Abstracts
Résumé
L’objet de cette revue de la littérature est de mettre en évidence les implications des rigidités de salaire (et de revenu d’emploi) liées au partage de risque, pour la réplication de certains faits stylisés concernant la persistance des cycles d’affaires. Il s’agit de montrer les effets potentiels du partage de risque entre entreprises et employés sur la dynamique de l’emploi et de la consommation agrégés et donc de la production agrégée ; dynamique que les modèles macroéconomiques traditionnels ont parfois du mal à reproduire. En particulier, j’expose les propriétés que les contrats autoexécutoires confèrent au salaire réel, à l’emploi et à la consommation agrégés ; et comment ces propriétés sont susceptibles de pallier les insuffisances, au chapitre de la dynamique – plus précisément de la persistance – des mécanismes de propagation interne de ces modèles usuels.
Abstract
The purpose of this survey is to show how self-enforcing labor contracts can enhance the performance of macroeconomic models. I expose some desirable features of these dynamic contracts regarding the duplication of puzzling macroeconomic facts relative to the dynamics and persistence of employment, consumption, and hence output. Within this framework, dynamic properties of employment and consumption are shown to be interestingly different from those derived with the standard flexible wage model, in a way that could shed new light on the dynamics puzzle usually encountered in macroeconomic models.
Article body
Introduction
Le partage de risque et l’énigme de la dynamique
Ambler, Guay et Phaneuf (1999) montrent le double rôle que jouent les rigidités dans l’explication de certains faits stylisés relatifs aux cycles d’affaires. D’une part, l’introduction de rigidités (du salaire nominal entre autres) permet de rendre compte, en partie, de la forme en cloche de la réponse de l’emploi et de la production agrégée à des chocs transitoires, telle qu’empiriquement observée. D’autre part, elle permet également de rendre compte, en partie, de l’autocorrélation empirique du taux de croissance de la production agrégée. Pour la plupart des modèles macroéconomiques usuels, ces deux faits stylisés – relatifs à la persistance des cycles – constituent une énigme. En effet, les modèles d’équilibre général dynamiques à salaires flexibles ne disposent généralement pas de mécanismes de propagation internes suffisants pour rendre compte du double phénomène d’amplification et de propagation des chocs. D’après Ambler, Guay et Phaneuf (1999), cette énigme est résolue en remarquant que c’est la combinaison de rigidités réelles et nominales qui génère l’amplification et la persistance observée.
Dans Ambler, Guay et Phaneuf (1999), la nature des rigidités susceptibles de résoudre l’énigme de la dynamique n’est pas formellement explicitée, mais le modèle suggère que ces rigidités sont, pour une bonne part, à l’origine de l’amplification et de la propagation des fluctuations économiques. Leurs résultats suggèrent l’idée que certaines formes de rigidité engendrent une volatilité supérieure dans les modèles. Clarifier la nature de ces rigidités en cherchant à étudier dans quelle mesure elles peuvent constituer une propriété aussi fondamentale que le profil des préférences ou la nature de la technologie constitue donc un enjeu intéressant. Dans ce but, je me penche plus particulièrement sur les implications des contrats autoexécutoires pour l’énigme de la dynamique.
On peut endogénéiser les relations entreprises-employés de différentes manières. On peut recourir à la théorie des salaires d’efficience, aux modèles insiders/outsiders, on peut introduire les syndicats, les problèmes de matching. Ces éléments sont généralement exploités pour étudier des questions relatives au chômage, entre autres. Néanmoins, si l’on s’intéresse plutôt aux propriétés dynamiques des modèles macroéconomiques usuels, en ce qui concerne l’endogénéisation des rigidités réelles de salaire, les contrats autoexécutoires constituent une alternative envisageable. En effet, leurs propriétés intrinsèques les définissent comme une représentation des rigidités permettant de mieux comprendre l’énigme de la dynamique. Par ailleurs, ce type de contrats génère des rigidités réelles endogènes qui rendent mieux compte de la dynamique macroéconomique que les modèles à salaires flexibles. Par exemple, les modèles d’équilibre walrasien « au comptant » ne traduisent généralement pas le découplage observé entre productivité marginale du travail (PmT dans la suite) et salaire, ni le fait que le salaire réel est relativement acyclique et rigide, alors que des contrats dynamiques apportent des réponses plausibles à ce chapitre. En particulier, les contrats implicites comportent une assurance qui génère un comouvement persistant entre consommation et heures travaillées; l’introduction de contraintes d’engagement accentuant cette propriété spécifique (Calmès, 2003).
Description des contrats autoexécutoires
Les contrats de travail autoexécutoires concernent les engagements implicites entre employeurs et employés, ainsi que l’ensemble des aspects des relations de travail ne pouvant faire l’objet de recours légaux. Il s’agit de relations implicites dans la mesure où chacune des deux parties a un intérêt à l’entente – d’où la référence à la « poignée de main invisible ». Toutefois, même si une entente est mutuellement avantageuse ex ante il se peut que surviennent des opportunités extérieures susceptibles d’amener l’une des parties à renoncer à la relation de long terme. Pour que l’entente perdure il faut tenir compte des problèmes d’engagement auxquels font face les parties contractantes, c’est-à-dire qu’il faut introduire des contraintes rendant le contrat autoexécutoire. La distinction entre contrats autoexécutoires et contrats implicites réside précisément dans le fait que ces derniers ne tiennent pas compte des problèmes d’engagement. Les contrats implicites font abstraction du problème d’engagement par l’hypothèse d’un effet de lock-in garantissant l’engagement des parties (réputation, servitude, facteur travail fixe). Quant à eux, les contrats autoexécutoires sont des contrats implicites qui tiennent compte des opportunités extérieures du marché au comptant (spot market).
Dans un contexte d’incertitude sur la réalisation d’une variable aléatoire (généralement un choc à la production) touchant les gains des parties, le contrat est motivé par un besoin d’assurance, l’une des parties étant plus averse au risque que l’autre. Par exemple, un contrat de travail spécifie le salaire à percevoir par les employés et les heures de travail, pour toutes les réalisations possibles de la variable aléatoire. Pour qu’il soit autoexécutoire, il faut inclure, pour chaque partie ne pouvant s’engager, une contrainte telle que le gain anticipé de cette partie au sein de la relation reste à tout moment au moins égal à celui qu’elle aurait en dehors du contrat implicite. Les opportunités hors contrat sont le plus souvent représentées par un marché au comptant. Il s’agit d’un marché où le salaire est flexible et où les employés subissent pleinement les fluctuations de la variable aléatoire.
