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Les femmes et filles autochtones au Canada courent un risque accru d’être victimes d’un type de violence quelconque au cours de leur vie, comparativement au femmes et filles allochtones. Cet enjeu reçoit de plus en plus d’attention, alors que les communautés autochtones et leurs allié·e·s demandent le respect des droits des femmes autochtones à la santé, à la sécurité et à la justice. Les conséquences du colonialisme dans les pays comme le Canada perdurent, créant un contexte dans lequel les femmes autochtones sont vulnérables aux violences perpétrées tant par les individus que par les institutions.

Les chercheuses et chercheurs travaillant sur cet enjeu au Canada et ailleurs recommandent de mener des recherches répondant aux besoins locaux, privilégiant les voix communautaires et incluant la dissémination des résultats aux communautés pour améliorer les pratiques et les interventions. Alors que plusieurs études sur les violences faites aux femmes autochtones au Québec ont été menées en collaboration avec des partenaires autochtones, l’émergence de résultats appliqués et les efforts de dissémination des résultats sont peu discutés. De plus, à notre connaissance, aucune étude n’a encore porté sur les expériences des femmes Mi’gmaq survivantes de violences au Québec. Cet article présente donc les résultats qualitatifs et appliqués d’une étude partenariale menée dans la communauté Mi’gmaq de Listuguj. L’objectif était de comprendre les expériences de violences et de recours d’aide des femmes Mi’gmaq afin de développer des solutions pour améliorer les services offerts dans la communauté.

Cette étude partenariale impliquait des partenaires des milieux de pratique à chaque étape du processus de recherche. Les partenaires de l’étude étaient une organisation non gouvernementale autochtone, une organisation non gouvernementale allochtone ainsi qu’une maison d’hébergement autochtone. La méthodologie de l’étude a été développée avec les deux organisations non gouvernementales, puis adaptée avec les partenaires de la maison d’hébergement pour que l’étude réponde aux besoins de la communauté de Listuguj. Les partenaires de la maison d’hébergement ont été formés en recherche qualitative et ont mené les entrevues avec les membres universitaires de l’équipe de recherche.

Dix entrevues approfondies ont été menées, avec neuf femmes et un homme Mi’gmaq âgés de 27 à 60 ans. Nous avons adopté un style d’entrevue conversationnel non structuré afin d’honorer les traditions orales des Premiers Peuples, permettant aux participant(e)s de décider des sujets abordés. Les données des entrevues ont été analysées thématiquement. Nous avons utilisé le cadre théorique de la violence structurelle pour interpréter nos résultats afin de comprendre comment les violences interpersonnelles et structurelles s’entremêlent dans la vie des femmes autochtones.

Comme nous souhaitions produire des résultats utiles pour la communauté de Listuguj, nous avons mené différentes activités de mobilisation des résultats. D’une part, nous avons organisé des ateliers avec les différents départements du gouvernement Mi’gmaq de Listuguj (Conseil de bande, maison d’hébergement, justice réparatrice, service de police, services sociaux) et les membres de la communauté afin de discuter des résultats. Les différentes parties prenantes mobilisées ont identifié des barrières et des recommandations pour orienter l’action sur les violences faites aux femmes à Listuguj. D’autre part, à partir des résultats qualitatifs et des discussions issues des ateliers, nous avons collaborativement élaboré un outil d’intervention pour faciliter la concertation des prestataires de services à Listuguj.

Les résultats de l’analyse thématique sont regroupés en trois thèmes. Le premier thème présente les violences familiales et conjugales vécues, qui sont décrites par les participant·e·s comme étant inextricablement liées à leurs proches (grands-parents, parents, conjoint·e·s, enfants), faisant référence aux traumatismes intergénérationnels et aux normes de genre. Le deuxième thème aborde les barrières au recours d’aide des participan·e·s, notamment en lien avec leur manque de confiance envers les services dans et hors de la communauté et aux différentes conséquences des violences dans leur vie (enjeux de santé mentale, consommation de substances, insécurité de logement). Le troisième thème porte sur diverses stratégies mises en place par les participant·e·s pour faire face aux violences, qui incluent la recherche d’allié·e·s de confiance pour les orienter dans les services et le recours à des ressources ancrées dans la culture mi’gmaq.

Pendant les ateliers, les prestataires de services et membres de la communauté ont identifié trois types de barrières à l’action face aux violences à Listuguj, soit des barrières liées à l’organisation des services, celles liées aux relations entre les prestataires de services et membres de la communauté et celles liées à des éléments contextuels limitant la capacité d’agir des prestataires de services. Les principales recommandations pour prévenir les violences et intervenir sur celles-ci sont : faire de la lutte contre les violences une priorité politique; améliorer la communication entre les différents services; viser la sécurisation culturelle dans tous les services; soutenir les survivant·e·s de violences dans le processus judiciaire et enfin créer une campagne de sensibilisation sur les violences dans la communauté. S’appuyant sur les résultats qualitatifs et les discussions des ateliers, nous avons créé un outil d’intervention destiné aux décideurs et décideuses et aux prestataires de services à Listuguj. Cet outil, un guide pour la création d’un comité interdépartemental sur les violences à Listuguj, vise à encourager la concertation et à centraliser la prise de décisions pour planifier des actions communautaires de prévention et pour coordonner les interventions en situation de violences.

Notre étude partenariale sur 5 ans était ancrée dans le savoir expérientiel des partenaires autochtones et mettant de l’avant la voix des femmes. Nous avons mené des entrevues avec des survivant·e·s de violences et subséquemment développé un outil d’intervention pour les décideurs et décideuses ainsi que les intervenant·e·s dans la communauté afin d'assurer la continuité et la complémentarité des services pour les femmes et leurs familles. Afin de reconnaître leur agentivité, il est crucial que les femmes autochtones puissent choisir de recourir aux services qui répondent le mieux à leurs besoins. Cela requiert des partenariats plus forts entre les services allochtones et autochtones dans la communauté de Listuguj et ailleurs, tout en s’assurant que les services gouvernementaux soient culturellement sécurisants et que les ressources communautaires comprennent l’importance du respect de la confidentialité. Nous espérons que notre étude contribuera aux réflexions sur les responsabilités qu’ont les gouvernements et prestataires de soins d’apprendre et d’agir face aux violences faites aux femmes des Premiers Peuples, dans et à l’extérieur des communautés.