Abstracts
Résumé
Cette étude vise à explorer la manière dont les personnes victimes de brûlures graves s’adaptent au changement identitaire en lien avec l’image corporelle. Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées avec dix adultes (de 27 à 65 ans) ayant subi des brûlures graves et qui ont terminé leur réadaptation. Les participants sont sept hommes et trois femmes, qui sont majoritairement mariés et occupent un emploi. On note que 9 % à 83 % de la surface corporelle est atteinte et que la principale cause est attribuable aux flammes. Les analyses révèlent l’existence d’un processus complexe animé par une forme de mise en scène autour de l’apparence physique et de la différenciation où s’entrecroisent des stratégies de camouflage, d’exposition et de dissimulation des cicatrices, génératrices de sens tant dans le rapport au corps que dans le rapport aux autres vis-à-vis de leurs attitudes. Ces résultats mettent en lumière aussi le rôle clé de facteurs comme les ressources internes révélant la capacité de résilience et l’entourage significatif, le regard d’autrui tant dans le processus de réadaptation que lors du retour dans la communauté. Ils soulèvent des interrogations quant aux pratiques de suivi à long terme et à l’importance d’accroître les interventions psychosociales auprès des proches significatifs.
Mots-clés :
- victimes de brûlures graves,
- image corporelle,
- réadaptation,
- identité,
- rôle des proches,
- rôle des professionnels
Abstract
This study aims to explore how burn survivors adapt to identity changes related to their body image. Semi-directed interviews have been carried out with 10 adults (from 27 to 65 y.o.) with severe burns, after their rehabilitation. The participants are 7 men and 3 women, most of whom are married and employed. We note that 9% to 83% of the body surface is affected and that the main cause is attributable to flames. The analysis reveals the existence of a complex process animated by a kind of staging around physical appearance and differentiation where strategies of camouflage, exposure and concealment of the scars are intertwined, generating meaning in relation to their bodies as well as in relation to others vis-à-vis their attitudes. These results reveal also the key role played by some factors such as internal resources of resilience and significant relatives, the way others look at them during the rehabilitation process and on their return to community. The results raise questions related to long term follow up practices and the importance of increasing psychosocial interventions with significant relatives.
Keywords:
- Burn survivors,
- body image,
- identity,
- rehabilitation,
- role of significant relatives,
- role of professionals
Article body
« C’est notre regard qui enferme souvent les
Amin Maalouf, 2001
autres dans leurs plus étroites
appartenances, et c’est notre regard aussi qui
peut les libérer ».
Introduction
La brûlure grave est une expérience limite de la vie humaine, pour emprunter ici au vocabulaire foucaldien, autour de laquelle les interventions mobilisent un ensemble complexe de connaissances interdisciplinaires et de techniques des domaines médical, psychosocial, de réadaptation, financier et social afin de rétablir la personne et son corps dans une relation d’équilibre perdu. Cette situation n'est pas étrangère au fait que l'expression qui la désigne généralement est « Burns survivor », survivant de la brûlure[2].Il faut cependant mentionner que la problématique de la brûlure grave, chez les adultes, est une réalité qui a subi de profondes transformations dans son traitement et sa prise en charge dans la plupart des pays occidentaux au cours des trois dernières décennies.
Selon les données disponibles, on estimait, en 2004, qu’à l’échelle mondiale, 11 millions de personnes avaient reçu des soins médicaux en raison de brûlures (Micheal, 2011). À l’échelle américaine, on parle de plus d’un million de brûlures graves dont 45 000 nécessitent annuellement une hospitalisation, avec un taux d’incidence qui se situe à 4,2 par 1000 habitants (Esselmann,Thombs, Magyar-Russell, & Fauerbach, 2006). Pour le Canada, on estimait, en 2004, que 46 000 Canadiens, de tous âges et toutes gravités confondues, ont été victimes de brûlures dont 10 000 au Québec et que 2 000 personnes ont été hospitalisées dont 188 au Québec (Sauve-Qui-Pense, 2009).
La personne victime de brûlures graves peut présenter des déficiences sur le plan de plusieurs systèmes, comme le neuro-musculo-squelettique, des organes sensoriels et du système respiratoire. Ces atteintes influent sur les capacités de la personne (motricité, vision, sens tactile, reproduction, endurance, résistance au froid…). La situation psychosociale est aussi affectée par les brûlures graves (image de soi, estime de soi, identité…) de même que la réalisation des relations interpersonnelles (les responsabilités familiales, le travail et les loisirs). Depuis le début de l’implantation des Centres d’expertise[3] en 2004 pour l'Est et l'Ouest du Québec, les équipes cliniques observent encore aujourd’hui une intensification de certaines difficultés d’adaptation persistantes lors des suivis cliniques en lien avec le changement important de l’apparence physique après la période de réadaptation fonctionnelle et surtout lors du retour dans le milieu de vie.
