Abstracts
Résumé
Cet article montre que les caractéristiques des cycles économiques et de la croissance tendancielle au Liban se sont modifiées sur la période 1970-2009. Avant 1990, date marquant la fin du conflit qui a débuté en 1975, les phases d’expansion enregistrent une durée plus longue que les phases de récession et les amplitudes cycliques sont très importantes par rapport à ce que l’on peut constater après la fin de la guerre. En effet, à partir de 1996, la durée des phases de récession est supérieure ou égale à celle des phases d’expansion et le PIB fluctue faiblement autour de sa tendance de long terme. En outre, sur la période étudiée, la croissance tendancielle affiche un taux faiblement positif et le PIB observé revient vers sa tendance de long terme environ huit ans après la fin du conflit. Cela signifie qu’un choc exogène n’a qu’un effet transitoire sur le PIB libanais. On constate, par conséquent, un phénomène de persistance du choc.
Abstract
This article shows that the typologies of economic cycles and long run growth in Lebanon seem to be modified over the 1970-2009 period. Before 1990, the end of the conflict which began in 1975, expansion’s phases record a longer duration than the phases of recession and the cyclic amplitudes are more important than what we can notice after the end of the war. Indeed, from 1996, the duration of the recession’s phases is superior or equal to the duration of the expansion’s phases and the GDP fluctuates softly around its long run trend. In addition, over the studied period, the long run growth shows a weakly positive rate and the GDP comes back towards its trend approximately 8 years after the end of conflict. It means that an exogenous shock has only a transitory effect on the Lebanese GDP. We notice, consequently, a persistence phenomenon of shock.
Article body
Introduction
L’étude empirique et économétrique des cycles économiques et de la croissance tendancielle constitue un domaine de recherche largement exploité depuis longtemps dans les pays développés. En effet, l’étude des fluctuations de l’activité économique commence dès le 19e siècle avec David Ricardo qui avait vécu la crise de 1815 consécutive à la fin des guerres napoléoniennes, et avec Clément Juglar (1862) qui analysait le retour périodique des crises commerciales en France, en Angleterre et aux États-Unis, notamment (Aimar, Bismans, Diebolt, 2010). L’étude de la croissance tendancielle a été menée par Arthur Okun (1962) aux États-Unis sur la période 1920-1940 et a montré une relation linéaire simple entre l’écart du taux de chômage à son niveau naturel et l’écart de la production à son niveau potentiel. Okun définissait alors la production potentielle comme le niveau de production obtenu avec un niveau d’utilisation optimal des facteurs. Toutefois, cette notion de production potentielle est plus complexe que celle relative à la croissance tendancielle (Le Bihan, 2004). Alors que la première repose sur une théorie économique et utilise des méthodes structurelles de détermination du PIB potentiel comme la fonction de production de type Cobb-Douglas ou les modèles VAR, la seconde repose sur l’utilisation de l’information contenue dans l’historique de la série du PIB sans référence à un modèle économique particulier. Par conséquent, sur une longue période, le PIB observé évolue autour du PIB tendanciel qui se définit comme la tendance de long terme du PIB observé. La tendance représente l’équilibre de long terme, donc la croissance tendancielle, et le cycle en constitue la dynamique de court terme.
À cause des différentes crises qui se sont succédées depuis la fin des années quatre-vingt-dix, il y eu un certain regain d’intérêt pour l’étude des cycles économiques ou plus exactement pour l’analyse des fluctuations conjoncturelles. Un cycle économique correspond alors à des fluctuations conjoncturelles irrégulières mais récurrentes autour de la croissance tendancielle du PIB réel.
