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Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Nous préparons actuellement un numéro de la revue Aequitas, qui fait suite à un congrès qui s'est tenu à Metz (France) juste avant la pandémie du COVID-19, en février 2020. Ce congrès, organisé par le réseau de recherche sur le vieillissement REIACTIS, a permis d'interroger la pertinence de l'élaboration d'une convention internationale destinée aux personnes âgées. Il cherchait à s'inspirer de l'expérience de la convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) pour déterminer si un tel document spécifique aux personnes âgées était pertinent. J'aimerais recueillir ton point de vue sur ce sujet à travers cet entretien, et t'inviter à partager ton expérience dans l'élaboration de la convention, ainsi que ton rôle au sein de l’Organisation Mondiale des Personnes Handicapées (OMPH) et éventuellement au Forum Européen à cette époque.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

À ce moment-là, je n’étais pas impliqué au Forum Européen. J'étais investi plus fortement auprès du gouvernement français, car je coordonnais l'Année européenne des personnes handicapées de 2003. En 2004, 2005 et 2006, cela a été la construction de la convention relative aux droits des personnes handicapées. Pendant ce temps-là, j'ai suivi le processus de manière plutôt marginale. L'Année européenne avait pour objectif de changer la perception des personnes handicapées et son préalable a été le traité de Madrid de 2003. Cette ossature était similaire à celle de la CDPH et avait été portée par OMPH et notamment sa Présidente de l'époque, Rachel Hurst. L’équipe de OMPH Europe a été à l’origine du Forum Européen des personnes handicapées.

C'était vraiment un moment important, mais la France n'a pas vraiment participé, ni sur le plan associatif, ni sur le plan gouvernemental. On a été absent des deux côtés. Il faut dire que le processus d'élaboration de la convention a été un peu délaissé en raison de préoccupations, comme à l'accoutumée, égocentriques et nationales.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Si je me souviens bien, Jean-Luc, avant les années 2000, le mouvement international de défense des droits des personnes handicapées, comme OMPH, n'était pas très favorable à une convention spécifique aux personnes handicapées, n'est-ce pas ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Il y a quelque chose de très intéressant. À Mexico, en 1998, a eu lieu l'un des congrès les plus stimulants et déterminants sur la question de la convention au sein de OMPH. Cela a été un tournant important, et j'en ai conservé quelques éléments de déclarations et de textes.

Je me souviens bien qu'il y a eu un débat sur la pertinence d'une convention spécifique pour les personnes handicapées. Un débat animé par Bengt Lindqvist de Suède, qui était alors Rapporteur des Nations Unies sur les Règles standards d'égalisation des chances pour les personnes handicapées.

OMPH, mené par sa Présidente Rachel Hurst et par Kalle Konkkola, une figure de proue de l'activisme scandinave pour la vie autonome, était favorable à une convention, contrairement à Bengt Lindqvist. Ce dernier était quant à lui plutôt en faveur d'un renforcement des Règles standards et ne souhaitait pas changer d'outils.

Il y a donc eu ce tournant. Et je me souviens d'un débat qui a été houleux. Bengt Lindqvist était en colère, tout comme OMPH à cette époque-là. Il y a même eu des problèmes d'élections ensuite, avec le retour à la présidence de Joshua Malinga qui a été remis en selle à cette occasion-là, car il n'y avait pas d'autre candidat.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

D'accord, et qu'est-ce qui a motivé le revirement pour un appui à la convention ? Je me rappelle le rôle de Marcia Rioux, sociologue et militante canadienne qui a codirigé avec Bengt Lindqvist, Disability Rights Promotion International (DRPI). C'est à cette même période ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Quand la réflexion autour de la CDPH s'est engagée, Bengt Lindqvist et Marcia Rioux ont créé Disability Rights Promotion International (DRPI), ceci pour continuer le travail à leur manière.

Mais le fait que ce débat ait eu lieu à OMPH, au Mexique en 98, est plus qu'intéressant, car c'est le gouvernement mexicain qui a fait la proposition de la convention. Il l'a introduit. Donc, je pense que OMPH y est pour quelque chose.

