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Introduction

La littérature sur les marchés d’assurance concurrentiels en présence d’aléa moral montre que la nature de l’équilibre dépend de l’information dont dispose les assureurs en ce qui concerne la quantité totale d’assurance que les individus peuvent acheter. Lorsqu’on suppose que cette quantité est observable par tout assureur, il est optimal que chaque individu soit couvert par un unique assureur : c’est l’essence de l’hypothèse d’exclusivité de contrat que l’on retrouve dans la plupart des modèles. Sous cette hypothèse, le contrat optimal de second rang d’un assuré dépend du niveau de son coût marginal d’autoprotection. Précisément, lorsque le coût marginal de l’autoprotection d’un agent est faible, l’assureur incite ce dernier à faire de l’autoprotection en lui offrant un contrat d’assurance partielle. Sinon, il assure complètement l’agent, ce dernier ne fait donc pas de l’autoprotection. De plus, l’hypothèse usuelle faite est que les agents sont identiques, ce qui conduit à un équilibre de marché dans lequel tous les agents obtiennent le même contrat : l’un des deux contrats définis ci-dessus.

Dans notre analyse, nous introduisons l’hétérogénéité des agents : chaque agent est caractérisé par un paramètre individuel qui influence son coût marginal d’autoprotection. Ce paramètre définit alors le type de l’agent. Dans ce contexte, nous allons caractériser l’équilibre en supposant dans un premier temps que l’assureur observe le type de chaque agent. Puis dans un second temps nous allons relâcher cette hypothèse : nous nous retrouvons alors dans une situation où coexistent aléa moral et sélection adverse.

Le plus souvent, les études relatives à l’équilibre des marchés d’assurance supposent une unique asymétrie d’information. Néanmoins, des études récentes s’intéressent à des problèmes faisant apparaître simultanément aléa moral et antisélection. Une première catégorie de modèles suppose que l’antisélection porte sur l’aversion au risque des agents : Jullien, Salanié et Salanié (2001) alors que la seconde catégorie de modèles, à laquelle notre papier se rapproche, suppose que l’antisélection porte sur les coûts d’autoprotection : Stewart (1994), Chassagnon et Chiappori (1996).

Stewart (1994) considère un modèle dans lequel le niveau de prévention et le coût associé ne sont connus que de l’agent. En adoptant le concept d’équilibre de Riley (1979), ce qui assure toujours l’existence de l’équilibre, et en faisant des hypothèses qui garantissent la régularité des fonctions (concavité de la courbe de profit nul et convexité des courbes d’indifférence), il obtient les résultats suivants. L’équilibre est séparateur, les agents ayant un coût marginal de l’effort élevé obtiennent le même contrat d’assurance que si seul prévalait le problème d’aléa moral, alors que ceux ayant un coût marginal plus faible obtiennent un contrat d’assurance qui leur offre une couverture d’assurance plus faible et adoptent un niveau de prévention plus élevé que dans la situation d’aléa moral pur.

Chassagnon et Chiappori (1996) considèrent un modèle dans lequel le type de l’agent est défini par sa probabilité d’accident ex ante (un agent H est plus risqué ex ante qu’un agent L si pour un niveau d’autoprotection identique sa probabilité d’accident est plus forte que celle de l’agent L) et dans lequel le coût de l’autoprotection diffère d’un agent à un autre et est l’information privée de l’agent. Il est donc possible que ex post, pour un contrat donné, l’agent H soit moins risqué que l’agent L si le premier est relativement plus efficace que le second en termes de réduction de risque. Ceci implique que les courbes d’indifférence des deux types d’agent peuvent se croiser plus d’une fois : la condition de Spence-Mirrlees n’est donc pas toujours vérifiée. Les auteurs retiennent le concept d’équilibre de Rothschild et Stiglitz (1976) et obtiennent alors les résultats suivants : l’équilibre est séparateur, l’agent de type H n’obtient pas forcément une couverture d’assurance plus grande que celle de l’autre type d’agent, plusieurs équilibres peuvent coexister, l’existence de l’équilibre n’est pas forcément garantie par un nombre suffisamment élevé d’agents de type H.

