Article body

Introduction

Avec les mouvements de populations, les entreprises ont de plus en plus souvent des employés de diverses cultures, augmentant ainsi non seulement les rencontres interculturelles mais aussi les difficultés qui peuvent les accompagner. Il est alors nécessaire d’adapter les modes de communication afin d’éviter les malentendus. Pour permettre aux employés de ces entreprises d’améliorer la communication entre eux, nombreux sont celles et ceux qui proposent des formations interculturelles. C’est justement ce que propose l’auteure du livre, Christine Bonnot (ingénieure et formatrice consultante). Sa proposition a pour objectif d’amener le lecteur à réfléchir aux enjeux interculturels et de fournir des outils (à déployer dans des formations) pour améliorer les interactions entre personnes de cultures différentes en entreprise.

Un livre en deux parties

Le livre peut être divisé en deux parties distinctes : un premier chapitre consacré à la description de la formation proposée avec plusieurs exercices offerts aux participants, puis une seconde partie (les chapitres 2, 3 et 4) présentant différentes situations interculturelles ainsi qu’une méthodologie alimentant la réflexion du lecteur. L’objectif de ce livre est de partager une expérience sur les enjeux des rencontres interculturelles et d’apporter des solutions pour fluidifier les interactions. L’auteure s’appuie sur une méthodologie axée sur la communication interculturelle selon trois objectifs : 1) prendre conscience de l’influence de la culture sur les comportements afin de prendre de la distance , 2) connaître les outils de décodage des comportements pour mieux les comprendre et 3) s’approprier une méthodologie pour résoudre les conflits et trouver les équilibres.

Première partie

Pour répondre aux trois objectifs, Christine Bonnot propose une formation donnée sur 5 jours qui a été développée au fil de ses expériences et de ses rencontres. Cette formation est en trois phases : l’identification, qui répond à l’objectif 1, le décodage, qui répond à l’objectif 2, puis la résolution, qui répond à l’objectif 3. Chaque phase possède un objectif, des sous-objectifs, un mode d’évaluation, un mouvement pédagogique et les savoirs (savoir, savoir-être, et savoir-faire) acquis dans chaque phase. Une fois cette présentation générale faite, la présentation détaillée du programme de chaque journée de formation est présentée, puis on retrouve la description de chaque exercice proposé.

C’est à la présentation générale de la formation et à la description des exercices qu’est consacré le premier chapitre du livre. Les exercices proposés répondent à des objectifs précis présentés au tout début de la fiche de l’exercice. Par la suite, le contenu de l’exercice et les modalités de mise en pratique sont bien détaillés afin qu'on puisse reproduire facilement chaque exercice, que ce soit dans une formation interculturelle ou dans un autre contexte. Par exemple, un exercice autour de l’utilisation de photos a pour objectif, entre autres, d’aborder les concepts d’ethnocentrisme et d’ethnorelativisme. Il permet aux participants de se rendre compte de la différence de réalité entre les individus. Pour chaque exercice, les données pratiques sont présentées : nombre de participants requis, durée de l’exercice, matériel nécessaire et disposition de la salle. Le déroulé exact et le temps consacré à chaque étape de l’exercice sont ensuite précisés. Cela permet de pouvoir reproduire à l’identique l’exercice sans avoir à faire appel à la formatrice. Chaque exercice vise à répondre à l’un des trois objectifs présentés.

Ce premier chapitre possède également des explications théoriques ayant pour références principales Le management interculturel de Gauthey et Xardel (1993) et Les différences culturelles dans le management : comment chaque pays gère-t-il ses hommes ? de Bollinger et Hofstede (1987). Cela illustre l'orientation plutôt managériale de l’interculturalité, qui se présente également sous la forme d’exercices de mises en situation dans le monde de l’entreprise. Il y a également des définitions selon les exercices proposés afin de clarifier certaines thématiques, comme la définition de « stéréotypes » ou encore ce que sont les valeurs. Il y a également des exemples de discussions que les intervenants ont eues avec les participants lors des formations, ce qui permet d’avoir une idée de l’impact de la formation sur les participants. Globalement, la formation semble avoir un effet positif auprès des participants, qui rapportent avoir eu une prise de conscience de leurs « normes intériorisées » (p. 72) ou qui ont mentionné d’éventuels chocs culturels dans certaines interactions (p. 128).

Seconde partie

Les chapitres 2, 3 et 4 fournissent des exemples de situations interculturelles et indiquent comment il est possible de les traiter en 3 étapes : analyse des indicateurs (différences entre les protagonistes qui sont mises en avant, caractéristiques de chaque personne), traduction culturelle (ce qui est important pour chaque protagoniste) et reformulation (comportement à adopter pour atteindre l’objectif, avec les actions à adopter dans l’immédiat, à court terme et à long terme). Chaque chapitre s’intéresse à un contexte particulier : le chapitre 2 concerne le milieu de l’entreprise et de l’enseignement, le chapitre 3 le monde social et le chapitre 4 est consacré au milieu de la santé. Ces trois chapitres ont tous la même construction : description de situations interculturelles et réflexion en passant par les 3 étapes présentées précédemment. Cette présentation permet de se familiariser avec un autre mode de pensée et de travailler sur une nouvelle approche des rencontres interculturelles. Le fait de proposer 3 chapitres sur cette méthode permet au lecteur de pouvoir acquérir certains réflexes de pensée afin d’être plus ouvert lors des rencontres interculturelles.

