Abstracts
Résumé
Cet article considère un jeu en quantités avec financement des capacités de production, dans lequel la forme des contrats financiers constitue la variable stratégique pertinente des entreprises. Le contrat optimal se distingue du contrat de dette classique par la présence d’une clause de participation : l’intérêt versé à la banque comprend une partie fixe et une partie variable, indexée sur les profits de la firme. Le contrat de dette participative s’avère proconcurrentiel à l’équilibre symétrique du jeu, au sens où il incite à la concurrence. En revanche, dès lors qu’on introduit un avantage de premier décideur à l’étape contractuelle, il peut être une source de barrières stratégiques à l’entrée et donc avoir des effets anticoncurrentiels.
Abstract
This article examines a Cournot game with financing of production capacities. The design of financial contracts sets up the relevant strategic variable of firms. The optimal contract is different from the standard debt contract by a clause of involvement: bank interest includes a fixed part and a variable part, indexed to firm profits. Debt-equity contract is procompetitive at game symmetrical equilibrium, in the sense that incites to competition. On the other hand, as soon as we introduce an avantage of first decision-maker at the contractual stage, it can be a source of entry strategical barriers. In fine, it has anticompetitive effects.
Article body
Introduction
Depuis le milieu des années quatre-vingt, économistes et financiers examinent avec un intérêt croissant les liens unissant la structure de capital et le comportement de marché des entreprises (voir Maksimovic, 1995 et Faure-Grimaud, 1998, pour une présentation des principaux résultats). Notre article s’inscrit dans cette perspective, en considérant la question de la forme optimale des contrats de financement en environnement stratégique.
Dans l’article pionnier de Brander et Lewis (1986), l’accroissement du ratio dette/capitaux propres incite l’entreprise à développer une stratégie de production plus agressive et plus risquée. Ce résultat se fonde sur l’effet de responsabilité limitée lié à la dette et la corrélation positive entre production et variabilité des revenus d’exploitation. À cet égard, le recours à l’endettement ne résulte pas des conditions de concurrence existantes ou potentielles sur le marché : le rôle stratégique joué par la dette repose sur les conflits d’intérêt au sein de l’entreprise et relève des effets bien connus de redistribution de valeur entre actionnaires et créanciers (consécutifs à l’accroissement du risque de l’entreprise), mis en évidence par Jensen et Meckling (1976).
Par ailleurs, le contrat de dette est exogène. Certes, il est possible de montrer que le contrat optimal a la structure d’un contrat de dette classique, mais alors les résultats de Brander et Lewis s’inversent : l’endettement conduit à moins de concurrence (Faure-Grimaud, 2000). En outre, ce contrat est la solution d’un problème d’incitation entre le prêteur et l’entreprise, dû à une asymétrie d’information sur les profits ex post. Il n’est donc pas conçu pour soutenir la stratégie de l’entreprise sur son marché.
Dans notre modèle, basé sur celui de Spence (1977) avec financement (externe) des capacités de production, le contrat de dette est élaboré dans le seul but de renforcer la position concurrentielle de l’entreprise; il est construit pour permettre à l’entreprise d’accumuler plus de capital productif qu’elle ne le ferait avec un contrat de dette classique et fait partie intégrante de sa stratégie : augmenter sa part de marché au détriment des entreprises rivales et/ou dissuader l’entrée de nouveaux concurrents. Dans ce cadre, le contrat de dette optimal contient une clause de participation donnant à l’investisseur (la banque) un droit à une part des profits de l’entreprise. Cette participation ne fait pas nécessairement de la banque un actionnaire de l’entreprise débitrice; il peut s’agir d’un complément d’intérêt variable venant majorer un intérêt fixe. Nous appellerons par conséquent le contrat en question, contrat de dette participative, par opposition au contrat de dette classique.