Dans notre analyse, nous considérons un modèle dans lequel le niveau de l’effort est dichotomique contrairement à Stewart qui adopte un effort continu. Sans faire de restriction sur la fonction de coût comme dans le modèle de Stewart, nous supposons que le type de l’agent est défini par son coût marginal d’autoprotection. Plus précisément, pour un niveau d’autoprotection identique, un agent de type H a un coût marginal d’autoprotection plus grand que celui d’un agent de type L. De plus, contrairement à l’hypothèse faite par Chassagnon et Chiappori, nous supposons que les agents ont la même probabilité d’accident a priori, c’est-à-dire que lorsque les agents choisissent le même niveau d’effort, leur probabilité d’accident est la même indépendamment de leur type. Ceci implique alors que pour un contrat donné, l’agent de type H est toujours au moins aussi risqué que l’agent de type L. En adoptant le concept d’équilibre de Rothschild et Stiglitz (1976), nous montrons d’une part que l’équilibre sépare les types de risque alors qu’il peut mélanger les types de coût. D’autre part, nous nous intéressons à l’existence de l’équilibre. Nous montrons alors que l’équilibre existe toujours lorsqu’aucun agent ne peut être incité à faire de l’autoprotection alors que dans les autres cas, l’existence de l’équilibre n’est garantie que lorsqu’il y a suffisamment d’agents ayant un coût de prévention élevé. Partant d’un modèle dans lequel le niveau de risque est endogène, nous retrouvons un résultat équivalent à celui du modèle de Rothschild-Stiglitz (1976).

Le reste de l’article est organisé comme suit : dans la prochaine section, après avoir exposé les données du problème, nous caractérisons l’équilibre dans une situation où il existe uniquement un problème d’aléa moral. Ensuite, la deuxième section sera consacrée à l’étude de l’équilibre en présence simultanée d’aléa moral et d’antisélection. Enfin, la dernière section envisage les extensions possibles du modèle et conclut l’article.

1. Les données et le modèle de base

Nous considérons un marché composé d’agents averses au risque et de compagnies d’assurance neutres au risque. Chaque agent possède une richesse initiale d’un montant w qui est soumis à un risque de dommage représenté par une perte monétaire d’un montant D. Les préférences des agents sont identiques et représentées par une fonction d’utilité de VNM croissante et concave notée u. La probabilité de survenance du dommage p(e) dépend de l’effort d’autoprotection e ∈ {0,1} de l’agent et vérifie la relation suivante : p(1) < p(0). L’autoprotection engendre un coût que nous allons considérer comme une désutilité. Ce coût noté c(e, i) dépend du niveau de l’autoprotection et du type de l’agent, i ∈ {H, L}. Nous faisons les hypothèses suivantes :

En d’autres termes, l’agent de type H a un coût marginal de l’effort plus élevé que celui de l’agent de type L. Le jeu entre les compagnies d’assurance et les agents se déroule de la manière suivante : dans un premier temps les compagnies proposent des contrats d’assurance, puis chaque agent choisit le contrat qu’il préfère parmi l’ensemble des contrats proposés et adopte ou non des mesures d’autoprotection. Tout contrat d’assurance C proposé stipule le remboursement et la prime. Il sera représenté par C = (α, β) où α désigne le remboursement net de prime et β la prime d’assurance.

Dans la suite de cette section, nous allons supposer que chaque compagnie d’assurance est capable d’observer le type de tout candidat à l’assurance. Il n’y a donc pas de problème de sélection adverse. Néanmoins, le niveau de l’effort choisi par l’agent n’est connu que par ce dernier : on est en présence d’un problème d’aléa moral uniquement.

1.1 Le contrat optimal de l’agent

Si l’assureur pouvait observer l’effort de l’agent (situation de pleine information), il pourrait conditionner le contrat d’assurance qu’il offre à l’agent à cette variable. Néanmoins, puisque l’effort n’est pas observable, l’assureur lorsqu’il offre un contrat doit tenir compte du fait que pour chaque contrat proposé, l’agent choisit le niveau d’effort ex post de façon à maximiser son espérance d’utilité.