L’origine des contrats autoexécutoires
À l’origine, l’idée des contrats de travail implicites est formulée pour répondre aux insuffisances de la macroéconomie en ce qui a trait à l’explication des fluctuations de l’emploi et aux problèmes soulevés par la formalisation du sous-emploi. Il s’agit aussi pour les premiers auteurs de proposer une approche alternative à celle de Keynes en se fondant sur des bases microéconomiques plus conformes aux faits. La nécessité de cette théorisation particulière du marché du travail remonte au moins à Modigliani (1944) qui identifie la mauvaise formulation du fonctionnement du marché du travail comme la principale déficience de la macroéconomie. Selon cet auteur, l’incapacité de la macroéconomie à rendre compte correctement des fluctuations économiques provient d’un mauvais traitement du marché du travail.
Les premiers modèles portent sur des contrats purement implicites de plein engagement. Les fondements datent du début des années soixante-dix. Ils sont dus à Azariadis (1975), Baily (1974) et Gordon (1974), et sont couramment appelés modèles ABG. Ils sont élaborés pour expliquer les phénomènes non walrasiens relatifs à l’emploi, notamment le chômage, mais également pour formaliser l’écart observé entre salaire et PmT. Une autre ambition est d’introduire la théorie des organisations au niveau agrégé pour étudier dans quelle mesure un comportement de la firme qui s’écarte de la simple maximisation des profits peut avoir un effet sur le fonctionnement théorique du marché du travail.
Les modèles ABG figurent parmi les précurseurs d’une approche basée sur l’idée de la relation d’emploi comme relation contractuelle, par opposition à une conception fondée sur le marché au comptant. De ce point de vue, les modèles à contrats autoexécutoires constituent un prolongement direct de l’approche ABG. En d’autres termes, les modèles à contrats implicites avec engagement partiel correspondent à une deuxième génération de modèles à contrats implicites. Leur base est similaire, la différence essentielle venant de l’ajout de contraintes additionnelles assurant l’autoexécution. Le fait de rajouter ces contraintes produit une assurance imparfaite qui augmente le pouvoir explicatif de l’idée originelle des contrats implicites.
L’endogénéisation des relations de travail
La motivation première de cette approche consiste donc à approfondir les fondements microéconomiques du marché du travail pour mieux rendre compte de régularités empiriques que la théorie macroéconomique ne peut expliquer. L’ambition est de renforcer les fondements théoriques de la macroéconomie. En particulier, le modèle ABG est susceptible d’apporter une contribution rigoureuse à la littérature sur les rigidités. En effet, les rigidités (réelles ou nominales) ont souvent tendance à être exogènes dans les modèles. C’est notamment le cas des rigidités nominales des modèles keynésiens (Hicks, 1937) et néokeynésiens (Patinkin, 1956; Clower, 1965; Solow et Stiglitz, 1968; Bénassy, 1975; Drèze, 1975; Malinvaud, 1977) par exemple. Ainsi, alors même qu’il conditionne fortement la nature des prédictions de plusieurs modèles, le mécanisme interne des rigidités n’est pas toujours formalisé – qu’elles soient nominales ou réelles.
Les implications des contrats implicites, et plus généralement celles de l’endogénéisation des relations de travail, sont utiles pour la recherche en macroéconomie. Ces développements peuvent, dans une certaine mesure, contribuer à expliquer plusieurs faits stylisés difficiles à élucider dans le cadre standard de la macroéconomie moderne. Parmi les régularités empiriques posant problème, on retrouve le fait qu’au cours du cycle les salaires réels fluctuent moins que la productivité moyenne du travail ou l’emploi (Hall, 1980). Justifier théoriquement ce genre de phénomène est important : aux États-Unis, lors de la grande dépression de 1929 à 1933, l’emploi et la productivité ont considérablement chuté alors que les salaires réels tendaient à augmenter légèrement.
Pour autre exemple, un fait observé, souvent occulté dans les modèles usuels, concerne les négociations salariales. Alors que l’on sait que la plupart du temps, les salaires sont fixés plusieurs périodes à l’avance, d’un à trois ans en moyenne, encore un peu rares sont les modèles macroéconomiques tentant d’endogénéiser cet aspect du marché du travail, voire simplement d’en tenir compte. Or, il se trouve qu’en période de récession cette pratique institutionnelle ne promeut pas l’emploi, sauf cas extrême.
D’autres observations sur le fonctionnement du marché du travail peuvent aussi être considérées tout aussi difficiles à répliquer. En fait, la plupart des aspects relatifs au marché du travail ne peuvent être représentés dans l’approche walrasienne traditionnelle. C’est le cas, par exemple, pour le fort lien traditionnellement observé entre l’employé et son entreprise. Aux États-Unis, la vaste majorité des mises à pied ne sont que temporaires. La plupart des employés mis à pied retrouvent un emploi auprès de leur employeur d’origine (Feldstein, 1975; Lilien, 1980; Katz, 1984). Un travailleur masculin adulte occupe pendant vingt ans ou plus un même travail (Hall, 1982) et son taux de rotation décline avec l’âge : les changements de profession se déroulent souvent en début de carrière. Si un jeune employé reste au même poste assez longtemps, il a de fortes probabilités de s’y maintenir pour toute sa vie active (Mincer et Jovanovic, 1981; Randolph, 1983)[1].