La participation permet d’abaisser le taux de base appliqué à la dette[1], ce qui confère à l’entreprise un avantage stratégique sur ses rivales. Un argument similaire a été développé à propos des contrats de salaire avec partage du profit (voir Bensaïd et Gary-Bobo, 1991, et Bughin, 1999, parmi d’autres). Notre contribution à cette littérature est double. D’une part, nous montrons les effets de la différenciation des produits sur la structure du contrat d’équilibre : la participation diminue et la partie fixe de la rémunération augmente avec le degré de différenciation des produits. À la limite, lorsque les produits sont complètement différenciés, le contrat d’équilibre est un contrat sans participation, ne comprenant qu’une partie fixe. D’autre part, nous examinons la question de savoir si les contrats avec participation peuvent être utilisés par les entreprises installées pour prévenir l’entrée de nouveaux concurrents, ce dont fait abstraction la littérature consacrée au système de partage du profit.
La première section de l’article commence par présenter le modèle de base : une industrie dans laquelle deux entreprises doivent financer leurs capacités de production, avant de se livrer une concurrence en quantités. Le modèle est ensuite résolu pour déterminer les caractéristiques du contrat de financement optimal en fonction du degré de différenciation des produits. La deuxième section introduit la possibilité pour l’une des deux entreprises de choisir en premier son contrat de financement. Nous examinons l’impact de cet avantage du premier décideur sur la décision d’entrée, selon que l’entrant potentiel peut choisir ou non son propre contrat de financement.
1. Contrat de dette participative et concurrence imparfaite
Nous considérons un jeu en quantités avec produits différenciés, où deux entreprises, indicées par i = 1, 2, s’endettent sur un marché bancaire concurrentiel pour financer leurs capacités de production. Nous notons par r le coût unitaire du crédit (égal à un plus le taux d’intérêt en vigueur) sur le marché bancaire. Nous définissons un contrat de dette participative par le couple (ri, αi), où ri(0 < ri < r) est le coût unitaire de la dette ki contractée par la firme i et αi(1 > αi > 0) est la part du profit versée à la banque créancière. A contrario, le contrat de dette simple se caractérise par le couple (r, 0).
La production ne peut excéder la capacité : qi ≤ ki, pour i = 1, 2[2]. Le coût marginal de production est constant et égal à c pour les deux firmes. Il n’y a pas de coût fixe.
Le prix de vente de chaque bien dépend des fonctions de demande inverses suivantes :
où θ mesure le degré de différenciation des produits[3]. Si θ = 0, les biens sont complètement différenciés. Chaque firme est alors en situation de monopole sur le marché du bien qu’elle produit. Si θ = 1, les produits sont parfaitement homogènes.
Le jeu se déroule en deux étapes. À la première étape, les entreprises choisissent les termes de leurs contrats de financement (sous la contrainte de participation des banques). Ces derniers sont annoncés publiquement. À la seconde étape, les entreprises déterminent leurs capacités ainsi que leurs productions. Les choix sont simultanés dans chacune des étapes. Aucun avantage de premier décideur n’est donc pris en considération. Le concept d’équilibre retenu est celui de l’équilibre de Nash parfait.
Le jeu est résolu par induction à rebours. À la seconde étape, les termes ri et αi étant des constantes données, le propriétaire de la firme i choisit la capacité ki de manière à maximiser la seule part des profits pour lesquels il est le créancier résiduel, soit[4] :
Comme par définition αi∈ ]0,1[, cela revient à maximiser l’expression (3), soit la valeur totale des profits de la firme i.