De telles analyses sont moins courantes dans les pays en voie de développement. Certes, des études similaires ont été menées dans plusieurs pays du continent africain comme le Cameroun (Diop, 2000; Ndongo et Francis, 2006 et 2007), la Côte d’Ivoire (Doko et Sanou, 2004) et la Tunisie (Fathi, 2009). Très peu à ce jour ont étudié le Liban, si ce n’est Naïmy (2005). Pourtant, l’étude des cycles favorise la compréhension des facteurs de la dynamique économique (Cette, 1997) et peut, dans un pays comme le Liban, servir de support à la mise en oeuvre de la politique économique. Aussi, dans ce pays, caractérisé par des instabilités politiques récurrentes, l’évolution du PIB est très erratique. Il devient alors intéressant d’analyser les caractéristiques des cycles économiques en termes de durée et d’amplitude tout en déterminant une tendance de long terme du PIB (la croissance tendancielle) autour de laquelle s’enroule le PIB observé. La littérature économique indique à ce propos que, dans la plupart des pays développés, les phases d’expansion du cycle sont plus longues que les phases de récession (Zarnowitz, 1991) et que la croissance tendancielle est positive (Bouthevillain, 1996). Les caractéristiques des cycles économiques et de la croissance tendancielle au Liban correspondent-elles à celles décrites par la littérature économique, sachant que, dans ce pays, la guerre de 1975 à 1990 a fortement déstabilisé les structures économiques et sociales?
Afin de répondre à cette question, la première section du présent article indique la méthodologie relative à la mesure de l’évolution cyclique du PIB au Liban. La seconde essaye de déterminer la fréquence d’apparition des cycles économiques libanais et propose une datation de ces derniers, via l’utilisation du périodogramme de Fourier et l’algorithme Bry-Boschan (1971). Une troisième section calcule la croissance de long terme (tendancielle) en tenant compte de la guerre civile de 1975-1990 et montre si un choc exogène, comme la guerre, entraîne une déviation temporaire ou permanente du PIB réel de sa trajectoire de long terme.
1. La méthodologie relative à la mesure de l’évolution cyclique au Liban
Un premier problème se pose si on veut analyser les cycles économiques libanais : celui de l’obtention des données statistiques. Aucune donnée n’est publiée de manière régulière par le gouvernement libanais que ce soit au niveau de la comptabilité nationale, du taux d’inflation ou encore du taux de chômage. Nous recourons alors aux données du PIB publiées par l’ONU avec une fréquence annuelle (United Nations, 2009). Afin d’analyser les caractéristiques du cycle économique, nous utiliserons le logarithme du PIB, en dollars constants de 2005, sur la période 1970-2009. Pendant la guerre de 1975-1990, la livre libanaise (LL) a fortement été dévaluée (2,5 LL pour un dollar US en 1973 contre 1507,5 LL pour un dollar US en 2009). Les autorités monétaires ont donc prôné la dollarisation de l’économie en 1993, ce qui explique l’adoption officielle au Liban, en 1998, d’un régime de change fixe avec des marges de fluctuations de plus ou moins 1 % autour d’un cours central du dollar (Desquilbet, 2007). Ces données relatives au PIB ont été calculées à partir des données à prix constants en monnaie nationale (en livres libanaises) en appliquant le taux de change annuel moyen (par rapport à l’année de base) pour toutes les années.
Nous obtenons le graphique 1 (dont les données figurent en annexe 1) qui indique l’évolution annuelle du logarithme du PIB en dollars constants de 2005.
Le PIB libanais semble afficher une évolution cyclique au sens de la définition de Burns et Mitchell (1946), le cycle économique étant défini par des phases d’expansion et de récession qui affectent le PIB et, plus généralement, la plupart des variables macroéconomiques. Selon ces auteurs, un cycle varie d’un an à plus de 10 ou 12 et les phases d’expansion sont plus longues que les phases de récession. Une telle définition, appliquée au PIB libanais, reste valable pour la période 1970-1990, mais devient quelque peu obsolète pour la période 1990-2009 puisque le PIB semble fluctuer différemment avec une durée des phases d’expansion relativement aux phases de récession plus difficile à évaluer.
Il faut dire que la méthode d’analyse des cycles de Burns et Mitchell est empirique. Elle ne s’appuie pas sur des méthodes statistiques pour décomposer la tendance et le cycle comme, par exemple, la méthode Hodrick-Prescott (1997), la plus couramment utilisée, qui consiste à ôter la tendance de la série étudiée et à isoler le cycle[1].
