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Normand :

Merci Véronique d’accepter de participer à cette entrevue. Pour commencer, j’aimerais que tu me parles un peu de toi. Ça fait longtemps que je te connais et que tu travailles activement dans la défense collective des droits, mais avant que nous parlions de la COPHAN, peux-tu me parler un peu de toi, de ton parcours?

Véronique :

Je vais vous parler de mon parcours personnel avant de vous parler de mon parcours professionnel. J’ai une déficience visuelle depuis 2001. C’est une déficience visuelle acquise. J’ai encore un résidu visuel qui est quand même assez minime, mais qui est fonctionnel. Depuis maintenant un an, j’ai aussi une déficience motrice. J’ai un problème à un pied qui fait que je ne peux plus me déplacer facilement à la marche. Je dois porter une orthèse et utiliser un quadriporteur pour les longues distances. Je suis incapable de rester debout longtemps. Pour ce qui est de mon parcours scolaire, j’ai d’abord fait une formation technique en gestion de services alimentaires et de restauration. Suite à ma déficience visuelle, j’ai dû revoir mon plan de carrière. Le travail que je faisais devenait trop complexe à ce moment-là. Je suis retournée aux études, et fait un certificat en gestion de ressources humaines et un autre en sciences politiques. J’avais déjà un certificat en certification de la qualité des aliments. Donc, ça m’a permis d’avoir un BAC multidisciplinaire et ainsi avoir un diplôme universitaire. J’ai commencé à travailler dans le milieu des personnes handicapées en 2001. J’ai d’abord travaillé dans la région de Québec auprès des personnes qui ont une déficience visuelle. Ensuite, j’ai été travailler au niveau provincial et avec le temps je me suis impliquée dans diverses autres organisations de façon bénévole, comme militante. J’ai poursuivi mon parcours professionnel au niveau du Regroupement des organismes de personnes handicapées de la région 03, le ROP 03, qui est un regroupement qui couvre tous les handicaps sauf la santé mentale. J’y travaille depuis maintenant 13 ans. Depuis quelques mois, je suis directrice générale par intérim de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN). C’est nouveau et temporaire, c’est juste depuis le mois d’août et encore pour quelques semaines. Étant impliquée à la COPHAN depuis 2003, c’est une organisation que je connaissais déjà très bien.

Normand :

La COPHAN est un regroupement d’organismes. Peux-tu me parler un peu de son rôle?

Véronique :

La COPHAN, est un organisme de défense des droits des personnes handicapées et de leurs familles. On regroupe actuellement près de 45 organismes de personnes handicapées, tout handicap confondu, que ce soit des personnes qui ont des déficiences visuelles, auditives, motrices, intellectuelles, cognitives, un trouble du spectre de l’autisme ou un problème de santé mentale. On couvre vraiment un large spectre et on s’occupe de l’ensemble des dossiers qui font partie de la vie quotidienne des personnes handicapées.

Normand :

Avec le couvre-feu qui va démarrer demain, ce confinement ça a toujours un impact, ça suspend nos pratiques quotidiennes, nos libertés individuelles, mais dans le cas du handicap ça signifie d’autres changements. L’impact n’est pas le même. J’aimerais que tu me parles de cette dimension à partir de ton expérience.

Véronique :

Depuis le mois de mars dernier, les personnes qui ont des limitations sont beaucoup plus affectées que la population en général par le confinement. Il y a plusieurs facteurs, d’abord les informations concernant les décisions gouvernementales qui ne parviennent pas toujours bien aux personnes ayant des limitations. Les services ont été suspendus que ce soit le soutien à domicile, le soutien aux familles, les services de réadaptation. Tous ces services ont pendant les six premiers mois du confinement presque complètement disparu. Seuls les services essentiels ont été maintenus, ce qui a eu un impact important chez les personnes handicapées, certaines ayant vécu un déconditionnement pendant cette période. Ça les a directement affectées dans leurs capacités au quotidien. Toutes les mesures sanitaires qui ont été mises en place, que ce soit le respect des deux mètres de distance, les contraintes au niveau des déplacements, les nouveaux aménagements intérieurs ou le port du masque ont généré de nouveaux problèmes pour les personnes handicapées, que ce soit des problèmes pour circuler ou des difficultés à respecter ces mesures et parfois à les comprendre. Donc, elles restent chez elles encore plus que les autres.

Il faut aussi savoir que plusieurs d’entre elles étaient déjà isolées, avant le confinement. Donc, l’isolement et le manque de contacts sociaux ont été encore plus importants pour elles parce que le peu de fréquentations qu’elles avaient a été complètement réduit. Les technologies permettant d’avoir accès aux autres ne leur étaient pas toujours accessibles. Donc, ça devient très complexe. À la COPHAN, nous considérons que les différentes mesures qui ont été prises par le gouvernement dans les derniers mois pour enrayer la propagation du Coronavirus n’ont pas tenu compte de la réalité des personnes handicapées où l’ont été à retardement et le confinement les a affectées plus durement. On a remarqué aussi chez plusieurs personnes handicapées une augmentation de la détresse psychologique. Pour avoir eu récemment une discussion avec des professionnels du réseau de la santé et des services sociaux, cette détresse semble affecter plus particulièrement les personnes ayant une déficience sensorielle.

Normand :

À Montréal on a instauré des corridors sanitaires pour faciliter les déplacements, mais ça a eu comme conséquence de déplacer les arrêts de bus.

Véronique :

Pour les personnes qui avaient déjà de la difficulté à se déplacer, les nouvelles mesures sanitaires ont ajouté ou créé des embuches supplémentaires. Cela a eu comme impact que les personnes qui déjà avaient de la difficulté à sortir, sont restées encore plus chez elles puisque les obstacles étaient plus importants et encore plus présents. Donc, c’est devenu une contrainte qui les a obligées à rester chez elles, tandis que les autres pouvaient sortir.