L’espérance d’utilité d’un agent de type i qui adopte un niveau d’autoprotection e lorsqu’il choisit un contrat d’assurance (α, β) est égale à :

L’agent adopte le niveau d’effort e = 1 si et seulement si la condition suivante est vérifiée :

Par conséquent, l’ensemble des contrats qui laissent l’agent indifférent entre les deux niveaux d’effort, noté ϕi, est la courbe d’équation[1] :

Dans leur papier, Arnott et Stiglitz (1988) considéraient des agents identiques. En adoptant un raisonnement dans le plan (α, β), ils ont montré qu’il existe deux zones qui correspondent chacune à l’ensemble des contrats d’assurance induisant un niveau d’effort donné. De plus, Chassagnon et Chiappori (1996) montrent que la courbe représentant l’ensemble des contrats qui laissent l’agent indifférent entre les deux niveaux d’effort est continue, décroissante et a une pente inférieure à –1. De l’équation (2), on déduit que la zone des contrats incitant à l’effort (e = 1) se situe à la gauche de la courbe ϕi et la deuxième zone (e = 0) à la droite de cette courbe. En effet, cette équation a plus de chances d’être réalisée avec de faibles couvertures d’assurance.

À présent, nous pouvons établir les caractéristiques de toute courbe d’indifférence pour un niveau d’utilité et un effort e ∈ {0, 1} donnés. À partir de l’équation (1) on obtient :

D’après l’équation (4) toute courbe d’indifférence est croissante. De la même façon on montre que toute courbe d’indifférence est concave dans le plan (α, β). De l’équation (4), on déduit aussi que pour un contrat donné, la courbe d’indifférence associée à e = 0 est plus pentue que celle associée à e = 1.

Par conséquent, on peut construire des courbes d’indifférence qui tiennent compte du choix optimal du niveau d’autoprotection effectué par l’agent face à tout contrat. Ces courbes d’indifférence présentent alors un point anguleux appartenant à la courbe ϕi.

Enfin, nous pouvons identifier l’ensemble des contrats qui procurent une espérance de profit nul à toute compagnie d’assurance. Dans la zone e = 0 , cet ensemble correspond à la portion de la droite passant par l’origine et de pente equation: 009903are009n.png et dans l’autre zone, à la portion de la droite passant par l’origine et de penteequation: 009903are010n.png La courbe de profit nul est donc la réunion de ces deux segments de droite.

À présent, nous pouvons caractériser le meilleur contrat qu’un assureur peut offrir à un agent d’un type donné. L’agent obtient le contrat qui maximise son espérance d’utilité parmi les contrats réalisant une espérance de profit non négative.

Ce contrat va dépendre du niveau de coût de l’autoprotection de l’agent. En effet, si l’agent ne peut être incité à l’effort parce que ce coût est trop important, il obtiendra le contrat actuariel d’assurance totale B0[2]. Dans le cas contraire, il est incité à l’effort par un contrat d’assurance actuariel Bi1 qui lui offre une couverture partielle[3]. Il existe donc un niveau de coût c* tel que lorsque le coût d’autoprotection de l’agent est égal à ce seuil, l’agent est indifférent entre le contrat B0 et le contrat Bi1 correspondant à ce coût. Ce contrat spécifique sera noté B*1 = (α*1, β*1)[4].

Le lemme ci-dessous résume ces résultats.

Lemme 1.Il existe un seuil c* > 0 tel que :

  • si c(1, i) > c*, alors l’agent obtient le contrat actuariel d’assurance totale B0 (pas d’incitation à l’effort);

  • si c(1, i) ≤ c*, alors l’agent obtient le contrat actuariel d’assurance partielle Bi1 = (αi1, βi1) (incitation à l’effort) où αi1 et βi1 sont solutions de :

Preuve. Voir annexe ∎

À présent, puisque nous connaissons le contrat optimal de chaque type d’agent, nous pouvons caractériser l’équilibre en contrats du marché de l’assurance.

1.2 L’équilibre en aléa moral

Avant de caractériser l’équilibre en contrats d’assurance, il est indispensable de noter les propriétés suivantes.