La conclusion de cette Assemblée mondiale de OMPH en 98 était en faveur de la convention. Cette rencontre a été un point d'engagement de la future CDPH. Elle a entraîné le gouvernement mexicain dans cette dynamique, puis tout le processus à l'échelle internationale.

Pour ma part, je considère que c'est un moment politique crucial dans l'histoire de la CDPH.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Très bien. D'après toi, qu'est-ce qui a permis l'union des diverses organisations internationales ? Parce que l'International Disability Alliance (IDA) a été créée à ce moment-là.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

En fait, c'était avant. Mais au départ, ce n'était pas une alliance, c'était une coordination. C'était donc d'abord assez informel, puis ça s'est formalisé. Et cela a été l'un des éléments clés du processus d'élaboration de la CDPH. À OMPH, que je connais bien, l'une des figures de proue était Franck Mulcahy. Il a été secrétaire du Forum Européen et a eu une participation virtuelle absolument énorme au sein de l'équipe et dans toute la préparation de la rédaction de la CDPH. Sa maladie l'empêchait de se déplacer, mais il a participé activement à travers Internet.

Le Forum Européen a été construit selon le même modèle, c'est-à-dire sous la forme d'une coordination. Et d'ailleurs, aujourd'hui OMPH rencontre des difficultés en Europe et dans le monde vis-à-vis des structures qu'il a contribué à créer. Maintenant, elles lui font tellement concurrence que, finalement, notre champ d'investigation est pratiquement occupé à plein par ces organisations-là. Que ce soit le Forum Européen ou l'IDA.

OMPH doit trouver sa place au milieu de tout cela. En bref, c'est ce que je retiens de cette période. Je me souviens que Franck Mulcahy militait pour le développement d'une convention spécifique. Mais à cette époque-là, au sortir de l'Année européenne, pour être franc, la convention pour moi, c'était un projet de texte supplémentaire qui n'aurait que peu d'impact concret. Je n’ai pas vraiment cru à la convention, avant la convention. Pendant son élaboration, je suivais les conversations de loin, parce que j'étais pris complètement ailleurs. Je les suivais donc à distance et à travers ce que me rapportait Franck. Gerard Quinn, l'auteur du rapport à l'ONU qui a démontré la légitimité d'une convention spécifique tout en réaffirmant l'universalité des droits humains, connaissait très bien Franck Mulcahy. Ils sont Irlandais tous les deux et étaient très amis.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Tu as raison d'amener cela, car c'est à partir du rapport de Gerard Quinn et Theresa Degener que l'on a pu montrer qu'il était possible d'avoir une double approche. Ils appelaient cela la « double track », soit avoir une convention spécifique, mais en même temps, de faire la promotion et porter une attention particulière aux personnes handicapées dans les autres conventions internationales, comme celle des femmes, par exemple. L'émergence de la perspective intersectionnelle est clairement visible ici.

Maintenant que cet historique a été retracé, peux-tu expliquer pourquoi le processus participatif ayant conduit à la CDPH a été un succès ? On dit souvent que c'est la première convention où les organisations de personnes handicapées ont participé directement. Je parle ici d'une participation non seulement aux processus de négociation et aux travaux, mais aussi aux aspects décisionnels.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Je crois que cela tient à plusieurs facteurs. Je pense que c'était le bon sujet, au bon moment. Mais quand je parle de bon moment, c'est aussi une histoire de contexte. Rappelons que tout cela intervient au début d'Internet. C'est finalement là qu'on a découvert cette voie de participation de la société civile. Sans cela, Franck Mulcahy n’aurait pas pu participer par exemple. Il est un excellent exemple de cette participation. Il a passé des heures et des heures à faire des kilomètres de mails. Lui, et tout le réseau de OMPH, étaient constamment sur leurs ordinateurs à faire des propositions. C'est-à-dire, avec les Asiatiques et les Africains. Si OMPH n'a pas bien su comment se débrouiller par la suite, elle a cependant posé les bases des organisations de personnes handicapées et comment elles sont organisées au niveau international. Sur le modèle des régions de l’ONU maintenant.

