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Introduction et problématique

Le Canada est un pays d’accueil pour les immigrants, qui contribuent à la croissance démographique et à la diversité culturelle du pays. L’Ontario représente pour les immigrants, particulièrement pour les francophones de minorité visible, l’un des endroits de choix pour s’établir (Statistique Canada, 2013). Selon Statistique Canada (2017), cette province compte 622 415 francophones, soit 4,7 % de sa population. Parmi ceux-ci, les immigrants francophones, au nombre de 92 385, constituent 15 % de la population francophone ontarienne. Au sein de l’ensemble des immigrants francophones, 58 695 (soit 63,5 %) sont issus d’une minorité visible noire. Par conséquent, la communauté francophone est de plus en plus diversifiée sur le plan de l’ethnicité, de la culture et de la langue.

Les écoles de la province, notamment celles des grandes villes, reflètent cette diversité. Il en est de même pour le corps enseignant de l’Ontario, qui tend lui aussi à se diversifier, puisque les conseils scolaires francophones accueillent des enseignants immigrants issus de la diversité ethnoculturelle qui ont reçu l’agrément de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (OEEO) pour exercer leur profession. Cependant, certains enseignants immigrants ayant acquis leurs qualifications à l’étranger et ayant suivi un programme universitaire pour obtenir leur agrément dans leur province de choix font face à des difficultés pour obtenir un emploi régulier (Conseil des ministres de l’Éducation du Canada [CMEC], 2014). Selon ces enseignants, les employeurs exigent d’eux une expérience de travail canadienne. Malgré leur expérience antérieure à l’étranger, ils ont l’impression que les employeurs préfèrent embaucher de nouveaux enseignants natifs du Canada (CMEC, 2014).

Concernant les enseignants immigrants de minorité visible, en 2015, le rapport de l’Ontario Alliance of Black School Educators [OABSE], 2015) révèle de possibles discriminations systémiques lors du processus d’embauche. Leur insertion professionnelle semble plus difficile que celle des enseignants blancs ou de ceux nés au Canada (Mujawamariya, 2008; OABSE, 2015). Selon Schmidt (2010), les pratiques discriminatoires envers ces enseignants sont fondées sur la tenue vestimentaire, l’accent, l’appartenance ethnoculturelle et l’âge. L’auteur ajoute que ces situations de discrimination se présentent dans divers contextes professionnels, par exemple lors de stages d’enseignement ou dans des écoles dans lesquelles des enseignants issus de minorité visible ont été embauchés. Cet article présente l’un des volets d’une recherche sur les trajectoires d’insertion professionnelle des nouveaux enseignants originaires des Caraïbes et d’Afrique subsaharienne (NEOCAS) dans les écoles francophones de l’est de l’Ontario (Jabouin, 2018). Il porte sur les stratégies d’insertion professionnelle mobilisées par ces enseignants pour s’insérer dans les écoles francophones en Ontario.

La recherche sur les trajectoires d’insertion professionnelle des NEOCAS présente un intérêt social et scientifique. Sur le plan social, ces enseignants comblent des besoins de main-d’oeuvre, mais procurent aussi un apport à l’intégration scolaire des enfants de familles immigrantes et à l’éducation multiculturelle (Deters, 2006). Par exemple, Villegas et Irvine (2010) soutiennent que l’insertion professionnelle des enseignants immigrants de minorité visible est à soutenir parce qu’elle encourage la diversification du corps enseignant. De plus, ces enseignants sont susceptibles d’être considérés comme un modèle de réussite pour les élèves nouveaux arrivants. Sur le plan scientifique, au Canada et en Ontario particulièrement, il existe peu d’études sur les enseignants immigrants de minorité visible (Jabouin et Duchesne, 2012), alors que certains travaux révèlent qu’ils sont confrontés à de nombreuses difficultés d’insertion professionnelle (OABSE, 2015). D’une part, Niyubahwe, Mukamurera et Jutras (2013) montrent que plusieurs enseignants immigrants peinent à tisser des relations professionnelles harmonieuses et à collaborer tant avec leurs collègues qu’avec le personnel de direction d’école. D’autre part, l’étude de Phillion (2003) auprès des enseignants immigrants de minorité visible révèle que les collègues ontariens évitent parfois de converser avec eux dans la salle du personnel enseignant.

Bien que plusieurs recherches fassent état de difficultés rencontrées par des enseignants immigrants de minorité visible pour s’insérer dans la profession enseignante (OABSE, 2015; Phillion, 2003; Villegas et Irvine, 2010), les études ont peu exploré les stratégies mobilisées lors de cette insertion professionnelle. Cet article vise à combler cette lacune, à partir de la question de recherche : quelles stratégies d’insertion professionnelle les NEOCAS ont-ils mobilisé pour surmonter les difficultés rencontrées dans leur insertion en enseignement?