Lemme 2.L’ensemble des contrats incitatifs d’un agent de type H est inclus dans celui d’un agent de type L.

Preuve. Considérons un contrat (α, β) qui incite l’agent H à adopter le niveau d’effort e = 1. Il vérifie donc la condition suivante :

Une conséquence immédiate de cette propriété est qu’en tout point, la courbe d’indifférence d’un agent de type H est toujours au moins aussi pentue que celle d’un agent de type L.

Lemme 3. Si à l’équilibre, l’agent de type H est incité à faire de l’autoprotection, alors à l’équilibre l’agent de type L l’est aussi.

Preuve. Supposons que EUH(BH1) ≥ EUH(B0).

Alors EUL(BH1) > EUH(BH1) ≥ EUH(B0) car c(1, H) > c(1, L).

De plus EUL(BL1) > EUL(BH1) car BH1 appartient à la zone des contrats incitatifs de L et par définition BL1 est le meilleur contrat de L dans la zone incitative de L. Donc EUL(BL1) > EUL(B0) car EUH(B0) = EUL(B0). ∎

Des résultats précédents découle immédiatement la caractérisation de l’équilibre dans une situation dans laquelle il existe uniquement un problème d’aléa moral.

Proposition 4. Lorsque le niveau de l’autoprotection n’est pas observable par l’assureur alors que le type de l’agent l’est, l’équilibre existe et dépend de la configuration des coûts. Il est caractérisé par l’une des trois configurations suivantes :

  • Si c* < c(1, L) < c(1, H), l’équilibre est le contrat B0.

  • Si c(1, L) < c(1, H) ≤ c*, l’équilibre est la paire de contrats (BH1, BL1), BH1destiné aux agents de typeH etBL1à ceux de type L.

  • Si c(1, L) ≤ c* < c(1, H), l’équilibre est la paire de contrats (B0, BL1), B0destiné aux agents de type H et BL1 à ceux de type L.

L’équilibre a la première forme lorsque les coûts marginaux d’autoprotection sont tous les deux trop élevés, l’incitation de tout agent à l’effort s’avère alors trop coûteuse. Les agents obtiennent donc le contrat de pleine assurance au prix actuariel. (Voir graphique 1)

Graphique 1

Cas où les deux coûts marginaux sont suffisamment élevés

Cas où les deux coûts marginaux sont suffisamment élevés

-> See the list of figures

L’équilibre a la seconde forme lorsque les coûts marginaux d’autoprotection sont tous les deux suffisamment faibles, de telle façon que tous les agents peuvent être incités à l’effort. De plus, dans ce cas, la franchise supportée par l’agent de type H est plus élevée que celle de l’agent de type L. En effet, il est plus difficile d’inciter l’agent H que l’agent L à l’effort, ce qui explique que la part du risque que l’on doit faire supporter à l’agent H pour qu’il fasse de l’autoprotection soit plus élevée. (Voir graphique 2)

Graphique 2

Cas où les deux coûts marginaux sont suffisamment faibles

Cas où les deux coûts marginaux sont suffisamment faibles

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Enfin, l’équilibre a la troisième forme lorsque seul le coût marginal d’autoprotection de l’agent L est suffisamment faible. Dans ce cas, seul ce type d’agent peut être incité à l’effort. (Voir graphique 3)

Graphique 3

Cas où le coût marginal de l’agent L est suffisamment faible et celui de l’agent H suffisamment élevé

Cas où le coût marginal de l’agent L est suffisamment faible et celui de l’agent H suffisamment élevé

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2. L’équilibre en présence de l’antisélection

Contrairement à ce que nous avons supposé dans la section précédente, à présent nous faisons l’hypothèse que l’assureur ne peut pas distinguer un agent dont le coût marginal de l’autoprotection est élevé d’un agent à faible coût. Nous sommes donc dans une situation où il existe simultanément un problème d’aléa moral et un problème d’antisélection.