OMPH est devenu une organisation qui se cherche aujourd'hui. Nous travaillons sur la suite et j'ai bon espoir.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Merci pour ces éléments de contexte. Tout cela nous amène au coeur de ce qui motive notre échange aujourd'hui. Les milieux des personnes âgées peuvent avoir la perception que la convention pour les personnes handicapées a été un succès. La question de savoir s'il est pertinent de faire une nouvelle convention pour les personnes âgées se pose donc ici. En sous-question, le problème du chevauchement entre les catégories « personnes handicapées » et « personnes âgées » est aussi soulevé. Qu’en penses-tu ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Je crois que l'approche par les publics n’est pas la bonne. L'approche par les situations serait plus adaptée, ou peut-être un mélange des deux approches.

Pour ma part, je pense que c'est plutôt l'approche par les capacités et la prise en compte du contexte de vie qui serait la meilleure, c'est-à-dire par les situations de handicap. La "situation de handicap" désigne la capacité de la personne à réaliser ses activités quotidiennes. On peut être très dépendant à 40 ans et très indépendant à 75 ans. Donc, l'approche par l'âge ne m'apporte pas énormément d'informations. Ce qui m'apporte des indications, c'est ce que la personne peut faire seule, avec de l'aide, ou avec des soutiens techniques ou humains. Et ce qui est intéressant, c’est d'évaluer ce qui manque pour continuer à faire ces activités. C'est le même débat sur le handicap. Si l'on intervient en se focalisant sur les manques et les incapacités, on ne peut envisager que des compensations. À mon avis alors, on s'éloigne de l'adaptation en glissant du côté de la maladie. C'est-à-dire qu'on tend vers l'incapacité et non pas vers la capacité. C'est vraiment une manière de penser. L'approche capacitaire est fondamentale pour moi et doit être renforcée.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Si on suit cette logique, la convention actuelle ne pose pas de limite d'âge. Les personnes âgées, dans une perspective capacitaire, devraient donc déjà être couvertes par la convention, n'est-ce pas ?

Cet angle de vue est partagé lorsque l'on fait la correspondance entre vieillissement et perte de capacité. En effet, il faut aussi prendre en compte la lutte contre l'âgisme dans cette réflexion par exemple. L'idée n'est pas seulement d'aborder les choses en termes de capacité, mais également en termes de rôles que chacun joue dans la société. Cependant, s'il était mieux compris et admis que les personnes âgées sont aussi couvertes par la CDPH, resterait-il une pertinence à élaborer une convention spécifique à l'âge ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Il me semble que deux voies s'offrent à nous. On aurait une voie qui nous dirait : « Bon, on va peut-être aller retoucher un peu la convention des personnes handicapées pour qu'elle tienne mieux compte des réalités des personnes âgées ». Ou bien, faire une autre convention relative aux droits des personnes âgées. La première formule me semble tout de même plus pertinente. Cependant, si on retouche la CDPH, cela signifie que l'on devra composer avec une concertation encore peu développée entre les deux populations et leurs représentants. Je me situe du côté des ONG de défense des droits des personnes handicapées. Que sommes-nous prêts à négocier ? Que risquons-nous ? En revanche, c'est aussi une ouverture qui offrirait l'opportunité de modifier certains points qui sont encore insatisfaisants aujourd'hui. Je pense notamment aux différents problèmes de traduction de la convention. Le terme « disability » peut être traduit comme incapacité de la personne, mais désigne aussi l'ensemble du processus de construction du handicap découlant du manque d'adéquation entre la personne et son environnement de vie. Cette question de la traduction est centrale à mes yeux. Elle peut être avancée grâce au débat des Nations Unies et à ce chantier de compréhension des convergences ou des spécificités relatives aux personnes handicapées et aux personnes âgées. En particulier, je pense aux difficultés des traducteurs francophones à distinguer les incapacités des situations de handicap ou des situations de restriction des droits humains. Les concepts généraux de « disability » en anglais et de « handicap » en français sont à réfléchir dans la perspective d’une convention unique.