La fonction de réaction de la firme i est :
La capacité optimale de la firme i en fonction des taux d’intérêt est :
À la première étape, la firme i résout :
L’inégalité (7) représente la contrainte de rationalité individuelle de la banque. Comme Vi(ri,αi) est une fonction décroissante de ri et de αi (pour 0 < ri < r et 0 < αi < 1), la contrainte est saturée à l’équilibre et peut se réécrire de la façon suivante : αi = (r – ri ) / (a – k*i – θk*j – c – ri). En plaçant cette valeur de αi dans (6), le programme de la firme i à l’étape 1 revient à maximiser k*i (a – k*i – θk*j – c – ri), soit :
par rapport à ri, ce qui donne :
d’où
Par ailleurs, d’après la contrainte de participation de la banque, il existe un α unique pour chaque couple (ri, rj) donné par la relation :
d’où
Étant donné les termes des contrats ci-dessus, les capacités et les profits des entreprises sont, respectivement,
et
Ainsi, à l’équilibre, la firme i(i = 1, 2) emprunte un montant de capital k**i au taux r**i, lequel, étant donné a > c + r, est strictement inférieur à r, le taux du marché, du moins pour θ > 0. Dès lors, la firme compense le manque à gagner de la banque, égal à (r – r**i) k**i, en rétrocédant à cette dernière une part α**i de ses profits ∏**i; la valeur des profits de la firme se monte à V**i = (1 – α**i) ∏**i[5].
De ces commentaires et des expressions (10) et (12), il ressort qu’à l’exception du cas extrême où les produits sont complètement différenciés, le contrat d’équilibre (r**i, α**i) est un contrat de dette participative pour chaque firme : si θ = 0, alors r**i = r et α**i = 0; si θ > 0, alors r**i < r et α**i > 0. En outre, la structure du contrat d’équilibre est influencée par le degré de différenciation des produits : le taux d’intérêt auquel s’endettent les entreprises est d’autant plus faible et la part des profits détenue par les banques est d’autant plus élevée que les produits sont peu différenciés (θ proche de 1). Autrement dit, r**i décroît et α**i croît avec θ : ∂r**i / ∂θ = –2θ(4 + θ) (a – c – r) / (4 + 2θ – θ2)2 < 0 et ∂α**i / ∂θ = θ > 0.
Le graphique 1 illustre les résultats du jeu en quantités avec des contrats de dette simple (E) et des contrats de dette participative (E**), dans le cas où les produits sont parfaitement homogènes (θ = 1)[6].
L’équilibre du jeu de marché avec contrats de dette simple, E, s’obtient à l’intersection des fonctions de réaction k1(r, k2) et k2(r, k1); les quantités produites et les profits réalisés sont : ki(r, r) = (a – c – r) / 3 et Vi(r, r) = (a – c – r)2 / 9, pour i = 1, 2.
L’équilibre E* caractérise la situation lorsqu’une seule des deux entreprises (la firme 1) utilise un contrat de dette participative. L’abaissement du coût marginal de financement de la firme 1 déplace sa fonction de réaction vers la droite : il devient optimal pour la firme 1 d’installer une capacité de production plus importante en réponse à n’importe quel niveau d’investissement de la firme 2. En E*, la firme 1 produit davantage et réalise un profit plus élevé que la firme 2 :
r1 = r – (a – c – r) / 4, r2 – r, α1 = 1 / 2, α2 = 0, k1(r1, r) = (a – c – r) / 2, k2(r, r1) = (a – c – r) /4, V1(r1, r) = (a – c – r)2 / 8 et V2(r, r1) = (a – c – r)2 / 16, de sorte que k1(r1, r) > k2(r, r1) et V1(r1, r) > V2(r, r1).
La firme 2 ne restera pas passive et s’endettera, elle aussi, à un taux r2 < r pour augmenter son profit. Finalement, l’équilibre s’établit en E**. En ce point, ri = r – (a – c – r) / 5, αi = 1 / 2, ki(r1, r2) = 2(a – c – r) / 5, et Vi(r1, r2) = 2(a – c – r)2 / 25, d’où : ki(r1, r2) > ki(r, r) et Vi(r1, r2) < Vi(r, r) pour i = 1, 2.