Afin de calculer la durée moyenne d’un cycle et de mettre en relief les phases d’expansion et de récession, nous estimons un cycle de croissance ou de déviation (Ferrara, 2008 et 2009). Pour estimer les cycles de croissance, nous utilisons la méthode de Hodrick-Prescott (1997) (voir les détails techniques figurant en annexe 2) même si celle de Beveridge-Nelson (1981) demeure la référence dans ce domaine.
Pour le Liban, nous obtenons le graphique 2 qui décompose le PIB en tendance et en cycles.
Ce graphique montre une forte variation du PIB effectif par rapport à sa tendance de long terme jusqu’en 1990 et une évolution non linéaire de la tendance de long terme sur la période 1970-2009. On note également qu’après 1990, les fluctuations du PIB autour de la tendance de long terme présentent une amplitude beaucoup plus faible. Il semble donc qu’une rupture de tendance apparaisse après 1990, date marquant la fin de la guerre civile.
L’estimation des cycles de déviation permet non seulement de rendre le PIB libanais stationnaire mais également de recourir à l’analyse spectrale grâce au périodogramme de Fourier ainsi qu’à une estimation de la datation des cycles, via l’utilisation de l’algorithme de Bry-Boshan (1971).
2. La fréquence d’apparition des cycles au Liban et leur datation
Avec la méthode du périodogramme de Fourier (voir l’annexe 3, pour l’explication technique), nous pouvons estimer les fréquences annuelles d’apparition d’un pic du cycle (autrement dit d’une crise) et son amplitude moyenne par rapport à la tendance (Bentoglio, Fayole, Lemoine, 2002), comme le montre le graphique 3.
On constate que le pic le plus élevé se situe à la fréquence 5,8 années. Autrement dit, on peut, sur la période étudiée, estimer que la durée moyenne d’un cycle complet (de pic à pic) est de 5 ans et 9 mois environ, ce qui est ainsi caractéristique d’un cycle Juglar (1862). Cet auteur constate que les crises reviennent à tous les 5 à 10 ans. Il estime également que la durée des phases d’expansion s’étale entre 5 et 7 ans. De plus, les phases d’expansion sont suivies d’une crise durant quelques mois à quelques années laquelle précède une dépression qui perdure quelques années. Au Liban, l’amplitude d’un cycle par rapport à la tendance de long terme est, sur la période étudiée, de 9,8 %.
Toutefois, le périodogramme de Fourier ne permet pas de dater avec précisions les différentes phases des cycles. Le recours à l’algorithme de Bry-Boschan (1971) comblera cette lacune.
À partir des points de retournement des pics et des creux du cycle de croissance ou de déviation du PIB libanais, (graphique 2), nous utilisons la méthode de Bry-Boschan (1971) pour estimer une datation des cycles. Il est clair que la méthode des changements de régimes markoviens popularisée par Hamilton (1989) est plus sophistiquée puisqu’elle propose de fournir mensuellement une probabilité d’occurrence d’un point de retournement du cycle. Malheureusement, le manque de données statistiques au Liban rend difficile l’application d’une telle méthode.
La méthode de datation des cycles de Bry-Boshan s’effectue ainsi en prenant une période t de référence et en utilisant l’écart entre le PIB et sa tendance (notée gYt), auparavant calculée par la méthode du filtre de Hodrick-Prescott (1997) :
Avec l’algorithme de Bry-Boschan (1971), les points de retournement se situant dans l’intervalle d’un an du début et de la fin de la série ne sont pas considérés. En outre, afin de s’assurer qu’il y ait alternance entre les pics et les creux, l’on doit respecter la règle qui suit :
en présence de doubles creux, la plus petite valeur est choisie;
en présence de doubles pics, la plus grande valeur est choisie.
Cette méthode nous donne le tableau 1.
La durée moyenne d’un cycle au Liban est de 6 années, chiffre très proche de celui obtenu avec le périodogramme du PIB effectué avec la technique de la transformation rapide de Fourier qui indiquait un pic du PIB environ toutes les 5,8 années.
