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Introduction

Le Canada accueille annuellement un grand nombre de réfugiés et demandeurs d’asile (Agence des Nations Unies pour les réfugiés [UNHCR], 2023). Les enfants représentent 41 % de cette population (UNHCR, 2023). Les écoles primaires et secondaires sont donc des institutions publiques clés pour les accueillir, favoriser leur intégration sociale et leur offrir des mesures de soutien en matière de santé mentale (Beiser et Hou, 2016; Fazel, Garcia et Stein, 2016; Fazel, Hoagwood, Stephan et Ford, 2014).

En tant que fédération dans laquelle chacun des 10 gouvernements provinciaux et des 3 gouvernements territoriaux détient une autorité constitutionnelle en matière d’éducation, le Canada a 13 systèmes scolaires. Les ministères de l’Éducation élaborent des politiques afin de promouvoir la santé mentale des élèves au sein de leur système scolaire, tout en collaborant avec le ministère de la Santé de leur juridiction qui est chargé de la politique provinciale ou territoriale pour l’ensemble du système de santé mentale (Consortium conjoint pancanadien pour les écoles en santé, 2024; Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2024). La présence des enfants réfugiés et demandeurs d’asile varie considérablement à travers et au sein des 13 systèmes scolaires canadiens (Schutte et Milley, 2023). Les politiques éducatives considérant explicitement les élèves réfugiés et demandeurs d'asile et abordant des enjeux liés à leur santé mentale peuvent faciliter la coordination équitable des mesures de soutien au sein de chaque système scolaire canadien (Schutte, Milley et Dulude, 2022).

Le Canada, comme acteur en matière d’affaires mondiales et société d’accueil, reconnaît l’importance pour les enfants réfugiés et demandeurs d’asile d’obtenir le soutien nécessaire pour promouvoir, protéger et améliorer leur santé mentale à toutes les étapes de leur parcours migratoire afin qu’ils puissent réaliser pleinement leur potentiel (Gouvernement du Canada, 2022; Ng et Zhang, 2020). Plusieurs études font état de disparités dans les parcours pré-, péri- et post-migratoires pouvant influencer la santé mentale (exposition à la violence, à la persécution et à la discrimination; faim; séparation de leur communauté) (Frounfelker et al., 2020; Hynie, 2018; Mellor et al., 2021). Pendant l’enfance, le niveau de préoccupations des enfants réfugiés et demandeurs d’asile en matière de santé mentale est plus élevé que chez les pairs qui n’ont pas été déplacés de force (Blackmore et al., 2020). En vieillissant, cette population est deux fois plus susceptible d’éprouver de la détresse (Tong et al., 2021). Il est donc judicieux de s’attarder aux mesures de soutien promues dans les sociétés d’accueil afin de mieux saisir la manière dont elles considèrent la santé mentale de tous, préviennent de manière précoce les problèmes de santé mentale auprès des jeunes à risque et facilitent l’adaptation d’interventions ciblées en fonction de leurs besoins (Fazel et al., 2014; Patel et al., 2018).

Certaines études illustrent le rôle que les écoles dans les sociétés d’accueil peuvent jouer dans l’accessibilité et la concertation des soins en santé mentale pour les élèves réfugiés et demandeurs d’asile (Fazel, et al., 2016; Papazian-Zohrabian, Mamprin, Lemire et Turpin-Samson, 2018). Celles-ci montrent la manière dont l’école peut servir de pont pour les collaborations intersectorielles et interprofessionnelles permettant une meilleure compréhension des besoins thérapeutiques des élèves et des interventions psychosociales appropriées comprenant les personnes significatives dans leur développement (Nadeau et al., 2012). Fazel, Garcia et Stein (2016) indiquent que la plupart de ces élèves préfèrent recevoir les services de santé mentale dans leur école plutôt qu’à l’hôpital ou à la maison parce qu’ils s’y sentent davantage en sécurité. Même si certains sont réticents à s’engager auprès des équipes interprofessionnelles, plusieurs trouvent un réconfort dans le soutien du personnel enseignant (Fazel, Garcia et Stein, 2016).

D’autres écrits montrent des lacunes dans les soins en santé mentale fournis en milieux scolaires canadiens auprès des élèves réfugiés et demandeurs d’asile (Collectif du système de soins scolaire et communautaire [CSSSC], 2022; Nadeau et al., 2012). Le CSSSC (2022) note que la qualité et l’accessibilité des services offerts varient selon les régions à travers le système scolaire ontarien et rendent plus difficile l’harmonisation des mesures de soutien de santé mentale. Par ailleurs, Nadeau et ses collaborateurs (2012) ont relevé des défis aux collaborations intersectorielles et interprofessionnelles dans le système scolaire québécois, en identifiant le manque de ressources pour des interventions multidisciplinaires, la pression à devoir augmenter le nombre d’élèves servis et le temps limité pour développer des relations de confiance.