Cadre conceptuel

Le concept de trajectoire d’insertion professionnelle est central dans notre étude. Concernant les NEOCAS, ce concept est indissociable de celui de stratégie d’insertion professionnelle. Outre les concepts de trajectoire d’insertion professionnelle et de stratégie d’insertion professionnelle, nous avons utilisé le cadre théorique du modèle de Mukamurera, Martineau, Bouthiette et Ndoreraho (2013) proposant d’analyser l’insertion professionnelle selon un paradigme comportant cinq dimensions interdépendantes et complémentaires : l’insertion en emploi, l’insertion en lien avec l’affectation et les conditions de la tâche, l’insertion comme socialisation organisationnelle, l’insertion dans la professionnalité et, enfin, l’insertion personnelle et psychologique. Ce cadre a permis d’analyser les stratégies d’insertion professionnelle des NEOCAS en mettant en lien chacune de ces dimensions avec les trajectoires d’insertion professionnelle.

La trajectoire d’insertion professionnelle

Selon Widmer, Ritschard et Müller (2009), la trajectoire professionnelle réfère à la succession des positions professionnelles qu’une personne exerce au cours de sa vie et se caractérise par des niveaux de salaire, des conditions de travail et un certain prestige. Elle semble étroitement liée à une vision du marché du travail segmenté et pourrait recouvrir plusieurs activités économiques (Mukamurera, 1999). Dans la profession enseignante, le marché du travail semble aussi segmenté par des catégories et des divisions, de même que par des politiques et des pratiques locales qui cadrent le travail enseignant (ex. : les conseils scolaires et les langues d’enseignement).

La trajectoire d’insertion professionnelle en enseignement

La trajectoire d’insertion professionnelle en enseignement, dans cet article, est conçue comme l’ensemble des phases que franchissent les NEOCAS depuis leur entrée dans la profession jusqu’à l’achèvement de leur insertion professionnelle. Une insertion professionnelle achevée signifie que l’enseignant de cette catégorie détient un emploi régulier à temps plein et entame le processus de son intégration professionnelle (Jabouin, 2018). Ainsi, les trajectoires d’insertion professionnelle des NEOCAS désignent les itinéraires effectués entre la sortie du programme de formation à l’enseignement et la fin du processus d’insertion professionnelle. Pour les besoins de notre étude, nous avons privilégié un maximum d’environ cinq ans pour qu’un nouvel enseignant puisse obtenir un emploi régulier (Martineau, 2006). De plus, dans leur parcours, nous avons distingué les positions suivantes : recherche d’emploi, suppléance à court terme et à long terme, période d’inactivité, périodes d’interruption, études à temps plein ou à temps partiel (Mukamurera, 1999). Les événements successifs constituant le parcours des enseignants immigrants de minorité visible nous amènent à introduire le concept de stratégie d’insertion professionnelle.

Le concept de stratégie d’insertion professionnelle

Les NEOCAS qui ont participé à cette recherche ont mobilisé diverses stratégies d’insertion professionnelle pour s’insérer dans la profession enseignante. Selon Bourdieu (1980), la stratégie caractérise une action « objectivement orientée par rapport à des fins qui peuvent n’être pas les fins subjectivement poursuivies » (p. 119). Elle est comprise comme la mise en oeuvre d’un ensemble d’actions réfléchies, orientées vers l’atteinte d’un résultat. En effet, la stratégie tend toujours vers un objectif global et à long terme (Luneau, 2018; Vallerand, 2008). Pour Bourdieu et Lamaison (1985), la mise en application de la stratégie peut être comprise à partir du jeu. Selon eux, « le bon joueur, qui est en quelque sorte le jeu fait homme, fait à chaque instant ce qui est à faire, ce que demande et exige le jeu. Cela suppose une invention permanente, indispensable pour s’adapter à des situations indéfiniment variées, jamais parfaitement identiques » (p. 3). En ce qui nous concerne, cette conception de la notion de stratégie peut servir à mieux présenter les trajectoires des NEOCAS lors de leur insertion professionnelle. Selon cette vision, chaque nouvel enseignant est responsable en partie du succès de ce processus. Vallerand (2008), pour sa part, identifie tout un ensemble de stratégies d’insertion professionnelle, comme le transfert des connaissances antérieures dans de nouveaux contextes, l’acquisition de nouvelles connaissances, l’entraide, la communication, l’ouverture à autrui, la résolution de conflits, la gestion des comportements d’élèves et la gestion de classe, la réflexion sur la pratique et l’ajustement de l’action professionnelle, soit des éléments essentiels dans la profession enseignante. Ainsi, l’insertion professionnelle doit être appréhendée comme un processus multidimensionnel.

L’insertion professionnelle comme processus multidimensionnel

Comme nous avons déjà évoqué précédemment, Mukamurera et ses collaborateurs (2013) proposent d’analyser l’insertion professionnelle selon un paradigme comportant cinq dimensions interdépendantes et complémentaires.

La première dimension est l’insertion en emploi, qui « renvoie aux conditions d’accès et aux caractéristiques des emplois occupés » (Mukamurera et collab. 2013, p. 16). Cette dimension englobe l’aspect économique, qui touche les caractéristiques et les conditions d’accès à l’emploi tels que « le temps d’attente de l’emploi, le statut, la durée et la stabilité d’emploi ainsi que le salaire » (p. 16). Par exemple, les préoccupations linguistiques et culturelles, de même que les difficultés à l’emploi sont des éléments qui conduisent les nouveaux enseignants immigrants, issus ou non d’une minorité visible, à la précarité d’emploi (Mujawamariya, 2008).

