Abstracts
Résumé
Cette étude documente l’influence de l’APIC (Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire), douze mois après la fin de l’accompagnement, sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs d’aînés ayant des incapacités et explore leur expérience d’accompagnement. L’APIC propose un accompagnement personnalisé de trois heures par semaine pendant six mois durant lequel les aînés peuvent réaliser des activités sociales d’après leurs intérêts. Un devis mixte soutenu par un dispositif pré-expérimental (comparaison des évaluations pré-intervention et post-intervention) et une approche descriptive qualitative ont été utilisés auprès de douze aînés ayant participé à l’APIC. L’indice de qualité de vie - la version canadienne-française du Life-Space Assessment - le Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle - la Mesure des habitudes de vie et le Profil du loisir ont été mesurés avant l’APIC, ainsi qu’immédiatement après, puis douze mois après l’intervention. Douze mois après la fin de l’intervention, les aînés ayant participé à l’APIC présentaient une amélioration de leur qualité de vie globale, plus spécifiquement, de la dimension liée à la santé et au fonctionnement ainsi qu’un maintien de leurs déplacements. Les aînés présentaient également une diminution de leur indépendance fonctionnelle et de leurs activités sociales et rapportaient ne pas souhaiter augmenter la fréquence de pratique de leurs loisirs. D’après les aînés, la présence de l’accompagnatrice leur a permis de vivre des moments de complicité durant l’accompagnement. L’APIC était porteur de sentiments positifs pour les aînés, comme l’admiration à l’égard de l’accompagnatrice et suscitait une prise de conscience sur leur vie et l’importance de réaliser des activités sociales douze mois apès l’intervention.
Mots-clés :
- participation sociale,
- accompagnement individualisé,
- intégration communautaire,
- qualité de vie,
- promotion de la santé
Abstract
This study documents the influence and the assistance experience of the APIC twelve months after the intervention on the quality of life, mobility habits, functional independence, social participation and leisure of frail older adults. APIC offers personalized assistance for three hours a week for six months during which older adults can participate in social activities according to their interests. A mixed-method design including a pre-experimental component (comparison of pre and post intervention evaluations) and a qualitative descriptive phenomenological approach was used with twelve older adults who participated in the APIC. The Quality of Life Index - the French-Canadian version of the Life-Space Assessment - the Functional Autonomy Measurement System - The Assessment of Life Habits and the Leisure Profile were measured before APIC, as well as immediately after and 12 months later. Twelve months after the intervention, older adults who participated in APIC increased their quality of life and maintained their mobility habits. Moreover, older adults also experienced a decrease in their functional autonomy and social activities and refused to increase frequency of their leisure time. According to older adults, the APIC brought them positive feelings, such as admiration toward attendants, with whom they shared privileged moments. Older adults also raised awareness about their lives and importance of social activities realization.
Keywords:
- social activities,
- individualised assistance,
- social integration,
- quality of life,
- health promotion
Article body
Introduction
Le vieillissement de la population représente un défi nécessitant des interventions afin de préserver la santé et l’indépendance des aînés. Dans l’objectif d’améliorer les conditions de vie des aînés québécois et d’éviter ou de retarder l’apparition de maladies chroniques et d’incapacités, certaines actions innovantes, telles le Plan d’action Un Québec pour tous les âges (Gouvernement du Québec, 2018) ont été mises en place au Québec. Malgré cette volonté de poser des actions pour améliorer la santé de la population âgée, plusieurs besoins en lien avec la participation sociale demeurent non satisfaits (Levasseur, Larivière, Royer, Desrosiers, Landreville, Voyer et al., 2014; Turcotte, Larivière, Desrosiers, Voyer, Champoux, Carbonneau et al., 2015). Définie par « l’implication d’une personne dans des activités qui lui procurent des interactions avec les autres dans la communauté » (Levasseur, Richard, Gauvin et Raymond, 2010, p. 2146), la participation sociale est un déterminant de la santé des aînés (Lee, Jang, Lee, Cho et Park, 2008). La participation sociale serait également un élément clé du bien-être (Chiao, Weng et Botticello, 2011) et de la qualité de vie (Levasseur, St-Cyr Tribble et Desrosiers, 2009) et une excellente stratégie pour préserver la mobilité (Rosso, Taylor, Tabb et Michael, 2013). Les interventions mises en place dans un souci d’améliorer la participation sociale des aînés, que ce soit de manière individuelle ou en groupe, formelle ou informelle, seraient néanmoins peu disponibles (Levasseur et al., 2014) et ne répondraient pas pleinement aux besoins individuels des aînés (Tousignant, Dubuc, Hébert et Coulombe, 2007). Les aînés expriment des besoins de participation sociale non satisfaits, par exemple, maintenir des liens interpersonnels avec des pairs, réaliser des activités dans leur communauté et être accompagnés pour les accomplir (Levasseur et al., 2012; Levasseur et al., 2014; Turcotte et al., 2015). Devant ce manque d’opportunités de participation sociale, les aînés se résigneraient, sortiraient peu de leur domicile pour réaliser des activités et ne demanderaient pas d’aide supplémentaire à leur réseau (Levasseur et al., 2014).
Considérant que peu d’interventions de participation sociale sont actuellement disponibles, des chercheurs ont adapté l’Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire (APIC) aux aînés ayant des incapacités. L’APIC a d’abord été conçu pour des adultes ayant subi un traumatisme craniocérébral (TCC; Lefebvre, Levert, Le Dorze, Croteau, Gélinas, Therriault et al., 2013) afin de poursuivre les interventions des Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux et de les accompagner dans leur projet de vie. Les adultes ayant subi un TCC ainsi que les aînés ayant des incapacités présentent des similarités et des besoins semblables, notamment en lien avec des restrictions personnelles ou sociales limitant leur intégration et leur participation sociale, ainsi qu’un besoin d’être accompagnés pour réaliser des activités dans la communauté (Perroux, Lefebvre, Levert et Malo, 2013). Ces besoins et similarités ont mené à l’adaptation de l’APIC pour les aînés ayant des incapacités (Levasseur, Lefebvre, Levert, Lacasse-Bédard, Desrosiers, Therriault et al., 2016). L’APIC consiste en un suivi hebdomadaire de trois heures pendant six à dix-huit mois réalisé par un accompagnateur formé. Pendant le suivi, l’accompagnateur encourage l’aîné à se fixer des buts en lien avec des activités sociales importantes et procurant des interactions dans la communauté, mais difficiles à réaliser pour lui.