Malgré les difficultés techniques à intégrer les contrats dynamiques dans des modèles d’équilibre général dynamique, et nonobstant l’existence de théories alternatives, il y a un aspect empirique particulier pour lequel le partage de risque semble intéressant. Compte tenu du fait que les contrats de travail de type autoexécutoires illustrent un lissage non seulement intertemporel, mais également intratemporel de la consommation, ils constituent en effet une forme de rigidité particulière, à même de contribuer à l’explication de l’énigme de la dynamique (l’amplification, et plus directement la propagation des chocs dans les modèles). C’est ce que tente d’exposer cet article. Il s’agit d’aborder des développements relatifs aux contrats implicites ayant des implications directes pour la réplication des faits stylisés relatifs à la dynamique de l’emploi et de la consommation agrégés et donc de la production agrégée. La deuxième section décrit le modèle ABG d’origine et quelques extensions ultérieures. La troisième section porte sur la mise en évidence empirique de l’existence de contrats de travail de type autoexécutoire. La quatrième section, centrale, montre les implications de ces contrats pour la dynamique macroéconomique. La dernière section conclut sur les avenues de recherche possibles.
1. Le modèle ABG et quelques extensions
1.1 Le modèle ABG
Les premiers modèles faisant référence à la notion de contrat implicite datent du début des années soixante-dix. Ils sont dus à Azariadis (1975), Baily (1974), et Gordon (1974). Ils précèdent la venue des modèles à contrats autoexécutoires qui s’en inspirent. Ils partent de l’intuition selon laquelle le maintien dans le temps d’une relation de travail doit créer une rente, un surplus à partager entre employés et employeurs. Cette rente doit aussi créer un différentiel de rémunération pour les employés : à cause de la rente qu’ils tirent de leur relation durable avec leurs employeurs, ils n’ont pas nécessairement d’incitations à rechercher des opportunités d’emploi sur le marché. Mais, surtout, cette rente éventuelle rompt la nécessité d’un arbitrage intratemporel entre salaires courants, valeur de l’entreprise et conditions de marché du travail (Rosen, 1985). Dans ce cas, c’est plutôt la valeur présente anticipée des salaires qui concerne les protagonistes (employés et employeurs), pas seulement le salaire courant.
Cette idée à son tour en amène une autre. Si le salaire courant ne joue pas un rôle prépondérant dans le cadre des relations de travail durables, il est aussi intuitivement possible de formaliser l’écart observé entre PmT et salaire par le truchement de ces relations. Les modèles ABG vont supposer que, dans un cadre à information symétrique, employés et employeurs ont des degrés d’aversion au risque différents, et qu’il y a donc un intérêt commun à partager le risque. Azariadis (1975) évoque un transfert de risque des employés vers les employeurs : dans les modèles ABG, les producteurs sont généralement neutres au risque. C’est ce partage de risque qui est à l’origine de la rente que les parties tirent de la relation contractuelle et qui constitue donc le motif de la relation. La durabilité de la relation importe aux travailleurs car ils sont averses au risque et cherchent à se prémunir contre les fluctuations de leur salaire : le contrat leur procure cette assurance et leur fournit le surplus d’utilité voulu. Les producteurs, étant moins averses au risque, voire neutres comme cela est souvent supposé dans cette littérature, sont les pourvoyeurs naturels de l’assurance requise par les travailleurs. Généralement, on suppose que les travailleurs ne peuvent s’assurer autrement afin de simplifier la formalisation. Les producteurs tirent une rente de la relation de travail dans la mesure où ils peuvent récupérer la différence entre salaires et PmT en période de haute conjoncture. Ils exercent en outre le plein contrôle sur l’emploi.
Pour compléter la description du modèle ABG il faut préciser qu’on occulte au départ les problèmes d’engagement : les contrats sont exécutoires, soit à cause d’un effet de lock-in (réputation, servitude), soit parce qu’ils sont optimaux ex post (Hart et Holmström, 1987). Il est probable que les auteurs qui ont fondé cette théorie aient été conscients de cette limite mais qu’à l’époque la manipulation des contraintes dynamiques posait vraisemblablement problème, sinon au niveau théorique du moins au niveau de la résolution. En outre, on n’introduit aucune hétérogénéité de la main-d’oeuvre. De plus, le modèle de base ne comprend pas de capital : seul l’input travail entre dans la fonction de production des entreprises. Par ailleurs, le risque intervient au niveau de la production : on introduit une variable aléatoire affectant le niveau de production. Cette variable reflète les incertitudes sur la demande et les chocs technologiques. Généralement, on suppose aussi la « connaissance commune » et une information symétrique. Toute l’information requise est connue de tous les protagonistes : c’est une manière de formaliser les anticipations rationnelles[2]. La distribution de probabilité et la réalisation ex post de la variable aléatoire sont connues et également observées sans coût par les diverses parties contractantes. Le contrat en tient donc compte : il s’établit de manière contingente sur la base de cette variable.
Enfin, on peut illustrer la structure du contrat. Azariadis et Stiglitz (1983) mentionne que l’on peut voir le producteur comme une entité possédant trois pôles. Le premier opère sur la production en achetant les services des travailleurs et en les créditant en retour de leur PmT. Le deuxième joue le rôle d’assureur : il fournit des transferts aux employés (T), leur procurant des indemnités ou des pénalités selon la réalisation de la variable aléatoire. Le troisième pôle paie finalement les travailleurs un salaire composé de la PmT et du transfert : w = PmT + T. Le transfert joue comme un modérateur car il réduit les fluctuations de la rémunération. En effet, lorsque la conjoncture est bonne, PmT est élevée et T prend une valeur négative, le salaire est donc inférieur à PmT. Dans le cas contraire PmT est plus faible mais T prend une valeur positive si bien que w est alors supérieur à PmT. Ceci illustre comment le partage de risque permet de formaliser le découplage entre PmT et w, et une rigidité réelle spécifique du salaire.
1.2 Quelques extensions : l’engagement partiel
Les premiers développements sur les contrats implicites ont toutefois suscité quelques controverses au point d’être pour un temps abandonnés. Hormis les problèmes liés à l’hypothèse d’information symétrique, qui ne concernent pas le présent survol, la principale lacune du modèle ABG est qu’il suppose l’absence d’opportunités extérieures comparables à celles qu’apporte la relation, écartant donc de facto les problèmes inévitables d’engagement. Des extensions se sont donc développées pour contrecarrer ces lacunes. Plutôt que de prétendre à l’exhaustivité, je présente ici des développements ayant des implications macroéconomiques directes quant à la réplication des faits stylisés relatifs à la dynamique et notamment à la persistance des aggrégats.