La deuxième dimension est l’insertion en lien avec l’affectation et les conditions de la tâche, qui relient les composantes et l’organisation de la tâche, de même que « le lien entre le champ particulier de formation, la stabilité de tâche et de milieu, la charge de travail, etc. » (Mukamurera et collab. 2013, p. 16). Au regard de cette dimension, c’est le contrat que l’enseignant obtient qui détermine la durée de son affectation et son temps de travail au sein de l’école.

La troisième dimension est l’insertion en tant que socialisation organisationnelle, qui montre que l’adhésion du nouvel enseignant à la culture organisationnelle de son milieu d’accueil, tant sur le plan physique et organisationnel que sur le plan social, philosophique et politique, « constituent un enjeu majeur de l’insertion professionnelle » (Mukamurera et collab. 2013, p. 16). Elle renvoie à l’intégration dans le milieu du travail, à l’adaptation à la culture de l’école et à l’acceptation auprès des membres de l’organisation scolaire d’accueil.

La quatrième est l’insertion dans la professionnalité, qui détermine « l’adaptation et la maîtrise du rôle professionnel, par le développement des savoirs et compétences spécifiques au métier » (Mukamurera et collab. 2013, p. 16). La professionnalité constitue un processus dynamique au même titre que l’insertion professionnelle (De Stercke, 2014). Au regard de cette dimension, l’insertion professionnelle correspond également à la maîtrise et au développement de stratégies et de compétences concrètes permettant à l’enseignant de devenir compétent et efficace dans son travail (Aubin, 2017).

La dernière dimension concerne l’insertion personnelle et psychologique, qui touche les aspects émotionnels et affectifs du nouvel enseignant. Mukamurera et collab. (2013) soutiennent que l’insertion en enseignement ne concerne pas seulement l’apprentissage cognitif, mais aussi l’expérience humaine et émotionnelle.

C’est en référence à ce modèle que nous allons analyser maintenant les stratégies d’insertion professionnelle des NEOCAS, en mettant en lien chacune de ces dimensions avec la trajectoire d’insertion professionnelle. On s’intéressera plus spécifiquement ici aux stratégies utilisées par les NEOCAS pour surmonter les difficultés rencontrées lors de leur insertion professionnelle dans les écoles francophones de l’est de l’Ontario. Pour y parvenir, une approche qualitative narrative a été favorisée pour la collecte et l’analyse des données.

Méthodologie et déroulement

Cet article repose sur les résultats d’une recherche doctorale visant à comprendre comment se construisent les trajectoires d’insertion professionnelle des NEOCAS dans les écoles francophones de l’Ontario (Jabouin, 2018). Elle s’inscrit dans le courant de la recherche qualitative interprétative, puisqu’elle vise à la fois la description en profondeur d’un phénomène social et la coconstruction du savoir à partir de l’expérience de la personne (Savoie-Zajc, 2013). Il s’agit également d’une recherche narrative, car c’est au moyen du récit d’expérience d’insertion professionnelle qu’on été produites de nouvelles connaissances pour le domaine interculturel et qu’a été facilité l’accès à l’expérience des personnes dans leur environnement temporel (Svandra, 2007). Plus précisément, nous nous sommes intéressés aux événements qui ont ponctué leur parcours et aux stratégies d’insertion professionnelle mobilisées pour surmonter les difficultés rencontrées. Cette contribution présente cependant uniquement le volet portant sur les stratégies.

Recrutement des participants

Deux organismes ethnoculturels, le Forum d’entraide et de solidarité des Haïtiens d’Ottawa-Gatineau (FESHOG) et la Coopérative des enseignants Pas à Pas (CEPAP), nous ont autorisés à acheminer des courriels à ceux de leurs membres répondant aux critères d’échantillonnage suivants : 1) être une personne née dans les Caraïbes francophones ou en Afrique subsaharienne, 2) détenir une expérience ou non d’enseignement avant de s’établir au Canada, 3) avoir le statut d’immigrant reçu, de résident permanent ou de citoyen canadien, 4) être diplômé d’un programme francophone de formation à l’enseignement de l’Ontario, 5) être en train de vivre un processus d’insertion dans la profession enseignante dans l’est de l’Ontario francophone et avoir terminé sa formation à l’enseignement depuis cinq ans ou moins. Les membres intéressés étaient invités à communiquer avec le chercheur principal par voie électronique pour manifester leur souhait de participer à cette étude. Huit NEOCAS, soit deux femmes et six hommes, se sont portés volontaires pour participer à l’étude. Le tableau 1 présente le profil des participants.