En fait, la sévérité de l’atteinte et la visibilité des brûlures demeurent une préoccupation chez la victime vis-à-vis de son apparence physique et de la réaction des autres. Au cours de la phase de réintégration sociale, la personne est confrontée de façon quotidienne aux réactions du monde extérieur, aux questions, aux commentaires et aux regards des gens, particulièrement lorsqu'elle présente des brûlures apparentes au visage et aux mains. Ces éléments, conjugués à des observations cliniques, ont fait naître des interrogations quant au rôle, notamment des professionnels et des proches, lors du processus de réadaptation et du retour dans le milieu de vie. L'élaboration de cette étude exploratoire en collaboration avec la travailleuse sociale du programme de réadaptation des grands brûlés qui agit ici comme co-auteure vise donc à visiter cette problématique. Ce travail de collaboration permet ainsi d’intégrer les données scientifiques et le savoir expérientiel à l’analyse de ces résultats. Les dimensions sociales de la brûlure, caractéristiques de la reprise des activités de la vie quotidienne, sont très peu documentées lorsqu’on les compare à tout ce qui entoure la prise en charge et le traitement médical des brûlures, sujet largement couvert dans la littérature scientifique. On note une quasi-absence d'écrits en langue française à l'exception de la littérature grise comme des rapports ou encore des mémoires de maîtrise.
État des connaissances scientifiques
La brûlure se mesure principalement en fonction de l'étendue et de la profondeur de l'atteinte. Ainsi, l’étendue des brûlures est calculée en pourcentage de la surface corporelle totale à l’aide d’un outil connu sous le nom de «Total Burn Surface Areas » (TBSA). Selon la règle de Wallace, le corps est divisé en onze parties et à chacune est assignée une valeur de neuf. Par exemple, 9 % de la surface corporelle totale pour la tête (4,5 pour l’avant et 4,5 pour l’arrière), 18 % pour chaque face du tronc, 18 % pour chaque membre inférieur, 9 % pour chaque membre supérieur, 1 % pour le périnée et les organes génitaux externes (Young, 2002 cité dans Boucher, Lavoie & Bouali, 2005). La mesure de la profondeur distingue trois niveaux de brûlure : le 1er niveau correspond à l’atteinte des couches superficielles de l’épiderme et se compare à un léger coup de soleil, le 2e degré correspond à une atteinte totale de l’épiderme et une atteinte plus ou moins profonde du derme alors que le 3e degré, à la destruction complète de l’épiderme et du derme (Rochette, 1992 cité dans Boucher, Lavoie & Bouali, 2005).
Bien sûr, les brûlures laissent parfois des cicatrices visibles sur certaines parties du corps comme le visage et les mains qui ont pour conséquences de générer des situations d’isolement et de retrait social (Boucher, Lavoie & Bouali, 2005). Ainsi, parce que la brûlure au corps affecte l’apparence, l’image corporelle est altérée et s’accompagne de problèmes d’identité personnelle (Gilboa, 2001). Il s'agit d'un processus qui se caractérise par l'articulation complexe entre des facteurs personnels et des facteurs de l’environnement de la personne ou de son contexte de vie.
L’image corporelle (body esteem ou body image) est un concept multidimensionnel relié à sa propre apparence physique et à la perception de l’image de son corps. Il s'agit de « ce que je pense avoir l’air » ainsi qu’à la satisfaction personnelle face à la perception de son image; et de prendre conscience « à quel point je suis satisfait de ce que je pense avoir l’air »; cette perception parfois difficile des changements qui découlent de la brûlure est souvent un puissant révélateur d'impacts importants sur la qualité de vie et la réintégration sociale à long terme (Lawrence, Mason, Schomer, Klein, 2004; Corry, Pruzinsky, Rumsey, 2009; Yohannan et coll, 2012; Stavrou et coll, 2014; Connell,Coaste, Wood, 2015).
En plus de contribuer à l’augmentation de la détresse émotionnelle, l’insatisfaction de l’image corporelle est également responsable d’une détérioration des facteurs favorisant le processus de réadaptation et d’intégration sociale des personnes atteintes de brûlures graves (Bergamasco, Rossi, Amâncio, Carvalho, 2002; Fauerbach et coll., 2002).
L’adaptation après une brûlure est un phénomène complexe qui implique des composantes qui sont tantôt internes (provenant de soi), tantôt externes (provenant des amis et de la famille) (Birdsall & Weinberg, 2001). Les changements dans l’intégrité corporelle reliés à la brûlure peuvent s’ajouter à une stigmatisation sociale, entraînant des effets sur l’estime de soi (Lawrence, Mason, Schomer, Klein, 2012; Dahl, Wickman, Wengström, 2012; Lawrence et Fauerbach, 2011; Williams, Davey, Klocck-Powell, 2003). Parmi les éléments qui contribuent à la reprise des activités sociales et des relations interpersonnelles, la présence d’un réseau de soutien significatif comme la famille et les amis, est très facilitant. Le fait que la personne ayant des brûlures se sente acceptée et accueillie telle qu’elle est par ses proches, favorise l’adaptation graduelle à sa nouvelle image corporelle. À cet égard, on note dans la littérature aussi des impacts négatifs d’un réseau de soutien social peu présent et peu soutenant dans le processus d’adaptation aux perturbations de l’image corporelle chez le grand brûlé (Dhennin, Stéphane, Winaver & Gérard, 2001).
Globalement, la présente étude vise à explorer la manière dont les personnes victimes de brûlures graves s’adaptent au changement identitaire en lien avec l'image corporelle. Nous avons identifié les facteurs tantôt personnels tantôt environnementaux ayant joué un rôle à deux moments bien distincts : soit lors du processus d’adaptation et de réadaptation fonctionnelle, soit lors de la période de réintégration sociale.