Pour établir la pertinence de l’approche par le partage de risque, McLeod et Malcomson (1989) fournissent plusieurs résultats théoriques montrant ses avantages par rapport à l’approche principal-agent. Leur principale préoccupation est d’illustrer comment la théorie des contrats autoexécutoires est susceptible de produire des contrats relativement réalistes, et en accord avec les contrats réellement observés. Ils établissent ainsi plusieurs propriétés inhérentes à ces contrats. Pour qu’un contrat soit autoexécutoire, ils montrent qu’il suffit que le surplus généré par la relation contractuelle soit assez élevé. Ils montrent aussi que la forme du contrat ne permet pas de déterminer la nature du partage du surplus entre les parties contractantes et comment la forme du contrat dépend de ce partage. Ils exposent également les conditions pour qu’un contrat soit robuste à la renégociation dans un contexte d’équilibre sur le marché du travail. Dans ce contexte, ils établissent aussi qu’une grande variété de partages du surplus peut être soutenue comme des équilibres. En conclusion, ils confirment la pertinence de la théorie des contrats autoexécutoires comme une alternative élégante à l’approche principal-agent mais insistent sur la prépondérance du rôle joué par les croyances des individus dans l’émergence et la forme que revêtent les relations contractuelles, suggérant donc de bien motiver la nature du partage de surplus supposé dans la modélisation.
D’autres travaux, pertinents vis-à-vis l’énigme de la dynamique, précisent la nature des contrats autoexécutoires. Ils visent à pallier une lacune importante des contrats implicites, à savoir l’absence de contraintes d’engagement. Ce faisant, ils permettent de mieux rendre compte du comportement du salaire individuel. Par exemple, on peut citer les contributions de Bengt Holmström sur la forme de la rigidité (réelle) à laquelle les modèles ABG avec contraintes d’engagement conduisent. Holmström (1981) suppose que seuls les producteurs peuvent s’engager. Cela entraîne une rigidité partielle des salaires individuels : les salaires sont rigides à la baisse, mais pas nécessairement à la hausse car les travailleurs sont toujours susceptibles de rompre leur lien avec leurs entreprises en présence d’opportunités extérieures (en raison donc des problèmes d’engagement de la part des employés). Holmström (1983) suppose aussi un contrat de durée finie (deux périodes) et montre qu’en dernière période le travailleur pouvant renier son engagement est assuré de percevoir au moins le salaire walrasien (ce résultat est connu sous le nom de Holmström back-loading result ). Tout au long de la relation de travail, le salaire individuel est donc théoriquement stable ou croissant si le problème d’engagement ne concerne que l’employé. Une conséquence directe de ce comportement du salaire est qu’il rationalise l’idée qu’à compétences égales un travailleur ayant de l’ancienneté soit relativement mieux rémunéré.
Harris et Holmström (1982) établissent également le rôle joué par l’expérience : les contrats expliquent comment, ceteris paribus, un travailleur plus expérimenté est généralement mieux rémunéré dans le cas où il n’y a pas de servitude involontaire (c’est-à-dire un cas où le facteur travail est mobile sans coût). Une autre conséquence liée à la nature de la rigidité engendrée par un contrat est que le salaire agrégé, bien que globalement flexible à la baisse comme à la hausse, présente un degré de viscosité (stickiness) supérieur à celui du salaire walrasien (Holmström, 1981).
D’autres contributions majeures ont permis de préciser les avantages de la théorie des contrats autoexécutoires. Pour éclaircir les propriétés dynamiques de ces contrats, Thomas et Worrall (1988) se placent dans le cas d’une relation contractuelle de long terme (durée infinie), abandonnant le cas des deux périodes plus fréquemment utilisé. Outre la mise en évidence de la rigidité (réelle) à la baisse des salaires, Thomas et Worrall (1988) proposent une règle formelle définissant le salaire. Ils utilisent les hypothèses habituelles dans la littérature sur les contrats implicites : les producteurs présentent toujours un degré d’aversion pour le risque inférieur à celui des travailleurs et fournissent la seule assurance disponible pour les travailleurs. Les agents disposent d’une information symétrique sur la variable aléatoire. Les travailleurs sont mobiles et peuvent donc toujours accéder au marché du travail hors entreprise et recevoir le salaire walrasien, il y a donc un problème d’engagement de leur part, dont il est explicitement tenu compte. Dans ce contexte, il s’agit encore d’établir un contrat qui incite les travailleurs à rester fidèles à leurs entreprises. Dans Thomas et Worrall (1988), les salaires sont également rigides à la hausse. En effet, les auteurs définissent des contraintes contractuelles autoexécutoires analogues pour les employeurs, afin de s’assurer que leurs opportunités extérieures ne soient pas préférables.
L’enjeu ici est d’expliciter la forme du contrat de travail. On formule le contrat à l’aide d’une règle endogène de fixation des salaires : le salaire est défini pour garantir aux travailleurs une utilité actualisée au moins égale à celle que leur procurerait le fait d’être sur le marché du travail hors contrat (marché au comptant ou spot market) indéfiniment. Cette contribution est intéressante puisqu’elle fournit une opérationnalisation de la théorie des contrats autoexécutoires. Toutefois, il faut supposer qu’un travailleur ayant brisé le contrat se retrouve indéfiniment hors contrat pour éviter le problème de bris de contrat. De manière concomitante, cela implique une durée infinie des contrats.
Les différentes extensions théoriques du modèle ABG caractérisent donc, dans le cas de l’hypothèse de partage de risque avec engagement partiel, la forme des rigidités salariales que peut générer cette approche. Des travaux importants permettent également d’établir explicitement des contrats de travail implicites.