Tableau 1

Profils des participants NEOCAS

Profils des participants NEOCAS

Remarques : a La licence correspond à un diplôme universitaire de quatre ans avec mémoire de recherche. En Ontario, elle est considérée comme équivalente à un baccalauréat. b Le certificat correspond à un diplôme d’études collégiales non universitaire. c Matthieu a eu une expérience de 20 ans de travail en parallèle avec ses 15 ans d’enseignement dans son pays d’origine.

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Notre échantillon touche les nouveaux enseignants immigrants noirs, en Ontario, ayant terminé leur baccalauréat en éducation entre 2009 et 2014 inclusivement. Quatre hommes et une femme sont originaires d’Haïti et deux hommes et une femme, du Cameroun. Tous ont suivi le programme de formation à l’enseignement dans une université ontarienne afin de pouvoir exercer la profession enseignante et tous ont reçu l’agrément de l’Ordre des Enseignantes et des Enseignants de l’Ontario. Lors de la collecte des données, ces enseignants détenaient entre 3 et 5 ans d’expérience en enseignement en Ontario.

Collecte et analyse des données

La collecte des données s’est déroulée de janvier à avril 2015 dans la région d’Ottawa-Gatineau au moyen d’entrevues individuelles narratives semi-dirigées (Bertaux, 2013) d’une durée de 60 à 75 minutes. En référence à la suggestion de Bertaux (2013), la consigne de départ a été formulée comme suit : « Racontez, par étape, du début à la fin, votre entrée dans la profession enseignante en Ontario, c’est-à-dire les démarches que vous avez effectuées, après avoir terminé votre programme de formation à l’enseignement, pour trouver un poste d’enseignant ». Il importe de souligner qu’au fil de la narration du récit d’expérience d’insertion professionnelle du participant, des questions favorisant l’élaboration de ses idées ont été posées, particulièrement en ce qui concerne les stratégies d’insertion professionnelle mobilisées, conformément à l’objet de cette étude. Les éléments suivants ont été abordés lors de la narration : l’expérience d’enseignement dans les écoles francophones de l’Ontario, l’insertion dans l’emploi, l’entrée dans le milieu scolaire et l’exercice de la profession enseignante au sein d’une école francophone de l’est de l’Ontario.

Toutes les entrevues ont été transcrites intégralement et analysées selon les orientations de l’analyse narrative (Bertaux, 2013) : saisir le sens global des récits d’expérience d’insertion professionnelle, élaborer les récits d’expérience d’insertion professionnelle de chaque participant, analyser les thèmes centraux sur l’ensemble de ces récits. Concrètement, après la transcription des récits d’expérience d’insertion professionnelle de chaque participant, nous avons d’abord lu chacun de ces récits afin de localiser et de procéder au codage des unités de sens en utilisant le logiciel d’analyse qualitative NVivo10. Les thèmes suivants ont alors été dégagés : l’insertion dans l’emploi, l’exercice de la profession enseignante, l’expérience d’enseignement, le parcours professionnel et enfin l’insertion professionnelle dans le milieu scolaire francophone de l’Ontario. Après avoir saisi le sens général du verbatim, nous avons procédé à l’identification et au découpage des unités de signification qui émergeaient du texte (Creswell, 2007; Ricoeur 1986). Par la suite, nous avons formulé les thèmes centraux, en nous laissant guider par le langage utilisé par les participants (Rhéaume, 2010). Ensuite, nous avons fait la mise-en-intrigue du récit de chaque participant, étape qui consiste à réécrire le récit selon la perspective phénoménologique de Ricoeur (1986), tout en étant proche le plus possible des mots et des expressions utilisées. Chaque récit a été validé par le participant, qui a pu l’accepter dans son ensemble ou demander au chercheur de faire des corrections ou d’ajouter d’autres considérations en relation avec son expérience.

Présentation des résultats

Les résultats sont présentés selon les dimensions du modèle multidimensionnel de Mukamurera et collab. (2013), soit l’insertion en emploi, l’insertion en lien avec l’affectation et les conditions de la tâche, l’insertion comme socialisation organisationnelle, l’insertion dans la professionnalité et enfin l’insertion personnelle et psychologique.

Les stratégies d’insertion professionnelle en lien avec l’accès à l’emploi d’enseignant