L’accompagnement personnalisé offert dans l’APIC est adapté aux besoins de chaque individu et fait appel à une relation égalitaire. Ainsi, l’accompagnateur ne fait pas « pour » l’aîné, mais « avec » l’aîné, dans une démarche égalitaire et coopérative (Boutinet, 2003; Paul, 2009). La personne accompagnée prend elle-même ses décisions concernant les activités qui l’intéressent et elle y participe de manière indépendante (Therriault, Lefebvre, Guindon, Levert et Briand, 2013). Elle est ainsi guidée et soutenue à travers ses projets et acquiert un niveau plus élevé d’autonomie et de satisfaction par rapport à ses choix personnels (Paul, 2009). De par son accompagnement personnalisé selon les besoins exprimés de chaque aîné et de leur mise en action menant à une participation sociale plus satisfaisante, l’APIC est une stratégie novatrice pour favoriser le vieillissement en santé et la qualité de vie de la population aînée.
À notre connaissance, vingt-quatre études présentent des interventions de participation sociale impliquant un accompagnement personnalisé. Huit de ces études ont porté uniquement sur les accompagnateurs et ne présentent pas de résultats sur les aînés accompagnés, par exemple Macleod, Skinner, Wilkinson et Reid (2016). De ces mêmes huit études, cinq ont été réalisées pour des personnes ayant un problème de santé spécifique, c’est-à-dire un trouble de santé mentale, et ne concernent pas exclusivement des aînés, par exemple, Therriault et collaborateurs (2013). Sept autres études recensées ne décrivent pas les effets de l’accompagnement et leurs bienfaits chez les aînés et n’ont pas exploré leur expérience d’accompagnement, par exemple Butler (2006). De ces vingt-quatre études recensées, neuf concernent l’APIC, dont une seulement a été réalisée pour des aînés ayant des incapacités. Selon cette étude, les aînés présentaient une augmentation de leur participation sociale (p < 0,01 ) et de leur fréquence de pratique de loisirs (p < 0,01) (Levasseur et al., 2016). Les déplacements des aînés se sont également améliorés (p = 0,001) à la suite de l’APIC (Pigeon, Boulianne et Levasseur, 2019). Les aînés souhaitaient modifier la pratique ou la fréquence de leurs loisirs (p ≤ 0,01). Les aînés ne présentaient aucun changement significatif de leur indépendance fonctionnelle (l’amélioration était statistiquement mais non cliniquement significative; p = 0,02) et de leur qualité de vie (p = 0,07) à la suite de l’APIC (Levasseur et al., 2016). Selon l’opinion des aînés, l’APIC leur aurait permis de reprendre, de maintenir et d’explorer des activités sociales signifiantes. La présence de l’accompagnateur permettait aux aînés de partager des moments de complicité et de réaliser des activités sociales. Quoique prometteurs, ces effets de l’APIC ont été observés uniquement à court terme, c’est-à-dire immédiatement après la fin de l’accompagnement et, à ce jour, aucune étude n’a vérifié s’ils se maintiennent dans le temps. L’étude fait aussi peu mention de l’expérience des aînés participants lors de l’APIC.
Cette étude exploratoire visait à documenter l’influence de l’APIC douze mois après la fin de l’accompagnement sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs d’aînés ayant des incapacités. Considérant que l’APIC était adapté aux besoins individualisés de chaque aîné ayant des incapacités et que plusieurs bienfaits ont été rapportés à sa fin, l’hypothèse à l’étude était que les effets observés immédiatement après l’APIC se maintiendraient dans le temps. L’étude visait aussi à explorer l’expérience d’accompagnement telle que perçue par les aînés douze mois après l’APIC.
Méthode
Devis
Cette étude constitue la suite de l’étude de Levasseur et collaborateurs (2016) explorant les effets immédiatement à la suite de l’APIC et sa faisabilité (Levasseur et collaborateurs, soumis). La même méthodologie utilisée par l’étude de Levasseur et collaborateurs (2016), c’est-à-dire un devis mixte incluant un volet quantitatif dominant et un volet qualitatif simultanés avec triangulation, a été reprise douze mois après la fin de l’APIC. Soutenu par un dispositif pré-expérimental, le volet quantitatif impliquait en tout trois temps de mesure : un pré-test avant l’APIC (T0; octobre 2013), un post-test à la fin de l’APIC (T1; septembre 2014) et un suivi 12 mois après la fin de l’APIC (T2; juin 2015). Le volet qualitatif explorait l’expérience d’accompagnement des aînés lors de l’APIC et comportait des entretiens avec les aînés et des journaux de bord remplis par les accompagnatrices selon une approche descriptive qualitative. L’expérience d’accompagnement des accompagnatrices a fait l’objet d’un autre article (Gagnon et Levasseur, 2020). L’étude a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS de l’Estrie-CHUS; 2014-383).
Participants
Les seize aînés ayant participé à l’étude de Levasseur et collaborateurs (2016) ont tous été recontactés pour la présente étude. Initialement, les aînés devaient : 1) présenter des incapacités modérées à graves, d’après un score supérieur ou égal à quinze au Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF; Hébert, Carrier et Bilodeau, 1988); 2) résider dans un domicile conventionnel ou une résidence pour personnes autonomes ou semi-autonomes, et 3) être en mesure de communiquer en français. Douze aînés ont accepté de participer à la présente étude et quatre ont refusé en raison de problèmes de santé. Cet échantillon de douze aînés sur une possibilité totale de seize a permis d’atteindre une saturation théorique des données, notamment en raison d’un faible niveau d’attrition des participants, et d’exploration en profondeur de leur expérience d’accompagnement.