Normand :

Comme tu le mentionnais, il y a aussi certains groupes qui sont davantage touchés que d’autres. J’avais à l’esprit les personnes qui ont une déficience intellectuelle, car dans leur cas les services ont été carrément arrêtés.

Véronique :

Les services ont cessé pour toutes les personnes, à l’exception de ceux jugés essentiels. L’impact a été important pour toutes. Les personnes qui risquent d’en payer le prix sont celles qui sont hébergées en Ressources intermédiaires[1]-Ressources de type familial (RI-RTF) qui se sont vues coupées de tout contact avec l’extérieur et avec leurs proches pendant une longue période. Au niveau de la détresse psychologique, ce sont plutôt les personnes ayant des déficiences auditives et visuelles qui semblent affectées, probablement dû aux difficultés d’accès à l’information.

Il faut savoir qu’il y a des contraintes de déplacement, mais aussi des contraintes au niveau des communications dans la reprise des activités complètes considérant les adaptations qui sont nécessaires.

Normand :

On entend parler beaucoup du masque qui est un obstacle. On parle beaucoup aussi de l’invisibilité des personnes en situation de handicap. Les gens sont sous un grand chapeau de vulnérabilité.

Véronique :

La vulnérabilité est un grand chapeau qui nous rend souvent invisibles. En plus, on ne tire pas des leçons du passé. Je vais prendre un exemple, au début du confinement au mois de mars, il y a des travailleurs essentiels qui oeuvrent auprès des personnes handicapées qui n’étaient pas cités dans la liste des travailleurs essentiels. La COPHAN a réussi à les faire intégrer dans les semaines qui ont suivi. Avec le nouveau confinement, on vient de créer une nouvelle liste de travailleurs essentiels. Encore une fois, il faut refaire les mêmes interventions, alors que ces personnes avaient été reconnues comme essentielles la première fois. On ne tire pas de leçon de ce qui a déjà été fait. Il faut refaire les mêmes revendications qu’on a faites en mars dernier. Pourtant, on ne parle que de quelques mois. Nous étions invisibles au premier confinement, nous le sommes toujours maintenant.

Normand :

Pourtant, d’après les discours disant qu’on avait appris de la première fois, on y croyait. En fait, ça ne s’est pas traduit concrètement? Avec le couvre-feu annoncé pour demain, de 20h00 jusqu’à 5h00 le matin, les travailleurs du chèque emploi service (CES) qui dispensent des services aux personnes en situation de handicap, ne font pas partie des travailleurs essentiels?

Véronique :

Non. Encore une fois, on ne les a pas inclus… Depuis l’annonce du couvre-feu, la COPHAN tente de s’assurer que les travailleurs du CES pourront circuler pendant le couvre-feu. Les informations ne sont toujours pas claires alors que le couvre-feu commence demain à 20h. On n’aura pas toutes les informations… On a simplement reçu ce matin le formulaire que l’employeur peut donner à son travailleur pour permettre de se déplacer durant la période du couvre-feu et les autorités ne sont même pas encore en mesure de nous dire à ce moment-ci comment elles vont communiquer l’information aux personnes pour qu’elles sachent que ce formulaire-là existe et qu’elles peuvent le remplir ou demander assistance aux intervenants du Centre local de services communautaires (CLSC) pour le compléter. Il faut toujours s’adapter, l’information n’est pas là. Pourtant, ce sont des travailleurs pour lesquels la COPHAN revendique depuis le début de la pandémie puisqu’ils ne sont jamais pris en considération. On finit toujours par les faire intégrer mais encore cette fois-ci, ils faisaient partie des grands oubliés.

Normand :

C’est ça. Au début c’était les équipements, le masque qui n’était pas accessible, puis l’arrêt des services et ce sont les conjoints ou conjointes qui compensent. Qu’est-ce que ça signifie pour la COPHAN? Vous êtes mobilisés à 120 % ? Quels sont vos rapports avec les autorités publiques et politiques?

Véronique :

On est chanceux parce qu’il y a quand même des instances et des mécanismes de communication qui ont été mis en place et qui nous permettent d’avoir accès à l’information très rapidement. Mais ce qui retarde souvent les réponses c’est que les instances auxquelles on s’adresse doivent faire valider leur réponse par la Direction de la Santé publique et souvent c’est là que ça bloque. Ils sont débordés. Donc, ça prend du temps avant qu’ils reviennent avec des réponses, et, on ne peut pas avoir un pas d’avance; on est toujours plusieurs pas en arrière. Ça prend toujours quelques jours avant d’avoir les réponses et que les solutions se mettent en place. On parle du couvre-feu… on est à minuit moins une et nous n’avons toujours que des réponses partielles. Nous sommes toujours en mode « il arrive une situation critique et il faut apporter une réponse ». On a des mécanismes pour réagir et répondre le plus rapidement possible, mais c’est très difficile de planifier à l’avance ce qu’on doit faire, quel genre d’action on peut proposer. On s’attend à ce que les services publics s’inspirent de ce qui a été fait par le passé, mais on dirait qu’ils recommencent toujours à zéro. Ce qui fait qu’on est toujours à se répéter, quel que soit le dossier : en transport, en soutien à domicile, pour le chèque emploi-service, pour n’en nommer que quelques-uns.

Normand :

À cet égard, il n’y a rien d’acquis parce que sans doute ces travailleurs-là ne sont pas admissibles à la compensation d’urgence de $ 2 000,00?

Véronique :

Non, en effet. Et bien que ces personnes (employées par le biais du CES) travaillent chez plusieurs particuliers, elles sont traitées comme si elles n’avaient qu’un seul employeur. Lorsqu’un travailleur passe un test de dépistage, c’est tout son entourage qui est impliqué, incluant toutes les personnes chez qui il travaille. Son temps de travail peut se trouver réduit de 10h par semaine et il n’a pas accès à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) à moins que son nombre d’heures soit vraiment réduit. Comment compense-t-on ces 10h de travail?