Selon le modèle multidimensionnel de Mukamurera et collab. (2013), la première dimension du processus d’insertion professionnelle renvoie aux caractéristiques et aux conditions d’accès à l’emploi comme le statut, la durée, la stabilité et le salaire. Pour se donner accès aux écoles francophones de l’Ontario, les NEOCAS auraient mobilisé, d’une part, des stratégies pour obtenir le certificat de qualification et d’inscription à l’OEEO et, d’autre part, des stratégies pour obtenir les références de superviseurs en emploi, c’est-à-dire des directions d’école ou des enseignants associés autorisés. L’une des stratégies pour obtenir rapidement l’agrément de l’OEEO consiste, selon la participante Marlène, à commencer tôt la démarche pour obtenir le certificat d’exercice de la profession et à s’informer auprès de l’OEEO sur les procédures de reconnaissance d’acquis provenant de pays étrangers. Pour sa part, Luc s’est affairé à trouver des personnes-ressources de son pays d’origine pour faciliter le transfert des diplômes. Dans l’extrait suivant, il explicite la différence de fonctionnement entre le système universitaire d’Haïti et celui du Canada, de même que la stratégie mobilisée : « par rapport à la structure de l’université de mon pays, il fallait que je trouve des contacts pour que les papiers [diplômes] puissent arriver à temps » à l’OEEO. On peut penser que ce processus est susceptible d’être long et onéreux, puisque le demandeur doit payer les frais de demande de diplôme. Finalement, Luc et Stéphane relèvent que pour être admis dans la banque des enseignants suppléants à court terme de certains conseils scolaires francophones de l’Ontario, il est essentiel d’obtenir au préalable les références de superviseurs en emploi, sinon, la demande n’est pas recevable par ces conseils scolaires. Luc rapporte qu’« il est très difficile pour une direction d’école de connaître un suppléant qui a fait une ou deux journées dans son école », et encore plus pour un stagiaire issu de l’immigration qui connaît moins le système scolaire francophone de l’Ontario. Pour y parvenir, Stéphane raconte qu’il est important d’être plus présent dans certaines écoles ciblées pour obtenir les références de superviseurs en emploi. De plus, Luc explique les avantages d’entretenir de bons rapports professionnels pour obtenir plus facilement les références :

À l’école où j’avais fait mon premier stage, l’enseignant trouvait que mon travail comme enseignant était très bien. J’ai eu un très bon rapport. Lorsqu’il fallait avoir pour le conseil [scolaire] une référence de direction d’école […], j’ai contacté l’enseignant avec qui j’ai fait mon stage et [je] lui ai dit que la direction de l’école ne me connaissait pas. L’enseignant m’a dit qu’il viendrait la voir avec moi. C’est l’enseignant avec qui j’avais fait mon stage qui s’est porté garant.

Les propos relatés précédemment par Luc soulignent que parfois, l’enseignant associé est « l’oeil » de la direction d’école en ce qui a trait à la connaissance et aux compétences du stagiaire. Dans cet esprit, il est dans l’intérêt de chaque participant de cibler certaines écoles et d’entretenir de bons rapports professionnels en vue d’obtenir plus tard les références des superviseurs en emploi.

Les stratégies d’insertion professionnelle en lien avec l’affectation et les conditions de la tâche

Toujours d’après le modèle de Mukamurera et collab. (2013), la deuxième dimension de l’insertion professionnelle est réalisée par l’affectation et les conditions de la tâche du nouvel enseignant. Cette affectation peut être liée à un contrat de suppléance à long terme qui incite le nouvel enseignant à mettre en oeuvre des stratégies d’insertion professionnelle. Certains NEOCAS ont compris que pour faciliter cette insertion, il fallait poursuivre leur formation en éducation, suivre des cours de qualifications additionnelles (QA), ainsi que participer à des ateliers de perfectionnement professionnel, et ce, afin d’acquérir des compétences et des qualifications pour mieux se positionner sur le marché de l’emploi. Luc raconte : « tout de suite lorsque j’ai terminé le programme en 2011, j’ai fait une QA aux cycles intermédiaire et supérieur. Parce qu’il fallait que j’élargisse beaucoup plus ma base de compétences ». Marie relate qu’on l’« appelle plus souvent pour faire de la suppléance après avoir obtenu une QA en enfance en difficulté ». Les QA et la poursuite des études supérieures en éducation constituent des stratégies d’insertion professionnelle liées à l’affectation et aux conditions de la tâche qui permettent d’atténuer certains inconvénients, comme le fait de s’adapter à la culture et de peaufiner leurs connaissances. Certains NEOCAS ont accepté des affectations offertes sans prendre en compte le rapport entre leur matière d’expertise et le poste à combler, alors que d’autres ont choisi de suivre des cours de QA ou de poursuivre leurs études au niveau de la maîtrise en éducation afin d’augmenter leurs compétences et, potentiellement, leurs chances d’obtenir un emploi.

Les stratégies d’insertion professionnelle en lien avec la socialisation organisationnelle

Selon Morrissette et Demazière (2018), la socialisation professionnelle se déploie au-delà des savoirs acquis essentiels et des apprentissages préalables à l’exercice professionnel. Elle requiert du professionnel de s’adapter aux perspectives communes partagées dans la profession et même de s’acculturer par la construction d’une identité originale qui soit la résultante du maillage entre sa culture d’origine et celle du milieu d’accueil, et qui permette de déployer des pratiques plus viables dans le nouveau contexte de travail. Par conséquent, les stratégies d’insertion professionnelle en lien avec la socialisation organisationnelle utilisées par les NEOCAS conviennent à la troisième dimension du modèle de Mukamurera et collab. (2013). Les NEOCAS que nous avons rencontrés souhaitent collaborer avec les membres du milieu scolaire afin d’établir des relations professionnelles harmonieuses. Certains participants disent établir un bon rapport professionnel avec des collègues en s’engageant dans les activités parascolaires et en soulignant les moments forts de l’école. Richard voit dans son engagement à l’école et sa collaboration avec les collègues pour partager les responsabilités dans la poursuite de buts communs des stratégies d’insertion : « M’impliquer davantage au service de l’école me permet aussi de chercher à combler le vide […], d’aider les élèves […] de travailler ensemble et de faire un travail plus efficace ». Sur ce plan, la construction d’une relation professionnelle harmonieuse favorise le travail d’équipe et l’engagement professionnel. De plus, elle aide à établir un climat de confiance et de respect mutuel favorisant ainsi l’insertion professionnelle.