Nous allons d’abord préciser le concept d’équilibre concurrentiel en présence d’antisélection que nous avons retenu. Il s’agit de l’équilibre de type Nash de Rothschild et Stiglitz (1976). L’hypothèse faite est que chaque assureur a des anticipations statiques sur le marché, ce qui implique qu’il n’a aucun intérêt à proposer un contrat déficitaire. Dans ce cas, un contrat subsiste s’il n’est pas détrôné par une offre rivale. D’où la définition de l’équilibre de Rothschild et Stiglitz (1976).

Définition 5. Un équilibre est un menu de contrats tels que les deux conditions suivantes soient vérifiées :

  • chaque contrat réalise un profit non négatif;

  • il n’existe pas un contrat en dehors de ce menu qui s’il était offert conjointement aux contrats d’équilibre serait profitable.

Dans un premier temps, avant même de déterminer l’équilibre, il est important de remarquer qu’à l’équilibre il est impossible que des agents ayant des risques différents obtiennent le même contrat d’assurance (en d’autres termes, un contrat d’équilibre ne peut pas être mélangeant). Pour démontrer ce résultat nous allons établir le lemme suivant.

Lemme 6.À l’équilibre, le profit réalisé par une compagnie d’assurance quand elle assure un agent, quel que soit son type, est nul.

Preuve. Nous avons montré que lorsque les agents ont des risques différents, l’agent H est toujours plus risqué que l’agent L, leurs courbes d’indifférence respectives ne se coupent alors qu’une seule fois. Soit CL le contrat d’équilibre de l’agent L et supposons qu’il réalise un profit strictement positif. On peut donc trouver un contrat « très proche » du contrat CL, noté CL(∈), que seul l’agent L préfère au contrat CL et qui réalise un profit strictement positif. Par conséquent une compagnie rivale qui offre le contrat CL(∈) attire uniquement les agents L et réalise un profit strictement positif. Ce qui contredit la définition de l’équilibre. Le même résultat peut être établi pour l’agent de type H.

Soit CH le contrat d’équilibre de l’agent H et supposons qu’il réalise un profit strictement positif. Alors une compagnie rivale peut proposer un contrat CH(∈) qui offre la même couverture que le contrat CH pour une prime légèrement plus faible et qui réalise des gains sur l’agent H. Si le contrat CH(∈) attire l’agent L, il réalisera également des gains sur cet agent puisque ce dernier est moins risqué que l’agent H. Par conséquent, le profit espéré du contrat CH(∈) est donc strictement positif. Ce qui contredit la définition de l’équilibre. ∎

Une conséquence directe de ce lemme est que l’équilibre ne peut pas être mélangeant. Supposons qu’un contrat unique soit destiné aussi bien aux bas risques (nécessairement les agents de type L) qu’aux hauts risques (nécessairement les agents de type H) à l’équilibre. Puisqu’on fait un profit nul sur L à l’équilibre et que H est plus risqué que L, alors on fait des pertes sur H avec ce contrat. Le profit espéré avec ce contrat est donc négatif : ce contrat ne peut donc pas être un équilibre.

Nous avons donc obtenu deux propriétés de l’équilibre : d’une part l’équilibre sépare les risques et d’autre part tout contrat offert à l’équilibre est actuariellement neutre. Avant d’établir une caractérisation complète de l’équilibre, nous pouvons établir le résultat suivant :

Proposition 7. À l’équilibre, l’agent de type H obtient son contrat d’équilibre d’aléa moral. Quant à l’agent de type L, il obtient le contrat solution du programme (P) suivant :

sous contraintes

Preuve. Notons CH le contrat d’équilibre de H et CAMPH = (αAMPH, βAMPH) son contrat d’équilibre dans la situation d’aléa moral.

On a nécessairement EUH(CH) ≤ EUH(CAMPH) car parmi les contrats ne réalisant pas de pertes, CAMPH est le meilleur.

Supposons que EUH(CH) < EUH(CAMPH). Alors il existe un ∈ > 0 tel que le contrat C(∈) = (αAMPH, βAMPH + ∈) vérifie EUH(CH) < EUHAMPH, βAMPH + ∈) < EUHAMPH, βAMPH). De plus, si ce contrat attire l’agent L, il fait des gains sur L puisque ce dernier est moins risqué que H. Donc une firme entrante qui propose (αAMPH, βAMPH + ∈) réalise des gains. D’où la première partie de la proposition.