De plus, à l’instar de ce que Juglar (1862), Burns et Mitchell (1946), et Zarnowitz (1991) affirmaient, au Liban, les phases de croissance sont en moyenne plus longues que les phases de récession jusqu’en 1996. En effet, à partir de cette date, la durée des phases d’expansion, relativement à celle des phases de récession, se modifie. Durant le cycle 4 (1996-1998), la phase de récession affiche une durée aussi longue que la phase d’expansion ainsi qu’une durée beaucoup plus longue que la phase d’expansion pour le cycle 5 (1998-2004). Ceci contredit ainsi les théories précitées.
On note, par conséquent, qu’à partir de 1998, le Liban entre dans une longue phase de récession, même si celle-ci est peu marquée dans la mesure où le PIB effectif est très proche de sa tendance de long terme, ce qui signifie que les amplitudes cycliques diminuent fortement par rapport à la période de guerre.
Depuis la fin de la guerre civile, au début des années quatre-vingt-dix, les cycles économiques ont donc changé de caractéristiques que ce soit en termes de durée ou d’amplitude. Il semble qu’après la fin de la guerre civile, il y ait une rupture de tendance, une baisse de l’amplitude des cycles et qu’il existe un phénomène de persistance du choc résultant de la guerre.
3. L’évolution de la croissance tendancielle et des fluctuations conjoncturelles au Liban
Nous observons qu’après la guerre de 1990, les fluctuations de l’activité économique au Liban changent de caractéristiques puisque la durée des cycles ainsi que celles des phases d’expansion, par rapport aux phases de récession, se modifient et aussi parce que les fluctuations autour de la tendance de long terme sont de moindre ampleur. De tels changements doivent être associés avec l’évolution de la croissance tendancielle qui est susceptible d’être différente en période de guerre et en période de paix. Cela signifie donc que la croissance tendancielle comprend une date de rupture (Le Bihan, 2004). Ainsi, 1990 est cette date de rupture qui marque la fin de la guerre civile. Il est probable que, durant ces 15 années de conflit, la croissance tendancielle ait changé de rythme par rapport aux périodes de paix (1970-1974 et 1990-2009). Également, il ne faut pas oublier, entre 1990 et 2009, la 1re guerre avec Israël en 1996, le retrait du Sud-Liban des forces israéliennes en 2000, l’assassinat du premier ministre Hariri en 2005, la seconde guerre avec Israël en 2006, le conflit entre l’armée libanaise et un camps palestinien dans le nord du pays en 2007 ainsi que les instabilités politiques de 2008. Ces différents événements, résumés dans le tableau 2, sont sans doute à l’origine des fluctuations du PIB autour de la tendance de long terme.
Afin de montrer l’évolution de la croissance tendancielle, tenant compte de la date de rupture (1990) et des instabilités politiques, nous analysons, tout d’abord, les propriétés stochastiques du PIB libanais sur la période 1970-2009, à travers l’étude de son corrélogramme (annexe 4) et estimons ensuite deux tendances linéaires. Puisque la date de rupture est 1990, nous divisons notre échantillon en deux sous-périodes : 1970-1990 et 1991-2009.
En utilisant la typologie et la terminologie de Perron (1989), (Le Bihan, 2004), nous obtenons :
Yt = μ1 + β1t + vt avec t = 1,…T1 (où T1 = 1990)
Yt = μ2 + β2t + vt avec t = T1+1,…T2 (où T1+1 = 1991; T2 = 2009).
L’estimation des relations [1] et [2] par les MCO nous donne les résultats suivants :
et
Les chiffres entre parenthèses indiquent les statistiques de Student et N, le nombre d’observations. Le logarithme du PIB est multiplié par 100 afin d’avoir le pourcentage de variation annuelle du PIB (Le Bihan, 2004).
On constate que le coefficient de la relation (4), qui désigne le taux de croissance tendancielle, et les constantes des relations (3) et (4), indiquant le niveau moyen du PIB sur la période, sont significativement différents de 0 au seuil de 5 %. Par contre, le coefficient attaché à la tendance dans la relation (3) n’est pas significativement différent de 0 au seuil de 5 %.
Ainsi, durant la première période, de 1970 à 1990 (relation 3), le taux de croissance tendanciel au Liban est négatif mais non significativement différent de 0 au seuil de 5 %. Pendant la période d’après-guerre, de 1991 à 2009 (relation 4), celui-ci, statistiquement différent de 0 au seuil de 5 %, augmente et atteint 3,48 % par an. Quant au niveau moyen du PIB, on constate une légère augmentation d’une période à l’autre.