L’équilibre non coopératif avec contrats de dette participative est Pareto-dominé par l’issue coopérative avec contrats de dette simple pour les deux entreprises. Le jeu a donc la structure d’un dilemme du prisonnier : bien que les deux firmes ont collectivement intérêt à coopérer (choisir un contrat de dette simple), si l’une d’elles coopère, l’autre a individuellement intérêt à ne pas coopérer (choisir un contrat de dette participative).
Ainsi, le contrat de dette participative s’avère proconcurrentiel dans un oligopole en quantités. Il peut être aussi une source de création de barrières stratégiques à l’entrée et donc avoir des effets anticoncurrentiels.
2. Contrat de dette participative et barrière à l’entrée stratégique
Dans cette section, nous examinons si le contrat de dette participative peut être utilisé pour prévenir l’entrée de nouveaux concurrents. Le modèle diffère de celui de la section précédente sur deux points : l’entrant (la firme 2) doit supporter un coût fixe f2 pour entrer sur le marché et l’entreprise installée (la firme 1) bénéficie d’un avantage de premier décideur à l’étape contractuelle. La firme 1 ne possède donc pas d’autre avantage que celui de pouvoir choisir les termes de son contrat de financement avant la firme 2.
Nous présentons de manière successive le contrat qui dissuade l’entrée de la firme 2 puis l’équilibre du jeu, en retenant le cas d’un marché sur lequel les produits sont parfaitement homogènes.
2.1 Le contrat de dissuasion
En reprenant le jeu de marché de la section précédente dans le cas où les produits sont parfaitement homogènes (θ = 1), le contrat (rb1, αb1) qui décourage l’entrée de la firme 2, satisfait :
En plaçant la valeur de r2(r1) = –(a – c + r1 – 6r) / 4 dans (15), où r2(r1) est la fonction de réaction de la firme 2 (c.-à-d. r2(r1) maximise V2(r1, r2) – f2 par rapport à r2), et en résolvant pour r1, on obtient :
De la contrainte de rationalité de la banque lorsque l’entrée est dissuadée, rb1 + αb1(a – kb1 – k2 – c – rb1) = r, où k2 = 0 et kb1 = k1(rb1, 0) = a – c – f – r, on obtient :
Le contrat qui dissuade l’entrée est donc un contrat de dette participative : rb1 < r et αb1 > 0, pour a > c + r + 2 f.
Notons qu’il n’y a aucun avantage associé au contrat de dette participative une fois l’entrée dissuadée. Autrement dit, s’il est optimal de dissuader l’entrée, la firme 1 choisira le taux rb1, puisqu’un taux inférieur réduirait son profit (rb1 est déjà plus petit que le niveau du taux qui maximise le profit de monopole)[7].
2.2 L’équilibre du jeu
En dissuadant l’entrée, la firme 1 réalise des profits, nets de la rémunération totale de la banque, d’une valeur :
Pour déterminer si la dissuasion est un équilibre, la firme 1 doit comparer Vb1 avec les profits qu’elle réaliserait en s’adaptant à l’entrée.
Notons (rd1, αd1) le contrat optimal en cas d’adaptation à l’entrée. Ce contrat maximise :
par rapport à r1, ce qui donne :
d’où
Des contraintes αi(ri, rj) = 3(r – ri) / (a – c – 2ri + rj), on obtient :
À l’équilibre, la firme 1 produit kd1 = (a – c – r) / 2 et vaut Vd1 = (a – c – r)2 / 12. La firme 2, quant à elle, produit kd2 = (a – c – r) / 3 et vaut Vd2 = [(a – c – r)2 / 18] – f2.
Dès lors, la firme 1 dissuadera l’entrée si
et s’adaptera à l’entrée si
Avec f supérieur à (a – c – r) / 4, la firme 1 bloque l’entrée en empruntant son niveau de capital de monopole km1 = (a – c – r) / 2 au taux d’intérêt du marché r et réalise le profit de monopole Vm1 = (a – c – r)2 / 4[8].