Ces défis soulignent l’importance des politiques éducatives élaborées par les ministères de l’Éducation des 10 provinces et des 3 territoires canadiens pour harmoniser les objectifs quant au soutien à la santé mentale pour les élèves réfugiés et demandeurs d’asile et pour mettre à disposition des divers acteurs des instruments guidant leurs actions et coordonnant leurs activités à travers un système scolaire (Brewer, 2016; Schutte, Milley et Dulude, 2022). Brewer (2016) estime que les politiques éducatives canadiennes focalisent sur les expériences communes des élèves réfugiés et ignorent leurs besoins individuels et leurs forces, ce qui ne permettrait pas de faire des interventions spécifiques dans les écoles et en classe. Une autre étude (Schutte, Milley et Dulude, 2022) analyse la cohérence entre les objectifs mondiaux de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés et ceux des 13 ministères de l’Éducation canadiens pour cerner les lacunes et les obstacles systémiques qui entraveraient l’implantation de services coordonnés auprès d’élèves réfugiés et demandeurs d’asile relatif à cinq catégories de besoins : l’accès à l’éducation, l'enseignement accéléré, l’enseignement des langues, le soutien psychosocial et l’éducation spécialisée. Pour combler les différences qui peuvent exister entre les connaissances et les compétences des élèves réfugiés et demandeurs d’asile arrivant dans un système scolaire relativement à celles requises pour des élèves de leur âge par le ministère de l’Éducation, l’enseignement accéléré a comme objectif d’aider les élèves à répondre aux attentes du programme pertinent pour eux et de se mettre au niveau de leurs pairs qui continuent à apprendre dans un programme plus avancé (Schutte, Milley et Dulude, 2022). Ces auteurs révèlent qu’il existe des variations considérables entre les objectifs des 13 systèmes scolaires canadiens et que les élèves demandeurs d’asile sont souvent absents des populations bénéficiaires ciblées des services répondant à leurs besoins, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives pour ces élèves.

Des réformes visant à combler les lacunes en matière de soutien à la santé mentale dans les systèmes éducatifs canadiens sont en cours (Commission de la santé mentale du Canada, 2013; Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2024). Des recherches s’avèrent donc nécessaires pour déterminer la manière dont les politiques éducatives dans l’ensemble du Canada visent à apporter un soutien ciblé aux élèves réfugiés et demandeurs d’asile et pour identifier les zones où des efforts concertés sont requis pour répondre aux besoins en matière de santé mentale de manière complète et adaptée.

Objectif

Cette étude analyse la manière dont les politiques éducatives élaborées par les 13 ministères de l’Éducation canadiens, et traitant explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile, abordent leur santé mentale en examinant leurs objectifs, leurs populations ciblées et leurs instruments. Souvent consignée dans un document, une politique éducative désigne une ou plusieurs orientations gouvernementales et engage, une fois promulguée, les instances responsables sur le plan des instruments, des actions et des effets désirés (van Zanten, 2004). Nous avons identifié et analysé les politiques éducatives pertinentes de chaque ministère afin d’obtenir une vue d’ensemble nationale sur leurs apports et leurs limites.

Cadre conceptuel

Notre cadre repose sur deux théories provenant des sciences politiques et de l’implantation des politiques. La théorie de la cohérence politique (Cejudo et Michel, 2017) estime que l’atteinte des finalités escomptées par les politiques est le produit de l’alignement des objectifs, des ressources (pédagogique, politique) et des actions concertées des acteurs de différents paliers de gouvernance. Celle-ci mise sur trois éléments permettant une cohérence politique: i) des objectifs clairs, ii) des populations ciblées et iii) des instruments motivant les populations ciblées à prendre des décisions ou à agir de manière cohérente avec ces objectifs (Cejudo et Michel, 2017; Schneider et Ingram, 1990). La cohérence est un « processus durant lequel les décideurs politiques conçoivent un ensemble de politiques de telle sorte que, si elles sont implantées correctement, elles peuvent potentiellement atteindre un objectif ambitieux » (Cejudo et Michel, 2017, p. 750, traduction). La théorie des instruments politiques (Schneider et Ingram, 1990) postule que les politiques essaient d'amener les acteurs à accomplir des choses qu'ils n'auraient pas pu faire autrement ou à modifier leurs comportements. Les instruments servent de moyens qui traduisent les objectifs politiques en actions concrètes (McDonnell et Elmore, 1987). Selon Schneider et Ingram (1990), il existe cinq types d’instruments : l’autorité, le renforcement des capacités, l’incitation, l’apprentissage et le symbolique (tableau 1). Pour atteindre leurs objectifs, les décideurs politiques choisissent d’intégrer un ou plusieurs types d’instruments. Ils sont appelés à vérifier qui sont les populations ciblées par chaque instrument et les combinaisons possibles pour susciter les changements dans la pratique (Howlett, 2019). La formulation des politiques est analysée par les énoncés de ses objectifs spécifiques (comme le degré de précision des changements souhaités), les populations ciblées (bénéficiaires, responsables de l’implantation et partenaires) et la combinaison des instruments qui interagissent pour influencer les changements à leur atteinte (Cejudo et Michel, 2017; Schneider et Ingram, 1990).

Tableau 1

Définitions des types d’instruments de politique de Schneider et Ingram (1990)

Définitions des types d’instruments de politique de Schneider et Ingram (1990)

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En s’attardant d’abord aux politiques individuelles (c’est-à-dire un énoncé dans un document de politiques qui comprend un objectif, plusieurs populations ciblées et un ou plusieurs instruments) qui traitent explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile (figure 1), le cadre nous permet d’identifier la population ciblée définie en fonction d’une ou de plusieurs caractéristiques spécifiques (c’est-à-dire un groupe d’élèves particulier qui inclut explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile) et l’objectif spécifique de la politique pour cette population ciblée (c’est-à-dire un soutien particulier en matière de santé mentale) (Schutte, Milley et Dulude, 2022). Ce cadre permet d’examiner la manière dont les éléments dispensés (objectifs, populations ciblées et instruments) peuvent interagir pour inciter des actions auprès des populations responsables de l’implantation (personnel enseignant, gestionnaires) afin de réaliser les objectifs politiques. En analysant les éléments visant le même objectif (par exemple, le soutien tenant compte du traumatisme) et en combinant ces analyses pour chaque système scolaire, nous avons pu dresser un portrait de toutes les politiques éducatives pertinentes par ministère et identifié les tendances et les lacunes quant au soutien en matière de santé mentale pour les élèves réfugiés et demandeurs d’asile.

