comtois présentent deux expériences québécoises d’action collective, mettant en lumière les complémentarités entre l’approche interculturelle et la mobilisation citoyenne. Le premier exemple porte sur la mobilisation à Montréal-Nord après des tensions entre les forces policières et des jeunes issus de l’immigration. Cet exemple illustre la manière dont les approches interculturelles peuvent favoriser un dialogue constructif entre citoyens et institutions et souligne l’importance de l’engagement de la société civile pour améliorer les relations interculturelles au Québec.

La rédaction du deuxième chapitre, « La laïcité de l’État et les droits civils, un dialogue interculturel pour une médiation éthique », fut confié à Mustapha Belabdi et Mireille Tremblay. Ce chapitre traite des droits civils, de la laïcité et de la liberté religieuse, des sujets qui ont suscité des débats houleux au Québec, en particulier en lien avec la loi sur la laïcité de l’État (loi 21). Par exemple, le texte évoque les tensions autour du port du voile dans les écoles publiques et la question de l’égalité de traitement dans l’espace public. Les débats autour des accommodements raisonnables, en 2007, sont illustrés par des études de cas tirées des archives juridiques et des décisions des commissions d’enquête publique, notamment celles de la Commission Bouchard-Taylor. Ces cas mettent en lumière les tensions entre la reconnaissance des droits religieux et la défense de la laïcité au Québec.

Le troisième chapitre, « Les droits culturels et les artistes issus de la diversité », a été rédigé par Jérôme Pruneau. Celui-ci s’appuie sur des statistiques et des entretiens avec des artistes pour montrer les obstacles que les artistes de la diversité rencontrent pour accéder à une visibilité égale dans le paysage artistique québécois. Un exemple clé est l’analyse de la sous-représentation des artistes issus de communautés culturelles dans les grands festivals artistiques, comme le Festival de jazz de Montréal ou les célébrations de la Fête nationale.

Le quatrième chapitre, « Engagement syndical et intégration des migrants sur le marché du travail », explore les enjeux de l’intégration des migrants sur le marché du travail à travers l’analyse de l’engagement syndical. Marie-Josée Lorrain et Cécile Nicolas discutent d’exemples concrets de syndicats qui ont développé des programmes pour faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers ou la formation des migrants dans des secteurs clés comme la construction et la santé. Le texte présente des témoignages de personnes migrantes en situation de travail, ce qui illustre les obstacles (comme la non-reconnaissance des diplômes, une maîtrise inadéquate du français, des préjugés à leur sujet ou un réseau restreint) qu’elles rencontrent pour accéder à des emplois qui correspondent à leurs qualifications.

Le chapitre cinq, « Reconnaissance des compétences des migrants », offre une suite au chapitre quatre. Jorge Frozzini approfondit l’analyse des défis auxquels les personnes migrantes font face pour faire reconnaître leurs compétences sur le marché du travail québécois. À travers des études de cas, Frozzini présente des exemples de réussites et d’échecs d’individus qui tentèrent d’intégrer, à un certain moment de leur vie, le marché du travail. Le texte met en lumière les initiatives gouvernementales telles que les programmes de reconnaissance des acquis et les stratégies d’inclusion des personnes nouvellement arrivées, et discute des limites de ces programmes, notamment le manque de soutien et d’accompagnement adapté pour faciliter l’intégration professionnelle des personnes immigrantes.

Le sixième chapitre, « Le système sociosanitaire et les relations interculturelles », porte sur les relations interculturelles au sein du système de santé québécois. Les auteures, Catherine Montgomery, Émilie Tremblay et Lilyane Rachédi, y abordent des exemples de malentendus culturels entre professionnels de la santé et patients issus de communautés migrantes. Par exemple, elles décrivent le cas d’une patiente d’origine africaine dont les croyances traditionnelles concernant la maladie entraient en conflit avec les pratiques médicales occidentales. À partir de ce cas, les auteures démontrent l’importance de la formation interculturelle pour le personnel soignant afin de favoriser une meilleure compréhension et une adaptation des services de santé aux besoins de l’ensemble de la population.

Le dernier chapitre, « Droits politiques des personnes immigrantes », explore notamment l’accès à la citoyenneté et la participation aux élections locales des personnes migrantes. Cheolki Yoon donne l’exemple des initiatives municipales qui visent à accorder le droit de vote aux résidents permanents lors des élections municipales. Yoon examine les implications d’une telle mesure et discute des perspectives pour une plus grande inclusion des personnes immigrantes dans les processus démocratiques québécois.

Contribution à la littérature scientifique

Cet ouvrage apporte une contribution importante à divers domaines des sciences sociales, en raison des divers enjeux interculturels abordés. Les différents chapitres allient théorie et pratiques sociales pour mieux comprendre et résoudre les tensions interculturelles au Québec. D’un point de vue anthropologique, le livre aborde plusieurs domaines.

