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En février 2015, la Cour internationale de justice a rendu sa décision sur les deux plaintes déposées, l’une par la Croatie et l’autre par la Serbie, s’accusant l’une et l’autre d’avoir perpétré un génocide à l’encontre de leurs populations durant les guerres qui les opposèrent de 1991 à 1995. La Cour internationale de justice déclara qu’aucune des deux entités n’avait commis de génocide. Ces décisions me poussèrent à reprendre une recherche commencée en 1997 et intitulée « Migrants et réseaux de soins : pour une adaptation interculturelle ». Celle-ci était placée sous la direction de l’Université de Lausanne (Suisse). Cette étude avait pour objectif d’évaluer les effets induits par l’introduction, pour des patients non francophones, de traductions simultanées pendant les consultations médicales ou psychologiques. Or le protocole initial fut bouleversé par l’arrivée dans les consultations de demandeurs d’asile politique fuyant les zones de guerres fratricides des pays de l’ex-Yougoslavie. L’arrivée de ces requérants d’asile provoqua un basculement épistémologique de l’enquête. « Les gens de la guerre », comme ils furent nommés, n’étaient pas seulement des migrants mais des « Autres » (avec un A majuscule), porteurs de stigmates de violences indicibles, ils représentaient l’altérité absolue. Mon activité ethnographique, à travers le suivi régulier et quotidien des consultations pendant huit mois, fut pour moi particulièrement éprouvante. Effectuer, en 2015, un retour sur cette expérience existentielle et sur l’activité ethnographique qui en a résulté m’a incité à repenser la place de l’anthropologue et de l’anthropologie et leur apport à la compréhension globale de telles situations extrêmes, nécessairement labiles et éphémères.