Figure 1

Les éléments constituants d’une politique individuelle

Les éléments constituants d’une politique individuelle
Source : Schutte, Milley et Dulude (2022)

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Méthodologie

Nous avons identifié dans un premier temps (en mars 2020), pour une étude antérieure (voir Schutte, Milley et Dulude, 2022), tous les documents de politiques éducatives des ministères de l’Éducation dans les 10 provinces et 3 territoires canadiens qui sont accessibles au public et qui traitent explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile aux niveaux primaire et secondaire. Notre stratégie de recherche repose sur la recherche des mots clés « réfugié » et « éducation » dans les deux langues officielles du Canada sur les sites Web des gouvernements provinciaux et territoriaux pour identifier et sélectionner les documents pertinents. De l’échantillon de 155 documents de cette étude, nous avons extrait les politiques abordant cinq domaines de besoins utilisant le logiciel d’analyse de données NVivo : l’apprentissage socio-émotionnel, les habiletés concernant la sensibilisation aux réalités des réfugiés, le soutien à l’acculturation, le soutien tenant compte des traumatismes et les liens avec les services spécialisés en santé mentale. Dans un second temps, entre avril 2022 et juillet 2023, nous avons sélectionné le sous-ensemble de documents de mars 2020 abordant la santé mentale (voir Annexe). Ces 106 documents ont d’abord fait l’objet d’une analyse descriptive afin d’identifier et de catégoriser les types de documents de politique composant l’échantillon et leur nombre par système scolaire. Nous avons dégagé quatre types de documents : i) les guides fournissant une déclaration de politique générale ou les protocoles et procédures associées, ii) les mémorandums contenant les amendements aux lois, règlements ou programmes, iii) les lignes directrices des programmes d'études prescrivant des sujets d'enseignement, des résultats d'apprentissage ou des stratégies d'enseignement et d'évaluation et iv) les ressources pédagogiques fournissant des orientations pour l'enseignement ou le soutien aux élèves. Nous avons ensuite analysé leur contenu en fonction des mesures de soutien à la santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile. Utilisant NVivo, nous avons codé et extrait les données sur les objectifs, les populations et les instruments pour chaque système afin d’examiner leur choix et leur combinaison pour coordonner et soutenir les activités liées à santé mentale à l’école (Cejudo et Michel, 2017; Schneider et Ingram, 1990).

Résultats

Nous avons recensé 106 documents de politiques éducatives traitant explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile et de leur santé mentale à travers les systèmes scolaires des 13 gouvernements provinciaux et territoriaux canadiens en mars 2020. Le plus ancien a été publié en 1998, mais la plupart des politiques ont été promulguées entre 2005 et 2020. Ces documents proviennent des 11 ministères de l’Éducation suivants : Alberta (Alb.), Colombie-Britannique (C.-B.), Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), Manitoba (Man.), Nouveau-Brunswick (N.-B.), Nouvelle-Écosse (N.-É.), Ontario (Ont.), Québec (Qc), Saskatchewan (Sask.), Terre-Neuve-et-Labrador (T.-N.-L.) et Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.). Deux ministères n’ont aucun document traitant explicitement de la santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile accessible sur leur site Internet (Nunavut et Yukon). L’Île-du-Prince-Édouard compte le plus grand nombre de documents (20, soit 4 en français et 16 en anglais) et la Nouvelle-Écosse en possède le moins (1, en anglais). Sur l’ensemble des documents, 81 sont en anglais et 25 en français (tableau 2). Environ 81 % des documents sont des guides de ressources (n=47) et des programmes d’études (n=39), qui ciblent le personnel enseignant en classe comme responsables de l’implantation, et 19 % sont des guides de politiques (n=13) et des mémorandums (n=7), qui visent les gestionnaires. Cela indique que le personnel enseignant est considéré comme le principal responsable de l’implantation des mesures de soutien à la santé mentale en milieu scolaire pour les élèves réfugiés et demandeurs d’asile.

Ces documents varient quant à leur degré de spécificité par rapport aux élèves réfugiés et demandeurs d’asile et à la santé mentale. Certains traitent principalement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile et de leur santé mentale et d’autres ne les mentionnent que comme un sous-objectif ou un sous-groupe de la population bénéficiaire ciblée. Par exemple, l’un des programmes d’études en anglais inclut une section sur la santé mentale des élèves réfugiés en les désignant comme faisant partie d’un groupe d’élèves issus de l’immigration.

