De nombreux analystes déplorent les rigidités de la société française. Cela signifie à la fois un fonctionnement économique sclérosé en régime courant, et qui se traduirait par des incitations faibles à investir, à embaucher, à innover, à se réorienter ou à accumuler du capital humain, et des blocages institutionnels, politiques et sociétaux lorsqu’il s’agit de mettre en place des réformes structurelles. On constate en général une réglementation excessive des marchés si on compare la France à d’autres pays avancés. Ces réglementations frappent de nombreux secteurs, et notamment ceux qui jouent un rôle majeur dans l’existence, comme le marché du travail ou celui du logement. Ces rigidités sont illustrées par de nombreuses décisions politiques. On peut mentionner l’interdiction du travail du dimanche, l’interdiction du travail à mi-temps, ou le plafond sur les loyers établi par la récente loi Duflot. Ces anecdotes corroborent les conclusions que l’on peut généralement tirer des comparaisons internationales de divers indicateurs de rigidité des marchés. Par exemple, la France est le quatrième pays de l’OCDE le plus rigide en ce qui concerne la législation de protection de l’emploi (graphique 1) et se caractérise également par un indicateur élevé de contrôle de l’État sur l’économie (graphique 2). Mais ces rigidités ne se limitent pas à la sphère économique. S’il était généralement considéré qu’elles constituent des aberrations, un gouvernement démocratiquement élu abolirait purement et simplement une grande partie d’entre elles. Or, on constate que l’opinion publique n’est pas défavorable à ces interventions et plus généralement que l’attitude de la population envers l’économie de marché est particulièrement négative en France comparée à d’autres pays, comme en témoigne un sondage récent (tableau 1). Ces réponses corroborent les attitudes générales des Français face au rôle de l’État dans l’économie, telles que celles observées dans le WorldValueSurvey et résumées dans le tableau 2. On note en particulier une forte aversion à la concurrence en France comparé à ses homologues anglo-saxons, ainsi qu’une volonté plus forte d’égalisation des revenus. La rigidité économique est donc soutenue par un système de croyances. Inversement, l’existence d’une société rigide économiquement peut renforcer des croyances négatives erronnées sur l’économie de marché (Saint-Paul, 2010, pour certains résultats allant dans ce sens). Un autre facteur de persistance des rigidités est le fait que les agents vont s’organiser, en dehors des circuits habituels du marché, pour pallier ces rigidités. Ces activités se traduisent par l’accumulation d’un capital organisationnel, qui, s’il est inégalement réparti, peut conduire à l’émergence de lobbies opposés à la déréglementation des marchés. C’est ce type de phénomène que nous discutons ici. Dans une économie où les marchés fonctionnent mal, d’autres structures sociales sont appelées à les remplacer. En particulier, les réseaux sociaux peuvent jouer le rôle d’un circuit au sein duquel les échanges sont conduits. Le « capital social », c’est-à-dire, ici, la taille du réseau de connaissances auquel un individu peut accéder, joue alors un rôle important dans les ressources que cette personne peut obtenir. On peut en conclure que les dysfonctionnements économiques vont se traduire par un investissement plus élevé en capital social. Cette hypothèse est-elle corroborée par les données? Le rôle des réseaux sociaux est assez bien documenté dans l’une des activités économiques : il s’agit de la recherche d’emploi. On peut donc envisager de comparer les méthodes de recherche d’emploi entre un pays rigide et un pays flexible. Il serait naturel de choisir la France comme pays rigide et les États-Unis comme pays flexible. Mais il existe malheureusement d’importants effets fixes. Les enquêtes sociologiques semblent montrer que le lien social est particulièrement dégradé en France. Par exemple, d’après l’ISSP, 67 % des personnes …
Appendices
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