Comment aussi s’assurer que la personne en situation de handicap ne perde pas non plus son travailleur? C’est un enjeu qui est quand même assez important. Nos ressources pour avoir des services à domicile sont déjà très limitées. Il faut souligner que dans ce domaine le recrutement de travailleurs est très difficile pour plusieurs raisons en particulier la rémunération offerte. Les personnes en situation de handicap veulent donc conserver leurs travailleurs. Il y a toutes sortes de méthodes qui ont été utilisées qui ne sont pas nécessairement légales, mais pour pouvoir conserver leurs travailleurs, ces gens qu’elles veulent garder et qui font un travail essentiel. Donc, il faut les comprendre d’avoir agi comme ça.

Normand :

Il faut ajouter qu’il y a eu une bonification des salaires des préposés dans les centres d’hébergement. Il y a eu une bonification minime de $2,00 pour les travailleurs du Chèque Emploi Service, ce qui soulève le problème du recrutement.

Véronique :

Oui, et la COPHAN a dû beaucoup se mobiliser, car la bonification du salaire des travailleurs du CES n’était pas gagnée d’avance. Il y a eu d’abord une annonce d’augmentation temporaire de salaire, l’octroi d’une prime COVID-19, comme on l’appelle, quelques semaines après qu’on ait annoncé l’octroi de cette prime aux personnels des Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). Ensuite, est venue une hausse du salaire des travailleurs du chèque emploi-service. Malgré cette augmentation l’iniquité demeure selon le secteur d’emploi.

Normand :

Pour la même tâche, il y a une différence de $ 15,00 au moins.

Véronique :

Oui, si on regarde tous les avantages sociaux, effectivement.

Normand :

Contrairement aux travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux, ce sont des enjeux qui leur sont spécifiques?

Véronique :

Des enjeux au niveau de la santé, oui, mais il y a eu des grands enjeux au niveau du transport, au niveau de l’éducation, au niveau de l’emploi. On commence à voir les impacts. Au début, on ne les voyait pas nécessairement parce que les gens étaient encore chez eux. Soit qu’ils ne travaillaient pas, mais étaient payés, soit qu’ils étaient en télétravail. Mais là, ça commence à se faire ressentir chez les personnes handicapées. Le retour au travail n’est pas nécessairement simple. Il y en a beaucoup qui ont perdu leur emploi. On n’a toujours pas de données, mais on commence à voir que là aussi il va y avoir des pertes importantes pour les personnes qu’on représente.

Normand :

C’est là qu’intervient le réseau soupape des ressources personnelles et la réduction du bénévolat?

Véronique :

Tout est très complexe actuellement. Les règles de confinement, le respect des deux mètres, ne permettent pas toujours les services bénévoles, les bénévoles étant eux-mêmes très réticents.

Il y a eu beaucoup de représentation, notamment par des associations de personnes aveugles, par exemple, pour avoir un accompagnateur pour aller à l’épicerie, faire une marche. Dans certains endroits, les gens se sont vus refuser l’accès avec un accompagnateur. Ce sont des cas d’exception, mais ce sont des situations qui sont arrivées et aussi bien à des personnes qui ont d’autres types de handicap. Ça ne concerne pas que des personnes ayant un handicap visuel.

Normand :

J’aimerais avoir ton point de vue sur la question de l’invisibilité des personnes en situation de handicap. Selon toi, quel message envoient les autorités politiques sur la question du soutien à domicile par exemple, dont elles disent s’occuper sans qu’on voit rien changer?

Véronique :

Pour moi, cette invisibilité reflète ce qu’on dit depuis des années. On n’est pas considéré par le gouvernement. On trouve qu’on est souvent mis à part ou intégré dans une grande catégorie de personnes vulnérables. Il y a des spécificités qui nous concernent, des éléments, des informations qui sont nécessaires, essentiels, qui nous sont difficilement transmis. Donc, cette invisibilité elle n’est pas récente. Le contexte actuel ne fait qu’accroître l’invisibilité des personnes handicapées, que ce soit par le gouvernement, par les instances privées ou par les différentes organisations qui doivent fournir des services. « Quand viendra votre tour, on fera quelque chose, mais pour l’instant on se préoccupe de tout le monde et vos situations particulières ça ne fait pas partie de nos préoccupations ou c’est loin dans nos préoccupations ». C’est un peu comme ça que la situation est perçue par les gens. C’est malheureux parce qu’il y a aussi beaucoup d’efforts de faits par des gens qui travaillent à l’intérieur de l’appareil gouvernemental, qui font valoir nos besoins, qui font valoir nos préoccupations pour s’assurer que les besoins des personnes handicapées soient pris en compte, qu’ils soient entendus, qu’ils soient connus, qu’ils soient transmis. Mais, pour les décideurs, ça ne fait pas partie de leurs priorités. Eux, ils veulent envoyer un message général qui s’adresse au public… non spécifique… qui s’adresse à monsieur et madame tout le monde. Ce qui est spécifique, et bien plusieurs personnes n’arrivent pas à le recevoir parce que le gouvernement se borne à ne pas vouloir donner ces informations. Il y a eu quelques informations en direction des personnes en situation d’itinérance, à propos de la détresse psychologique, des problèmes de santé mentale, mais pour nous, personnes en situation de handicap, il y a eu des messages particuliers qui auraient dû être spécifiés au grand public, mais, jamais, jamais, on n’en a entendu parler. Les quelques fois où on en a entendu parler, c’était pour dire qu’il n’y avait pas de problème. Alors que ce n’est pas vrai, des problèmes il y en a encore.

Normand :

Mais pourtant, à ma connaissance, vous avez de bonnes relations avec les gestionnaires, les responsables des ministères… pas les élus?