Tableau 2

Type et nombre de documents, selon le système scolaire et la langue

Type et nombre de documents, selon le système scolaire et la langue

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Description des cinq types de mesures de soutien

Nous avons dégagé cinq types de mesures de soutien que les politiques de notre échantillon mettent à disposition des écoles pour les élèves réfugiés et demandeurs d’asile dans les systèmes éducatifs canadiens explorés : l’apprentissage socio-émotionnel, la sensibilisation aux réalités des réfugiés, le soutien à l’acculturation, le soutien pédagogique tenant compte des traumatismes et l’orientation des élèves ayant des problèmes de santé mentale vers les services spécialisés. Le soutien à l’acculturation est considéré comme étant un soutien en santé mentale parce que la capacité d’adaptation culturelle et le coping ont une influence sur la santé mentale des réfugiés (Choy, Arunachalam, Gupta, Taylor et Lee, Pai 2021; Kuo, 2014). Les cinq mesures peuvent être associées au modèle de la réponse à l’intervention comprenant trois niveaux allant des approches universelles vers les interventions spécifiques en milieu scolaire (Thomas, Grimes et McKevitt, 2008; Vallières, Dubois et Desrochers, 2018). Bien que ce modèle ne fasse pas partie du cadre conceptuel initial, il en éclaircit la coordination des activités entre les populations bénéficiaires ciblées, les objectifs et la spécificité (figure 2). Le premier niveau comprend des mesures de soutien universelles pour tous les élèves afin de promouvoir leur santé mentale (CSSSC, 2022). Ces politiques comprennent l’apprentissage socio-émotionnel et les habiletés concernant la sensibilisation aux réalités des réfugiés. Le deuxième niveau inclut des mesures de soutien destinés aux groupes d’élèves dont les circonstances en justifient une intervention supplémentaire plus spécialisée. Ces mesures ciblent davantage l’acculturation et les traumatismes. Le troisième niveau inclut des interventions spécialisées et individuelles pour les élèves ayant des problèmes de santé mentale. Il s’agit d’identifier les élèves réfugiés et demandeurs d’asile ayant des problèmes de santé mentale et de les orienter vers des services de santé mentale spécialisés.

Figure 2

Modèle de la réponse à l’intervention pour le soutien à la santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile

Modèle de la réponse à l’intervention pour le soutien à la santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile

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Les 11 ministères de l’Éducation disposant de telles politiques varient quant aux types de soutien à la santé mentale qu’ils offrent aux élèves réfugiés et demandeurs d’asile. Quatre ministères (Alb., C.-B., Man., Ont.) proposent les trois niveaux et les cinq mesures de soutien.

Premier niveau : mesures de soutien universelles pour tous les élèves, y compris les élèves réfugiés et demandeurs d’asile

Apprentissage socio-émotionnel. Les politiques de neuf ministères présentent des objectifs visant à favoriser l’apprentissage socio-émotionnel au sein de cette population (Alb., Î.-P.-É., Man., N.-É., Ont., Qc, Sask., T.-N.-L., T.N.-O.). Celles de deux ministères n’en ont pas (C.-B., N.-B.). Ces politiques sont catégorisées de premier niveau puisqu’elles sont destinées à soutenir le bien-être de tous les élèves. Les politiques de trois ministères incluent tous les élèves réfugiés et demandeurs d’asile dans la population bénéficiaire ciblée en les nommant explicitement (Alb., Man., Qc). Les six autres ministères (Î.-P.-É., N.-É., Ont., Sask., T.-N.-L., T.N.-O.) mentionnent explicitement les élèves réfugiés, mais omettent les élèves demandeurs d’asile. Deux de ces ministères incluent des caractéristiques supplémentaires : élèves ayant connu des conflits armés (T.N.-O.) et élèves réinstallés par le biais de l’aide gouvernementale (T.-N.-L.). Le responsable de l’implantation est le personnel enseignant, principalement en sciences sociales ou en anglais langue seconde. Les partenaires ciblés dans tous les systèmes comprennent un éventail de parties prenantes du secteur de l’éducation et d’organisations.

Ces politiques comprennent des instruments d’autorité recommandant ou exigeant l’implantation d’activités associée à l’apprentissage socio-émotionnel (Schneider et Ingram, 1990). Les instruments de nature symbolique encouragent les responsables de l’implantation ciblés à prendre en compte les valeurs sociales qui y sont véhiculées, présumant qu’ils possèdent les mêmes valeurs et les partagent concernant le développement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile. Des instruments de soutien aux capacités sont mis à disposition des personnes chargées de l’implantation d’activités visant à soutenir l'apprentissage socio-émotionnel des élèves, ainsi que des instruments d’apprentissage encourageant l’utilisation de données par le personnel enseignant pour évaluer les progrès des élèves par rapport à ces objectifs.

Sensibilisation aux réalités des réfugiés. Les politiques de dix ministères désignent l’objectif de sensibiliser la communauté scolaire aux réalités des réfugiés (Alb., C.-B., Î.-P.-É., Man., N.-B., N.-É., Ont., Qc, Sask., T.-N.-L., T.N.-O.). Les politiques d’un ministère n’ont pas cet objectif (N.-É.). Huit ministères visent à sensibiliser la communauté scolaire aux expériences contemporaines et historiques des réfugiés (Alb., C.-B., Man., T.N.-O., Ont., Î.-P.-É., Qc, Sask.). Deux visent uniquement à sensibiliser à leurs expériences historiques (N.-B., N.-É.).