Dans le tableau 1, sont résumés les résultats du jeu d’entrée lorsque la firme 2 est contrainte de choisir un contrat de dette simple, ou jeu J″, par opposition au jeu d’entrée précédent, ou jeu J′, dans lequel la firme 2 est libre de choisir entre un contrat de dette simple et un contrat de dette participative.
La comparaison des résultats des deux jeux conduit aux remarques suivantes. Pour :
le marché s’organise en duopole dans le jeu J″, mais la firme 1 conserve sa position de monopole dans le jeu J′. Autrement dit, lorsque le coût d’entrée diminue, la firme 1 accommode plus rapidement l’entrée dans le jeu J″ que dans le jeu J′.
Le contrat de dette participative permet donc à la firme 1 de bloquer l’entrée de la firme 2 d’autant plus facilement que cette dernière a elle-même accès à un tel contrat. Intuitivement, lorsque la firme 2 est contrainte de s’endetter au taux du marché, les termes du contrat de financement de la firme 1 n’influencent que les choix de la seconde étape du jeu. En revanche, lorsque la firme 2 peut s’endetter à un taux inférieur au taux du marché, la firme 1 agit en tant que leader à l’étape contractuelle; la firme 2 réagit au taux choisi par la firme 1 en choisissant elle-même un taux qui renforce la concurrence à l’étape de production. Ainsi, la barrière à l’entrée est plus forte lorsque le choix de la firme 2 à l’étape contractuelle est flexible. Toutefois, cette barrière est de plus en plus coûteuse pour la firme 1 qui, pour tout f vérifiant (26), préfère toujours l’accommodation dans le jeu J″ à la dissuasion dans le jeu J′.
Dans un modèle de dette stratégique à la Brander et Lewis (1986), McAndrews et Nakaruma (1992) ont montré qu’une firme en situation de monopole pouvait dissuader l’entrée d’un concurrent potentiel en s’endettant[9]. Dans ce modèle, la dette entraîne des choix de production plus agressifs, car les profits de l’investissement (de taille prédéterminée) sont aléatoires et peuvent être insuffisants pour rembourser le capital et les intérêts d’emprunt. Intuitivement, un taux d’intérêt plus élevé augmente la charge de la dette et, par conséquent, l’étendue des états de la nature pour lesquels l’entreprise est en faillite. La responsabilité limitée liée à la dette incite les propriétaires de l’entreprise à mettre l’accent sur des états de la nature relativement meilleurs, ce qui se traduit par des choix de production plus agressifs (lorsque la dérivée partielle des profits marginaux par rapport à l’état de la nature est positive). En revanche, dans notre modèle, un taux d’intérêt plus élevé augmente le coût marginal de la dette (des dépenses en capital productif), ce qui engage la firme à se comporter de manière moins agressive sur le marché des produits.
Suivant la taxonomie des stratégies de gestion développée par Fudenberg et Tirole (1984), une baisse (hausse) de r1 rend la firme « dure » (« douce ») dans le jeu en capacités, de sorte que la stratégie optimale pour dissuader l’entrée est de se comporter en « chien méchant » : baisser r1(surinvestir en capacités) pour réduire à zéro le profit de la firme 2. De plus, la stratégie de la firme 1 est la même qu’elle veuille empêcher l’entrée ou s’y adapter, puisque être « dure » gêne la firme 2 et la rend plus « douce » dans le jeu en capacités. Enfin, la « dureté » de la firme 1 est renforcée lorsque la firme 2 a elle aussi la possibilité de s’endetter à un taux inférieur au taux du marché; dans ce cas, la firme 1 prend en compte le fait qu’une baisse de son taux engendre aussi une baisse du taux de la firme 2, ce qui engage la firme 1 à être encore plus « dure » à l’étape contractuelle et rend la firme 2 encore plus « douce » dans le jeu en capacité.