Véronique :

On a une bonne communication avec les gestionnaires de l’appareil gouvernemental. Les décideurs, les représentants, ceux qui vont sur la place publique pour faire valoir les mesures, les situations, les préoccupations, c’est auprès d’eux que le message ne passe pas. Dans les circuits internes, les messages se transmettent, des réponses nous parviennent, mais elles sont rarement rendues publiques. Nous, la COPHAN, nous pouvons les rendre publiques, mais nous n’avons pas la capacité de joindre les millions de personnes comme notre premier ministre peut le faire dans des conférences de presse… Nos possibilités de communication à travers nos membres, à travers les organisations sont assez limitées. Ce n’est pas nécessairement directement vers nous que les personnes en situation de handicap vont chercher des informations. Elles s’attendent à l’entendre de leur gouvernement, de ceux qui décident.

Normand :

L’autre point important qu’on voit par rapport à ça c’est l’accès à l’information. Les médias sociaux sont très utilisés. Pour vous, à la COPHAN est-ce que ça change la façon de faire de la défense des droits?

Véronique :

Oui, ça change un peu la façon de faire de la défense de droits. Ça change un peu aussi notre façon de communiquer. Mais nous savons que les réseaux sociaux ne sont pas toujours accessibles à l’ensemble des personnes handicapées. Donc, ça nous amène à multiplier les outils de communication entre les personnes. Lorsqu’on communique sur les réseaux sociaux, certains nous disent « Oui mais moi je n’y ai pas accès », d’autres nous disent « Moi je n’ai pas les technologies pour avoir accès ». Il faut être en mesure de diffuser par les moyens qui atteignent le plus grand nombre de personnes, si on ne veut pas multiplier nos communications. C’est très complexe. Les réseaux sociaux amènent des possibilités, mais aussi beaucoup de critiques, Il faut faire attention à ce qu’on y met. Souvent on donne une information et trois heures plus tard l’information a changé. On ne pense pas toujours à la mettre à jour. C’est un défi l’utilisation des réseaux sociaux. On peut être plusieurs à recevoir de l’information. On ne la diffuse pas tous nécessairement de la même façon parce qu’il y a toujours une question d’interprétation. La communication est un défi très important. Il faut être capable de mettre les informations à jour. Il faut s’assurer que les gens à l’autre bout les comprennent. Ça amène beaucoup de questionnements, de prise de risque et de réflexion. C’est un canal de communication qui atteint peut-être plus de gens, mais un moins grand contrôle de ceux qui la reçoivent et de ceux qui la rediffusent. C’est difficile à suivre parce que ça va tellement vite et que tellement d’informations transitent.

Normand :

Tous les ministères ont un compte Twitter pour procéder comme ça, directement aux citoyens, à la personne. Puis là tu as l’impression que les médias plus traditionnels qui interprètent un peu plus les informations. Là, c’est là qu’il y a des sources divergentes que tu mentionnes…

Véronique :

Ce qui nous amène à interpeller souvent… parce qu’on regarde les médias sociaux, la télé, on écoute la radio, on lit les journaux… mais l’un dit une chose, l’autre en dit une autre, il faut tout prendre et puis essayer d’en faire quelque chose de cohérent. Il faut valider l’information, rechercher ce qui a été modifié, ce qui a été dit, ce qui n’a pas été fait. Il y a une multitude de sources, de mises à jour, ça nous demande de revoir quotidiennement ce qui est communiqué. Les directives, par exemple, sont mises sur le site du ministère quotidiennement. Parfois ils changent, on ne le sait pas, et on travaille encore avec les anciennes directives. C’est excessivement complexe, difficile à suivre. Ce qu’on demande au ministère de la santé, entre autres depuis le début, c’est que lorsqu’il y a des changements qu’il nous envoie des alertes, mais encore une fois on est toujours quelques jours à retardement. Les médias sociaux ne nous facilitent pas les choses, ça les complexifie tant il y a d’informations qui circulent.

Normand :

Effectivement, c’est vraiment là que les personnes vont tirer de l’information pour dénoncer le transport ou des trucs comme ça de ces communiqués dans les réseaux sociaux. Ils s’en servent beaucoup comme un moyen, mais en même temps ce n’est pas… c’est comme une partie de l’information… ce n’est pas toute l’information.

Véronique :

Non, il y a souvent de la désinformation. Moi, quand je veux voir un peu ce qui se passe sur le terrain, avoir le pouls du terrain, je vais sur les réseaux sociaux, pas pour avoir la vérité, mais pour avoir une idée d’où sont les problèmes et où sont les préoccupations des gens. Par contre, ça amène énormément de désinformation parce que si l’un dit une chose, l’autre va se mettre à dire « Moi aussi j’ai vécu la même chose ». Tu as l’impression que le problème est généralisé, mais finalement il n’y a eu qu’un ou deux cas, et les gens trouvant ça épouvantable se sont mis à généraliser. Il faut être capable d’en prendre et d’en laisser.

Normand :

J’ai l’impression que ça va changer votre façon de faire… Qu’est-ce que ça va changer dans le rôle de la COPHAN? Comment tu vois ça, si tu te projettes un peu?

Véronique :

C’est difficile de me projeter. Moi, ce que je dirais c’est qu’il faut que la COPHAN change. Je ne me projetterais pas dans la COPHAN, mais plutôt dans ce qu’il faut que la COPHAN change, on l’a vu pendant la pandémie actuelle et on l’a déjà vu par le passé dans d’autres dossiers. Il faut être en mesure de voir un pas en avant. Il ne faut pas travailler en réaction; mais dans l’action. Actuellement, c’est difficile d’être dans l’action, mais c’est pourtant là qu’il va falloir changer nos façons de faire, que ce soit en lien avec la pandémie ou avec d’autres choses, être dans l’action plutôt que dans la réaction.

Normand :

Il y a beaucoup de travaux actuellement sur la question des droits des personnes handicapées, de l’exercice des droits…Comment on voit ça à la COPHAN? Autour d’un projet?