L’articulation de ce premier objectif vise à développer chez les élèves une compréhension des enjeux que certains de leurs pairs réfugiés et demandeurs d’asile vivent et à générer du soutien social pour eux. Le dernier objectif n’aborde pas les réalités contemporaines. De plus, les politiques de quatre ministères proposent de fournir un enseignement aux élèves à l’égard des réfugiés contemporains en formulant des objectifs qui les placent dans une situation d’impuissance (Î.-P.-É., N.-B.) ou de vulnérabilité (C.-B., Qc). Par exemple, le programme de sciences sociales de l’Île-du-Prince-Édouard suggère l’activité suivante pour évaluer l’apprentissage : « examiner un article de journal au sujet d’un groupe en situation d’impuissance (ex. : […] les réfugiés religieux) et écrire une lettre au responsable de la rédaction » (Î.-P.-É.01, p. 39, traduction libre).

En ce qui concerne les populations ciblées, les politiques d’un ministère s’attardent uniquement à sensibiliser le personnel (Qc). Celles des neuf autres cherchent aussi à conscientiser les élèves (Alb., C.-B., Î.-P.-É., Man., N.-B., N.-É., Ont., Sask., T.N.-O.). Les politiques de trois ministères considèrent explicitement les élèves réfugiés et demandeurs d’asile comme une population bénéficiaire ciblée dans l’enseignement (Alb., Man., T.N.-O.). Celles de six ministères ne les mentionnent pas explicitement (C.-B., Î.-P.-É., N.-B., N.-É., Ont., Sask.). Cela pourrait limiter chez le personnel enseignant et les autres élèves la prise de conscience de la réalité d’élèves réfugiés et demandeurs d’asile dans leur classe.

La majorité des politiques dans ce domaine situent l’apprentissage des réalités des réfugiés dans un cours spécifique. Les apprentissages visés pour les élèves sont différents selon leur cours, leur année, leur niveau scolaire et leur langue d’enseignement. Au Canada, 42 cours ont été répertoriés afin de conscientiser les élèves aux réalités des réfugiés, répartis dans des cours spécifiques de sciences sociales (n=38), de langue française (n=1), de langue anglaise (n=1), de santé (n=1) et de danse (n=1). Ce constat suggère que les élèves sont amenés à développer une conscience sociale à l’égard des réalités des réfugiés dans des cours spécifiques, à des moments précis de leur scolarité plutôt que tout au long de leur parcours. Les responsables de l’implantation sont le personnel enseignant de ces disciplines spécifiques. Le personnel enseignant en sciences sociales est le seul visé dans trois systèmes (C.-B., N.-B., N.-É.). Quatre ministères réfèrent au personnel enseignant d’une autre matière que celles en sciences sociales (éducation physique au T.N.-O.; danse en Ont.; langue française à Î.-P.-É.; langue anglaise en Sask.). Deux ministères (Alb., Man.) ne précisent pas qui sont les responsables de l’implantation.

Les partenaires ciblés dans tous les systèmes comprennent les organisations des secteurs de l’éducation. Les autres types d’organisations fréquemment ciblés sont les organisations intergouvernementales, internationales non gouvernementales et gouvernementales (ex : les Nations Unies, la Croix-Rouge, le gouvernement du Canada). Les politiques recommandent que les élèves se familiarisent avec le rôle que jouent ces organisations pour répondre aux besoins des demandeurs d’asile et des réfugiés et que le personnel enseignant s’appuie sur ces ressources dans leur enseignement.

Les instruments les plus courants sont ceux d’autorité, c’est-à-dire des instruments qui permettent, interdisent ou exigent une action dans des circonstances déterminées (Schneider et Ingram, 1990). Cinq ministères disposent d’au moins un instrument exigeant que les élèves se familiarisent avec les réalités des réfugiés (Î.-P.-É., N.-B., Ont., Sask., T.N.-O.). Toutefois, ils ne l’exigent qu’une seule fois durant le programme d’études spécifique, à une année scolaire (primaire ou secondaire) ou à un cours durant leurs parcours scolaires. Sept ministères disposent d’instruments d’autorité recommandant l’apprentissage aux réalités des réfugiés (Alb., Î.-P.-É., Man., N.-B., Ont., Sask., T.N.-O.).

Ces recommandations sont présentées en tant qu’exemples de résultats d’apprentissage ou de pratiques pédagogiques. Par exemple, un résultat d’apprentissage dans un programme ontarien est suivi de six exemples de manières dont les élèves peuvent satisfaire aux attentes et un exemple concerne les réfugiés : « Formuler des questions qui orienteront son enquête sur un enjeu de société de portée internationale… (ex : la protection et l’appui aux réfugiés) » (Ont.13, p. 125). Cela pourrait avoir un impact limité sur les apprentissages des élèves, car le personnel enseignant est laissé à lui-même pour décider s’il fait des liens entre un résultat d’apprentissage et la pratique ainsi que la portée de ces liens et la manière de les réaliser. Cinq des neuf ministères visant à sensibiliser les élèves font appel à des instruments complémentaires en cherchant à renforcer la capacité des responsables de l’implantation à enseigner aux élèves (Alb., C.-B., Î.-P.-É., Man., Sask.).

Deuxième niveau : mesures de soutien ciblées pour des groupes d’élèves

Soutien à l’acculturation. Les politiques de sept ministères (Alb., C.-B., Man., Ont., Qc, Sask., T.-N.-L.) énoncent l’objectif de fournir des mesures de soutien à l’acculturation – c’est-à-dire le processus par lequel les pensées, les valeurs, les comportements et les attitudes culturels d’un individu changent par la suite du contact entre deux cultures ou plus (Deslandes, Kaufmann et Anderson, 2024). Les populations bénéficiaires ciblées sont des cohortes plus larges d’élèves dans lesquelles les élèves réfugiés et demandeurs d’asile sont inclus comme un sous-groupe et désignés par des appellations telles que « élèves nouveaux arrivants » et « apprenants d’une langue ». Trois de ces ministères (Alb., C.-B., Man.) font explicitement référence aux élèves réfugiés et demandeurs d’asile, tandis que les quatre autres (C.-B., Ont., Sask., T.-N.-L.) ne font référence qu’aux élèves réfugiés et non aux élèves demandeurs d’asile.