Pour la période d’après-guerre, on note un taux de croissance tendanciel assez élevé et un PIB observé qui tend à se rapprocher du PIB tendanciel vers le milieu des années quatre-vingt-dix (voir graphique 1). Ceci peut signifier que les conséquences de la guerre sur les fluctuations du PIB durent un certain temps.
Pour montrer les effets de persistance de la guerre, il faut estimer le modèle de croissance tendanciel en ayant recours à la méthode de la tendance segmentée et en intégrant le fait que le PIB libanais suit un processus autorégressif d’ordre 2, ce qui permet de tenir compte de l’autocorrélation des erreurs. Cela revient donc à estimer un modèle autorégressif (annexe 4) en ayant des variables indicatrices des différentes dates de conflits ou d’instabilités politiques. Le modèle autorégressif, avec un nombre de retards de deux périodes, s’écrit :
βt indique la croissance tendancielle et le terme (β2 – β1) montre le pas tendanciel entre les coefficients des relations (3) et (4). tr est la variable indicatrice qui prend la valeur 1 entre 1975 et 1990 ainsi que pour les années de guerre et d’instabilité politique les plus importantes à savoir 1996, 2000, 2005, 2006, 2007 et 2008. Elle prend la valeur 0 pour les autres années.
En tenant compte de ces principaux évènements politiques, nous estimons les paramètres de la relation (5). Nous obtenons :
N désigne le nombre d’observations; R2adj, le coefficient de détermination ajusté; F, la statistique de Fisher; (.), les t de Student et **, * respectivement les seuils de significativité des coefficients à 5 % et 10 %.
Nous constatons que la relation (6) affiche une qualité globale satisfaisante (la valeur du coefficient de détermination atteignant 0,62) et une bonne significativité globale (la valeur de la statistique de Fisher est relativement élevée). Nous remarquons également que le coefficient attaché à la variable t, mesurant la croissance tendancielle, est significativement différent de 0 au seuil de 5 %. Le coefficient attaché à la variable indicatrice tr est significativement différent de 0 au seuil de 10 %. Mis à part le coefficient attaché à la variable Yt–2 , tous les autres coefficients sont significativement différents de 0 au seuil de 5 %.
Au Liban, la croissance tendancielle sur la période 1970-2009 affiche un taux annuel de 0,88 % environ. À l’instar des autres pays développés et des pays du continent africain, il existe une hausse du taux de croissance de long terme, hausse restant cependant limitée. De plus, la variable indicatrice tr montre que la guerre a eu une influence négative sur le PIB. Toutefois, les fluctuations conjoncturelles se réduisent après 1990. Cela peut signifier qu’après un choc, le PIB retourne sur sa trajectoire de long terme. Ceci indique, par conséquent, le retour à une certaine stabilité économique.
Pour montrer ce phénomène de persistance, nous utilisons la méthode de Cholesky qui permet de déterminer graphiquement l’impact d’un choc, tel qu’une guerre, sur l’évolution du PIB observé par rapport à sa tendance de long terme.[2]
Ce graphique montre que les fluctuations tendent à s’atténuer avec le temps. Après un choc, le PIB revient complètement vers sa tendance de long terme au bout de sept ou huit ans. Ceci semble être confirmé par le graphique 2 qui montre un retour du PIB vers son niveau tendanciel vers 1997-1998, soit sept ou huit ans environ après la fin de la guerre en 1990.
Il semble, par conséquent, que les fluctuations soient transitoires et non permanentes car, après un choc, le PIB revient au bout de huit années environ vers sa tendance de long terme. Nous constatons alors un phénomène de persistance du choc même si le test de non-stationnarité de Phillips-Perron (1988), qui est une correction non paramétrique des tests de Dickey-Fuller augmentés (1981) et qui tient compte des erreurs hétéroscédastiques, indique que le PIB libanais n’est pas stationnaire et suit un processus DS, processus qui montre que la variable étudiée s’éloigne de l’état initial au fur et à mesure que le temps s’écoule (voir l’annexe 5). Nous aurions, dans ce cas, un phénomène d’hystérèse. Ce résultat quelque peu paradoxal s’explique par le fait que nous avons intégré une tendance à laquelle s’ajoute une date de rupture dans la relation (6).