Cadre d'analyse
Cette étude s'appuie d'abord sur le modèle conceptuel du Développement humain - Processus de Production du Handicap (MDH-PPH 2) qui met de l'avant une perspective interactionniste du handicap ou plutôt de la situation de handicap (Fougeyrollas, 2010). Il distingue ce qui relève de la personne comme l'âge, le sexe, les déficiences, les incapacités, l'identité... et ce qui relève de son environnement, de son contexte de vie, et il permet de montrer que l'interaction entre les deux types de facteurs (personnels et environnementaux) vient influencer, positivement ou négativement, la réalisation par la personne de ses activités courantes et rôles sociaux. À ce modèle, s'ajoute la définition de l'identité sociale de Claude Dubarqui qui en dégage deux processus: la différenciation et la généralisation (2010). Le premier renvoie « à ce qui vise à définir la différence, ce qui fait la singularité de quelque chose ou de quelqu’un par rapport à quelque chose d’autre ou à quelqu’un d’autre : l’identité, c’est la différence alors que le second vise à définir le point commun à une classe d’éléments tous différents d’un même autre : l’identité c’est l’appartenance » (2010 : 5). Derrière cette apparente complexité, ces deux processus sont à la base, selon l’auteur de ce qu’il nomme comme le « paradoxe de l’identité : ce qu’il y a d’unique est ce qui est partagé »; ce paradoxe est illustré dans l’expression du « même autre » et un paradoxe qui ne peut être levé que par l’identification de et par l’autre qui constitue le point commun aux deux processus (2010 : 5); en un mot comme en cent, il n’y pas d’identité sans l’altérité au sein d’une perspective existentialiste. En qui concerne le sujet de cet article, l’attrait de la conjugaison du Modèle du PPH et de la perspective théorique de Dubar réside dans l’identification que permet la classification PPH de cet « ensemble d’éléments » à l’oeuvre dans cette redéfinition identitaire et que la perspective existentialiste contribue à rehausser au-delà de la désignation souvent blafarde d’obstacles et facilitateurs à travers l’articulation de ces processus en révélant leurs dimensions significatives.
Cette étude exploratoire vise à contribuer à cerner des éléments d'explication de ce processus dynamique de redéfinition du rapport à soi et à l'Autre.
Approbation éthique
Ce projet a obtenu l’approbation du comité d’éthique du centre de réadaptation. De manière à réduire les biais notamment de désirabilité sociale, les entrevues ont été réalisées par une étudiante de 2e cycle en anthropologie de l'Université Laval en lieu et place de la collaboratrice à l’étude, travailleuse sociale au sein du programme de réadaptation et qui est intervenue professionnellement auprès de ces participants dans le cadre de son travail.
Méthodologie
Cette étude repose sur une démarche exploratoire de type phénoménologique, dans laquelle des entrevues semi-structurées sont réalisées abordant des thèmes précis amenés par des questions ouvertes et qui sont relatives aux significations vis-à-vis des changements de l'apparence, aux attentes quant aux interventions, aux inquiétudes en lien avec l'avenir et aux séquelles… L'articulation de ces thématiques se fait autour de trois axes abordant d'abord a) l’aspect rétrospectif précédent le traumatisme; b) l'aspect traumatique, discutant de l'événement traumatique et de ses circonstances; c) et enfin, de l’aspect prospectif relatif aux processus de réadaptation et d'intégration sociale en accordant une attention particulière à la dimension de l’image corporelle, à la perception de soi et celle des autres. Il y a seulement les résultats découlant du troisième axe qui sont discutés dans cet article. Son caractère exploratoire ne permet pas de généraliser les résultats, ce qui constitue une limite.
Constitution de l’échantillon
Les participants ont été recrutés en passant par les archives du centre de réadaptation et, quant aux critères d'inclusion, ceux-ci devaient présenter des brûlures graves de 2e et 3e degrés. Ils devaient avoir reçu des services de réadaptation dans l'établissement, avoir terminé la réadaptation et être de retour dans leur milieu de vie depuis au moins six mois, en plus de demeurer dans les régions de la Capitale-Nationale ou de Chaudière-Appalaches. Les participants exclus étaient ceux qui présentaient une déficience intellectuelle et des problèmes psychiatriques ou cognitifs limitant la compréhension des questions.
Analyse des données
L'analyse des données a été réalisée à l'aide du logiciel d'analyse NVIVO 9 après que les entrevues aient été retranscrites sous forme de verbatim. La première étape a consisté en une lecture flottante des verbatim afin d’en dégager les grandes catégories d’analyse des données qualitatives. Par la suite, une grille de codification thématique plus raffinée a été élaborée pour le traitement des données. Un exercice de validation de la grille a été réalisée afin d'obtenir l’atteinte d’un degré d’accord inter-juges selon la procédure Miles et Huberman (1994). Cette démarche a permis de procéder à l’organisation thématique des données.
Résultats
La présentation des résultats est divisée en deux parties. Dans la première partie, nous abordons le rôle des proches, de l’équipe traitante et des autres personnes dans le processus d’adaptation et de réadaptation. La deuxième partie de notre analyse traite de la situation lors du retour de la personne dans son milieu de vie.
Au total, dix participants ont été recrutés, majoritairement des hommes (7) dont le plus âgé avait 65 ans et le plus jeune 27 ans au moment de l'accident. En ce qui a trait aux femmes, la plus âgée avait 54 ans et la plus jeune 28. Et concernant la parité homme-femme, notre échantillon est représentatif des données épidémiologiques, les victimes de brûlures étant des hommes 7 fois sur 10.
La moitié des participants étaient mariés et huit avaient un emploi au moment de l'accident.