Le premier domaine est celui de la communication interculturelle. Cette dernière est importante tout au long du livre, malgré le fait que sa description dans le livre soit idéaliste. Le but de la recherche-action qui a mené à ce livre avait pour but de former un comité citoyen afin de permettre des avancées dans le domaine. Malheureusement, le comité est mort-né et une seule rencontre a eu lieu. Pourtant, le livre démontre que la communication interculturelle est un outil concret pour surmonter les différences et les incompréhensions entre communautés, comme les chocs discriminatoires qui peuvent causer certaines frictions lors de projets interculturels. Les auteur·e·s soulignent que le dialogue interculturel est beaucoup plus qu’un simple échange de mots, car il est plus profond qu’une simple discussion et qu’il se développe dans des espaces significatifs où chaque partie peut exprimer et négocier ses positions dans le but d’une compréhension mutuelle. Ainsi, la communication entre différentes communautés peut permettre de surmonter les incompréhensions. Finalement, l’ouvrage enrichit la compréhension des dynamiques de dialogue et de négociation entre cultures.

Un autre domaine mentionné est celui de la politique. Le livre met l’accent sur la délibération démocratique. Définie comme un processus essentiel qui va au-delà de la simple prise de décisions, la délibération démocratique demande du temps, des ressources et une posture d’humilité pour atteindre une meilleure compréhension de l’autre et réussir la recherche d’un compromis. Ce processus rejoint celui du dialogue citoyen, qui est également fondé sur l’échange de points de vue divers et la formulation collective de solutions. En contexte interculturel, le dialogue citoyen va plus loin en incluant une dimension pratique, avec la narration des récits, ce qui faciliterait ainsi la compréhension des situations uniques de chaque individu et l’identification de stratégies d’harmonisation relationnelle entre groupes. Ces deux processus visent à favoriser la cohésion sociale et la promotion d’une citoyenneté active, ce qui est crucial pour étudier la manière dont les processus politiques peuvent soutenir l’inclusion des divers groupes culturels. Cette réflexion est également pertinente en recherche urbaine et sur les migrations, en particulier dans la gestion des tensions interculturelles au sein de villes multiculturelles comme Montréal. Cela permet d’aborder les enjeux de cohabitation et d’intégration des trajectoires migratoires dans des environnements urbains.

La recherche sur les droits et la citoyenneté aborde la reconnaissance des droits culturels et politiques des personnes migrantes, leurs contributions aux débats sur la manière dont les États et les sociétés traitent la diversité et garantissent des droits égaux à tous les citoyens. Le dernier domaine abordé dans le livre est la dimension religieuse, car les questions de laïcité et de diversité religieuse y sont présentées dans un chapitre. Ainsi, le livre éclaire les relations entre l’État et les communautés religieuses, ainsi que les enjeux liés à la coexistence de pratiques religieuses dans des espaces publics.

Dimensions éthiques

Pour enrichir les réflexions sur l’harmonisation interculturelle, trois dimensions éthiques ressortent du texte. Premièrement, la reconnaissance de l’autre demeure importante. Que ce soit son identité ou ses droits, l’autre a accès à une diversité d’apparences qui l’aide dans la construction de sa propre identité. Toutefois, cette diversité d’apparences, souvent perçue à travers des caractéristiques visibles comme la couleur de peau, peut aussi générer des obstacles liés aux préjugés et stéréotypes, avant de pouvoir réellement favoriser l’égalité. La deuxième dimension éthique favorise la délibération démocratique. Cela fait en sorte que chaque individu peut participer activement à la délibération et à la gestion des affaires publiques. Quant au dernier point, l’éthique de la convivialité, il démontre l’importance des émotions démocratiques pour un meilleur vivre ensemble. Ces émotions, notamment l’empathie et la compassion, jouent un rôle crucial dans la négociation des différences et la création de liens sociaux. Elles incitent les individus à rechercher non seulement un changement pour eux-mêmes, mais aussi pour autrui, ce qui renforcerait le tissu social. Cette négociation se fait bien au-delà des institutions et des droits, soulignant que le bien vivre ensemble repose également sur une dimension affective qui favorise la solidarité et l’harmonisation des relations interculturelles.

Au regard de ces trois dimensions éthiques, le livre amène donc le lectorat à une réflexion collective qui les intègre à la définition de la citoyenneté. Cette réflexion apporte donc une nouvelle narration du monde qui favorise le dialogue interculturel. Ce dernier a un impact sur le bien commun par sa richesse et son respect de l’inclusivité des différents points de vue individuels.

Conclusion

Finalement, cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des travaux sur l’interculturalisme au Québec, et se distingue des travaux déjà publiés par son accent sur le dialogue citoyen et la délibération démocratique. Cela offre une perspective plus riche et nuancée que les approches centrées uniquement sur les accommodements raisonnables, comme dans le Rapport Bouchard-Taylor, qui était le résultat d’une commission de consultations publiques dans l’ensemble du Québec. Plutôt que de considérer l’interculturalisme uniquement comme un concept, les auteurs insistent sur sa dimension pratique, ancrée dans la réalité quotidienne, où la création d’espaces de dialogue ouverts permet de désamorcer les tensions interculturelles et de favoriser une coexistence harmonieuse.