Notons URSL, le niveau d’utilité de l’agent de type L avec le contrat solution du programme (P). Supposons que le contrat d’équilibre de l’agent de type L noté CL = (αL, βL) soit tel que EUL(CL) > URSL. Comme le profit realisé avec le contrat d’équilibre CL est non négatif, alors CL viole la deuxième contrainte du programme (P). Ce contrat vérifie donc la condition suivante : EUH(CAMPH) < EUH(CL). Nous en déduisons donc que l’agent de type H préfère le contrat CL au contrat CAMPH : cela est impossible! Donc EUL(CL) < URSL.

Supposons que EUL(CL) < URSL. Alors il existe ∈ > 0 tel que le contrat CL(∈) = (αL, βL + ∈) vérifie EUL(CL) < EULL, βL + ∈) < URSL et realise un profit strictement positif.

Or EUHL, βL + ∈) < EUHL, βL) < EUH(CAMPH). Une firme entrante attire uniquement les agents de type L et fait des gains. D’où la seconde partie de la proposition. ∎

À partir des éléments précédents, nous pouvons caractériser l’équilibre lorsque les problèmes d’aléa moral et d’antisélection coexistent.

Proposition 8. Lorsque l’assureur ne peut observer ni le niveau d’autoprotection de l’agent ni son type, trois situations sont possibles à l’équilibre.

  • Si c* < c(1, L) < c(1, H), l’équilibre existe toujours : c’est le contratB0.

  • Si c(1, L) < c(1, H) ≤ c*, alors s’il existe un équilibre c’est le contrat (BH1). De plus, l’équilibre existe si la proportion d’agents de type H est supérieure ou égale à un seuil.

  • Si c(1, L) ≤ c* < c(1, H), alors s’il existe un équilibre c’est la paire de contrats (B0, B*1)[5]. Les agents de type H choisissent le contrat B0et ceux de type L, le contratB*1. De plus, l’équilibre existe si la proportion d’agents de type H est supérieure ou égale à un seuil.

Preuve. Voir annexe ∎

Les résultats du modèle peuvent être synthétisés dans le tableau ci-dessous.

-> See the list of tables

Ces résultats appellent plusieurs commentaires. Dans la configuration où les deux coûts sont élevés, tout se passe comme s’il n’y a pas de problème d’antisélection. En effet, puisque dans ce cas le meilleur contrat d’un agent quel que soit son type est le contrat actuariel d’assurance totale, le fait que l’assureur ne puisse pas distinguer un agent de type L de celui de type H n’a aucune incidence sur l’offre de contrats d’assurance.

Par contre, dans les deux autres situations, le contrat d’équilibre d’aléa moral pur de l’agent de type L attire l’agent de type H. Or ce contrat n’incite pas ce dernier agent à faire de l’autoprotection. Donc un assureur qui offrirait le contrat d’équilibre d’aléa moral de l’agent de type L réaliserait des pertes. Dans ces deux configurations, l’agent de type H obtient toujours le même contrat que si l’assureur pouvait observer son type car son contrat n’attire jamais l’agent de type L. L’assureur offre alors à l’agent de type L le meilleur contrat parmi ceux qui n’attirent pas l’autre type d’agent. Comme dans le modèle de Rothschild et Stiglitz (1976), la nécessité d’obtenir une révélation de l’information cachée a pour conséquence une « externalité négative » subie par le « bon type d’agent » : ici, l’agent de type L obtient une couverture d’assurance inférieure à celle qu’il avait en l’absence d’antisélection. Néanmoins, compte tenu de l’hypothèse suivant laquelle l’effort ne peut prendre que deux valeurs, le niveau d’effort de l’agent L reste inchangé.