Conclusion
Même si le Liban enregistre des cycles économiques de type Juglar d’une durée variant entre 5 et 10 ans (soit, environ 6 ans), les caractéristiques de ses fluctuations conjoncturelles et de sa croissance tendancielle ne correspondent pas toujours à celles décrites par la littérature en ce qui concerne les pays développés et les pays en développement. Dans ces derniers, on constate que les phases d’expansion sont plus longues que les phases de récession et que la croissance tendancielle affiche un taux positif. L’une de ces deux caractéristiques ne se retrouve pas au Liban, notamment après la fin de la guerre civile, c’est-à-dire à partir du milieu des années quatre-vingt-dix. Certes, dans ce pays, le taux de croissance tendanciel de long terme est positif mais limité puisqu’il atteint environ 0,88 % par an entre 1970 et 2009. Toutefois, après la fin de la guerre et dès 1996, les phases d’expansion diminuent puis deviennent plus courtes que les phases de récession et le PIB fluctue faiblement autour de sa tendance de long terme, notamment pour la période 1998-2004. Par contre, pendant la guerre, entre 1975 et 1990, on constate le phénomène inverse : la durée des phases d’expansion est plus longue que la durée des phases de récession et le PIB fluctue fortement autour de sa tendance de long terme. Il semble ainsi que les effets de la guerre sur les caractéristiques des cycles économiques perdurent un certain moment en période de paix. On constate, en effet, que de 1998 à 2004, le Liban connaît une longue période de récession mais présente, néanmoins, un PIB qui oscille très faiblement autour de sa tendance de long terme, à partir des années 1997-1998. Quant à la croissance tendancielle de court terme, après avoir atteint un taux négatif mais non significatif de 1,7 % par an sur la période 1970-1990, elle augmente pour afficher un taux de 3,48 % par an pendant la période d’après-guerre de 1991-2009.
Enfin, on constate qu’après un choc exogène, le PIB observé revient au niveau de la croissance tendancielle au bout d’un certain temps. Au Liban, le PIB observé tend à rejoindre la tendance de long terme au bout de huit ans environ. Finalement, après la fin de la guerre en 1990, le PIB libanais atteint le niveau tendanciel vers 1998. Autrement dit, dans ce pays, il existe un phénomène de persistance du choc puisque, tôt ou tard, le PIB retourne vers la croissance de long terme, ce qui marque le retour à une certaine stabilité économique.
Appendices
Annexes
Annexe 1. Évolution du PIB libanais de 1970 à 2009
Annexe 2. La méthode du filtre de Hodrick-Prescott
La méthode du filtre de Hodrick-Prescott permet d’obtenir facilement la tendance d’une série chronologique (St Arnaud, 2004). Toutefois, son principal défaut est qu’elle génère une estimation de la tendance qui est biaisée car les estimations du PIB potentiel en fin d’échantillon peuvent s’avérer instables et faire l’objet de révisions significatives lorsque de nouvelles données sont disponibles. Mais dans la mesure où nous disposons de données macroéconomiques limitées concernant le Liban, nous choisissons cette technique dont la lecture des résultats est aisée. Cette méthode met en évidence les profils du PIB tendanciel avec des fluctuations cycliques afin de mesurer les variations de l’amplitude des cycles économiques ainsi que celles ayant trait à la durée des cycles et aux écarts de production dont certaines causes, peuvent être expliquées empiriquement.
Formellement, la méthode de Hodrick-Prescott consiste en une minimisation d’une fonction quadratique et se présente de la manière suivante :
Min Σ(Yt –Y*t)2 + λ Σ[(Y*t+1 – Y*t) – (Y*t – Y*t–1)]2
La relation (A1) montre la décomposition de la série Yt (représentant le logarithme népérien du PIB au Liban sur la période 1970-2009) en une composante tendancielle Y*t et une composante cyclique qui est donnée par :
Ytc = Yt –Y*t.