2. Évidence empirique
En parallèle de ces développements, de nombreux travaux empiriques se sont multipliés pour venir renforcer l’intérêt de l’approche. L’une des contributions les plus importantes est celle de Beaudry et DiNardo (1991). À partir de données microéconomiques, ils décrivent comment les contrats dynamiques de partage de risque sont supportés par les observations. Beaudry et DiNardo (1991) précisent en particulier que les salaires individuels sont affectés par les conditions économiques passées et présentes, ce qui identifie un phénomène relativement inconciliable avec l’approche standard des salaires flexibles, mais plutôt en accord avec la théorie des contrats implicites. En partant d’un modèle simple intégrant des contrats de travail avec partage de risque, ces auteurs établissent les liens entre w et les conditions passées du marché du travail. À l’aide de données du PSID (Panel Study of Income Dynamics), et du CPS (Current Population Survey), Beaudry et DiNardo (1991) suggèrent qu’un modèle de contrat implicite avec mobilité sans coût du facteur travail, dans l’esprit de Hart et Holmström (1982) (mais ici supposant une relation de long terme), décrit mieux ces liens qu’un modèle à salaire flexible ou qu’un modèle contractuel avec mobilité coûteuse du travail (modèle à mobilité limitée). Ce sont les conditions d’engagement (self-enforcing constraints) qui permettent d’établir cette évidence empirique. En effet, pour que la relation soit effectivement durable, il faut que les employés n’aient pas d’opportunité de travail préférable en dehors de leur entreprise. Aussi le caractère autoexécutoire des relations contractuelles intégré dans la théorie des contrats implicites fournit-il un moyen simple d’évaluer son degré de cohérence ou de l’infirmer empiriquement.
Le modèle à mobilité illimitée (avec problème d’engagement) suggère que les contrats sont fixés en fonction des conditions du marché du travail, c’est-à-dire qu’ils dépendent des meilleures conditions du marché depuis le début de la relation; le taux de chômage correspondant à cette période constitue donc une variable (proxy) significative dans la détermination du salaire individuel. Pour évaluer le potentiel du modèle à mobilité illimitée, les auteurs montrent que les salaires dépendent davantage du taux de chômage minimum enregistré au cours du contrat que des autres taux de chômage. À ce taux de chômage minimum sont associées les conditions du marché du travail les plus favorables aux employés. L’estimation des trois modèles concurrents révèle que le taux de chômage maximum rencontré au cours de la relation, ainsi que le taux de chômage de la période initiale (cas de la mobilité limitée) de cette relation sont non significatifs. De plus, le taux de chômage courant est trouvé non significatif, ce qui vient confirmer une lacune du modèle à salaire flexible. Les résultats empiriques sont cohérents avec la théorie des contrats implicites. La principale contribution est la mise en évidence du fait que les salaires dépendent de l’histoire passée du marché du travail (history dependent) lorsqu’on utilise le taux de chômage comme témoin de cette histoire. Comme le taux de chômage minimum de la période contractuelle est le plus significatif, ce que suggère le modèle à mobilité illimitée, ce dernier semble fournir l’explication la plus valable de la détermination des salaires individuels.
Beaudry et DiNardo (1995) établissent le fait que les modèles à contrats de travail implicites avec contraintes d’engagement prédisent que les salaires dépendent des conditions de marché passées. Ils sont influencés par les conditions économiques initiales dans lesquelles ils sont fixés ainsi que par les meilleures conditions du marché du travail qui prévalent au cours de la relation contractuelle. Ceci crée une variation en coupe transversale dans la croissance des salaires individuels reliée aux conditions de marché dans lesquelles chaque contrat démarre. Ce phénomène de dépendance historique du salaire est vérifié dans l’étude empirique menée dans Beaudry et DiNardo (1995) et corrobore Beaudry et DiNardo (1991). McDonald et Worswick (1999) confirment aussi ce comportement des salaires dans le cas canadien. Les résultats empiriques sont cohérents avec le modèle de contrats autoexécutoires et indiquent l’importance des conditions économiques passées dans la détermination des salaires courants. Ces résultats suggèrent que ces conditions constituent une caractéristique générale commune aux économies nord-américaines. McDonald et Worswick (1999) précisent aussi que la sensibilité du salaire individuel aux conditions extérieures de marché décroît avec l’ancienneté du travailleur, ce qui constitue un fait stylisé supplémentaire dont la théorie devrait tenir compte.
D’autres évaluations alternatives viennent confirmer quelques avantages des modèles à contrats dynamiques sur les modèles à salaires flexibles. Beaudry et DiNardo (1995) étudient les déterminants des heures travaillées dans un contexte où le partage de risque est susceptible d’influencer les relations contractuelles. Ils considèrent l’environnement usuel de la littérature : un modèle de partage de risque à information symétrique avec problèmes d’engagement. Ils montrent que cette classe de modèles prédit que les heures ne sont influencées par le salaire qu’à travers un effet de revenu (provenant de l’hétérogénéité des contrats en cours) et concluent que la théorie des contrats implicites est cohérente avec la dynamique observée des heures travaillées.
L’idée qui motive la démarche de Beaudry et DiNardo (1995) vient du fait que la majeure partie des mouvements observés des heures travaillées s’opèrent à taux de salaire fixe (Abowd et Card, 1989). Ce phénomène est en contradiction avec les prédictions des modèles à salaires flexibles où le salaire est procyclique en raison de sa forte corrélation à la PmT. Beaudry et DiNardo (1995) examinent dans quelle mesure ce ne serait pas explicable par les modèles à partage de risque.
Les salaires ne semblent pas nécessairement jouer un rôle allocatif au-delà d’un effet de revenu, une caractéristique théorique qui n’est pas rejetée par les données. Cette prédiction du modèle ABG avec contraintes d’engagement vient aussi du découplage entre PmT et w que provoque le partage de risque. À cause de ce découplage, le seul effet du salaire intervient au niveau du taux marginal de substitution loisir-consommation : une fois tenu compte des variations de PmT, le salaire n’affecte les heures travaillées qu’en raison de son influence sur la consommation. Dans ce cas, si le loisir est un bien normal alors les hausses de salaires provoquent une baisse dans les heures travaillées (la consommation augmentant au détriment du travail). En raison du découplage PmT – w, ce type de modèle prédit le contraire des modèles à salaire flexible où toute hausse de salaire entraîne nécessairement une hausse des heures travaillées, à utilité marginale de la consommation constante. Ici, le salaire courant étant découplé de PmT, les mouvements des heures sont essentiellement contrôlés par les variations dans la valeur de la productivité marginale du travailleur; les variations de salaire ne jouant qu’un rôle indirect.