Les populations ciblées par les politiques de ces sept ministères pour l’implantation sont principalement le personnel enseignant en anglais langue additionnelle, mais d’autres membres du personnel de l’école sont également ciblés dans certaines politiques. Quatre provinces (C.-B., Man., Qc, Sask.) ciblent le personnel de soutien comme responsables de l’implantation pour faciliter les partenariats entre les écoles, les familles et les services communautaires. Les partenaires ciblés sont principalement les familles et les organisations de la société civile travaillant auprès des nouveaux arrivants (organismes d’aide à l’établissement, centres d’aide aux réfugiés) (Ont., Man., Qc, Sask., T.-N.-L.).

Les instruments de renforcement des capacités sont les plus courants. Ils offrent des informations sur les processus d’acculturation et des stratégies pour soutenir les élèves. Certaines politiques comprennent des instruments de nature symbolique qui privilégient les activités à symboles valorisés. Cependant, les politiques de deux ministères utilisent un langage pouvant avoir des connotations négatives. Les documents du Québec stipulent que l’intention du soutien à l’acculturation est de prévenir la radicalisation (Qc04, Qc06) et un document de la Colombie-Britannique avance l’intention d’aider les élèves réfugiés à surmonter « les grands obstacles et l’adversité » associés à leurs antécédents culturels, dont « les familles nombreuses/étendues [et] les familles reconstituées », « l’utilisation de langues moins couramment parlées » et « les différents styles parentaux découlant des normes culturelles » (C.-B.06, p. 9, traduction libre).

Soutien aux traumatismes. Les politiques de six ministères mentionnent l’objectif d’offrir aux élèves un soutien tenant compte des traumatismes (Alb., C.-B., Man., Ont., Qc, T.-N.-L.). Les populations bénéficiaires ciblées sont explicitement définies de manière à inclure tous les élèves réfugiés et demandeurs d’asile. Cependant, les instruments à la fois de nature symbolique et de renforcement des capacités limitent leurs bénéficiaires aux élèves qui ont vécu un conflit armé et excluent par omission ceux dont les besoins en santé mentale sont liés à d’autres expériences traumatisantes durant leurs parcours pré-, péri- et post-migratoires.

Les responsables de l’implantation sont le personnel enseignant d’anglais langue additionnelle dans quatre systèmes (C.-B., Man., Ont., Sask.) et le personnel enseignant de français langue additionnelle dans un système (Qc). Les politiques du sixième ministère (Alb.) ne précisent pas qui sont les responsables de l’implantation. Les partenaires ciblés sont les universités qui peuvent servir de ressources aux responsables de l’implantation pour renforcer leur capacité à fournir un soutien tenant compte des traumatismes (programmes des facultés d'éducation pour le personnel enseignant en fonction, projets de recherches sur la santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile). Les organisations travaillant auprès des réfugiés, demandeurs d’asile et nouveaux arrivants sont aussi ciblés comme partenaires (comme les organismes d’aide à l’établissement).

Des instruments visent souvent le renforcement des capacités et l’apprentissage. Certains fournissent des informations sur des expériences des élèves réfugiés et demandeurs d’asile et leurs répercussions sur la santé mentale. D’autres proposent que les responsables de l’implantation acquièrent des connaissances et des compétences pour mettre en place des mesures de soutien qui prennent en compte des traumatismes pré-, péri- et post-migratoires.

Troisième niveau : mesures de soutien spécialisées pour certains élèves

Liens avec les services de santé mentale. Les politiques de six ministères (Alb., C.-B., Man., Ont., Sask., T.-N.-L.) qui traitent explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile énoncent l’objectif d’identifier les élèves ayant des problèmes de santé mentale et de les mettre en contact avec des services spécialisés. Les trois problèmes de santé mentale les plus fréquemment ciblés sont l’anxiété, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et la dépression. Le degré de spécificité de ces objectifs varie quant aux élèves réfugiés et demandeurs d’asile et aux problèmes de santé mentale. Les objectifs qui ciblent la population scolaire plus large, incluant les élèves réfugiés et demandeurs d’asile, tiennent compte d’un large éventail de problèmes de santé mentale. Cet éventail est donc réduit à l’anxiété, le TSPT et la dépression lorsque les politiques abordent uniquement les élèves réfugiés et demandeurs d’asile. Les politiques d’un ministère (Ont.) se focalisent sur la sur-spécification des élèves originaires de Syrie au moment de l’initiative canadienne de réinstallation des réfugiés syriens en 2015-2016 et de leurs problématiques spécifiques (Ont.15, Ont.16, Ont.17, Ont.19).

Plusieurs responsables de l’implantation des politiques sont identifiés. Dans certaines politiques, le personnel enseignant d’anglais langue additionnelle et le personnel scolaire participant à l’évaluation initiale des nouveaux élèves y sont spécifiés, tandis que d’autres mentionnent le personnel enseignant et le personnel de soutien au sens plus large. Les gestionnaires sont ciblés pour mettre en oeuvre les politiques connexes au niveau du système et de l’école. Les partenaires ciblés sont les familles ainsi que les professionnels et les organisations de la santé mentale (conseillers, psychologues, psychiatres, ministères de la Santé).