Conclusion
Cet article montre le rôle stratégique joué par un contrat de dette participative dans un jeu en quantités avec financement externe des capacités de production. La participation conduit à abaisser le coût marginal de la dette, ce que peut exploiter une entreprise pour accroître ses dépenses en capital productif et obtenir un avantage stratégique sur ses rivales. L’avantage en question ne résulte pas d’une asymétrie temporelle, mais d’une asymétrie de coûts, due à un accès inégal aux sources de financement. D’ailleurs, la position dominante qu’obtient une entreprise avec un contrat de dette participative s’effondre lorsque les autres entreprises jouissent elles aussi d’un tel contrat. À l’équilibre symétrique, il y a surinvestissement en capacité au niveau individuel et agrégé. En ce sens, le contrat de dette participative est proconcurrentiel. Mais il peut, à l’inverse, avoir des effets anticoncurrentiels en permettant à une firme déjà installée de s’engager, de façon crédible, à construire une capacité de production suffisamment élevée pour supprimer les opportunités de profit d’un concurrent potentiel.
Appendices
Remerciements
Je remercie Bruno Deffains et Claude-Denys Fluet, directeur de la revue, pour leurs précieux commentaires. Toutefois, je reste seul responsable des erreurs éventuelles.
Notes
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[1]
La clause de participation dans le contrat de dette peut être assimilée à une option portant sur une fraction de la valeur de l’entreprise débitrice. Il est donc possible de calculer le « prix » de cette participation et d’en déduire la baisse correspondante du taux de base appliqué à la dette.
-
[2]
La capacité est exprimée dans la même unité que la quantité et une unité de capacité permet de produire une unité de bien. De plus, capital physique et capital financier sont confondus.
-
[3]
Avec θ < 0, les biens seraient des compléments plutôt que des substituts.
-
[4]
Comme le note Tirole (1995), tome II : 234, il n’y a, de toute évidence, aucune raison d’accumuler une capacité inutilisée lorsque les entreprises choisissent leurs capacités et leurs productions simultanément. Autrement dit, les entreprises produisent à pleine capacité : qi = ki, pour i = 1, 2. On peut montrer que la conclusion serait la même si les entreprises choisissaient d’abord leurs capacités (simultanément), puis leurs productions (toujours simultanément).
-
[5]
Le programme d’optimisation défini par les expressions (6) et (7) conduit aux mêmes résultats que celui consistant à maximiser Wi(ki, kj) = [a – ki – θkj – c –(r – μi)] ki où μi = θ2(a – c – r) / (4 + 2θ – θ2), i ≠ j et i, j = 1, 2. Il est donc équivalent pour une firme de prendre en compte dans sa fonction objectif le taux r**i et d’emprunter le montant de capital k**i au taux du marché r, que d’emprunter k**i au taux r**i < r, tout en rétrocédant à la banque créancière une part α**i de ses profits, de manière à lui garantir un revenu global égal à rk**i. En effet, si la participation conduit à abaisser le coût marginal de la dette, son coût unitaire, quant à lui, reste constant et égal au taux d’intérêt du marché.
-
[6]
Comme nous l’avons déjà indiqué, l’engagement à plus de dureté est d’autant moins profitable que les produits sont peu différenciés. À la limite, lorsque les produits sont complètement différenciés (θ = 0), les courbes de réaction des deux firmes sont perpendiculaires et l’effet stratégique associé à une baisse du taux d’intérêt débiteur est nul.
-
[7]
Le contrat de monopole est le contrat de dette simple (r, 0).
-
[8]
Pour f = (a – c – r) / 4, les niveaux de capital et de profit de la firme établie, kb1 et Vb1, coïncident avec les niveaux de capital et de profit de monopole, km1 et Vm1. En revanche, pour f > (a – c – r) / 4, kb1 est supérieur à km1 et Vb1 est inférieur à Vm1.
-
[9]
Voir, également, Showalter (1999).
Bibliographie
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- Tirole, J. (1995), Théorie de l’organisation industrielle, Tome II, Economica, Paris, traduit du livre The Theory of Industrial Organization, MIT Press, Cambridge, Massachusetts.