Beaudry et DiNardo (1995) mettent également en évidence un autre aspect empirique important. Ils montrent que les taux de salaires réels individuels tendent à augmenter lorsque les conditions du marché du travail sont meilleures (en conformité avec Beaudry et DiNardo, 1991), mais restent inchangés quand ces conditions se déteriorent. Ceci constitue une mise en évidence de la rigidité à la baisse des salaires individuels prédite par Harris et Holmström (1982). Toutefois, Beaudry et DiNardo (1991, 1995) ne tiennent pas explicitement compte du rôle joué par la croissance de la productivité dans la rigidité à la baisse des salaires. Leurs estimations sont effectuées pour une période de relative stagnation de la productivité[3].
Altonji et Devereux (1999) explorent l’ampleur et les conséquences des rigidités des salaires nominaux. À partir de données du PSID, Altonji et Devereux (1999) montrent que les diminutions de salaire nominal sont plus rares encore que les diminutions de salaire réel. Ceci est en contradiction avec le modèle à salaire flexible, mais également avec un modèle à rigidité de salaire parfaite à la baisse. En effet, il se peut que des baisses de salaire nominal interviennent lorsque, hors contrat, les réductions de salaires sont draconiennes. Ils trouvent également peu d’évidence que des travailleurs mieux payés auraient tendance à être plus fidèles à leur entreprise.
Malgré quelques aspects que la théorie ne permet pas nécessairement d’expliquer, en l’état actuel des connaissances, il est clair qu’elle constitue néanmoins un cadre intéressant pour rendre compte de certains faits stylisés relatifs au salaire. Les résultats empiriques suggèrent que c’est une approche recevable. Montrer formellement que le comportement dynamique des salaires engendré par cette théorie est cohérent avec les évidences empiriques reste encore à préciser davantage. Mais quelques avantages de cette approche sur l’approche walrasienne utilisée dans les modèles macroéconomiques classiques sont suggérés dans plusieurs études empiriques. Les modèles à salaires flexibles ne permettent pas, stricto sensu, de rendre compte de manière satisfaisante de certains aspects du comportement des salaires tel qu’observé dans les faits. Mais les évidences empiriques concourent à suggérer que les modèles avec contrats de travail implicites basés sur le partage de risque sont des palliatifs envisageables.
La théorie des contrats autoexécutoires est à même de fournir une intuition probante de la dynamique des salaires. Elle est également susceptible de contribuer à l’explication des faits stylisés relatifs à la dynamique de l’emploi et de la consommation, et donc aussi à celle de l’output.
3. Contrats autoexécutoires et cycles d’affaires
3.1 Le transfert de risque dans les modèles macroéconomiques
Des modèles macroéconomiques montrent l’intérêt d’introduire le partage de risque par le truchement de contrats de travail implicites. Toutefois, rares sont ceux qui utilisent complètement le cadre des contrats autoexécutoires. Par exemple, Danthine et Donaldson (1992) offrent une illustration des implications du partage de risque pour l’explication des cycles d’affaires, mais ils ne se réfèrent pas vraiment à de tels contrats. La problématique abordée concerne l’anomalie de la variabilité relative salaire-emploi. Les modèles standards ne permettent généralement pas de générer une volatilité suffisante pour l’emploi et surestiment souvent celle du salaire. Sans se baser sur la forme des préférences, les auteurs montrent qu’un modèle avec partage de risque permet d’apporter une réponse rigoureuse et naturelle à cette anomalie.
L’idée est que cette variabilité relative provient du fait que les travailleurs sont relativement plus averses au risque, et qu’à travers leur relation de travail avec leur employeur, ils cherchent à s’assurer d’une rémunération la plus stable possible (Thomas et Worrall, 1988). Cette situation favorise une relation de travail durable entre travailleurs et employeurs. Le modèle de Danthine et Donaldson comporte deux classes de travailleurs : les jeunes et les âgés. Seuls ces derniers sont en relation durable avec les entreprises (voir Drèze, 1989, dont le modèle s’inspire), avec un partage de risque optimal assurant aux producteurs le profit suffisant pour les inciter à entrer dans cette relation. Quant aux jeunes employés, ils font face à des relations de travail plus précaires. L’introduction dans ce modèle de deux classes de travailleurs sert aussi à formaliser le chômage; et les auteurs montrent que leur modèle possède des propriétés de propagation dynamique supérieures au modèle standard de Hansen (1985) puisque l’écart-type du choc technologique nécessaire pour produire la variabilité observée de l’output (1,7 %) n’est que de 0,49 % (1,5 fois moindre que dans le modèle à travail indivisible).
Par ailleurs, Gomme et Greenwood (1995) présentent une autre application importante de l’hypothèse de transfert de risque dans le cadre d’un modèle d’équilibre général dynamique stochastique standard. Toutefois, là encore, il n’est pas question de contrats autoexécutoires stricto sensu : les auteurs montrent qu’un modèle incorporant le partage de risque entre employés et employeurs permet d’expliquer le comportement acyclique du salaire. La contribution supplémentaire par rapport à Danthine et Donaldson (1992) est de montrer que les flux d’assurances nécessaires pour protéger les travailleurs contre les risques cycliques agrégés sont relativement faibles (1 % du revenu d’emploi). Le modèle prédit un écart-type du salaire réel de 0,81 % contre 0,74 % dans les faits. L’écart-type de l’output est également satisfaisant. Néanmoins, le modèle partage certaines limites problématiques avec les modèles standards : la consommation et les heures travaillées ne sont pas assez volatiles (0,41 % contre 0,85 % dans les données sur la consommation; 0,99 % contre 1,96 % dans les données sur les heures), le salaire réel manque de persistance (autocorrélation de 0,10 contre 0,73 dans les faits).