Les déclarations de Luc trouvent écho chez Richard, qui s’est engagé dans les activités parascolaires comme « la mise sur pied d’une radio étudiante avec certains membres du personnel de l’école » pour favoriser la collaboration entre collègues. Cette stratégie lui aurait permis d’être reconnu et de se sentir comme « chez [lui] à l’école ». Son expérience ressemble à celle de Pierrot, qui dit agir significativement non seulement dans sa classe, mais aussi dans l’ensemble de l’école pour être reconnu. Par exemple, lors d’un contrat de suppléance à long terme, il aurait agi pour avoir un impact positif, comme faire écouter à toute l’école « la chanson de la Saint-Valentin ». Selon Pierrot, l’insertion professionnelle est renforcée lorsque l’on se fait connaître dans son milieu de travail et que l’on s’adapte à la culture du milieu en projetant une bonne image de soi. « Après le dernier stage, d’autres collègues ont vu en moi un homme très fiable, un homme qui a beaucoup d’empathie envers les autres, un homme utile, ouvert, flexible. C’est là qu’ils m’ont proposé de venir les remplacer ». Pierrot semble persuadé que le fait de socialiser en milieu de travail favorise une relation professionnelle dans le cadre de laquelle les collègues ont pu voir en lui un enseignant empathique, ouvert et polyvalent. En somme, en plus des qualifications liées à la matière, la créativité et la gentillesse joueraient un rôle essentiel dans l’insertion professionnelle.

Les stratégies d’insertion professionnelle en lien avec la professionnalité

Mukamurera et collab. (2013) définissent le concept de professionnalité comme « l’adaptation et la maîtrise du rôle professionnel, par le développement des savoirs et compétences spécifiques au métier » (p. 16). Ces chercheurs posent que la professionnalité s’allie à la même dynamique que l’insertion professionnelle, à savoir qu’elle réfère à un processus. Les stratégies d’insertion professionnelle visant le développement des compétences conviennent bien aux caractéristiques de la professionnalité, qui renvoie à la quatrième dimension de l’insertion professionnelle selon les auteurs cités. Nous nous intéressons ainsi à l’analyse de certaines stratégies d’insertion professionnelle comme le recours au soutien des collègues et la quête d’informations sur Internet pour la gestion des comportements des élèves pouvant rendre plus dynamique l’enseignement. Marie soutient qu’il ne faut pas hésiter à chercher de l’aide auprès du personnel spécialisé ou auprès de l’administration de l’école pour acquérir des compétences et des pratiques visant la gestion de classe: « Je suis allée chercher l’aide pour la gestion de comportement. J’ai eu un grand soutien du personnel en enfance en difficulté ». Ces propos permettent de repérer un autre cas de figure : il s’agit de Richard qui, fort d’une expérience d’une vingtaine d’années en enseignement dans son pays d’origine, arrive en Ontario. Il avoue ne pas avoir eu besoin, auparavant, de développer des pratiques professionnelles en gestion des comportements des élèves puisque, chez lui, le dialogue suffisait: « La seule stratégie que je connaissais pour ma gestion de classe était le dialogue pour faciliter l’apprentissage de ces élèves. Malheureusement, le dialogue que j’avais utilisé ne m’avait pas permis d’atteindre cet objectif ». Au bout du compte, il constate que s’il veut acquérir ou développer des stratégies de gestion de classe, il faut qu’il cherche de l’aide auprès des personnes-ressources de l’école. Pierrot, finalement, se permet d’utiliser le folklore haïtien pour favoriser le travail d’équipe entre élèves et encourager un comportement et une attitude positifs. Par conséquent, en plus des anecdotes qui participent à l’établissement d’une relation professionnelle harmonieuse avec les élèves, il préconise les activités saines, la créativité et les jeux pour maintenir un bon climat d’apprentissage avec ces derniers, ce qui, selon lui, facilite son processus d’insertion professionnelle.