La cause principale des brûlures est le feu, ce qui correspond à la réalité observée tant au Québec qu'ailleurs. Les parties du corps atteintes varient beaucoup parmi les participants, cependant tous présentent des brûlures aux mains, en raison généralement d’un réflexe de protection. Une participante a été atteinte légèrement au visage, mais surtout aux bras, aux jambes, à l’abdomen et au dos avec une étendue variable.
Le temps écoulé depuis l’accident varie entre 24 et 36 mois avec une moyenne de huit mois de réadaptation pour ce groupe de participants. Huit des dix participants sont retournés au travail à la fin de la période de réadaptation.
Période d’adaptation et réadaptation : changements de l’apparence physique et autres séquelles
Cette période représente le début du processus de réadaptation intensif et l’adaptation aux changements de l’apparence physique de la personne au terme de son passage à l’unité des grands brûlés du Centre d’expertise de l’Est du Québec. Elle se caractérise notamment par de nouvelles modalités d’entretien et de soins à apporter au corps, dorénavant porteur de cicatrices qui transforment l’apparence physique. On s’intéresse surtout à la manière dont est vécue cette période en cherchant à identifier certains facteurs déterminants dans ce processus d’adaptation à la perturbation de l’image corporelle.
Le rôle de l’entourage immédiat et celui de l’équipe traitante est déterminant pour le déroulement optimal du processus de réadaptation et d’adaptation aux changements de l’image corporelle. En fait, l’attitude positive et d’acceptation de l’équipe à l’égard de l’apparence de la peau et l’information donnée à la personne concernant les conséquences des brûlures sont des facteurs importants; de même que la présence de séquelles physiques comme la douleur et les limitations physiques influencent ce processus.
Le rôle de l’entourage (conjointe/conjoint, famille, proches significatifs) et du personnel
« Elle me disait : « C’est pas grave, c'est rien que la jambe, t’en as pas dans le visage, t’es pas brûlé ailleurs. » Mais j’ai été chanceux pareil. C’est elle qui m’a encouragé, pis elle… ça a pas été plus que ça… » Entrevue I.
« J’ai montré mes mains… mettons, à partir du début, ils ont vu beaucoup l’amélioration mais… la famille, des amis, même les enfants, ils m’encourageaient. « T’sais maman, elles sont rendues belles tes mains… » Il y avait plein de galles dessus pis ils me le disaient pareil. C'est pas des « Aie, c'est dégueulasse! » Ça, j’en ai pas eu, mais vu que j’ai encore des gants, probablement que quand j’en aurai plus, ben là, il y en a qui… la réaction, parce que ça va paraître toujours pareil… on dirait que j’ai des mains de 80 ans, à 30 ans. Rendue là, je me dis que les autres, il faut les laisser faire. Ça, j’suis capable de me le dire pis de dire : « C’est pas grave, passe par-dessus, continue ta vie… » Entrevue E.
Le personnel a permis à la personne de comprendre que ses difficultés avaient une importance aussi peu importe ce que les autres vivaient. Aussi, l’entourage, par ses propos, permet à la personne de faire le constat des progrès quant à l’apparence de la peau en faisant le bilan de l’évolution, ce qui favorise le processus d’adaptation au changement de l’image corporelle. Le fait de respecter le rythme de la personne quant à l’exposition aux regards des autres, par l’équipe traitante, est une stratégie qui favorise l’adaptation graduelle aux cicatrices corporelles qui peut varier selon les personnes comme l’illustre l’extrait qui suit. Ainsi cela a pour effet d’éviter que la personne se replie sur elle-même, parce que l’adaptation au changement de l’image corporelle évolue à travers sa propre perception et celle des autres.
« …J’étais pas prêt tout de suite à me montrer à tout le monde. Ça fait que tranquillement pas vite, ça va s’adapter au fur et à mesure. Petit à petit, ça va rentrer dans l’ordre. Au fur et à mesure, que ça me disait, à me montrer un peu plus. Le reste… les gens, ils le savaient itou, ça fait qu’ils ne poussaient pas, rien. Ça allait bien. Ils étaient habitués, à la fin. Les heures de physio, pis tout. C'était quand même assez discret un peu. » Entrevue B.
Les séquelles physiques de la brûlure : douleur et mobilité
De plus, on observe que le besoin de reprendre des activités significatives antérieurement ainsi que la possibilité de verbaliser ce qui est vécu sont deux dimensions qui ressortent de manière importante. La présence de séquelles découlant de la brûlure comme la douleur a un impact sur le processus de réadaptation.
« J’ai eu de la misère. À un moment donné, j’ai été obligé de prendre des antidépresseurs, parce que moi, je me disais : « Ça sera pas long, j’vais recommencer à travailler. » J’me disais – pis à un moment donné, mon subconscient me disait : « non, Z., tu ne recommenceras pas tout de suite. » Ça, j’ai eu de la misère, j’ai eu de la misère à l’accepter, des petites choses que je ne pouvais pas faire… à un moment donné, j’étais assis sur le divan pis les larmes commençaient à couler toutes seules. J’étais… je me sentais pas handicapé, je me sentais comme frustré… » Entrevue I.
« À un moment donné, t’en as plein le casque pis ça fait du bien d’en parler, ce qui m’aidait, c'était l’entourage d’ici. T’sais, ils m’expliquaient le pourquoi pis : « R’garde, Z., on ne peut pas y aller plus que ça. On va te réaugmenter. On va voir au bout de 3 jours… » avec l’espérance de trouver la bonne dose, ils disaient : « À un moment donné, on va tomber dessus… », mais quand? Ils ne peuvent pas le savoir. » Entrevue I.