Commentaires sur le livre

Point de vue scientifique

Qu'il s'agisse de la méthodologie utilisée dans les chapitres 2, 3 et 4, qui ressemble à celle de Cohen-Emerique avec la méthode des chocs culturels (Cohen-Emerique, 2015), ou encore de la présentation du passage de l’ethnocentrisme à l’ethnorelativisme dans la préface, qui semble tirée du modèle de Bennett (1986), les références scientifiques associées ne sont pas précisées. Il en est de même pour les trois objectifs présentés, qui se rapprochent pourtant de plusieurs modèles des compétences culturelles et interculturelles comme celui de Sue (1982) et le modèle des 3 savoirs présent dans plusieurs modélisations des compétences culturelles. On peut donc noter que les conceptions théoriques et pratiques présentées sont pertinentes, mais que malheureusement il n’est fait aucune référence aux travaux clés dans ce domaine. De plus, la bibliographie à la fin de l’ouvrage semble plus être une liste de recommandations de lecture qu’une bibliographie scientifique permettant de retrouver les références citées dans le corps du livre. Néanmoins, ces recommandations sont pertinentes et permettent au lecteur de pouvoir, s’il le souhaite, approfondir ses connaissances.

Concernant les exercices présentés dans le premier chapitre, l'auteure ne présente pas d’évaluation de leur efficacité. On peut supposer que ces exercices fonctionnent, dans la mesure où ils sont mentionnés dans le livre et que certains témoignages de participants sont en leur faveur, mais une évaluation qualitative ou quantitative permettrait d’asseoir leur intérêt dans les formations interculturelles. C’est une limite que l’on retrouve dans plusieurs ouvrages de ce type, les auteurs proposant des exercices pour développer des compétences mais sans qu'on en connaisse l'efficacité. On retrouve par exemple la même limite dans le manuel A handbook for developping multicultural awareness (Pedersen, 1988).

Point de vue pratique

Les détails donnés pour chaque exercice permettent de le reproduire facilement dans différents contextes, ce qui constitue un atout de taille de ce livre. En effet, d’autres publications proposent des exercices pour des formations interculturelles mais sans le même degré de détail, ce qui fait qu’il y a toujours une part d'imprévu quand une personne veut les reproduire.

Le fait d’utiliser des exemples concrets de situations vécues par des participants à la formation et des discussions qui ont eu lieu durant la formation rend la lecture facile, fluide et rapide. Chaque terme qui semble technique est expliqué avec des exemples ou des modélisations, comme pour le tableau de la construction de la culture. On peut donc avoir plusieurs niveaux de lecture : s’intéresser uniquement aux exercices proposés ou ajouter également des connaissances plus théoriques.

Concernant les cas présentés dans les chapitres 2, 3 et 4, dans l’analyse des indicateurs, qui sont les caractéristiques des personnes présentées dans chaque situation, Christine Bonnot s’intéresse uniquement aux différences qu’il y a entre les protagonistes et non aux similarités, ce que propose pourtant Cohen-Emerique (2015), car ces similarités sont utilisables pour résoudre les conflits et créer du lien entre les personnes. Par ailleurs, la résolution des cas présentés ne repose que sur la connaissance de l’autre culture et non sur les autres dimensions des compétences culturelles, qui sont pourtant abordées dans le chapitre 1. Par exemple, il n’y a pas vraiment de réflexion sur la façon dont la personne s’est sentie dans la situation, quelles ont été ses pensées automatiques. La manière de résoudre la situation implique souvent de mieux connaître l’autre culture mais non de mieux se connaître soi-même. Néanmoins, la variété des situations présentées permet au lecteur de trouver une situation qui fasse écho à quelque chose qu’il a déjà vécu et donc de transposer la méthode d’analyse à sa propre situation. Il peut ainsi s’approprier la méthode d’analyse ainsi que d’autres caractéristiques abordées tout au long du livre, comme la notion de choc culturel ou celle de stéréotype.

Conclusion

Le livre proposé par Christine Bonnot s’adresse aux professionnels de terrain dans la mesure où il propose des exercices intéressants et pertinents pour développer ses compétences dans un contexte interculturel. De plus, les détails donnés pour chaque exercice permettent d’avoir toutes les informations nécessaires pour le reproduire sans difficulté. En ce qui concerne le point de vue scientifique, ce livre présente plusieurs limites notamment concernant la portée pratique des exercices proposés ainsi que le manque clair de références scientifiques. Finalement, malgré le fait que certains aspects auraient pu être approfondis, ce livre est un outil de formation intéressant sur lequel s’appuyer et s’inspirer pour des formations.