Ces problèmes se retrouvent aussi dans Boldrin et Horvath (1995). Toujours dans l’idée de résoudre l’anomalie de la volatilité relative emploi-salaire, Boldrin et Horvath (1995) incorporent l’hypothèse de partage de risque dans un modèle d’équilibre général dynamique stochastique standard. Ils supposent que les producteurs récupèrent tout le surplus lié à ce partage de risque. Ils se placent dans le cas d’une relation de travail d’une durée fixe d’une période. Comme Gomme et Greenwood (1995), ils concluent que des relations contractuelles basées sur le transfert de risque permettent de résoudre l’anomalie de la volatilité relative emploi-salaire. La spécification du modèle de Boldrin et Horvath (1995) permet aussi de générer une plus forte volatilité de la consommation et des heures, trop forte en fait.
Mais le salaire réel prédit par ce modèle manque encore de volatilité et de persistance. Il faut préciser que, même si les contributions sur les implications macroéconomiques de l’hypothèse de partage de risque s’avèrent encourageantes au chapitre de la réplication de la dynamique du salaire réel ou de la dynamique de l’input travail, elles n’exploitent pas encore pleinement cette hypothèse. Le problème commun aux contributions mentionnées est qu’elles se concentrent essentiellement sur la dynamique contemporaine des chocs. En effet, à l’exception de Horvath (1994), les relations de travail supposées dans les modèles macroéconomiques intégrant l’idée du partage de risque ne durent en général qu’une seule période. Cela est suffisant pour remarquer l’intérêt de ces modèles par rapport aux modèles standards quant à la justification de l’acyclicité du salaire, puisqu’ils offrent généralement une explication satisfaisante à ce chapitre. En revanche, cela est insuffisant pour se prononcer sur la dynamique complète des variables, y compris celle du salaire réel lui-même.
3.2 Une application plus complète de la théorie des contrats autoexécutoires
La plupart des modèles macroéconomiques utilisant l’hypothèse de transfert de risque ne considèrent souvent qu’un aspect du partage de risque. Par exemple, Boldrin et Horvath (1995) supposent que les contrats sont de facto exécutoires et qu’ils ne durent qu’une période. Le fait est que l’application complète de cette théorie dans un cadre macroéconomique pose de nombreux problèmes au niveau de la résolution. En particulier, les contraintes ne dépendant pas uniquement des informations passées mais également futures, on ne peut directement appliquer les procédures de résolution numérique usuelles. Toutefois, il est toujours possible de formuler le programme d’optimisation dynamique différemment pour le résoudre. Une méthode de résolution des problèmes d’engagement suggérée par Thomas et Worrall (1994) consiste à introduire une variable d’état correspondant à un menu contingent de niveau futur d’utilité que le principal s’engage à fournir à l’agent. Il s’agit alors d’itérer en partant de la frontière de Pareto du cas de plein engagement. Thomas et Worrall (1994) montrent que sous certaines conditions, ces itérations assurent la convergence de la fonction de valeur vers un point fixe. Une utilisation de cette méthode de résolution des problèmes incluant des contrats autoexécutoires est due à Sigouin (1998). Il étudie l’effet de relations de long terme avec problèmes d’engagement entre des producteurs et des intermédiaires financiers sur l’investissement agrégé et la dynamique de la production entre autres. À notre connaissance, cet article constitue l’une des premières utilisations complètes de la théorie des contrats autoexécutoires considérant un problème d’engagement des deux parties, sur un horizon infini, et dans le cadre d’une problématique macroéconomique.
3.3 L’énigme de la dynamique
Bien que des contrats basés sur l’hypothèse de partage de risque aient été utilisés dans le cadre de problématiques macroéconomiques, il n’existe aucune contribution concernant l’énigme de la dynamique (dynamics puzzle). Hormis Sigouin (1998), les travaux portent essentiellement sur la volatilité contemporaine relative de l’emploi et du salaire, et non sur la propagation dynamique. Or, la plupart des modèles macroéconomiques du cycle réel présentent généralement des mécanismes de propagation dynamique des chocs un peu limités (Watson, 1993). C’est-à-dire que la dynamique imprimée par les chocs se retrouve souvent à l’identique dans les séries simulées, mais qu’elle est amortie. Idéalement, un modèle devrait être capable d’amplifier et de propager les chocs. Mais ces modèles ne comportent pas toujours ces propriétés de propagation dynamique. Ils ne reproduisent pas nécessairement de manière totalement satisfaisante les fonctions de réponse attendues pour la production agrégée, que l’on considère un choc transitoire ou permanent (Cogley et Nason, 1995). Plus précisément, d’après Watson (1993), la variance de la production, de la consommation, de l’emploi et de l’investissement agrégés associée aux fréquences du cycle (de 6 à 32 trimestres) prédite par ces modèles ne concorde pas avec les spectres empiriques. Les spectres de la consommation et de l’emploi sont particulièrement problématiques. Ainsi, les comouvements entre consommation et emploi prédits par ces modèles sont parfois en contradiction avec les faits stylisés (Rotemberg et Woodford, 1996).
L’ensemble de ces évidences, à l’effet qu’un certain nombre de modèles usuels souffrent de quelques manques au niveau des mécanismes internes de propagation dynamique, constitue une énigme qui pourrait être étudiée en recourant aux contrats autoexécutoires. En effet, les contrats implicites engendrent un comportement joint de la consommation et de l’emploi différent de celui prédit par des modèles à agent représentatif à utilité beckerienne avec salaires flexibles (Rosen, 1985). On sait qu’un certain nombre de modèles macroéconomiques classiques présentent une volatilité insuffisante de l’emploi et de la consommation agrégés. Or, de par leur nature, les contrats de travail autoexécutoires peuvent fournir un moyen simple de générer plus de volatilité pour ces deux variables, précisément celles qui semblent poser le plus de problème. Comme l’expliquent Hart et Holmström (1987), dans le cas où l’on introduit le transfert de risque au coeur de la relation employés-employeurs, l’effet de revenu ne joue plus pleinement son rôle à cause du lissage intratemporel de la consommation que le contrat permet. Dans ce cas donc, à l’occurrence d’un choc positif, emploi et consommation augmentent (effet de substitution), mais l’effet de revenu jouant moins ici, l’emploi et la consommation peuvent avoir un comportement joint plus marqué que dans le cas de salaires flexibles. En fait, le partage de risque atténue la neutralisation qu’exerce généralement l’effet de revenu sur la dynamique de l’emploi et de la consommation, et donc théoriquement de la production agrégée.