Période de retour dans le milieu de vie : image corporelle
Cette période est caractérisée par la fin de la réadaptation spécialisée et la reprise des activités régulières dans la mesure du possible. À la différence de la période précédente où l’accent est mis beaucoup sur la guérison de la peau, l’adaptation à cette nouvelle réalité biopsychosociale et l’apprentissage de nouvelles modalités d’entretien du corps, celle-ci s’intéresse davantage aux citoyens, aux parents, aux conjoints, aux collègues et amis. On réfère ici à tous ceux qui caractérisent le retour dans la communauté de la personne victime de brûlures graves comme la reprise d’activité mise entre parenthèses pour ainsi dire, notamment les rôles sociaux durant les périodes de traitements intenses lors des séjours hospitaliers et en réadaptation fonctionnelle à la manière du « sick role » de la sociologie fonctionnaliste de Parsons (1951). Elle s’intéresse aux relations interpersonnelles, aux interactions avec l’environnement social et aux significations qui se construisent dans un rapport au corps singulier et aux autres qui est parfois à renégocier. L’image corporelle réfère à cette représentation globale que la personne a d’elle-même, de sa valeur, de ses rapports avec les autres et jusqu’à un certain point, de son rôle dans la société.
À la lecture des propos des participants, on note qu’il y a une grande variation dans les situations vécues lors du retour dans leur milieu; les relations intimes sont parfois difficiles en raison de la présence des cicatrices. C’est là que le jeu de la mise en scène, comme par exemple le camouflage du corps à l’aide des vêtements, de l’évitement que l’on retrouve souvent dans l’espace public prend fin, dans l’espace intime. Un jeu qui n’a rien de péjoratif révélant plutôt cette signification à reconstruire et à s’approprier en lien avec l’apparence corporelle. Pour d’autres, l’important demeure que certaines parties du corps comme le visage ne soit pas touchées; ce qui évite de déranger et surtout, le regard des autres qui reflète souvent que le corps est différent. Cette relation à autrui est très importante et aussi longtemps que la cicatrice reste dissimulée et invisible, il n’y a pas de problème.
L’importance de l’apparence à apprivoiser…
« Tant que j’étais habillé, autrement dit, tant que j’étais habillé, j’étais encore la même personne puis je croisais des gens puis je me cachais pas puis... le fait de m’exposer de moins en moins habillé, c'est là que je m’apercevais que, ouais, …
I. C’était plus dans l’intimité que ça causait un problème.
« Ouais »
I. Avec cette nouvelle personne-là, est-ce que ça a été une préoccupation, l’apparence physique?
« Non, pas du tout. C’est plus préoccupant pour moi. C’est même moi… elle, ça la fatigue pas. J’pense pas qu’elle se mette à m’observer de la tête aux pieds pour ça, mais à quelque part, je ne le sais pas. C’est l’autre qui te met un peu à l’aise là-dedans... Tu viens à oublier le regard de l’autre qu’il peut avoir sur toi. Au début, c'est ça… tu te mets à la place de l’autre. Mon Dieu! C'est pas une vision… Tu viens à accepter ton corps comme il est là, tu viens à te trouver beau pareil… pis à un moment donné, plus ça, ça avance, plus t’es capable de… d’avoir une vie de couple un peu plus normale. » Entrevue J.
Il est intéressant de noter ici que le fait de ne pas subir l’observation intrusive du regard des autres et des proches significatifs plus particulièrement, favorise l’adaptation et l’acceptation de la nouvelle image du corps. Également, le facteur temps est un autre élément facilitant l’adaptation aux changements de l’apparence physique. Afin de favoriser l’acceptation de soi et faciliter le dévoilement du corps, la personne victime de brûlures graves a besoin d’une sorte de validation de l’entourage significatif, de ce qui est accepté ou non quant à son image corporelle. Cette validation déterminera la perception qu'elle développera quant à son image corporelle. La projection de sa propre image empreinte de jugements l’amène à croire que l’entourage peut penser comme elle quant à l’apparence de sa peau, ce qui aura un impact défavorable lors des interactions avec l’environnement social et particulièrement lors de l’intimité.
« Si j’aurais pris ça, mettons, l’apparence pour mes mains, ça aurait été… t’sais, avoir des belles mains puis de la belle peau. Si j’avais été plus pour la beauté, peut-être que oui. Peut-être que si je m’étais brûlé les mains en faisant à manger, ça aurait différent, en voulant dire… comme là, on est toute la famille ensemble, le reste, c'est secondaire. Moi, c'est probablement pour ça. Si je m’étais brûlé les mains avec de l’huile à friteuse en faisant à manger, peut-être que j’aurais vu ça différemment, mais là, ça me dérange pas. Je suis capable de faire ce que je veux. Même que ma nièce m’a dit : « T’as les mains qui ressemblent à de la peau de crocodile. » Mais moi, je trouve ça drôle mais j'suis capable de faire ce que je veux pareil avec, ça fait que ça ne me dérange pas. »
…et de la reprise des activités comme avant
Ce qui importe davantage est de préserver ses capacités fonctionnelles pour réaliser ses activités de la vie quotidienne. Ainsi la reprise des activités est plus significative dans l’adaptation aux changements de l’image corporelle et identitaire. L’usage fait par la personne de son corps, de même que l’importance qu’elle accorde à l'apparence physique contribuent à la construction de l’identité.