Collecte de données
Lors du pré-test et du post-test de l’étude de Levasseur et collaborateurs (2016), chaque aîné a été rencontré individuellement par une agente de recherche environ quatre-vingt-dix minutes. Lors du suivi douze mois après la fin de l’APIC, chaque aîné a été de nouveau rencontré individuellement pendant environ soixante minutes par la première auteure (KG). Lors des trois temps de mesure, cinq questionnaires ont été utilisés afin de documenter l’influence de l’APIC sur l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale, les loisirs, la qualité de vie et les déplacements. Toujours lors du suivi douze mois après la fin de l’APIC, une deuxième rencontre a été consacrée à un entretien individuel d’une durée approximative de soixante minutes. Tous les entretiens ont été enregistrés sur bande audio numérique et retranscrits sous forme manuscrite (verbatim), puis ont été détruits. La semaine suivant les entretiens, un résumé des propos tenus de chaque aîné a été produit et posté pour validation. Les participants ont par la suite été contactés par téléphone et ont tous rapporté la conformité de leur résumé.
Intervention
Lors de l’étude de Levasseur et collaborateurs (2016), les aînés ont participé à des rencontres (21,0 ± 3,57; M ± ET) de trois heures par semaine pendant six mois avec un accompagnateur. Ces rencontres ont débuté entre septembre et novembre 2013. Lors des rencontres, les accompagnatrices encourageaient les aînés à se fixer des buts importants en lien avec leur projet de vie, à accomplir des activités sociales et à s’intégrer dans la communauté. Ces activités pouvaient être, par exemple, aller à la bibliothèque ou participer à des activités proposées par les organismes communautaires locaux. Avec l’aide des accompagnatrices, les aînés mobilisaient graduellement et de façon accrue leurs ressources personnelles et celles de leur environnement pour réaliser leur projet de vie. Les six accompagnatrices avaient de l’expérience auprès d’aînés, la plupart en tant que bénévoles, et étaient supervisées par une professionnelle de recherche et une chercheuse pendant l’accompagnement. Cette supervision pouvait être réalisée sous forme d’appels téléphoniques, de rendez-vous individuels ou lors des rencontres avec l’ensemble des accompagnatrices. Les accompagnatrices avaient suivi une formation de deux jours portant sur le vieillissement, l’incapacité et les activités sociales offertes par les organismes communautaires visant le maintien des aînés dans la communauté. Les intérêts et les demandes des aînés et des accompagnatrices (ex : souhaiter une accompagnatrice ou un aîné de sexe féminin) ont été considérés lors du jumelage. Après chaque rencontre avec l’aîné, les accompagnatrices rédigeaient un journal de bord qui documentait l’évolution de l’accompagnement et qui contenait, par exemple, l’objectif ciblé de chaque rencontre et les activités réalisées. Les rencontres d’accompagnatrices offraient l’occasion de discuter du déroulement des accompagnements, des défis rencontrés et de la progression de l’aîné dans son projet de vie. Au besoin, ces rencontres permettaient aussi d’obtenir des conseils et du soutien. Trois aînés ainsi que leurs accompagnatrices ont exprimé le souhait et l’intérêt de poursuivre la relation développée après la fin de l’APIC, sous forme de visites ou d’appels téléphoniques sporadiques, pendant trois mois supplémentaires.
Outils
Lors de l’étude de Levasseur et collaborateurs (2016), cinq outils ont documenté l’influence de l’APIC sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs d’aînés ayant des incapacités. Ces outils ont été repris pour cette nouvelle étude. L’Indice de qualité de vie (IQV) estime la satisfaction et l’importance accordées à la qualité de vie. Ce questionnaire présente une excellente fidélité test-retest (r = 0,81-0,87) et une cohérence interne élevée (alphas de Cronbach : 0,90-0,93; Ferrans et Powers, 1985). La version canadienne-française du Life-Space Assessment (LSA) estime l’étendue spatiale des habitudes de déplacements d’une personne dans son environnement physique. L’outil présente une bonne fidélité interjuge (k = 0,86-0,96) et test-retest (r = 0,69-0,92) avec un intervalle de confiance à 95 % (Auger, Demers, Gélinas, Routhier, Jutai, Guérette et al., 2009). Le SMAF (Hébert et al., 1988) évalue l’indépendance fonctionnelle des aînés selon vingt-neuf items dans cinq domaines. Cet outil présente de bonnes qualités psychométriques (fidélité interjuge kappa = 0,75; fidélité test-retest rho de Spearman = 0,95; Hébert etal., 1988). La Mesure des habitudes de vie (MHAVIE; version 3.1 abrégée) estime le niveau de réalisation et de satisfaction à l’égard de la participation sociale (Roy-Bouthot, Filiatrault, Caron, Gagnon, Prémont et Levasseur, 2013). Pour cet outil, seulement la sous-échelle portant sur les activités sociales a été utilisée. Ce questionnaire présente une bonne fidélité interjuge (k = 0,89) et test-retest (r = 0,95) pour des aînés (Fougeyrollas, Noreau et Tremblay, 2002). Enfin, le Profil du loisir mesure l’engagement et les difficultés de la personne dans ses activités de loisir et l’espace qu’elle leur accorde parmi ses autres activités courantes et comprend le degré d’intérêt, la fréquence de pratique et la satisfaction à l’égard de seize activités de loisir. Cet outil présente une fidélité interjuge (k = 0,21–0,80) et test-retest (r = 0,41-0,60) acceptables (Dutil, Bier et Gaudreault, 2007).
Un guide d’entretien semi-structuré a approfondi l’expérience d’accompagnement telle que perçue par les aînés douze mois après la fin de l’APIC. Il comportait des questions telles que : « S’il y a lieu, qu’est-ce que votre accompagnement avec (nom de l’accompagnatrice) vous apporte maintenant? » ou « S’il y a lieu, parlez-moi de l’influence de l’accompagnement dans votre vie maintenant ». Le guide d’entretien a été développé en s’appuyant sur les écrits scientifiques et a été validé par deux experts en recherche qualitative et dans l’APIC. Un pré-test a aussi été réalisé auprès d’un aîné bénéficiant de services auprès d’un organisme communautaire, qui a permis de clarifier deux questions du guide d’entretien.