Véronique :

Ça pourrait être autour d’un projet. Ça peut être aussi en modifiant nos façons de faire, nos façons d’interagir avec les instances gouvernementales, les instances politiques. Ça fait quelques mois qu’on parle de faire un post mortem de tout ce qui s’est passé pendant la pandémie. Difficile à faire pour l’instant, tant qu’on est encore dedans, que rien n’est terminé. Mais il va vraiment falloir trouver une solution pour faire autrement à la sortie de cette crise. À la COPHAN, on parle beaucoup de modifier nos façons de faire au niveau de la vie associative. Changer nos façons de faire à l’interne, va nous amener à changer nos façons de faire à l’externe. Il faut regarder aussi comment on travaille. Comment on s’assure que les gens ont tous les outils pour défendre leurs droits, pour ne pas attendre d’être en situation critique. Il faut outiller les gens plutôt que de gérer, d’aider, de soutenir les démarches au cas par cas. Il faut être capable de travailler, je dirais, en prévention justement pour que les gens aient le nécessaire, pour être capables de faire valoir leurs droits, d’avoir des réponses à leurs besoins. Ça c’est un autre élément qu’on doit travailler aussi. Nous avons créé des contacts pendant la pandémie, que ce soit avec les différents ministères ou d’autres instances. Comment travailler pour maintenir ces instances en alerte? Pour qu’elles perdurent? Travailler de la même façon dans d’autres dossiers que la pandémie. Ce sont des mécanismes qui ont montré une certaine efficacité en situation de crise pandémique. Donc, comment les préserver dans d’autres types de situation? Il faut prévoir pour être capable d’aller plus loin lorsqu’on sortira de la crise. Se projeter dans l’avenir et être capable justement de travailler autrement.

Normand :

Oui travailler autrement pour assurer le maintien de certains acquis.

Véronique :

Il faut sortir de la crise pour voir comment on veut redynamiser notre vie associative. Je pense qu’on pourrait repartir de l’exemple de la crise, pour voir ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné. Pour être capable de dire « Voici ce qu’il faut être capable de maintenir, voici ce qu’il faut changer, ce qu’il faut arrêter, ce qui faut faire autrement ». Formaliser tout ça dans un post mortem, va nous aider à aller plus loin, à se projeter et à faire autrement pour le futur.

Normand :

À la COPHAN, vous êtes sollicités à titre d’organisme national de défense collective des droits des personnes handicapées pour tous les projets, et tout… parce qu’on est dans un contexte au Québec où les gouvernements consultent pour les changements législatifs ou organisationnels qu’ils souhaitent apporter comme l’introduction de l’usager partenaire qui a un impact sur votre rôle, du moins il y a un enjeu là ?…

Véronique :

C’est un grand enjeu au niveau local, régional, et même provincial et la COPHAN ne s’est jamais opposée à toute la question de l’usager partenaire[2]. Comment on assume une complémentarité de l’expérience individuelle et organisationnelle. L’individu parle de son expérience, l’organisation collectivise les expériences. Je pense que les deux sont intéressants, mais les deux doivent être complémentaires. On voit de plus en plus de travail qui se fait avec les usagers partenaires et souvent les organisations sont mises à contribution en fin de processus lorsque vient le temps d’informer des décisions. À ce moment, lorsque l’on demande à être consulté avant, on nous répond souvent que des usagers partenaires ont été impliqués, mais pas nous. La complémentarité est essentielle. C’est un autre enjeu, ça sort complètement de la COVID-19, mais c’est un autre enjeu qu’il faut défendre, autant comme association que comme comité des usagers. Par exemple, à l’intérieur des établissements, il y a beaucoup d’usagers partenaires. Les comités doivent refaire leur place parce que les usagers partenaires en ont pris beaucoup. Le cadre de référence du ministère de la santé et des services sociaux est très clair sur la complémentarité entre les usagers partenaires et les représentants des usagers. Les gestionnaires, les instances sont peut-être beaucoup moins favorables à l’appliquer dans leurs démarches.

Normand :

Oui effectivement. Pour l’avoir vécu dans certaines situations, ça soulève des questions, des interrogations par rapport à cette relation entre les deux et puis le rôle est différent aussi, la façon dont on procède… qu’est-ce qu’on attend en quelque sorte de ces individus-là…?

Véronique :

Ce qui est préoccupant aussi c’est qu’à travers tout ça, on entend les usagers partenaires dire « on n’est pas orientés, on sait pas comment ça marche ». Il y en a qui sont peut-être très à l’aise dans ces démarches, mais ce n’est pas tous les usagers partenaires. Il y en a beaucoup qui demandent à avoir un cadre pour être capable de faire ça, un certain soutien.

Normand :

C’est tous des éléments… qui ont un impact sur la vie des gens. Ce n’est pas facile de voir comment on peut circonscrire ça. Si on parle du confinement, la réduction… de réduire la vague comme dirait le directeur de santé publique. Vous avez travaillé je pense sur l’espèce de guide sur le triage. Ça c’est une problématique qui est très importante?

Véronique :

On s’attend… si la situation ne s’améliore pas, ça va être mis en place au Québec d’ici bientôt.

Normand :

Oui, Tu as vu ce qu’ils ont fait en Californie : ils ont demandé aux ambulanciers de ne pas transporter les patients qui avaient peu de chances de survie…

Véronique :

De faire un triage?