« Ben, comme c'est là, je pense que ça va être pas mal vers la fin de la guérison. C’est comme je disais… on dirait des mains d’une femme de 80 ans mais ça me dérange plus ou moins. En autant qu’elle soit solide et que je sois capable de faire mes affaires, c'est ça qui importe. C’est sûr que peut-être avant, tu mets plus de bagues. Comme là, mettre les alliances pis tout ça, j’en mets moins. Ça attire moins l'attention. C’est peut-être plus des choses comme ça mais à part de ça, ça me dérange plus ou moins. » Entrevue E.
« Ben, t’sais, comme, j’vais à la piscine avec, là… on est allés justement au Manoir en fin de semaine encore… puis ça la dérange pas, pis elle me fait pas sentir mal à l’aise là-dedans, pis c'est encore à moi la game autrement dit. Elle, elle ne comprend pas encore des fois encore pourquoi que… des fois… peut-être qu’elle le sait, à quelque part, mais elle m’en parle pas. Il y a beaucoup de monde, t’sais, j’me sens pas ben ben à l’aise des fois encore, pis il y a des fois que je vais passer à travers de ça, mais il y a des fois que… c'est encore frais, c'est juste depuis l’année passée que je commence à me montrer en public, pour dire, en maillot de bain puis… elle, ça la dérange pas. » Entrevue J.
Le regard d’autrui et dissimulation de soi : mise en scène autour du corps
Pour certaines personnes, il est plus facile d’accepter de profiter des activités estivales et de montrer ses cicatrices à des personnes qu’elles ne connaissaient pas alors que pour d’autres, ce regard demeure parfois difficile à supporter.
« … à un moment donné, on est allé faire du spa chez un de mes garçons, puis il y avait deux de ses chums qui étaient là. C’est du monde que je connais très bien, puis je me suis organisé pour entrer dans le spa avant eux autres, puis je suis débarqué après eux autres. Pourquoi j’ai fait ça? C’est intérieurement, je sais pas exactement… c'est peut-être par gêne ou… j’peux pas te répondre à ça. » Entrevue I.
« Peut-être que si j’avais senti que le monde, ça les dérangeait vraiment, surtout quand je suis retourné au travail où là, je rencontrais beaucoup de gens, peut-être que j’aurais pensé à d’autres choses, mais j'ai rien senti de ça, sauf la curiosité… une grosse cicatrice sur un bras… L’été, je ne me gêne pas. Je me promène en pantalons courts tout le kit, les cicatrices sur les jambes. Le monde me demande c'est quoi que t’as eu là. J’ai pas vu quelqu'un faire de saut ou perdre connaissance parce que j'avais une grosse cicatrice sur une jambe ou bien… » Entrevue G.
Cette situation rend compte de l'importance du regard de l'Autre. L’absence de réactions et de questionnements de la part des gens quant à l’apparence de la peau dans les milieux de travail, facilite la reprise de l’activité productive de façon optimale.
« Même, je regarde, là. Je fais l’épicerie… ils sont habitués de me voir. Ça fait deux ans pratiquement qu’ils me voient de même, là, pis tout le monde dit : « Ah! R’garde donc ça. T’as ôté tes gants. C’est l’fun. Aie, ce n'est pas si pire que ça, hein! » T’sais, le monde… ah, ben, coup donc… Les petites caissières chez Métro, ils me disent : « Ben, voyons donc, M. F., c'est beau, hein, c'est pas si pire! » Pis c'est vrai, dans la réalité, y sont pas nécessairement belles, belles, belles, mais j’pense que quelqu'un qui le sait pas, il va peut-être… j’sais pas s’il va s’en apercevoir à 100 %, t’sais. Faut croire que c'est quelqu'un qui va remarquer beaucoup pour… » Entrevue H.
Le facteur temps est important dans le processus d'adaptation. Par contre, le fait que la personne accepte l'idée de reprendre graduellement ses habitudes de vie favorisera l’adaptation. De plus, l’attitude traduisant l’approbation des gens sur l’apparence projette à la victime un message d’acceptation des cicatrices.
« Moi, en autant que j’avais pas le visage touché, j’me disais que l'apparence, c'est… Moi, j’agaçais le monde… « Les femmes trouvent toujours ça bien, un gars avec une cicatrice. J’en ai des belles. J’peux en montrer partout. J’en ai partout.
On s’entend que c'est pas apparent ben ben. C’est à l’intérieur du bras, c'est pas des affaires qui sont ben ben apparentes, mais j'ai jamais senti de la part des gens que ça pouvait les dégoûter ou déranger. Des fois, ça surprend un petit peu mais pas plus que ça. Les gens vont poser des questions, « qu’est-ce qui t’es arrivé? ». C’est plus de la curiosité que d’autre chose. » Entrevue G.
I. Pourquoi vous ne sortiez pas?
« J’étais pas capable. Rien que le regard des autres… parce qu’icitte, j’veux dire… à qui je disais ça? Peut-être à L, peut-être aux autres aussi… je disais… Quand je vais à une place où je ne connais pas personne, ça ne me dérange pas. Ils m’ont pas connue comme j’étais avant pis ils ne savent pas comment j'étais. Tandis qu’icitte, c'est différent parce que le monde… j’ai resté longtemps par ici pis la plupart… j’ai travaillé dans les bars ici aussi, ça fait que la plupart me connaissent, pis tout. J’sais pas… ça me gênait de me montrer comme j’étais, comme ça, contrairement à ce que j’étais avant, pis je sortais pas. Ça ne me disait pas pantoute. J’avais même fait une demande pour aller voir une psychologue. Ça a pris assez de temps, merci. Je l’ai vue rien que l'année passée, pis je l’ai vue deux fois. » Entrevue D.