Analyse des données
Les aînés ont d’abord été décrits à l’aide de médianes et d’intervalles semi-interquartiles ou de fréquences et de pourcentages, selon le type de variables, respectivement numériques ou catégoriques. Afin de détecter la présence de changements 1) avant l’APIC (T0; octobre 2013) et immédiatement après l’APIC (T1; septembre 2014); 2) immédiatement après l’APIC (T1; septembre 2014) et 12 mois après l’APIC (T2; juin 2015); 3) avant l’APIC (T0; octobre 2013) et 12 mois après l’APIC (T2; juin 2015), le test des rangs signés de Wilcoxon a été utilisé. Le test de Bonferroni a ajusté le seuil de significativité observé en fonction du nombre de comparaisons multiples effectuées. L’échantillon de douze aînés a permis la détection d’une différence de 0,75 ou plus entre deux moyennes selon des tests t bilatéraux appariés d’après un niveau significatif à 0,05 et une puissance de 80 %.
Le logiciel SPSS a été utilisé pour réaliser les analyses quantitatives. Une analyse de contenu thématique, à l’aide d’une grille de codage mixte et d’un procédé de repérage systématique (Miles, Huberman et Saldana, 2014), a aussi été réalisée à l’aide du logiciel N’Vivo10. Cette analyse de contenu explorait l’expérience d’accompagnement telle que vécue par les ainés pendant l’APIC et portait sur les entretiens, les journaux de bord ainsi que les rencontres d’accompagnatrices. L’analyse des données avait comme assise le Modèle de développement humain - Processus de production du handicap (MDH-PPH; Fougeyrollas, Boucher, Edwards, Grenier et Noreau, 2019). Ce modèle offre une vision élargie des facteurs pouvant entraver ou faciliter la participation sociale et illustre la progression et le maintien des habitudes de vie (participation sociale). Les thèmes ont émergé des entretiens, des journaux de bord et des rencontres d’accompagnatrices, puis ont été renommés et organisés d’après la Classification du MDH-PPH. Afin de renforcer la fiabilité des résultats, le tiers des données a été co-codé par un chercheur expérimenté en analyse qualitative.
Résultats
Le tableau 1 décrit les caractéristiques sociodémographiques et cliniques des participants aînés de l’étude. Ces caractéristiques n’ont pas influencé les résultats métrologiques et n’ont pas fait l’objet d’analyses supplémentaires en ce sens. Lors du suivi douze mois après la fin de l’APIC, les participants étaient âgés de soixante-huit ans à quatre-vingt-treize ans [médiane ± intervalle semi interquartile (Md ± Q) : 82,0 +/- 6,0] et étaient majoritairement des femmes (n = 9; tableau 1). Les participants s’exprimaient en français, ils étaient propriétaires (n = 5), locataires (n = 2) ou vivaient dans une résidence privée ou semi-privée pour aînés (n = 5). La majorité d’entre eux vivaient seuls (n = 7), certains habitaient en couple (n = 3) ou avec un membre de leur famille (n = 2). La plupart avaient une scolarité de niveau primaire ou secondaire (n = 5) ou professionnel ou collégial (n = 5; tableau 1). Deux participants possédaient un diplôme universitaire. Lorsque questionnés sur leur santé, les aînés l’évaluaient comme étant bonne (n = 7), mais la plupart d’entre-eux rapportaient se sentir déprimés à l’occasion (n = 9; tableau 1). Ils présentaient des incapacités en lien avec leur mobilité, leur communication ou leur intégration sociale. Les participants présentaient deux types de profil (Levasseur et al., 2016; Tableau 1). La répartition dans ces deux profils a été effectuée d’après l’analyse clinique de l’équipe de recherche. Ces profils pourraient expliquer la diminution de leur participation sociale et de leurs loisirs douze mois suivant la fin de l’APIC. Dans le premier profil, sept d’entre eux souhaitaient optimiser la réalisation d’activités dans la communauté en compagnie de l’accompagnatrice avant que l’APIC se termine. Ces aînés présentaient un niveau élevé de détermination et de motivation à organiser ou à s’impliquer dans des activités dans leur milieu. Axé sur la relation avec l’accompagnatrice, le deuxième profil se distinguait par l’attachement de cinq aînés à l’égard de l’accompagnatrice, qu’ils considéraient en tant qu’amie ou membre de la famille (tableau 1). Les accompagnatrices leur donnaient l’occasion de discuter de sujets leur tenant à coeur. Les aînés du deuxième profil éprouvaient plus de difficultés à mettre un terme à l’accompagnement. Chez ceux-ci, la fatigue était également une barrière à la réalisation d’activités et l’anxiété liée à la crainte de sortir et de vivre des inconforts physiques était plus élevée. Huit aînés avaient le même profil au moment où l’APIC s’était terminé et douze mois plus tard (tableau 1). Ainsi, parmi les quatre autres aînés, trois étaient initialement axés sur les activités immédiatement après la fin de l’APIC et douze mois plus tard, accordaient plus d’importance à la relation développée avec leur accompagnatrice. La situation contraire est observée pour la quatrième aînée; elle mettait initialement l’accent sur le lien établi avec son accompagnatrice et, douze mois après la fin, exprimait son souhait de réaliser des activités sociales dans la communauté.
Parmi les aînés dont le profil avait changé, on rapportait des hospitalisations fréquentes, une détérioration des capacités physiques ou un accident menant à des traitements de physiothérapie.
Les résultats présentés dans cette section offrent une vision éclairée de l’influence de l’accompagnement sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs d’aînés ayant des incapacités douze mois après la fin de l’APIC. L’expérience d’accompagnement des aînés, qui influence encore leur vie douze mois après la fin de l’APIC, est également abordée, et ce, afin de documenter les effets à moyen terme de l’intervention.