Je serais assez favorable à cette réflexion conjointe. Les personnes âgées ne sont pas handicapées et ne se considèrent pas comme telles. Elles peuvent rencontrer des problèmes d'autonomie, comme les personnes en situation de handicap, mais ne sont pas pour autant handicapées. Donc, si l'on commence à rapprocher ces publics dans le débat, ça va être compliqué. Mais je trouverais ça très intéressant, car cela nous oblige à exposer et échanger nos problèmes. Je me demande quand nous serons enfin prêts à accepter une terminologie inclusive que tout le monde puisse utiliser sans crainte ?

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

En résumé, dans le processus d'élaboration de la CDPH, nous avons constaté l'importance du mouvement social porté par les populations concernées et leurs alliés en faveur de la lutte contre les restrictions de droits humains. Si on considère que c'est un facteur majeur du succès de la CDPH, quand on se tourne du côté des personnes âgées, je ne vois pas de mouvements politiques ou activistes, portés par des militants âgés qui revendiquent de la même manière leurs droits. Est-ce que je me trompe ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

C’est bien là ce qui fait la différence. Les personnes en situation de handicap sont structurées en un mouvement bien organisé. Il y a eu des initiatives comme OMPH, il y en a d'autres et il y en aura d'autres. En revanche, lorsqu'on aborde les mouvements en faveur des personnes âgées, on se heurte à une problématique majeure liée au leadership. Leurs dirigeants âgés ont une espérance de vie restante souvent réduite, ce qui signifie qu'ils ne disposent pas d'une longue durée pour exercer leur rôle de leader ou de militant. De plus, l'acquisition des connaissances nécessaires pour porter les intérêts associatifs à l'échelle nationale et internationale prend un temps considérable. Les difficultés liées au vieillissement des militants handicapés et l'enjeu de la relève dans des luttes sociétales de longue haleine sont instructifs pour ce débat autour des conventions de l'ONU.

Il faut noter aussi qu'il est complexe de s'engager dans l’action associative et d'émerger en tant que leader. Cette dynamique est vraie en France, et d’autant plus sur les réflexions concernant les EHPADs. Les personnes âgées sont principalement représentées par des membres de leur famille ou autres tuteurs, lorsque des représentants existent, mais ces mouvements sont souvent de faible envergure.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Je partage ton constat. Sans une certaine force politique internationale qui se mettrait en place, le portage d’une convention adressée aux personnes âgées reviendrait alors davantage aux acteurs sociaux alliés des personnes âgées. La convention serait ainsi une convention « pour les aînés » et non pas une convention « pour et par les aînés », comme c’est le cas dans le champ du handicap.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Aujourd'hui, pour de nombreux sujets liés à la dépendance, la tendance est à la réflexion menée par des experts. Quand c'est le cas, les considérations économiques et de rentabilité prennent souvent le pas, au détriment de la qualité. En effet, offrir un accès de qualité aux soins, aux services, aux technologies, ou même à un environnement adapté peut s'avérer coûteux. Il faut donc décider quel montant on est prêt à investir, identifier le coût réel de ces besoins, et allouer les ressources en conséquence. Dans ce contexte, il revient aux ONG représentant les personnes concernées de rester vigilantes et de défendre activement les droits des personnes impliquées.

Cependant, la question de la dépendance est particulièrement complexe à mes yeux. Elle implique de fournir de l'aide à autrui sans empiéter sur leur autonomie. L'assistance doit être basée sur les besoins exprimés par la personne en question, plutôt que sur nos propres perceptions de ce qui est nécessaire dans une situation similaire. Souvent, les aidants ont de bonnes intentions, mais sans une orientation claire, ils risquent de perdre de vue les besoins individuels concrets.