On peut également définir le cycle comme l’écart entre le logarithme du PIB observé et le logarithme du PIB tendanciel exprimé en points de pourcentage du logarithme du PIB tendanciel soit :
(Yt –Y*t) / Y*t.
Le paramètre de lissage λ indique la régularité de la tendance : plus la valeur de ce paramètre est grande, plus la tendance est sensible aux fluctuations de court terme et inversement. Lorsque λ tend vers l’infini, cela implique une tendance linéaire. Si λ = 0, cela signifie que la tendance correspond à la série brute. Les auteurs ont fixé à quatre les valeurs auxquelles l’on doit se référer : λ = 14 400 pour des données mensuelles, λ = 1 600 pour des données trimestrielles, λ = 400 pour des données semestrielles et λ = 100 pour des données annuelles. Cependant, bien que Hodrick et Prescott justifient certaines valeurs de λ selon la fréquence des séries, leur choix concernant ces valeurs est arbitraire. Il faut donc être conscient de cette limite quant à cette méthode de décomposition entre tendance et cycle.
Annexe 3. L’analyse spectrale de Fourier
Le périodogramme est issu de l’analyse spectrale. Celle-ci consiste à étudier un phénomène temporel de manière fréquentielle. L’étude d’une série temporelle dans le domaine des fréquences permet d’identifier des phénomènes cycliques et de rechercher des composantes périodiques (et leur importance relative) d’un processus évoluant dans le temps. Le grand mathématicien Fourier a montré qu’une fonction temporelle pouvait être décomposée en une somme de termes périodiques exprimés par des fonctions sinusoïdales et cosinusoïdales à différentes fréquences, chacune ayant une certaine amplitude et une phase initiale (Bouthevillain, 1996). À la base de l’analyse harmonique de Fourier se trouve une opération appelée transformée de Fourier. Appliquée à la fonction d’autocovariance d’un processus, cette opération permet de fonder le spectre de la série. Chaque fréquence correspond à une périodicité, c’est-à-dire à la durée d’un cycle. Il s’agit donc d’une décomposition harmonique de la variance d’une série selon les différentes fréquences. Cette information est comparable à celle de la fonction d’autocorrélation obtenue dans le domaine temporel. Dès lors, si la densité spectrale représente un pic aux alentours d’une fréquence particulière, on peut soupçonner l’existence d’un cycle d’une périodicité correspondant à cette fréquence.
Si la densité spectrale est parallèle à l’axe des abscisses, il n’existe aucun pic et donc aucun cycle. C’est le cas du bruit blanc. Si on observe un pic proche des basses fréquences, il peut exister un cycle de périodicité longue et inversement un cycle de court terme pour un pic proche des fréquences élevées.
Toutefois l’analyse spectrale n’est opérante que sur des séries stationnaires. On travaille donc sur des séries corrigées dont on a extrait la tendance, comme nous l’avons effectué avec la méthode du filtre de Hodrick-Prescott.
Avec l’analyse spectrale, on procède à un découpage d’une catégorie particulière de chroniques en un ensemble d’oscillations de périodes différentes. On décompose en fait une série temporelle quelconque en une somme de fonctions périodiques (Diebolt et Pellier, 2008). À partir de là, on obtient le périodogramme ou spectre de la série permettant de mesurer la durée et l’amplitude d’un cycle économique.
Formellement, la décomposition en série de Fourier indique que toute fonction périodique f(t) de période T (de pulsation ω = 2Π/T) et de fréquence F = 1/T, et satisfaisant certaines conditions de continuité et de dérivabilité, peut se décomposer en une somme sinusoïdale appliquée au logarithme du PIB appelé y :
avec
Annexe 4. Corrélogramme du PIB libanais 1970-2009
Ce tableau montre que les termes de la fonction d’autocorrélation simple affichent une décroissance géométrique et que les deux premiers termes de la fonction d’autocorrélation partielle sont significativement différents de 0 au seuil de 5 % puisqu’ils sortent de l’intervalle de confiance stylisée par les traits pointillés horizontaux. Nous avons donc un processus autorégressif d’ordre 2, dit AR(2), qui s’écrit :
AR(3) : Yt = β0 + β1Yt-1 + β2Yt-2 + εt ,
Yt, désigne le logarithme du PIB, β0, β1 et β2 sont des paramètres à estimer et εt est un aléa gaussien.