Pour chacune des variables principales, les résultats seront d’abord présentés tel que documentés quantitativement suivi des entretiens qualitatifs.
Qualité de vie
La qualité de vie douze mois après l’APIC est supérieure à celle observée avant (18,5 ± 4,1) et elle s’est maintenue comparativement à immédiatement après (20,3 ± 1,9; tableau 2). Douze mois après l’APIC, les aînés mettent davantage d’accent sur les évènements positifs ou sur les activités qu’ils sont encore en mesure de réaliser. Après avoir été soutenue par son accompagnatrice pendant l’APIC, une aînée a souhaité aider à son tour son prochain, par exemple, en organisant des rencontres d’aînés pour briser l’isolement, telle qu’expliqué dans l’extrait suivant: « Je ne peux pas être heureuse si je ne fais pas quelque chose qui aide aussi quelqu’un. » (P7).
Déplacements
Comparativement au début de l’APIC, les participants maintenaient leurs habitudes de déplacement dans l’environnement depuis la fin de l’APIC, quoique ce maintien n’était pas observé de manière statistiquement significative entre les différents temps de mesure. Une tendance était observée pour une aire de mobilité composée plus restrictive douze mois après l’APIC, quoique cette tendance n’était pas statistiquement significative (tableau 2). Grâce à l’accompagnement, une des aînés rapportait avoir maintenu sa capacité à se déplacer de façon autonome, notamment en s’exerçant à descendre régulièrement les escaliers de sa résidence avec l’accompagnatrice. Cette capacité était encore préservée douze mois après la fin de l’APIC : « [Lors d’un récent exercice de feu,] j’ai été capable de descendre les marches. Je sais que je suis capable maintenant, je suis fière. » (P2).
Indépendance fonctionnelle
À la suite de l’APIC, une diminution de l’indépendance fonctionnelle des participants aux trois différents temps de mesure a été observée (T0 : 21,0 ± 9,1; T1 : 20,0 ± 4,1; T2 : 25,3 ± 4,3) possiblement reliée à une santé plus fragile et au deuil à faire de certaines capacités (tableau 2). Une aînée mentionnait : « J’ai arrêté de conduire donc on a arrêté de sortir […]. Je n’ai pas de problème avec mon équilibre, c’est les jambes, elles me font mal. » (P6).
Participation sociale
La participation sociale a également diminué douze mois post accompagnement (5,0 ± 2,5) comparativement à avant l’APIC (6,2 ± 1,1) et immédiatement après (3,2 ± 0,6). Les aînés rapportaient réaliser moins d’activités sociales et avoir plus de difficultés et être moins satisfaits de leur réalisation douze mois après la fin de l’accompagnement, ce qui a pu influencer l’importance accordée à ces activités, qui a aussi diminué: « Je pourrais en faire plus, mais je me trouve bien chez nous. » (P4). Cette diminution de l’importance des activités sociales pourrait, entre autres, être justifiée par un manque d’intérêt ou de motivation des aînés à l’égard de certaines activités dans la communauté ou la peur du jugement de leurs pairs sur leurs capacités physiques et mentales.
Loisirs
La fréquence de pratique des loisirs des aînés a également diminué douze mois après la fin de l’APIC (14,5 ± 2,3), comparativement à immédiatement après (12,0 ± 2,6). Leur souhait de modifier la pratique ou la fréquence de leurs loisirs a également décliné entre le début de l’APIC et immédiatement après sa fin (T0-T1) ainsi qu’entre le début de l’accompagnement et douze mois suivant son achèvement (T0-T2; tableau 2). Les participants rapportaient toutefois demeurer satisfaits de la situation, tel que mentionné par cet aîné, qui s’exprime sur ses activités de loisir depuis la fin de l’APIC : « À tous les soirs, je joue deux trois parties [de billard]. Je ne joue pas beaucoup, mais j’en joue deux trois parties et je suis satisfait. » (P3).
L’expérience d’accompagnement des aînés se décrivait selon trois thèmes principaux : 1) axée sur le développement d’une relation significative avec l’accompagnatrice, 2) génératrice de sentiments principalement positifs et 3) suscitant une prise de conscience sur leur vie et la réalisation de leurs activités sociales.
Premièrement, les participants vivaient des moments de complicité et d’échanges avec leur accompagnatrice, ce qui contribuait à leur bien-être, tel que rapporté par une aînée expliquant sa relation et le souvenir de celle qui l’a accompagnée pendant six mois: « On prenait un bon café, on jasait de toutes sortes d’affaires. [L’APIC] a été agréable. Je garde même le souvenir [de mon accompagnatrice]. [L’APIC] a été plaisant. » (P11). La majorité des participants soutenaient que la relation avec leur accompagnatrice leur apportait du plaisir et du bonheur, qu’elle faisait du bien au moral, et qu’elle permettait d’oublier la fatigue et les problèmes de santé physique ou mentale liés au vieillissement. La plupart des participants appréciaient d’être écoutés, sans jugement, par l’accompagnatrice, avec qui ils ont développé une véritable amitié, tel que rapporté par cette personne : « C’était comme une amie […] je l’acceptais en totalité parce qu’on était bien ensemble, ce n’était pas pénible, c’était de la confiance. » (P10). L’accompagnatrice, considérée en tant que membre de la famille par presque tous les participants, permettait de se sentir moins seuls et en situation d’isolement, comme mentionné par cette participante, qui ne recevait pas beaucoup de visites, même de sa famille : « Je me sentais moins seule, j’avais quelqu’un avec moi pour parler, autrement je suis tout le temps seule, mes enfants viennent des fois, mais ils ne viennent pas souvent et pas longtemps. » (P8).