Normand :

Oui. Cela a suscité des discussions dans différents groupes, notamment du côté de la Société québécoise de déficience intellectuelle…

Véronique :

La SQDI a beaucoup suivi ce dossier. La COPHAN les a appuyés et écrit deux avis. Il y a quand même des gains qui ont été faits, mais il y a encore malheureusement des personnes qu’on représente qui vont être exclues de l’accès aux soins intensifs. Dans un monde idéal, personne ne devrait être exclu. Ce qu’on ne veut pas c’est qu’elles soient exclues sur une base discriminatoire. Donc, c’est beaucoup là-dessus que le dernier protocole de triage a été travaillé. Il n’en reste pas moins que si une personne a une maladie chronique, une maladie dégénérative très avancée, irréversible, un trouble neurocognitif, elle sera exclue des soins intensifs. Et certaines personnes que la COPHAN représente, j’en suis parfaitement consciente parce que j’en fais partie, vont être exclues si on doit avoir accès aux soins intensifs.

Normand :

J’ai vu des versions différentes par rapport au protocole québécois… retirer tout ce qui était diagnostic.

Véronique :

Ils ont enlevé tous les diagnostics. Au départ, il y avait plusieurs diagnostics dans le protocole. Le premier protocole de triage laissait même voir une possibilité de discrimination. C’était un seul médecin qui évaluait la personne et qui déterminait si oui ou non elle avait accès aux soins intensifs. Alors que dans le nouveau protocole on a prévu plusieurs évaluations de la situation et en toute fin les évaluations sont transmises à un comité de médecins et d’éthiciens qui eux vont prendre une décision sur qui a accès aux soins intensifs, qui n’y a pas accès. La discrimination qui était possible au départ sur la base de la perception d’un seul médecin est moins risquée à partir du moment où il y a différentes personnes qui peuvent porter un jugement sur la situation. Il y a aussi un mécanisme qui a été mis en place pour s’assurer qu’une personne qui vit seule, qui a des difficultés de compréhension ait de l’accompagnement pour qu’on soit en mesure de bien évaluer sa situation. Par exemple, si elle a une déficience intellectuelle, qu’on soit en mesure d’évaluer sa situation avec des professionnels qui vont venir le faire. On a fait enlever tous les diagnostics explicitement nommés : la Sclérose en plaques latérale amyotrophique (SLA-AL), par exemple, qui faisait partie des diagnostics nommés. Il reste que si tu as certaines maladies chroniques, si tu as des déficiences neurocognitives de stade 7 et plus, si tu as des déficiences neurodégénératives avancées et irréversibles, et bien ces situations demeurent indiquées au protocole de triage et ne sont pas un critère d’exclusion, mais ça enlève des points pour avoir accès aux soins intensifs.

Normand :

Il y a des outils qui existent dans le contexte régulier, qui sont parfois utilisés. Il y a des grilles concernant les personnes âgées touchant à la fragilité ou sévérité qui sont utilisées aussi.

Véronique :

Dans le premier protocole de triage, il y avait des outils comme le score de fragilité clinique qui était utilisé pour l’ensemble de la population. On disait, par exemple, que si tu n’étais pas capable de faire tes Activités de vie domestique (AVD) Activités de vie quotidienne (AVQ), si tu avais de la difficulté à te déplacer, tu perdais des points. Cet outil a été éliminé pour une partie de la population, il n’est utilisé que pour les stades 1, 2 et 3, que pour les personnes de 60 ans et plus. Donc, on a réussi à ne pas les faire utiliser chez les plus jeunes, mais ça reste utilisé chez les personnes qui sont plus âgées. Il y a l’ECORE aussi, un autre outil qui a un peu les mêmes critères, qui vient diminuer le nombre de points pour avoir accès aux soins intensifs. Habituellement, cet outil est utilisé pour les personnes qui sont atteintes de cancer et il a été intégré dans le premier protocole pour l’ensemble de la population. On a réussi à le limiter aux personnes atteintes d’un cancer. Il reste qu’on n’a pas tout gagné. On a fait quelques pas pour éviter d’exclure toutes les personnes handicapées, mais il reste malheureusement encore des personnes qui seront exclues.

Normand :

En tant que groupe de défense collective des droits… cette mention reste toujours difficile à affirmer…?

Véronique :

Oui et puis c’est quand même un sujet qui est toujours assez délicat. Tu sais, on est en train de dire qui a le droit de vivre et qui va mourir.

Normand :

C’est tout à fait ça.

Véronique :

Ce n’est pas un exercice qui est simple et puis personne ne souhaite être obligé d’appliquer ce protocole, mais on parle d’un protocole où on trie les gens, c’est sûr qu’il va y avoir des exclus dans le triage.

Normand :

Et c’est le débat qu’il y a eu concernant l’accompagnement en fin de vie.

Véronique :

Oui, mais cette fois c’est une menace directe. Pour l’aide médicale à mourir, tu peux toujours dire oui ou non. Alors que pour le protocole de triage ce n’est pas toi qui décide.

Normand :

Non, c’est ça, tu ne décides pas du tout si c’est la fin de vie ou non. C’est là que ça devient problématique et plus difficile pour plusieurs.

Véronique :

Je dirais qu’il est impossible de trancher. L’idéal serait de prendre tous les moyens pour ne pas avoir à l’appliquer. Un autre gros enjeu, pour la COPHAN, c’est la multitude de sujets sur lesquels on doit être en mesure de se prononcer à courte échéance. En l’espace d’une semaine on est dans des dossiers d’éducation, santé, transport, emploi, aménagement urbain, accès aux communications. Tu te dis, mais comment je peux arriver à être compétent partout et puis être capable de marquer des points partout. Ça devient excessivement difficile. Est-ce qu’il va falloir prioriser dans le futur? Je ne sais pas. Ce que je sais c’est qu’actuellement, une journée tu es sur le protocole de triage et le lendemain tu es en train de discuter de quel genre de barrière on doit mettre sur le bord de la rue pour que ça soit sécuritaire.

Normand :

Oui. Les compétences que ça demande sont vraiment différentes.

Véronique :

Ça devient très complexe. Si au moins on pouvait avoir un employé pour chacun des dossiers, déjà ça serait plus simple, mais c’est toujours les deux ou trois mêmes personnes qui travaillent sur les mêmes dossiers. Tu deviens très généraliste et puis tu ne peux pas y mettre autant de temps que souhaité.