On peut penser au problème que pose l’effet de revenu présent dans les modèles macroéconomiques usuels à salaires flexibles. L’effet de revenu est en partie responsable de l’amortissement des chocs dans les modèles d’équilibre général dynamiques avec utilité beckerienne. À l’occurrence d’un choc positif, l’effet de revenu présent dans ce type de modèles tend à réduire un peu trop rapidement l’emploi. Or, on sait que le découplage autorisé par le partage de risque entre PmT et salaire atténue cet effet (Hart et Holmström, 1987). À l’occurrence d’un choc positif par exemple, la consommation et l’emploi augmentent en raison de l’effet de substitution. Mais alors que dans un modèle à salaire flexible l’emploi devrait aussi baisser en raison de l’effet de revenu, l’assurance que procure le contrat implicite atténue cette baisse. Si bien que la consommation et l’emploi sont normalement plus volatiles dans ce cadre (Rosen 1985). La volatilité accrue de ces deux variables constitue une propriété dynamique désirable dans la mesure où les modèles macroéconomiques à salaires flexibles présentent généralement une certaine insuffisance à ce niveau (Rotemberg et Woodford, 1996).
Dans son survol, Rosen (1985) précise que les contrats autoexécutoires confèrent à la consommation et à l’emploi un comportement conjoint absent des modèles à salaires flexibles. C’est précisément l’absence de comouvements suffisamment prolongés entre ces deux agrégats qui est à l’origine du manque de propagation interne des chocs dans certains modèles standards. Les modèles à salaires flexibles supposant l’égalité entre salaire et PmT, empêchent parfois l’effet de substitution de jouer suffisamment au-delà de la période d’occurrence des chocs (Rotemberg et Woodford, 1996), et sont alors, dans ce cas, incapables en eux-mêmes de rendre compte de la persistance des effets des chocs.
Cependant, même si la théorie des contrats dynamiques semble être à même d’apporter un éclairage nouveau sur l’énigme de la dynamique, ses principales propriétés n’ont pas encore fait l’objet d’une application complète ou satisfaisante. Il est vrai qu’au départ, cette théorie n’a pas été élaborée pour répondre à cette question. Mais compte tenu de la problématique de la dynamique, il est clair que les contrats de travail autoexécutoires ont un potentiel à analyser davantage.
Conclusion
Malgré les avantages que peut procurer l’introduction du partage de risque dans les modèles d’équilibre général dynamiques et stochastiques, notamment en ce qui a trait à leurs propriétés dynamiques, et les évidences empiriques de l’existence de relations de travail implicites, encore peu de contributions incorporent les apports de la théorie des contrats autoexécutoires dans les modèles macroéconomiques. Certains articles traitent de l’anomalie salaire-emploi que permet de résoudre de manière rigoureuse cette théorie. Mais il ne semble pas exister de recherche portant sur les implications dynamiques des contrats autoexécutoires. En particulier, ces derniers semblent susceptibles d’apporter un éclairage prometteur dans l’explication de l’énigme de la dynamique.
Un autre apport potentiel des contrats autoexécutoires réside dans le fait qu’ils permettent de s’affranchir d’une hypothèse que l’on retrouve parfois dans certains modèles macroéconomiques usuels : l’hypothèse du producteur-consommateur à la Robinson Crusoé. Cette hypothèse suggère généralement que les travailleurs sont aussi, in fine, les employeurs; ou qu’à tout le moins ils sont propriétaires des entreprises (propriétaires du capital et du profit). Dans la littérature survolée, les deux classes sont réellement distinctes, et l’accent est précisément mis aur les interactions stratégiques qui s’opèrent entre elles par le truchement des ententes de long terme. Cela constitue donc une hypothèse sur le cadre institutionnel légèrement différente de celle qui est parfois retenue. Dans ce cadre en effet, si l’on peut envisager le couple employé-employeur comme un agent représentatif, il s’agit d’un pseudo-agent représentatif composé d’agents interactifs au sens de Nash. Cette hypothèse alternative, réaliste, permet de donner au cadre institutionnel un aspect aussi fondamental que les préférences ou la technologie, cadre institutionnel susceptible de les compléter de manière importante.
À la lumière de ce survol, tout porte à croire que l’introduction, dans les modèles macroéconomiques, des contrats dynamiques pour l’étude de la dynamique, constitue une avenue de recherche qui n’en est qu’à ses débuts. Les apports potentiels sont d’autant plus prometteurs que, dans les rares cas où l’hypothèse de partage de risque a été utilisée, elle a apporté des réponses simples aux faits stylisés relatifs à la dynamique des salaires et de l’emploi. En outre, elle ne semble pas rejetée par les données. Mener des recherches visant à étudier le rôle joué par le partage de risque dans l’explication de la dynamique de l’emploi et de l’output devrait donc constituer un agenda de recherche relativement fructueux.
Appendices
Remerciements
Ce texte a circulé précédemment sous le titre « La théorie des contrats de travail autoexécutoires et ses implications macroéconomiques : un survol de la littérature » CIRPÉE, Working Paper 98. Je remercie pour leurs suggestions : Steven Ambler, Claude-Denys Fluet, Pierre Fortin, Emmanuel Hakizimana, Jean-Paul Lam, Paul Makdissi, Stéphane Pallage, Pierre Saint-Amant, Bruce Shearer, Christian Sigouin, Valérie Vierstraete, Cheng Wang, Carolyn Wilkins et Christian Zimmermann. Le contenu de cet article ne reflète pas nécessairement les opinions de la Banque du Canada.
Notes
-
[1]
Il est possible que la durée moyenne des relations de travail varie d’une époque à l’autre : on sait que depuis le début des années quatre-vingt elle s’est réduite aux États-Unis. Toutefois, le fait que ces relations aient un caractère durable ne peut être nié. Dans tous les cas, elles ont une durée qui excède celle des contrats de salaires exécutoires.
-
[2]
Comme je ne m’intéresse pas ici aux problèmes de chômage, mais exclusivement aux propriétés dynamiques des modèles macroéconomiques, les versions ABG à information asymétrique sont exclues de ce survol.
-
[3]
Je remercie Christian Sigouin pour avoir porté ce point à mon attention.
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