En fin de compte, ce qui est en jeu ici, c'est la nature de l'assistance et l'accès aux connaissances issues de l'expérience. Les personnes en situation de handicap ont déjà dû faire face à ces questions depuis longtemps. Pour les personnes âgées confrontées à la perte d'autonomie, c'est un processus d'apprentissage qui prend du temps. Personnellement, j'ai mis plusieurs années à comprendre et à résoudre mes propres problèmes. Je suppose que lorsque je serai plus âgé, j'aurai acquis une expérience précieuse. En comparaison avec la dépendance liée à la vieillesse, les questions relatives aux compensations et aux possibilités d'accompagnement sont moins documentées et moins explorées. Donc, à mon avis, le handicap est mieux préparé à ces défis que les acteurs de la dépendance.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

La question de la place des personnes âgées dans nos sociétés contemporaines se pose également. En d'autres termes, quelle est leur position sociale ? Quelle est la valeur de leur vie et de leurs expériences ? Si l'on envisage une convention spécifique sur les droits des personnes âgées, il faudrait certainement ouvrir un dialogue sur la pertinence de la retraite. Comment devrait-on déterminer l'âge de la retraite, les conditions pour y accéder et les aspects matériels liés à cette période de transition ? Tout cela est étroitement lié à l'allongement de l'espérance de vie. De nos jours, nous constatons un changement de perspective, car certaines personnes souhaitent continuer à travailler, par exemple. J'ai l'impression que, si l'on se dirigeait vers une convention pour les personnes âgées, le débat se porterait sur la clarification des concepts de capacité, d'incapacité et de dépendance.

Dans ce contexte, il serait important de redéfinir la dépendance selon la philosophie du Mouvement de vie autonome (MVA), qui la considère comme un élément positif lorsque l'assistance est disponible et qu'un environnement accessible et inclusif favorise la participation sociale. Ces aspects sont en réalité déjà abordés par la convention relative aux personnes handicapées, qui, je le rappelle, s'applique à tous les groupes d'âge. Par conséquent, dans ce texte, il faudrait se pencher sur les enjeux spécifiques au grand âge, comme l'âgisme et l'intersectionnalité. Cependant, dans cette perspective, il faudrait éviter de remettre en question les avancées déjà obtenues.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Le risque, c'est en effet de voir certains progrès disparaître dans le cadre de cette nouvelle réflexion. Il s'agit d'une négociation où il est important de réfléchir à ce que nous serions prêts à sacrifier et à ce que nous pourrions gagner en retour.

Cependant, une chose m'a toujours étonné dans tout cela : le principe de l'origine de la déficience ou de l'incapacité. Pour moi, c'est problématique. Dans mon cas, j'ai été blessé à l'âge de 25 ans lors d'une activité de loisir, et non dans un accident de travail. Cela m'a placé dans une situation où je percevais une pension minimale et une allocation pour tierce personne, ce qui m'a permis de bien vivre. Cependant, j'ai rencontré des personnes confrontées à des limitations beaucoup plus graves, dans des contextes moins structurés ou moins protégés, et qui devaient faire face à des situations bien plus difficiles. Ces personnes avaient en réalité plus de besoins et moins de ressources. Cette forme d'injustice basée sur la cause de la déficience m'a toujours surpris. Parfois, il s'agit d'un accident de voiture avec un tiers responsable. Dans de tels cas, j'ai rencontré des individus qui recevaient des compensations importantes. Avec des montants substantiels, l'autonomie ne pose pas nécessairement problème. En revanche, j'ai également vu des personnes ayant des incapacités plus graves, mais disposant de très peu de moyens. Cela souligne clairement l'injustice profonde du système de compensation basé sur l'origine de la déficience.