« Ce n'est pas seulement ta personnalité, c'est le monde extérieur qui sont méchants aussi. Je dis que le plus gros problème, c'est ça.
I. C’est la réaction des autres?
« La réaction des autres, le regard des autres. Moi, j’ai vu une personne changer de table à cause qu’il y avait un grand brûlé qui était à côté. La personne a changé de table. J’étais deux tables plus loin. J’ai passé proche de me lever pis d’aller lui demander c'était quoi son problème. J'aurais-tu mis la personne mal à l’aise? Je ne l’ai pas fait. Ça fait que… je pense que le plus dur pour les grands brûlés, quand ils ont des plaies au visage ou… c'est le monde extérieur. » Entrevue I.
Il est plus facile pour la personne de s’adapter aux changements de l’image corporelle lorsque les gens qui composent son entourage significatif renvoient par leur attitude l’acceptation des changements du corps, elle se sentira sans doute plus en mesure de faire face aux réactions des personnes lors d’une sortie sociale.
Discussion
Au terme de la présentation des résultats, on note tant lors de la période d’adaptation et de réadaptation que celle du retour dans le milieu de vie que certains facteurs jouent un rôle très déterminant dans le développement de manières pour faire face à cette réalité marquée par le changement de l’image corporelle. D'une part, pour la première période, on note que certaines caractéristiques personnelles comme ses attitudes et ses croyances, son histoire personnelle, ses traits de caractère, sa propre perception de ce qu’est la beauté, l’esthétique, le niveau d’estime de soi antérieur à l’évènement… sont souvent des facteurs déterminants. D'autre part, on observe que la présence de séquelles physiques comme la douleur, la difficulté au plan de la motricité fine... ont un impact négatif qui va même au-delà en termes d’importance selon certaines études. Pour Kornhaber, Wilson, Abu-Qamar et McLean (2014), qui discutent de l'expérience vécue de la réadaptation, ce processus se doit d'être aussi soutenu surtout lorsqu’il y a la présence d'altération physique comme le prurit (démangeaison) ou encore la douleur en raison de leur impact sur la qualité de vie (2014 : 24-26).
Cette situation nous renvoie à la prise en considération de caractéristiques qui relèvent davantage du contexte social que de la personne en référence au modèle conceptuel MDH-PPH 2. Ainsi, on observe que parmi celles-ci, le rôle de l’entourage immédiat et significatif est excessivement important lors du processus de réadaptation quant aux changements de l’apparence. À cela, il faut ajouter celui des professionnels de la santé qui permet à la personne de mieux vivre ces premiers contacts avec la société. In fine, on observe à la lecture de ces entretiens le rôle joué tant par des caractéristiques personnelles (ressources internes, résilience, estime de soi, physiologiques, douleurs, cicatrices…) qu’environnementales (rôles des proches et des professionnels, regards de l’autre, attitudes....) dans le contexte de vie de ces personnes plongées brusquement dans une période d’équilibre instable au sein de laquelle les processus de différenciation et de généralisation sont à l’oeuvre. Ainsi, cette différence antérieure est appelée à se recomposer sur certains plans avec les atteintes à l’intégrité corporelle découlant des brûlures et de leurs séquelles visibles ou non. À court terme, c’est le test du miroir dans le rapport à soi, et à plus ou moins long terme, c’est le rapport au corps dans la gestion de la douleur et des cicatrices, de ce corps devenu hypersensible à la chaleur et au froid qui conduit parfois à des changements dans le travail effectué jadis à l’extérieur qui est dorénavant trop difficile. Cette mutation de la différence en vient à donner forme, dans des parcours non linéaires, à un nouveau rapport à soi dans un contexte où le regard de l’Autre, comme constaté dans ces résultats, est éminemment important, et comme le souligne Dubar dans la description du processus de généralisation, c’est-à-dire d’appartenance à l’ensemble humain comme nouvelle dimension du même autre, de l’unique qui s’illustre dans une variation historique de l’altérité et de l’identité selon le contexte de définition des personnes (Dubar, 2010). Ce regard de l’Autre est déterminant tant dans la sphère sociale à travers les relations interpersonnelles que dans la sphère privée dans les relations intimes. Ce regard n’est pas toujours négatif comme illustré par ces résultats.
De fait, les facteurs identifiés dans cette étude comme l’importance du rôle des professionnels le sont également par d'autres études et cela, à l'égard de plusieurs dimensions. Ainsi dans celle menée par Yohannan et coll. (2012), la majorité des personnes victimes de brûlures perçoivent positivement le rôle des interventions en réadaptation et notamment pour leurs effets à long terme au plan physique et psychologique; ces interventions ont contribué à faciliter leur retour au sein de la communauté. Parmi ces interventions, il faut souligner celles en ergothérapie, principale discipline impliquée auprès de l'usager, dans le port des vêtements compressifs ; il y a le suivi en service social, notamment l’intervention de groupe menée par une travailleuse sociale. Pour Moi, Vindenes et Gjengedal (2008), l'expérience vécue, notamment lors du processus de réadaptation du corps blessé, est au coeur de la dynamique de retour au sein de la société et celui-ci peut être facilité par la participation de la famille et des amis. À ce chapitre, on peut ajouter, à partir de l’expérience clinique, que le fait pour les personnes d’être en relation avec d’autres vivant une situation similaire leur permet d’être rassurées quant à la possibilité de retrouver un sens à leur vie après ce type de traumatisme.