Les politiques de six ministères (Alb., C.-B., Man., Ont., Sask., T.-N.-L.) mettent à disposition des instruments à la fois de nature symbolique et de renforcement des capacités. Certaines soulignent l’importance du rôle des écoles dans le bien-être des enfants. D’autres fournissent des informations sur des problèmes spécifiques de santé mentale et la stigmatisation qui en découle ainsi que des ressources vers lesquelles orienter les élèves. Deux ministères (Ont., T.N.-O.) utilisent des instruments de renforcement des capacités référant à la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) pour fournir des informations sur les problèmes de santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile. Cela pourrait entraîner des conséquences négatives si c’est utilisé par le personnel scolaire pour comprendre les troubles liés au stress et aux traumatismes, car c’est une édition désuète qui n’en reflète pas les connaissances actuelles (Pai, Suris et North, 2017).

Discussion

Cette étude fournit un aperçu des apports et des limites des politiques éducatives visant explicitement les élèves réfugiés et demandeurs d’asile et proposant des mesures de soutien à leur santé mentale dans l’ensemble du Canada. Ancrée dans la théorie de la cohérence politique (Cejudo et Michel, 2017) et la théorie des instruments politiques (Schneider et Ingram, 1990) articulées dans le cadre conceptuel, cette étude souligne la manière dont les politiques abordent la santé mentale en tenant compte de leurs objectifs, des populations ciblées ainsi que des instruments mis à la disposition des responsables de l’implantation pour répondre aux problématiques en santé mentale. Notons que le degré de spécificité relevant des objectifs et des populations ciblées est parfois trop élevé. Le fait de cibler des groupes d’élèves spécifiques selon des caractéristiques précises tels que le statut juridique (comme les élèves réfugiés réinstallés), la voie d’accès au Canada (comme le programme des réfugiés pris en charge par le gouvernement), le pays d’origine (comme la Syrie) et les motifs de protection des réfugiés (comme les conflits armés) peut amener à exclure par omission d’autres élèves susceptibles de bénéficier de soutien. La sur-spécification exclut aussi d’autres élèves qui auront besoin de soutien, tels que les enfants qui sont de plus en plus déplacés dans un contexte de catastrophes environnementales et de changement climatique (Agence des Nations Unies pour les réfugiés, 2024).

Nous avons observé aussi la manière dont ce degré de spécificité formulé pour les responsables chargés de l’implantation attribue la responsabilité pour certaines mesures à des groupes restreints d’acteurs scolaires. Par exemple, le principal responsable chargé de développer et de soutenir la sensibilisation aux réalités des réfugiés est le personnel enseignant en sciences sociales qui, dans de nombreux cas, ne dispense qu’un seul cours. Or le fait de compter sur des membres spécifiques du personnel enseignant pour intervenir dans des situations particulières et mettre en oeuvre les mesures de soutien auprès des élèves pourrait réduire la qualité et l’efficacité des interventions visant à réaliser les objectifs politiques (Schneider et Ingram, 1990). Nous avons identifié certaines lacunes quant aux objectifs et à leur formulation à l’égard de la sensibilisation aux réalités des réfugiés. Ces lacunes sont inquiétantes dans le contexte post-migratoire actuel où les sentiments anti-réfugiés augmentent et où plusieurs jeunes réfugiés et demandeurs d’asile font face à de la discrimination et à de la violence (Frounfelker et al., 2020). De plus, nous avons constaté que la formulation des causes possibles liées à la santé mentale dans quatre systèmes (C.-B., Î.-P.-É., N.-B., Qc) est déficitaire concernant les réfugiés et les demandeurs d’asile. Cela peut entraver l’appui social de ces derniers ou susciter des interactions négatives sur le terrain (Frounfelker et al., 2020).

Ces constats réaffirment aussi le rôle des ministères de l’Éducation et des instruments qu’ils mettent à disposition auprès des écoles, et particulièrement dans l’accompagnement des changements pédagogiques (Woulfin, 2016), pour renforcer la coordination des activités liées à la santé mentale des élèves. Les instruments peuvent varier en force ou en influence sur la pratique et en importance quant aux liens étroits qu’ils créent avec ce qui se passe dans la pratique pour atteindre les objectifs (Datnow et Park, 2012). Notre étude a permis d’examiner les choix et les combinaisons d’instruments associés à cinq types de mesure de soutien et d’en dégager les apports et les limites potentielles pour la pratique. Par exemple, selon la théorie de la cohérence des politiques (Cejudo et Michel, 2017; Howlett, 2019), la sélection et la combinaison des instruments des politiques visant à sensibiliser les élèves aux réalités des réfugiés pourraient influencer et renforcer l’importance d’apporter des changements dans la pratique. D’une part, la combinaison d’instruments visant à renforcer les capacités du personnel enseignant quant à la manière d’enseigner et d’instruments d’autorité qui exigent de se familiariser ou d’évaluer les apprentissages pour renforcer les recommandations peut révéler l’importance d’intégrer ces instruments dans la planification et dans l’enseignement. D’autre part, les instruments de renforcement des capacités qui fournissent au personnel scolaire des informations spécifiques sur les élèves qui ont vécu un conflit armé mais omettent les besoins en santé mentale liés à d’autres expériences traumatisantes durant leurs pré-, péri- et post-parcours migratoires et leurs répercussions sur les parcours des élèves réfugiés et demandeurs d’asile (Papazian-Zohrabian et al., 2019) sont susceptibles de réduire en force et en importance les résultats visés. L’absence d’instruments d’autorité complémentaires pour signaler l’obligation d’intégrer les diverses expériences pourrait créer une incompréhension quant à l’importance de cette diversité. Lorsqu’il est question de diriger les élèves vers les services spécialisés en santé mentale, certains instruments de renforcement des capacités présentent une ambiguïté quant aux rôles de certains professionnels dans la prestation de ces services, ce qui pourrait constituer une limite à l’implantation.