De plus, nous avons un résultat propre à notre modèle puisque contrairement à l’hypothèse faite par Rothschild et Stiglitz (1976), nous considérons que la probabilité d’accident est endogène. À l’équilibre, les deux types d’agent peuvent obtenir le même contrat : c’est le cas dans la configuration où les deux types d’agent ont un faible coût. On pourrait parler d’un équilibre « mélangeant », mais cette terminologie n’a pas le même sens que celle de Rothschild et Stiglitz (1976). Ici, l’équilibre mélange les types de coût (paramètre sur lequel porte l’antisélection) alors que Rothschild et Stiglitz (1976) désignent par ce terme un mélange de risques (paramètre sur lequel porte l’antisélection dans leur modèle).

Comme dans le modèle de Rothschild et Stiglitz (1976), l’existence de l’équilibre n’est pas toujours garantie. L’équilibre existe seulement si la proportion des agents de type H est suffisamment élevée. En effet, dans ce cas, un contrat dans lequel les agents de type L subventionnent ceux de type H sera toujours déficitaire et ne pourra donc pas détrôner le candidat à l’équilibre que nous avons caractérisé.

Conclusion

Nous avons considéré que le niveau d’effort était une variable dichotomique et nous avons adopté l’hypothèse usuelle de la séparabilité de la fonction d’utilité de l’assuré en la richesse et le coût de l’effort. Malgré la simplicité de nos hypothèses, notre modèle aboutit à des résultats très intéressants. Nous avons montré que lorsque le coût marginal des deux types d’agent n’est pas trop grand, lorsque l’équilibre existe, il ne coïncide pas avec l’équilibre qui prévaut sur un marché où il y a uniquement un problème d’aléa moral. D’autre part, nous avons montré que seuls les agents à faible désutilité de l’effort obtiennent une couverture plus faible qu’en l’absence d’antisélection, subissant ainsi une perte de bien-être par rapport à cette situation. Enfin, l’existence de l’équilibre n’est garantie que si la proportion des agents à forte désutilité est supérieure ou égale à un seuil.

Une extension de notre modèle consiste à considérer non plus un niveau d’effort représenté par une variable dichotomique mais par une variable continue. C’est cette approche qui a été retenue par Fagart et Kambia-Chopin (2002). Les auteures montrent qu’à l’équilibre les deux types d’agent exercent un effort strictement positif et que les agents de type H sont les plus risqués. L’équilibre est séparateur et chaque contrat d’équilibre réalise un profit nul. De plus, l’antisélection stimule l’effort de l’agent L par rapport à la situation d’aléa moral pur. En effet, à l’équilibre, l’agent L adopte un niveau d’effort supérieur à son niveau d’effort d’équilibre d’aléa moral et obtient une couverture d’assurance plus faible. La situation de l’agent de type H quant à elle n’est pas modifiée en présence d’antisélection car son contrat d’aléa moral pur n’attire pas l’autre type d’agent.

Une autre extension envisageable est de retenir une fonction d’utilité non séparable en la richesse et le coût de l’effort. Cette spécification repose sur l’hypothèse que les activités d’autoprotection engendrent un coût exprimé non pas en termes d’utilité mais en termes monétaires. Dans ce cas, le coût de l’autoprotection vient réduire le montant de richesse de l’assuré quel que soit l’état de la nature qui se réalise après.

Lorsque la fonction d’utilité de l’assuré n’est pas séparable, l’étude de l’équilibre concurrentiel s’avère plus compliquée même dans le cas le plus simple où l’on retient deux niveaux d’autoprotection et l’existence de l’aléa moral uniquement. Contrairement au cas où la fonction d’utilité est séparable, l’assuré peut adopter des activités d’autoprotection aussi bien pour de faibles couvertures d’assurance que pour des couvertures d’assurance élevées. De ce fait, une courbe d’indifférence peut présenter plus d’un point anguleux. Ceci implique qu’on ne peut plus diviser le plan en deux zones où chacune correspond à un niveau de prévention donné[6].

Fagart et Kambia-Chopin (2002) proposent des hypothèses générales sous lesquelles les résultats de Rothschild et Stiglitz (1976) restent valides. Dans le cas particulier où les préférences des agents sont représentées par une fonction d’utilité non séparable et CARA, ces hypothèses générales sont toujours vérifiées, et par conséquent on retrouve les résultats de leur papier.