Les enjeux lors du retour dans le milieu de vie
Lors du retour dans le milieu de vie, l’analyse des entrevues met en perspective l’existence d’une diversité de situations vécues par les personnes, d’attitudes et de réactions vis-à-vis les changements de leur image corporelle. Ici encore, le rôle des proches significatifs est important dans le développement des stratégies d’adaptation (Corry, Pruzinsky, Rumsey, 2009; Rossi et coll., 2009; Ciofi-Siva et coll., 2010). Il va de soi que la notion, qui est au coeur de cette étape ultime, et que bon nombre d'études cherchent à évaluer, c'est la qualité de vie. C'est le cas notamment de l'étude de Stavrou et coll. (2014) qui insistent sur l'importance d'évaluer assez rapidement après la fin des interventions la qualité de vie des victimes de brûlures graves qui sont plus à risque de vivre des difficultés aux plans psychologique et social.
Pour Connell, Coaste et Wood (2015) la question de la sexualité et de sa relation avec le changement de l'image corporelle chez les femmes est médiatisée par la visibilité de la cicatrice, l'insatisfaction envers l’image corporelle, l'importance accordée à l'apparence avant le traumatisme et enfin, l'adaptation après la période de traitement, surtout vis-à-vis du regard des autres. Ici aussi, on insiste sur l'importance de la période de réadaptation et du rôle des professionnels comme un élément-clé dans le processus de retour dans la communauté et de l’adaptation à l’image corporelle perturbée. Il y a une dimension centrale qui anime la société contemporaine autour de l'apparence qu'il ne faut pas négliger et qui donne du sens à l'importance qu'accordent les personnes victimes de brûlures graves au regard d’autrui et au recours à une stratégie d’évitement (Thombs et coll., 2008). Dans la présente étude comme dans la littérature, la visibilité des cicatrices est un facteur clé lors de la reprise des activités, comme par exemple le travail, comme le soulignent Kornhaber, Wilson, Abu-Qamar, McLean (2014). C'est ainsi que la préservation de l’invisibilité vis-à-vis de l’autre apparaît comme un enjeu très important dans le maintien d'une « certaine qualité de vie » à brève échéance. Enfin, ce processus révèle également bien les enjeux qui entourent la dissimulation de la cicatrice dans l’espace public et son dévoilement souvent difficile dans l’espace privé; mettant en jeu toute l'importance des relations interpersonnelles et du soutien qui peuvent contribuer, sous différentes formes (par les pairs, les professionnels, l'entourage…), (Sproul, Malloy, Abriam-Yago, 2009) à réduire le malaise social ainsi généré par les interactions.
Conclusion
Au terme de l’analyse, on note qu’à la période d’adaptation et de réadaptation, certains facteurs jouent un rôle déterminant dans le développement des stratégies pour faire face à cette nouvelle réalité du changement de l’image corporelle par les personnes victimes de brûlures graves. Cette influence se fait également remarquer lors de la période de retour dans le milieu de vie. Parmi les facteurs clés de l’adaptation aux changements de l’image corporelle on retrouve des caractéristiques personnelles comme : les ressources internes révélant la capacité de résilience, la présence de séquelles physiques, et des facteurs environnementaux comme le rôle de l’entourage significatif et le regard d’autrui. En effet, l’acceptation de la nouvelle apparence physique par les proches significatifs est un facteur déterminant pour l’adaptation au changement de l’image corporelle. Des stratégies de dissimulation, d’évitement et une mise en scène du corps dans certaines situations sont d’autres facteurs importants.
Dans cette dernière section, il y a lieu de faire une ouverture prospective quant à l'importance d'apporter des changements ou des améliorations aux interventions actuelles en contexte de réadaptation. Ainsi, il serait intéressant d'accroître les interventions psychosociales auprès des proches significatifs en les impliquant de façon plus systématique tant dans le processus de réadaptation que dans le cadre d’activités de socialisation. Les interventions sur les ressources internes des proches de la personne ayant des brûlures graves sont également à favoriser dans une perspective d'empowerment. Ici l’apport des savoirs expérientiels par les pairs peut constituer une contribution déterminante dans le soutien d’actions axées sur l’autodétermination de la personne victime de brûlures graves; cette perspective se retrouve bien résumée dans l’expression anglaise généralement acceptée de « Burn Survivors » révélant avec force le caractère identitaire. Il faut de plus, intégrer et soutenir les interventions et les activités de socialisation qui sont susceptibles d'avoir un impact sur les relations interpersonnelles et les stratégies d'adaptation en lien avec l’image corporelle perturbée. Enfin, la mise en place d'un mécanisme de suivi à long terme demeure importante en raison de l’apparition tardive de certaines difficultés.
Appendices
Notes
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[1]
Auteur correspondant. Adresse courriel : Normand.Boucher@cirris.ulaval.ca
-
[2]
Dans cet article, c'est l'expression personnes victimes de brûlures graves qui est utilisée pour référer à ce groupe d'individus.
-
[3]
Le Centre d'expertise de l'Est est formé de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec (HEJ) et de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ), en collaboration avec l’Association des grands brûlés F.L.A.M. (Force, Liberté, Amour, Mouvement) qui accueille les victimes de brûlures graves (VBG) et leurs proches. Il est la pierre angulaire de la continuité des services. On retrouve une articulation similaire pour l'Ouest du Québec.
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