Normand :

Non. Ça repose beaucoup sur la question que tu mentionnais : C’est quoi être efficace pour nous la COPHAN, de quelle manière, comment on procède?

Véronique :

En plus, avec la variété de membres qu’on a, c’est très difficile d’établir des priorités sur les sujets à traiter. Tu finis toujours par insatisfaire des gens peu importe la décision que tu vas prendre. Si on prend des priorités qui sont très larges, on se retrouve dans le même problème où on touche à tout et on ne touche à rien en même temps.

Normand :

J’ai consulté vos mémoires sur différents dossiers… pour avoir un peu le point de vue du champ du handicap… une autre vision par rapport à des sujets comme celui de la réforme actuelle du code du travail.

Véronique :

C’est un double enjeu et tu vois la COPHAN a pris la décision, surtout dans le contexte actuel, de ne pas se prononcer.

Normand :

Je voyais d’autres groupes le faire par rapport à cette réforme… un gouvernement qui veut modifier des choses, qui veut réformer un dispositif comme le code du travail, ça a des impacts.

Véronique :

Oui, c’est certain, mais des choix s’imposent et dans ce cas particulier, je crois que la COPHAN a fait le bon choix. Nous avons commencé depuis un an à répertorier nos prises de position des dix dernières années, pour voir les impacts de ce qu’on a dit, ce que ça a donné. Puis l’évolution aussi de nos positions, pour justement se repositionner dans certains cas si c’est nécessaire. Cet exercice nous permet de voir ce qu’on peut faire de mieux, qu’est-ce que ça a donné, qu’est-ce qui a évolué. Il faut mettre à jour les positions qu’on a prises parce que les choses changent tellement rapidement que nos postions doivent changer aussi en fonction du contexte. Ça, je pense que ça va être un exercice judicieux qui va être intéressant à faire avec les membres, à regarder comment on continue.

Normand :

C’est comme une façon de mieux orienter vos énergies en fonction des stratégies.

Véronique :

Les résultats aussi. Tu sais de regarder qu’est-ce qui a fonctionné, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné. Ça va sûrement nous aider à faire mieux dans le futur.

Normand :

On parlait d’outils qui existent déjà, qu’on peut utiliser pour d’autres qui deviennent… dans ce contexte-là. Pour l’exercice des droits, les enjeux que tu vois pour les personnes en situation de handicap. Si tu avais à les identifier quels sont les enjeux les plus importants pour toi?

Véronique :

Au niveau de la défense de droits?

Normand :

Oui.

Véronique :

Je dirais la relève, la fragilité de nos organisations. Il va y avoir une fracture bientôt au niveau des expertises, sur la formation de la relève qui va avoir un impact sur les droits des personnes. Nous sommes plusieurs personnes à travailler dans le milieu depuis des années et qui avons développé des façons de faire, qui avons développé une expertise, mais le passage aux nouvelles générations se fait très difficilement. Donc, ça va être un enjeu très important au niveau de la défense des droits. Ça c’est vraiment lié à nos activités. Plus largement sur la défense des droits des personnes, on voit depuis trois ans minimum une certaine stagnation et même un certain recul sur les droits des personnes qu’on représente. En ce moment, on va s’assurer au minimum d’être capable de maintenir les droits acquis. Il y a une fragilité des droits… que ce soit des droits généraux de la personne, des droits plus spécifiques aux personnes handicapées.

Comment on va s’assurer de maintenir tous ces acquis pour les prochaines années et continuer à faire gagner du terrain. L’autre problème aussi c’est comment on va être en mesure de conserver nos spécificités et que nos droits ne se perdent pas parmi les droits des personnes vulnérables ou parmi les droits de tout le monde. Il y a des droits qui sont spécifiques aux personnes qu’on représente. Il faut être capable de les préserver pour éviter de les perdre. Tous les impacts que peuvent avoir les lois, les règlements, les politiques sur la vie des personnes en général, ont des impacts directs pour les personnes handicapées et qui ne sont souvent pas pris en compte. Il faut s’assurer qu’à chaque fois qu’une règlementation, qu’une politique, qu’une loi est mise en place, qu’elle respecte les droits des personnes handicapées. Il existe une clause d’impact dans la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées, mais elle n’est pas souvent appliquée.

Normand :

Non, c’est ça. Je pense à un ancien militant qui est décédé aujourd’hui et qui disait qu’on a assez de lois, il faut juste les appliquer.

Véronique :

C’est ça. Tu as raison, ce n’est pas parce que les outils ne sont pas là, mais comment on peut s’assurer de les appliquer justement? Il y en a qui existent. Il y en a peut-être d’autres qui devraient exister, mais il y en a qui existent, mais on n’arrive même pas à les faire appliquer…

Normand :

Parce qu’il y a beaucoup de termes maintenant qui sont assez génériques. On parlait de vulnérabilité, mais tu as aussi la diversité qui comprend les différents groupes minoritaires ou minorisés, racisés mais aussi la réalité des personnes en situation de handicap. On travaille aussi avec la mobilité réduite, avec des trucs qui sont assez macro. De quelle manière vois-tu ce phénomène?

Véronique :

Personne à mobilité réduite, personne vulnérable, des fois on parle de personnes handicapées, des fois de personnes avec une déficience. Tout ça fait qu’à un moment donné on perd notre identité, nos spécificités.

Normand :

Elles sont liées à l’exercice de ces droits-là… c’est toujours le même droit humain, mais c’est l’exercice qui est particulier… Je voulais voir avec toi, en terminant, s’il y d’autres points qu’on n’a pas abordés et qui pourraient être intéressants?