Deuxièmement, l’accompagnement suscitait la plupart du temps, et pour la majorité des participants, des sentiments positifs. Pour certains aînés, l’admiration à l’égard de l’accompagnatrice est encore présente douze mois après l’APIC et elle joue un rôle dans la réalisation de leurs activités sociales, tel que rapporté par cette aînée : « Quand je fais [des activités dans la communauté], je pense à [l’accompagnatrice], c’est un modèle. » (P7). Pour d’autres, la présence de l’accompagnatrice leur a permis de se sentir plus actifs, encouragés et valorisés dans leurs activités sociales. Ce sentiment d’être notamment plus actif se manifeste encore depuis la fin de l’accompagnement, tel que le mentionnait une aînée : « La patience, la tolérance, la joie de vivre, l’affection envers les autres, la bonté, la sérénité, toutes ces qualités que j’essayais de développer avec [l’accompagnatrice], j’essaie de les mettre en pratique aujourd’hui dans mon milieu avec les autres. Ça me garde occupée, je suis plus éveillée et active. » (P2).
Quelques participants éprouvaient toutefois des sentiments négatifs douze mois après la fin de l’APIC. Quatre aînés étaient attristés que l’accompagnement soit terminé et de ne plus avoir de lien avec l’accompagnatrice, comme cette participante, dont la peine était encore palpable : « [La fin de l’accompagnement] a été très difficile. Ça l’est encore, il ne faut pas en parler. » (P4). Deux aînés avaient l’impression d’avoir déçu l’accompagnatrice en raison de leurs capacités physiques ou mentales, tel qu’illustré dans un journal de bord: « Mon monsieur me demandait souvent, que viens-tu faire à ton âge à t’asseoir avec un vieux qui ne peut plus rien faire. Tu dois trouver ça ennuyant? » (JBP3). Une des participantes avait l’impression de ne pas avoir mérité la présence de l’accompagnatrice, ce qui l’a parfois empêchée de profiter de sa présence, par exemple, en annulant leur rencontre, et en ressentant de la culpabilité : « C’est comme si quelque chose me disait, laisse la place aux autres. » (P11).
Troisièmement, les aînés rapportaient que l’accompagnement leur avait fait prendre conscience de certaines de leurs capacités physiques ou mentales. Ces capacités restreignaient parfois leurs activités sociales ou de loisir et elles pouvaient engendrer le jugement d’autrui. Une aînée explique comment elle s’est sentie à la suite d’une activité physique organisée avec des amis du même âge pendant l’APIC : « ça m’a fait constater que je n’étais plus capable [de suivre le rythme du groupe lors d’une promenade], […] j’étais gênée de ne pas pouvoir, je pense qu’avec [nom de l’accompagnatrice] j’aurais peut-être dû plus sortir. » (P10). Cette prise de conscience menait parfois progressivement vers l’acceptation du deuil de certaines capacités autrefois détenues et vers l’amorce d’une satisfaction plus ajustée face à leur vieillissement : « J’ai eu vingt ans, j’ai aimé sortir, mais étant donné que je dois toujours utiliser ma marchette pour sortir, je fais moins d’activités. C’est du passé, je suis passée à autre chose, j’ai moins d’intérêt [pour faire des activités] et ça va bien. » (P3). L’accompagnement a permis aux aînés de prendre conscience des ajustements à mettre en place afin qu’ils soient plus satisfaits de leur vieillissement, tel qu’explicité par cette aînée, qui perçoit le vieillissement comme une période de grands changements et d’adaptation : « C’est une prise de conscience, une analyse de ta vie et il faut que tu en retires le meilleur […], sinon c’est facile de se laisser aller, je me dis : ‘mon dieu je suis vieille, ça finit là’. » (P1). Une partie de ces ajustements concerne leur participation sociale, l’APIC ayant mis en évidence l’importance de réaliser des activités dans la communauté, et ce, tel que rapporté par cette accompagnatrice : « Nous avons fait une rétrospective de nos rencontres et de nos sorties que nous avons partagées. Elle s’est rendue compte qu’elle avait réalisé beaucoup de choses et que l’APIC l’avait aidée grandement [à s’ouvrir aux gens, à faire des petites sorties, à jaser.] » (JBP2).
Discussion
Cette étude visait à documenter l’influence de l’APIC douze mois après l’accompagnement sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs d’aînés ayant des incapacités. Contrairement à ce qui était attendu, sauf pour la qualité de vie et les déplacements, l’influence de l’accompagnement ne s’est pas maintenue douze mois après la fin de l’APIC. Concernant la qualité de vie, qui s’est maintenue douze mois après, il est possible que la présence de l’accompagnatrice ait permis aux aînés de réaliser un bilan positif de leur vie et de les mener vers un plus haut niveau de satisfaction envers leur vieillissement. Tel que suggéré par Hendricks (1995), ce bilan pourrait permettre aux aînés de minimiser l’importance ou les effets d’évènements négatifs. En portant principalement leur attention sur les évènements positifs de leur vie, la perception que les aînés ont de leur qualité de vie pourrait ainsi avoir été maintenue.
Une tendance vers une diminution des habitudes de déplacement des aînés, bien que non cliniquement et statistiquement significative, a aussi été observée et laisserait croire que malgré la diminution de leurs activités sociales et de leurs loisirs, les aînés maintiendraient et préserveraient leurs capacités à se déplacer dans leur environnement. L’APIC pourrait ainsi avoir contribué à préserver la mobilité des participants. Cette observation est partagée avec les données de l’étude de Boulianne (2016), où il est également mentionné que l’APIC offrait l’opportunité aux aînés de se mouvoir plus fréquemment dans leur environnement. Les résultats indiquent également une diminution de l’indépendance fonctionnelle. Une telle diminution pourrait être liée à une réduction de la fréquence des activités sociales et des déplacements à la suite de la fin de l’APIC. Aussi, une année s’est écoulée depuis la fin de l’APIC et un effet de maturation pourrait s’être produit, ce qui pourrait avoir influencé l’indépendance fonctionnelle des aînés.
Douze mois après l’APIC, les aînés ont diminué leurs activités sociales, ils en étaient moins satisfaits et ils y accordaient moins d’importance. De plus, les aînés ne souhaitaient pas augmenter la fréquence ou la pratique de leurs loisirs.
Quatre éléments contextuels pourraient expliquer cette diminution.