Les stratégies d’insertion professionnelle en lien avec l’insertion personnelle et psychologique

La dernière dimension, l’insertion sur le plan personnel et psychologique, touche aux aspects émotionnels et affectifs, puisque l’insertion en enseignement ne concerne pas seulement l’apprentissage au plan cognitif, mais aussi toute l’expérience humaine et émotionnelle, comme le soutiennent Mukamurera et collab. (2013). Le fait d’être en contrôle de ses émotions permet de cultiver une attitude et un comportement positifs. Par exemple, lorsque les relations professionnelles ne sont pas harmonieuses avec les élèves, Marlène mobilise des stratégies d’autocontrôle comme de ne pas répondre rapidement à l’élève ou de répondre par le positif au lieu de montrer visiblement une attitude de frustration. Voici ce qu’elle nous rapporte concernant les propos négatifs tenus par certains élèves à son égard : « Je suis juste entrée au dedans de moi-même en montrant aux élèves que j’étais leur enseignante. Je leur ai parlé positivement pour leur dire qu’ils sont chanceux de m’avoir comme enseignante ». Même face à un comportement inacceptable pour l’enseignant, elle pense qu’en gardant une attitude positive vis-à-vis des élèves, elle peut aider à établir un bon climat relationnel. Quant à Charles, il dit avoir pris sa situation en main, particulièrement lorsqu’il a vécu des difficultés liées à son origine ethnoculturelle, en particulier une discrimination à l’embauche, un manque d’accueil et un rejet en milieu scolaire. À son avis, la réhabilitation d’un soi possiblement humilié a été permise en partie par la soumission d’un grief à son syndicat, qui a abouti à l’obtention d’un emploi régulier : « il a fallu que je sois frustré une deuxième fois afin de faire entendre ma situation »; « quelques fois, le malheur est bon » puisqu’il a fallu une situation d’irrégularité au processus d’embauche en lien avec une direction d’école pour lui permettre d’obtenir son emploi régulier à temps partiel. L’attitude positive des enseignants et le fait de prendre la situation en mains sont des stratégies d’insertion professionnelle qui renvoient à la dimension personnelle et psychologique proposée par Mukamurera et collab. (2013).

Discussion des résultats

Cette étude avait pour but de comprendre comment se construisent les trajectoires d’insertion professionnelle des NEOCAS dans les écoles francophones de l’est de l’Ontario, particulièrement grâce à la mobilisation de stratégies leur permettant de surmonter les obstacles rencontrés. L’analyse de ces stratégies à la lumière du modèle multidimensionnel de l’insertion professionnelle de Mukamurera et collab. (2013) a mis en lumière la nature plurielle de celles-ci, en soulignant la complexité du phénomène. D’emblée, les stratégies d’insertion professionnelle mises en oeuvre par les NEOCAS se fondent sur leurs efforts d’adaptation aux enjeux culturels et linguistiques des conseils scolaires qui les emploient.

Répondre aux exigences de l’ordre professionnel

Dès le début du processus de recherche d’emploi, les participants à notre recherche ont réalisé l’importance de s’informer, bien avant la fin de leur programme d’études, sur les démarches à suivre afin de s’inscrire en tant que membres de l’OEEO, condition essentielle pour être admis dans les banques de suppléance à court terme d’un conseil scolaire. En effet, les immigrants, après avoir fourni les copies originales de leurs certificats et diplômes lors de leur inscription à l’université où ils ont effectué leur programme de formation à l’enseignement, doivent également fournir à l’OEEO des copies officielles de ceux-ci, provenant directement des institutions d’enseignement de leur pays d’origine. Si cette procédure ne pose pas de problème aux nouveaux enseignants natifs, la situation est toute autre pour les immigrants provenant de pays où de telles pratiques n’existent pas. En fait, ces procédures de certification s’avèrent tellement complexes pour ces enseignants que l’OEEO, sur son site Internet, précise dorénavant les étapes à suivre selon le pays de provenance du nouvel enseignant (OEEO, s. d.). Depuis peu, devant les difficultés rencontrées par certains ressortissants à obtenir ces documents, l’OEEO propose même de contacter les autorités concernées en leur nom. Malgré le soutien de l’ordre professionnel dans ces démarches, ce premier obstacle à l’insertion professionnelle se dresse pour les enseignants issus de l’immigration, qui se voient désavantagés devant leurs collègues natifs avant même d’avoir mis les pieds dans une école.

Obtenir des contrats d’enseignement

Pour ce qui est de l’obtention d’un contrat d’enseignement à long terme, certains enseignants de notre étude se sont sentis dans l’obligation d’accepter une affectation en périphérie de la ville ou d’accepter simplement ce qui leur était offert, sans égard à leurs champs d’expertise ou à leurs préférences, afin d’obtenir un emploi régulier durant une certaine période de l’année scolaire. Cette situation ne concerne pas seulement les nouveaux enseignants immigrants de minorité visible, puisqu’une étude d’Aubin (2017) est arrivée à la même conclusion pour les enseignants natifs. La différence entre ces deux catégories d’enseignants est cependant que les premiers, en plus de devoir s’adapter à un espace géographique ou à des contenus d’enseignement totalement nouveaux, doivent également s’approprier le fonctionnement et la philosophie éducative d’un système scolaire dans lequel ils n’ont pas évolué en tant qu’anciens élèves.