Nous tiendrons compte de ce nombre de retards dans l’estimation de la croissance tendancielle avec dates de rupture.
Annexe 5. Test de racine unitaire du PIB libanais (1970-2009)
Le PIB libanais doit faire l’objet d’un test de racine unitaire afin d’éviter l’identification de cycles fallacieux. Les tests les plus couramment utilisés sont ceux de Dickey-Fuller augmentés (dits ADF) dans lesquels le résidu n’est pas un bruit blanc, contrairement aux tests de Dickey-Fuller simples. Toutefois, nous choisissons les tests de Phillips et Perron (1981) qui sont une adaptation des tests de Dickey-Fuller et qui tiennent compte de la présence d’erreurs hétéroscédastiques et/ou autocorrélées (Bourbonnais, 2009).
Afin de savoir si le PIB libanais possède une racine unitaire, on élabore une stratégie de tests en construisant trois modèles qui sont estimés par les moindres carrés ordinaires. Aussi, si l’on applique ces tests à notre PIB libanais Yt, on obtient :
Modèle [1] |
: | ΔYt = ΦYt-1 + εt , |
Modèle [2] |
: | ΔYt = ΦYt-1+ c + εt , |
Modèle [3] |
: | ΔYt = ΦYt-1+ c + bt + εt . |
La stratégie de tests consiste à estimer d’abord le modèle [3]. Si le coefficient b de la tendance t n’est pas significativement différent de 0 au seuil de 5 %, on rejette l’hypothèse d’un processus TS et si la statistique tΦ, attaché au coefficient Φ, est supérieure à la statistique tabulée figurant dans les tables de Dickey-Fuller (1976), on accepte l’hypothèse H0 de l’existence d’une racine unitaire (d’un processus non stationnaire) au seuil de 5 %.
Si on trouve une racine unitaire dans le modèle [3], on estime le modèle [2] sans la droite de tendance. Si le terme constant n’est pas significativement différent de 0 au seuil de 5 %, on rejette l’hypothèse d’un processus DS avec dérive et si le coefficient Φ n’est pas significativement inférieur à 1, le processus n’est pas stationnaire.
Dans ce cas, on estime le modèle [1] sans droite de tendance et sans constante. Si la statistique tΦ, attachée au coefficient Φ n’est pas significativement inférieur à 1, alors le processus n’est pas stationnaire.
Le tableau A5 montre les résultats des tests de Phillips-Perron appliqués au PIB libanais en précisant les valeurs statistiques pour les coefficients estimés dans les trois modèles.
La troncature (de Newey-West) = 3, consiste à définir un nombre de retards afin d’estimer un facteur correctif, appelé variance de long terme, établi à partir de la structure des covariances des résidus des différents modèles.
Le nombre de retards, estimé en fonction du nombre d’observations N, se calcule de la manière suivante : l ≈ 4(N / 100)2/9 ≈ 3.
Les probabilités critiques des modèles [1], [2] et [3] sont supérieures au seuil de 0,05. Par conséquent, le PIB libanais possède une racine unitaire et n’est donc pas stationnaire.
Notes
-
[1]
Il existe d’autres méthodes de filtre passe-bande, comme celles de Baxter-King (1999) ou de Christiano-Fitzgerald (2003), permettant de déterminer tous les cycles extérieurs à une bande de fréquence de 6 à 40 trimestres.
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[2]
L’analyse de Cholesky a toutefois un certain côté arbitraire car elle repose sur une procédure mathématique automatique qui ne tient pas compte du raisonnement économique dans la construction du modèle VAR (Bernanke, 1984 et Sims, 1980). Également, les résultats des fonctions des réponses impulsionnelles dépendent du choix de l’ordre des variables pour analyser l’impact d’un choc d’innovation. Néanmoins, la seule variable d’étude reste le PIB, ce qui facilite la mise en oeuvre de cette méthode qui permet, en outre, une lecture aisée des résultats.
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