Véronique :

On n’a pas parlé de vaccination. J’en ai parlé ce matin avec le ministère. Encore une fois on a l’impression qu’on est invisibles. Dans la campagne de vaccination, on sent encore une fois que les personnes handicapées sont invisibles dans les priorités, pas nécessairement à cause du handicap, mais à cause des comorbidités qui sont associées, du processus de vieillissement qui est souvent beaucoup plus rapide du moins chez certaines personnes handicapées. Il y a certaines maladies comme la Trisomie 21, la sclérose en plaques et la dystrophie musculaire, entre autres, qui font que le vieillissement du corps est beaucoup plus prématuré. Donc, les risques sont aussi élevés. Tout ça est oublié. Tu sais on se fie beaucoup à l’âge pour prioriser les gens, mais pas sur l’état de santé. L’âge physique de la personne plutôt que l’âge réel. Donc, encore une fois il y a une invisibilité dans cette campagne de vaccination. On parlait de protocole de triage, il y a certaines personnes qui vont être exclues des soins intensifs. Pourquoi ces personnes-là ne sont pas considérées comme prioritaires à la vaccination, justement parce qu’elles sont plus fragiles et qu’elles ne pourront pas résister à la maladie si elles l’attrapent?… Tous les gens à qui on le fait remarquer nous disent « On est d’accord avec vous », le ministère de la Santé est aussi d’accord, la Santé publique, l’Institut national de santé publique (INSPQ)… Mais non, la réponse c’est « Voici les critères, voici les données qu’on a, voici les recherches, c’est là-dessus qu’on se base, on n’élargit pas plus loin notre façon de voir les choses ». Alors qu’à plusieurs endroits dans le monde, les personnes handicapées sont prioritaires.

Normand :

J’suis tout à fait d’accord avec toi sur cette relation difficile entre la science et la politique, le savoir et le pouvoir, les incohérences et les contradictions dans le système. Au chapitre des besoins, on parlait de déficience intellectuelle. Il y a des besoins différents sans doute?

Véronique :

Quand on parle de vieillissement, on parle rarement de vieillissement prématuré. Tu sais quand tu parles de recherche… ça c’est un sujet qu’on n’a pas encore abordé… quand on parle de recherche, il y a de la recherche qui se fait sur toutes sortes de sujets sur la population en général. Souvent on va recueillir des données sur les autochtones, les populations immigrantes, sur les jeunes, sur les vieux. Quand est-ce que qu’on va avoir des données sur les personnes handicapées? On en a quand on fait des recherches spécifiques, mais quand on fait des recherches en général, on vise des clientèles plus particulières, mais jamais on va avoir des données sur nous. C’est une grande bataille. Comment on peut s’assurer de faire de la défense de droits? On n’est pas capable d’avoir ces données-là. C’est difficile de faire valoir des situations, de faire valoir des droits, si on n’est pas capable d’avoir un état de situation spécifique aux personnes handicapées. La discrimination est faite jusqu’à ce point.

Normand :

Je pense que ça serait intéressant parce que ça permettrait de sortir le handicap de la maladie. Les sujets sont là, mais je pense qu’on contribuerait beaucoup à rendre ça ordinaire en arrivant à la question du handicap dans les différentes enquêtes qui existent et pas uniquement tous les cinq ans lors des recensements…

Véronique :

Pour nous, c’est un enjeu majeur. S’il y a une chose sur laquelle on a décidé de taper sur le clou, pour la ou les prochaines années, c’est bien là-dessus. Être capable d’avoir des données, peu importe l’enquête qui se fait, on devrait avoir des données spécifiques aux personnes handicapées. Ça faciliterait autant le travail pour les chercheurs que pour monter des dossiers en défense de droits. Ça servirait à tout le monde.

Normand :

Pour le reste, ce n’est pas le cas. Tu vois, on se pose beaucoup de questions sur l’efficacité des programmes d’accès à l’égalité visant les personnes handicapées dans les organismes publics, par rapport à ça. Pour le Québec, on est à 0,6 %, alors que la cible est de 4 % de personnes handicapées parmi les employés des organismes publics. On est loin pour les personnes handicapées. Ce sont tous des enjeux. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui est responsable de la gestion et du suivi du programme, cherche à modifier un peu la façon de faire en réalisant un portrait annuel au lieu de tous les trois ans. C’est la nouvelle orientation à la Commission des droits. Faire un portrait de la situation annuellement et non pas tous les trois ans pour produire un rapport. Ça reste sur une base volontaire. C’est une déclaration volontaire que tu déclares travailleur ou handicapé. Tu n’as pas le portrait réel.

Véronique :

Nous, ce qu’on entend beaucoup par rapport à ça, c’est que c’est le mandat de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) d’avoir des données spécifiques. Il faut sortir de cette vision.

Normand :

C’est la responsabilité de tous les ministères dans leur domaine.

Véronique :

C’est ça. Chacun a sa responsabilité, chacun mène ses études, ses enquêtes, ses recherches. Pourquoi à chaque fois qu’on fait une recherche il faudrait que l’OPHQ en fasse une en parallèle?

Normand :

C’était le mal nécessaire de l’époque. Ça reste toujours marqué avec ça.

Véronique :

On a l’impression que c’est fini, mais c’est loin d’être fini.

Normand :

Non, ça fait partie de l’imaginaire… la représentation c’est très fort, par rapport au fait que l’OPHQ est responsable de tout ce qui concerne les personnes handicapées mais le transport c’est le ministère des Transports peu importe la région.

Véronique :

L’OPHQ a la responsabilité que les choses soient bien faites pour les personnes handicapées, mais n’a pas la responsabilité de le faire.

Normand :

Dans le réseau de la santé et des services sociaux, on a beaucoup de mécanismes en place.

Véronique :

Il y a beaucoup de mécanismes pour porter plainte, mais est-ce que c’est efficient d’en avoir autant, je ne suis pas certaine.

Normand :

Pour moi, ça fait pas mal le tour. Merci Véronique pour ton temps.