Comme le révèlent Deters (2006) et Niyubahwe (2015), les NEOCAS qui ont contribué à cette étude se sentent en partie responsables du succès de leur insertion professionnelle. Par exemple, certains participants ont compris l’importance de faire une réflexion critique sur leur façon d’enseigner et d’acquérir des pratiques de gestion de classe en cohérence avec la philosophie d’éducation de leur province d’adoption. Cette prise de conscience professionnelle des NEOCAS à propos de l’importance de s’adapter à leur nouvel environnement fait écho aux résultats de Morrissette, Charara, Boily et Diédhiou (2016) dans le fait que l’accompagnement des enseignants immigrants par la médiation culturelle permet de minimiser davantage le déséquilibre lié à la non-maîtrise des codes culturels de la société d’accueil, ce qui contribue à améliorer leur enseignement et leur gestion de classe. Phillion (2003) révèle, par ailleurs, que les enseignants immigrants de minorité visible qui ont participé à sa recherche ont fait du bénévolat pour faciliter leur insertion professionnelle et l’OEEO (2012) constate également que le bénévolat au sein d’une école est une stratégie qui gagne en popularité chez des nouveaux enseignants immigrants. Deux de nos participants qui ont trouvé un poste d’enseignant régulier à temps plein et à temps partiel ont déclaré, à cet effet, que le bénévolat qu’ils ont effectué a contribué à leur embauche.

Les stratégies d’insertion professionnelle particulières aux NEOCAS en tant que minorité visible noire

Depuis plusieurs années, on assiste à un accroissement notoire du nombre d’élèves issus de la minorité visible noire dans les écoles francophones de l’Ontario, alors que le nombre de représentants de ce groupe dans le corps enseignant demeure très limité (Mujawamariya, 2010a; OABSE, 2015). Si l’on s’en tient aux propos des participants de l’étude de Mujawamariya (2010b), l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants de minorité visible noire dans la profession enseignante en Ontario semble être dans l’impasse. Par conséquent, les enseignants de cette catégorie se confinent dans la suppléance et, comme l’ont révélé des participants à l’étude de Jabouin (2018), le statut de suppléant offre une image peu gratifiante de l’enseignant noir, notamment aux yeux de la population étudiante.

Bien que des perceptions de racialisation à l’endroit des nouveaux enseignants noirs aient été rapportées dans les écrits de Jabouin (2018) et de Duchesne (soumis), aucun des participants à l’étude dont il est ici question n’a évoqué de stratégie associée à cette appartenance à une minorité visible noire. Dans l’ensemble, les participants se sont exprimés sur les stratégies générales d’insertion professionnelle et sur quelques stratégies plus spécifiques aux immigrants, particulièrement en matière de reconnaissance des acquis et de pratiques pédagogiques s’appuyant sur le recours au folklore ou à la culture personnelle du NEOCAS. Par exemple, pour parfaire leur pratique pédagogique, le retour aux études et la réussite d’une formation d’appoint, comme les QA, sont des stratégies de contournement (Bernier, 2012) utilisées par les immigrants pour s’insérer en emploi. De plus, certains de nos participants ont utilisé la stratégie de l’attente (Bernier, 2012), qui consiste à accepter d’occuper un emploi en deçà de sa qualification afin de s’insérer dans le milieu de l’éducation. Finalement, nos participants ont mis de l’avant des stratégies d’adaptation qui leur ont permis d’ajuster leur enseignement et leur gestion de classe aux normes, aux méthodes et aux comportements plus ou moins explicites valorisés dans les écoles francophones de l’Ontario. Ces types de stratégies correspondent à ceux identifiés par Bernier (2012), Morrissette et collab. (2016), et Vatz-Laaroussi (2008) dans leurs recherches auprès des immigrants. Finalement, les stratégies d’insertion professionnelle mises de l’avant par les NEOCAS sont dans l’ensemble caractéristiques des immigrants qui veulent s’insérer professionnellement au Canada, qu’ils appartiennent ou non à une minorité visible noire : elles existent et sont mobilisées par des immigrants appartenant à des champs d’emploi autres que celui de l’enseignement.

Conclusion

Notre contribution a décrit les stratégies employées par les NEOCAS pour faciliter leur insertion professionnelle dans les écoles francophones de l’est de l’Ontario. D’après nos résultats, certaines pistes sont susceptibles de faciliter l’insertion professionnelle. Par exemple, en collaboration avec les conseils scolaires, le ministère de l’Éducation de l’Ontario pourrait élargir les dispositifs de mentorat prévus à son programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant en incluant une dimension interculturelle en matière d’accueil et d’accompagnement des NEOCAS. Cette composante permettrait à ces derniers de s’informer sur les démarches à entreprendre pour s’insérer dans la profession enseignante et pour s’adapter à la culture du milieu scolaire, tout en éclairant les ajustements à faire dans le milieu afin de le rendre plus inclusif envers ces nouveaux enseignants. Une autre piste est à dégager de l’expérience des NEOCAS qui ont franchi plus facilement l’étape du processus d’insertion professionnelle : outre les stratégies adoptées lors de ce processus, ils ont témoigné du soutien qu’ils ont reçu tant du côté de leur direction d’école que du côté de leurs collègues enseignants. Par conséquent, l’accompagnement et l’appui de ces enseignants dès leur entrée dans le milieu scolaire seraient bénéfiques à leur insertion professionnelle en enseignement.