Retombées politiques

Les ministères de l’Éducation possèdent la responsabilité d’orienter et d’orchestrer la cohérence entre les politiques, les programmes et les divers instruments provenant des différents paliers de gouvernance (Schutte et al., 2022). Ces trois constats ont pour but d’informer les décideurs politiques sur les améliorations possibles quant aux politiques éducatives concernant la santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile.

Premièrement, les politiques relatives à l’apprentissage socio-émotionnel et plus particulièrement à la sensibilisation sociale pourraient être révisées afin d’inclure explicitement les élèves réfugiés et demandeurs d’asile et assurer une meilleure représentation des réalités. La mise à disposition d’instruments renforçant les capacités des responsables de l’implantation ciblés semble essentiellement se concentrer sur le contenu à enseigner auprès des élèves, mais très peu sur la manière d’enseigner ces habiletés et de soutenir les apprentissages entre les pairs afin de conscientiser tous les élèves.

Deuxièmement, dans la révision des politiques éducatives, les décideurs politiques pourraient considérer les traumatismes pré-, péri- et post-migratoires à la condition de réfugié et à d’autres expériences négatives vécues pendant l’enfance qui peuvent être liée ou non aux expériences de réfugiés et leurs répercussions sur les parcours scolaires. Les instruments de six ministères ayant des politiques dans ce domaine visent spécifiquement les élèves réfugiés et demandeurs d’asile qui ont fui un conflit armé. Cependant, les conflits armés ne sont qu’une des nombreuses raisons pour lesquelles une personne peut demander ou obtenir l’asile au Canada (Gouvernement du Canada, 2023a et 2023b). Les décideurs sont conviés à repenser à l’ensemble des autres mandats politiques (comme une gestion axée sur les résultats et la performance scolaire), des instruments (choix et combinaison pour des actions concertées entre paliers de gouvernance) et des conditions organisations (temps et espace alloués) susceptibles de faciliter l’implantation de ces politiques.

Troisièmement, les politiques éducatives tireraient bénéfice de la clarification des rôles et responsabilités des professionnels de l’éducation et d’autres groupes d’intervenants et d’une répartition plus large et plus variée. Par exemple, les politiques concernant la sensibilisation aux réalités des réfugiés pourraient cibler non seulement le personnel enseignant en sciences sociales, mais aussi d’autres personnels et gestionnaires afin d’assurer la responsabilité de l’implantation auprès du plus grand nombre et de réaliser les changements escomptés.

Pistes de recherches futures

Cette étude a porté sur les politiques éducatives provinciales et territoriales canadiennes qui traitent explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile et de leur santé mentale, et ce, afin d’avoir une vision systémique des réponses politiques en mars 2020 et d’en saisir les apports et les limites. Commençant en mars 2020, les pressions liées à la pandémie de COVID-19 ont mis en évidence les lacunes dans le soutien à la santé mentale à travers le Canada et ont précipité des réformes liées à la santé mentale dans les systèmes scolaires canadiens (CSSSC, 2022). Identifiant les lacunes dans les politiques éducatives traitant explicitement des élèves réfugiés et demandeurs d’asile en mars 2020, cette étude montre les zones où des efforts concertés sont requis pour répondre aux besoins en matière de santé mentale de manière complète et adaptée. Une limite de l’étude est qu’elle n’inclut pas les politiques éducatives promulguées après mars 2020.

Cette étude porte sur les politiques éducatives des ministères de l’Éducation des 13 gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada. Des pistes de recherches futures pourraient explorer la cohérence systémique en tenant compte des paliers intermédiaires et de leurs politiques locales. Les études montrent que, pour apporter des changements en profondeur, tous les acteurs du système (ministère, organisations scolaires, écoles) sont appelés à mettre en place des actions concertées auprès des parties prenantes (Cohen, Moffitt et Goldin, 2007; Fullan, Quinn et Adam, 2018). De nouvelles recherches permettraient de comprendre le rôle des politiques locales et des programmes de soutien à la santé mentale en complémentarité avec celles des ministères qui ont une influence sur la coordination des services et des mesures de soutien en santé mentale. D’autres études pourraient observer la dimension « subjective » de cette cohérence, c’est-à-dire saisir l’interprétation des acteurs locaux (personnel enseignant ou gestionnaires) utilisant les instruments mis à leur disposition pour soutenir les élèves réfugiés et demandeurs d’asile dans leur école (Hodge et Stosich, 2022). Bien que cette étude dégage cinq types de mesures proposées par les politiques éducatives aux milieux scolaires, il n’est pas possible de vérifier si les acteurs locaux les connaissent ou les utilisent afin de répondre de manière ciblée et exhaustive aux besoins en santé mentale des élèves réfugiés et demandeurs d’asile.