En ce qui concerne la dépendance liée au vieillissement, la cause est souvent liée aux incapacités liées à l'avancée en âge. Les gens sont souvent considérés comme étant "usés". Cela soulève la question de l'origine de la déficience qui sera prise en compte, ainsi que les types de moyens, d'assistance et d'accompagnement qui seront offerts.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Au cours de notre échange, nous avons mis en lumière des aspects fondamentaux à considérer pour promouvoir une convention dédiée aux droits des personnes âgées. Cela inclut notamment l'importance de la participation des associations et la nécessité d'établir une collaboration solide entre les intervenants qui oeuvrent en faveur de ces populations.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

C'est effectivement le point central ici, mais sa mise en oeuvre est particulièrement complexe, car il faut identifier les acteurs clés pour mener un tel mouvement. D'après mon expérience, je constate que les leaders dans le domaine du handicap ne sont pas nombreux. Cependant, une fois qu'ils occupent cette position, ils y demeurent longtemps, et il leur faut des années pour concrétiser certains de leurs projets et ambitions. Dans le contexte des organisations de personnes âgées, la formation de leaders est entravée par le facteur temps. Il est donc nécessaire de chercher des leaders chevronnés provenant d'autres mouvements, prêts à s'engager en faveur des personnes âgées.

Une option pourrait être que les leaders âgés des mouvements de personnes handicapées s'investissent également dans les mouvements pour les personnes âgées. Ou alors, il faudrait envisager de collaborer avec des leaders syndicaux, des individus ayant une solide expérience au sein d'un mouvement politique en somme.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Et comment entrevois-tu une telle dynamique au niveau international ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Au sein du CNCPH, par exemple, j'ai établi des priorités pour notre commission internationale, et l'une d'entre elles concerne l'éducation au sein de l'espace francophone. Je pense que l'espace francophone mérite davantage d'investissements, que ce soit en termes de recherche ou de partage d'informations.

Bien sûr, il existe déjà certaines initiatives, comme le Sommet de la Francophonie que tu connais bien. Cependant, c'est une structure complexe. Les sommets de la francophonie sont souvent opaques, ce qui peut nuire à la promotion des droits des personnes en situation de handicap et des personnes âgées.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Au Québec, dans les années 1990, nous avons rejoint le Sommet de la Francophonie avec la Confédération des organisations nationales des personnes handicapées (COPHAN). Il s'agit de l'ONG québécoise qui rassemble toutes les organisations de défense des droits des personnes en situation de handicap, quelles que soient leurs déficiences et incapacités. Les dirigeants de la COPHAN ont intégré l'organisation de la Francophonie et ont organisé des activités en lien avec les personnes en situation de handicap. Cependant, nous avons rencontré des résistances de la part des militants de la base. Après quelques années de coopération à l'échelle internationale, ces militants ont estimé que cela ne valait pas la peine et qu'il était préférable de se recentrer au niveau national. Ils ont donc rappelé les dirigeants à l'ordre.

Ce rejet de l'international se reflète également dans la perception parfois négative des acteurs sur le terrain à l'égard des accords internationaux, en particulier en ce qui concerne leur mise en oeuvre et le respect sur le long terme. Les gens remettent régulièrement en question l'efficacité et le pouvoir de transformation de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

J'aimerais avoir ton avis sur la question. Quelles ont été les retombées positives de la CDPH ? Et quels leviers restent à actionner pour améliorer sa mise en oeuvre et son suivi ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

J'aimerais dire que la CDPH a ses avantages et ses inconvénients. Au début, j'étais très sceptique à son sujet, surtout en ce qui concerne la perspective de lutter encore pour des textes qui restent souvent lettre morte. Nous avons l'expérience de cela en France avec les lois de 1975 et de 2005. Bien que ces lois aient été le résultat de consultations et de négociations importantes, elles n'ont pas réussi à s'implémenter efficacement. Avec cet historique en tête, je doutais de la mise en oeuvre de principes issus du niveau supranational.