Premièrement, l’APIC aurait permis aux aînés d’avoir davantage conscience de leurs capacités ainsi que des obstacles de l’environnement. Certaines activités sociales signifiantes étaient plus difficiles à réaliser, ce qui créait des situations inconfortables en présence d’autres aînés qui ne vivaient pas ces difficultés. Ces constatations pourraient avoir mené certains aînés à accepter que leur vie inclurait dorénavant moins d’activités sociales en vieillissant et à réduire leurs activités dans la communauté. Grâce à l’APIC, les aînés acceptaient plus facilement le deuil de certaines de leurs capacités et valorisaient les activités qu’ils pouvaient toujours réaliser. Anaby, Miller, Eng, Jarus et Noreau (2009) ont aussi observé une diminution des activités sociales dans la communauté lorsque les aînés présentaient des limitations et qu’ils avaient moins confiance en leurs capacités.
Deuxièmement, l’état de santé des aînés était, pour plusieurs d’entre eux, fragile et il requérait des soins fréquents, ce qui occupait une place considérable dans leur vie. Leur santé influencerait la réalisation de leurs activités sociales, qui ne seraient pas une priorité pour les aînés, mais plutôt un luxe. Plusieurs auteurs, dont Thomas et collaborateurs (2017), ont également noté l’influence de l’état de santé sur le désir des aînés de réaliser des activités dans la communauté.
Troisièmement, les aînés ne saisiraient pas toujours les occasions d’être actifs dans leur communauté, puisqu’ils craindraient le jugement de leurs pairs. Similairement, Goll et collègues (2015) rapportent que, en partie par peur d’être rejetés par leurs pairs, certains aînés éviteraient les opportunités de contacts et de participation sociale et qu’ils préféreraient réaliser des activités solitaires ou se retirer de certaines activités de groupe. Enfin, sans l’accompagnatrice, la motivation et l’intérêt des aînés à participer socialement dans leur communauté seraient difficile à maintenir une fois l’APIC terminé. Ce retrait de l’accompagnatrice entraînerait une reprise de la routine préalable à l’accompagnement. Cette motivation ou cet intérêt limité à entreprendre des activités ou à maintenir des relations dans la communauté a aussi été rapporté par Benjamin, Edwards, Ploeg et Legault (2014), de même que par Plys (2017).
La présente étude explorait aussi l’expérience des aînés, selon lesquels l’accompagnement leur aurait permis de développer une relation signifiante avec l’accompagnatrice. Cette relation fondée sur le respect mutuel aurait, pour certains d’entre eux, mis en lumière les réalisations dont ils sont fiers. Malgré des difficultés liées à une santé parfois fragile, à la préservation de leur énergie ou à leur indépendance fonctionnelle diminuée, les moments passés en compagnie de l’accompagnatrice leur auraient permis d’accepter plus facilement les deuils associés à la diminution de leurs capacités et de leurs activités sociales, les menant vers une autre étape de leur vie impliquant une diminution de leurs activités sociales. Cette acceptation pourrait ainsi avoir favorisé leur résilience et leur satisfaction à l’égard de leur vieillissement. Similairement, par le biais de différentes formes de média (ex : peinture) ainsi que l’écoute et le soutien des accompagnateurs, les aînés de l’étude de Macleod et collaborateurs (2016) avaient l’opportunité de faire un retour sur leur vie et sur certains évènements, telles que les pertes liées à leur vieillissement. L’accompagnement renforçait alors la valeur de leur existence et augmentait leur satisfaction à l’égard de leur vie (Macleod et al., 2016).
L’accompagnement était généralement porteur de sentiments positifs pour les aînés qui, par exemple, admiraient l’accompagnatrice et avaient le sentiment d’être plus actifs et valorisés dans leur participation sociale. Ces sentiments positifs sont encore ressentis douze mois après la fin de l’APIC et ils auraient contribué à l’augmentation de l’estime de soi des aînés et de leur motivation à entreprendre des activités et à préserver des liens dans la communauté, même en présence d’incapacités. Des propos similaires ont été tenus dans l’étude de Wilson, Bigby, Stancliffe, Balandin, Craig et Andersson (2013), lors de laquelle les aînés se sentaient valorisés par leurs mentors dans leur capacité à réaliser des activités signifiantes et à maintenir des relations interpersonnelles, et ce, en faisant fi de leur déficience intellectuelle. Ces résultats montrent que les populations en situation de vulnérabilité peuvent augmenter leur satisfaction à l’égard de leur participation sociale et leur implication dans leur communauté lorsqu’elles sont soutenues par un accompagnement personnalisé, c’est-à-dire adapté à leurs besoins et leurs capacités. Selon Levasseur, Lussier-Therrien, Biron, Dubois, Boissy, Naud et al. (2021), une situation de vulnérabilité se définit par un ensemble de circonstances vécues par une personne dans une période précise de sa vie, de nature physique, psychologique, socioéconomique ou sociale qui influence son risque d’être blessée ou de développer des difficultés d’adaptation pouvant mener à des conséquences négatives dans sa vie.
La durée de l’accompagnement pourrait aussi être l’une des raisons pour laquelle son influence ne se maintient pas dans le temps. Cette période de six mois pourrait ainsi être trop courte pour modifier des habitudes parfois en place depuis plusieurs années. En effet, plusieurs façons de faire, de penser ou d’agir pourraient être profondément ancrées dans les habitudes d’une personne et l’être davantage au fur et à mesure qu’elle vieillit, ce qui peut diminuer sa portée d’action à les modifier, tel que le soutiennent Cooper et Perez-Hooks (2016). Par exemple, des aînés évitant depuis plusieurs années les activités de groupe par peur d’être humiliés à cause de leurs incapacités pourraient ne pas être en mesure de s’inscrire dans un organisme pour aînés et ce, malgré leur volonté de le faire. Une dissonance cognitive pourrait ainsi survenir, c’est-à-dire une tension vécue lorsqu’une personne est confrontée à des informations venant contredire l’organisation de notions, d’éléments d’informations qu’elle a enregistrés dans sa conscience (Vaidis, 2011). Cette tension pourrait s’avérer ardue pour une personne qui tente de maintenir une plus grande cohérence de soi possible et qui doit ainsi réévaluer certaines de ses croyances ou de ses comportements. La présence d’une dissonance cognitive pourrait de ce fait susciter des réactions de protection à l’égard des nouveaux éléments qui entrent en contradiction avec ses habitudes de vie (Vaidis, 2011), incluant la réalisation de nouvelles activités sociales dans la communauté ou le développement de relations interpersonnelles. La dissonance cognitive semble nuire, limiter ou même empêcher certains aînés de profiter des occasions de participation sociale et de loisir dans leur milieu. Diminuer les effets de la dissonance cognitive pourrait permettre aux aînés de s’engager dans leurs activités sociales et d’augmenter leur satisfaction à l’égard de leur participation sociale. Plusieurs études, dont celle de Prochaska et Velicer (1997), confirment les difficultés de modifier des comportements profondément ancrés lors d’une courte intervention.