Cependant, je constate aujourd'hui que les autorités françaises prennent cette question au sérieux, en partie pour maintenir une image positive à l’international. Le rapport du comité des droits de l'homme de l'ONU sur la politique française en matière de handicap, publié en août 2022 à Genève, a eu un impact considérable. Les ministres l'attendaient avec nervosité, et le résultat ne les a pas satisfaits. Bien qu'ils aient souligné quelques points positifs, ils reconnaissent que de nombreux défis restent à relever. Le CNCPH a même été chargé de proposer des idées pour mettre en oeuvre les recommandations de ce rapport. Cela montre l'impact concret de la CDPH.

Maintenant, il revient aux associations de faire valoir leur voix avec cet outil. Cependant, je ne suis pas très optimiste à long terme. Actuellement, c'est positif, car cela pousse les gouvernements à progresser. Mais je crains que cela ne soit qu'un premier pas, un début de changement social. La direction prise par le gouvernement français et ses lois en faveur des personnes handicapées m'inquiète. Souvent, les députés votent les lois avec enthousiasme, mais leur mise en oeuvre concrète est beaucoup plus complexe. Les résultats ne sont pas à la hauteur des promesses. Nous avons gagné des principes et une nouvelle perception des personnes en situation de handicap, en tant que citoyens avec des droits. Cependant, l'égalité et la justice sociale tardent à s'ancrer dans les mentalités.

En ce qui concerne la création d'une convention relative aux droits des personnes âgées, je suis convaincu que pour progresser de manière cohérente avec le mouvement en faveur de la CDPH, il est essentiel de respecter l'article clé de cette convention : la participation autodéterminée des personnes concernées. Cette approche participative qui tient compte de la diversité des identités et des capacités des personnes âgées est au coeur de toute avancée dans le respect des droits humains.

Concrètement, cela signifie que rien ne se fera sans l'implication active des personnes âgées. Tout le monde devrait se rallier au slogan bien connu : "Rien sur nous sans nous." Malheureusement, bien que beaucoup le disent, dans la réalité, cela n'est pas toujours perçu comme incontournable, voire même réalisable, par certains "alliés". L'approche participative et représentative des personnes concernées est la clé, mais elle se heurte à une certaine résistance, surtout lorsqu'il s'agit de personnes âgées en situation de handicap, ce qui complique sa mise en oeuvre.

Je peux prendre l'exemple du gouvernement français. Il adhère pleinement aux principes de la CDPH, mais dans la pratique, ces principes sont parfois utilisés par des individus qui cherchent avant tout à servir leurs propres intérêts, sans véritable engagement envers la cause des personnes handicapées. Ces principes sont souvent exploités comme un moyen de progresser sur l'échiquier social et politique. Ce schéma se répète à l'échelle nationale et même aux Nations Unies.

Heureusement, des personnes comme Theresa Degener et Patrick Fougeyrollas, entre autres, sont là pour faire entendre notre voix, en tant que personnes en situation de handicap. Il est essentiel que nous soyons visibles, mais nous avons également la responsabilité de rendre visibles ceux qui font face à des incapacités plus graves et qui sont souvent invisibilisés. Je pense notamment à Philippe Aubert, sociologue, le fondateur de l’association française “Rage d’exister” qui, bien que confronté à des limitations importantes, parvient à les compenser grâce à ses talents, son histoire de vie, son intelligence, son éducation, et au soutien et à l'assistance personnelle dont il bénéficie. Cependant, combien d'entre nous n'ont pas ces ressources pour transformer leur dépendance en une opportunité d'exprimer tout leur potentiel de participation ? Ce sont ces personnes-là qui méritent d'être entendues aujourd'hui.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Effectivement, ces personnes-là sont invisibilisées par le capacitisme systémique ambiant.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Ce sont les personnes avec des limitations sévères qu'il est crucial d'écouter aujourd'hui. Dans une optique d'inclusion, il faut répondre à leurs besoins en termes de soutien à la participation sociale. Toutefois, ces personnes sont souvent représentées par d'autres, comme leurs parents ou des tuteurs. Et je m'inquiète que ce défi soit similaire pour les personnes âgées en perte d'autonomie.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Lorsque nous évoquons la réception de la CDPH par les gouvernements, il est important de se rappeler que cette convention a un caractère contraignant. Cependant, au-delà de la présentation de rapports tous les quatre ans et des critiques qui peuvent en découler, qu'est-ce qui est véritablement contraignant ? Au Québec, les conventions sont connues, mais leur caractère contraignant n'est pas nécessairement pris très au sérieux. Quelles sont les sanctions, en fin de compte ? On pourrait dire que ces conventions relèvent davantage d'un engagement moral, mais elles ne semblent pas avoir un véritable poids dans les rapports de force politiques. Elles ressemblent en quelque sorte à des traités, et le non-respect de leurs obligations devrait être sanctionné, avec des conséquences pour les représentants des États qui les ont ratifiées.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

C'est vrai que la CDPH est souvent considérée davantage comme un engagement moral que comme un texte contraignant. Dans ce contexte, il est juste que des mesures plus coercitives sont nécessaires.

Sur le plan juridique, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Il me semble essentiel de développer une jurisprudence en la matière. Theresa Degener joue un rôle clé à cet égard. Elle a eu un impact significatif sur les questions juridiques et possède une connaissance approfondie des lois et de leur mise en oeuvre. Toutefois, il est important de noter qu'en France, cette jurisprudence est peu disponible.

Il est également important de souligner que la CDPH demeure largement méconnue à ce jour. Même les associations la découvrent en ce moment, son appropriation est un processus laborieux. Tant que nous n'aurons pas documenté sa mise en oeuvre et démontré comment elle est bénéfique pour les populations ciblées grâce à des résultats concrets et des indicateurs fiables, ses effets seront entravés.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Penses-tu qu'il serait pertinent d'organiser un événement international, avec OMPH par exemple, pour poser la question de la pertinence d'une convention sur les droits des personnes âgées aux mouvements de personnes en situation de handicap ? Et leur demander comment ils entrevoient ou non une relecture de la CDPH au regard des réalités de l'âge et du grand âge ?

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

On peut certainement lancer ce débat. Nous sommes en train d'organiser le sommet mondial de OMPH qui se tiendra en Corée du Sud. Cette discussion sur l'âge pourrait tout à fait avoir lieu lors de cette assemblée mondiale. Il y aura évidemment la thématique de l'après-COVID, il y aura la question des réfugiés, et pourquoi pas, la question de l'âge.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Ce qui ressort de notre conversation, c'est que le débat sur la pertinence et le contenu d'une convention sur les droits des personnes âgées gagnerait à inclure les personnes en situation de handicap. Tout d'abord, parce que cette convention concerne également une partie d'entre elles, et parce que le mouvement de personnes handicapées bénéficie d'une expérience préalable.

Jean-Luc Simon, Militant et formateur associatif :

Tout à fait. Les personnes handicapées pourraient transmettre leur expertise et leur expérience aux personnes âgées. Je pense aussi à leur expertise en matière de gestion de la dépendance et des aides techniques qui l'entourent. Par exemple, lorsque je rends visite à ma mère en EHPAD, je constate que le personnel a peu de connaissances sur les questions liées à l'autonomie. Très peu sont formés aux aspects pratiques de réparation et de pilotage d'un fauteuil roulant. Cette situation entraîne des lacunes importantes dans l'accompagnement des résidents en établissement. Personnellement, je n'accepterais jamais la relation d'aide telle qu'elle est actuellement mise en oeuvre en institution. Mais cette position, je peux la défendre parce que j'ai conscience de mes droits et de ma capacité à les faire valoir et à les faire respecter.

À ce sujet, je pense que le mouvement des personnes en situation de handicap a acquis énormément de connaissances qui pourraient être transmises et appliquées à la question de la dépendance liée à l'âge. C'est pourquoi je mentionnais précédemment que l'approche par les publics ne me semble pas être la voie la plus pertinente. Une approche transversale de la gestion de la dépendance est plus prometteuse.

Patrick Fougeyrollas, Anthropologue :

Je partage ton point de vue, et je te remercie pour la richesse de cet entretien.