Forces et limites
Cette étude est la première à documenter l’influence de l’accompagnement personnalisé douze mois après sa fin sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs d’aînés ayant des incapacités. Elle est également la première à explorer l’expérience d’accompagnement des aînés telle que perçue douze mois après l’APIC. La combinaison d’approches déductives et inductives du devis mixte apporte beaucoup d’informations riches qui proviennent de sources multiples (triangulation) et offre une vision élargie de l’influence de l’APIC et de l’expérience d’accompagnement. Les entretiens avec les aînés ont été enregistrés audio, retranscrits et vérifiés dans un souci de respect des propos tenus et mènent à proposer quelques hypothèses explicatives des résultats obtenus, augmentant la crédibilité de l’étude. L’entretien s’étant déroulé douze mois après la fin de l’APIC, le temps pourrait avoir altéré certains souvenirs de l’expérience d’accompagnement des aînés. Le petit échantillon limite la transférabilité des résultats à l’ensemble des aînés ayant des incapacités et peut rendre complexe la distinction entre les résultats statistiquement significatifs aux différentes moyennes. Toutefois, l’utilisation d’analyses et de techniques ajustées, tel le test de Bonferroni, augmentent la rigueur scientifique de l’étude. Enfin, l’absence d’un groupe témoin, par exemple, d’aînés bénéficiant d’appels d’amitié, ne permet pas de limiter le biais de mesure et restreint le niveau d’évidence scientifique de la preuve obtenue. L’utilisation d’un tel groupe témoin aurait permis de vérifier, de façon robuste, la valeur ajoutée de l’APIC comparativement aux appels d’amitié. Par ailleurs, l’évaluation des effets à court et à moyen termes de l’APIC sur la santé, la participation sociale, la satisfaction envers la vie et les soins de santé des aînés, tout autant que l’analyse coûts et bénéfices sont présentement à l’étude et permettra de bonifier les écrits portant sur l’APIC.
Conclusion
La présente étude visait à documenter l’influence de l’APIC douze mois après sa fin et à explorer l’expérience d’accompagnement d’aînés ayant des incapacités. Cette étude montre que l’accompagnement a une influence positive dans le temps sur la qualité de vie et les déplacements et une influence limitée sur l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs des aînés. L’intérêt et la motivation des aînés à entreprendre des activités sociales, leurs initiatives limitées pour être actifs dans leur communauté, leur prise de conscience de leurs capacités, et leur santé fragile pourraient expliquer cette influence modérée de l’APIC dans le temps. Les aînés ont apprécié d’être assistés d’une accompagnatrice pendant six mois afin de réaliser des activités sociales selon leur rythme, leurs besoins et leurs intérêts. La relation développée avec l’accompagnatrice leur a offert l’opportunité de faire un bilan de leur vie et d’être soutenus et encouragés dans la réalisation de leur projet de vie. L’APIC a aussi suscité chez les participants une prise de conscience de l’importance de réaliser des activités sociales dans la communauté. L’influence de l’APIC sur la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs rapportée par les participants pourrait augmenter leur santé globale et leur qualité de vie. L’expérience d’accompagnement décrite pourrait également contribuer à l’amélioration de l’APIC lors d’implantation ou de nouvelles études impliquant un échantillon plus important et bonifier les connaissances sur ses composantes favorisant l’émergence des bénéfices que peuvent en tirer les aînés, par exemple, le développement d’une relation signifiante avec l’accompagnatrice pendant et au-delà de la fin de l’APIC. En raison de certains bénéfices de l’APIC identifiés par les aînés douze mois après sa fin, dont le maintien de leur qualité de vie, le développement d’une relation signifiante avec l’accompagnatrice ainsi que l’acceptation de leurs incapacités, plus d’études doivent être réalisées afin de documenter son influence auprès d’aînés ayant des incapacités. Afin d’améliorer la participation sociale des aînés, ces études devraient tenir compte de la présence de dissonance cognitive reliée à leurs capacités à réaliser des activités dans la communauté. Il serait également important d’explorer la possibilité de prolonger l’intervention, par exemple, de six à douze mois, ce qui permettrait de renforcer le pouvoir d’agir des aînés, c’est-à-dire leur maîtrise de l’atteinte d’objectifs importants pour eux (Vallerie et Le Bossé, 2006). Il diffère de l’autodétermination, décrit comme l’ensemble des « forces intérieures et/ou extérieures qui engendrent l’initiation, la direction, l’intensité et la persistance du comportement » (Lafrenière, Vallerand et Carbonneau, 2009, p. 47). Le pouvoir d’agir n’implique pas uniquement une facette individuelle motivationnelle à la mise en action et l’atteinte d’un objectif, mais également un aspect environnemental et social, que la personne ne peut contrôler et qui influence son intégration sociale. Ce pouvoir d’agir contribuerait à la solidification et au maintien des activités sociales des aînés au-delà de la fin de l’APIC. L’accompagnement pourrait également cesser de façon plus graduelle, de sorte que les aînés et les accompagnatrices puissent préparer conjointement la fin des accompagnements en établissant, selon les besoins exprimés des aînés, des liens avec des ressources dans la communauté, par exemple des visites à domicile.
Appendices
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