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Introduction

Même si la Confédération a été conclue il y a près de 150 ans, elle continue d’être un sujet d’actualité[1]. Cet arrangement constitutionnel a déterminé la situation politique et économique du Nouveau-Brunswick depuis 1867. Le partage de l’autorité législative en deux paliers gouvernementaux a redistribué les pouvoirs politiques dans le régime canadien. Un débat perdure quant à l’efficacité de la structure adoptée et, malgré la marginalisation incontestable de certaines provinces face aux enjeux nationaux, plusieurs auteurs prônent toujours une plus grande centralisation politique en invoquant un héritage britannique commun[2]. L’opposition exprimée dans les différentes régions est réduite au rang d’esprit de clocher et d’intérêts sectoriels négligeables. Évidemment, ces critiques reflètent leur propre parti pris et elles ne méritent pas plus d’importance que d’autres. Une réflexion mieux ciblée sur les conséquences de la Confédération canadienne sur la situation passée et actuelle du Nouveau-Brunswick est de mise.

Un adage veut que pour comprendre qui on est, il faut savoir d’où on vient. Le message est important surtout pour les petites communautés dont l’histoire tend à être éclipsée par celle des communautés mieux nanties. En étudiant le projet de Confédération dans une perspective élargie, compte tenu des débats de l’époque et des développements subséquents, il est possible de constater une constance étonnante dans la position exprimée par les autorités du Nouveau-Brunswick au cours des décennies. Il y a un fondement solide aux revendications formulées par la province depuis 1867. Les meilleures intentions du monde ne se traduisent pas toujours en résultats concrets, et un régime de droit est souvent insensible aux intervenants marginaux qui ne bénéficient d’aucune protection spécifique. En réformant la structure constitutionnelle de l’Amérique du Nord britannique, la Confédération a eu des répercussions politiques et économiques notables. En érigeant un plan de cohabitation entre entités de différentes tailles et aux moyens variés, elle n’a prévu aucun mécanisme formel ou efficace pour assurer un équilibre entre les intérêts des divers membres. Les relations intergouvernementales sont demeurées la principale, sinon la seule façon pour les petites provinces de contrer le biais institutionnel du fédéral envers les régions plus populeuses.

Dans ce qui suit, nous discuterons des ententes convenues entre les quatre provinces fondatrices. Plus particulièrement, concernant le Nouveau-Brunswick, les conditions initiales se sont révélées clairement insuffisantes pour assurer son effervescence dans le nouvel État. Il s’est donc retrouvé en conflit avec les autorités fédérales, mais sans leviers politiques et économiques permettant un combat à forces égales. Dans ces circonstances, un effritement de son influence dans les institutions canadiennes après 1867 était prévisible. Des concessions ont été obtenues depuis, surtout pour compenser des dommages déjà irréparables[3]. L’absence de protections juridiques précises pour ses intérêts a donc rendu le Nouveau-Brunswick vulnérable aux changements sociaux et technologiques. Ces enjeux étaient prévisibles à l’époque, comme l’ont démontré l’étude des événements ayant mené à la Confédération puis des développements subséquents, dont les réponses du gouvernement provincial à diverses initiatives fédérales, ainsi que les demandes répétées de projets de développement régional. L’approche est historique et politique sur fond de droit constitutionnel, avec un accent particulier sur l’interaction des paliers gouvernementaux selon la Loi constitutionnelle de 1867[4]. La situation de la région des Maritimes a changé depuis 1867, mais les deux principales images qui lui sont restées collées, celle d’une région économiquement sous-développée et celle de provinces mendiantes peuvent être liées assez étroitement au fonctionnement de la Constitution.

Les objections du Nouveau-Brunswick à la Confédération (1864-1867)

Les événements ayant mené à la Confédération sont relatés ailleurs[5]; un résumé de la perspective du Nouveau-Brunswick est suffisant avant d’aborder les objections formulées. D’abord, le projet d’union n’était pas nouveau lorsqu’il surgit en 1864 : en plus d’être présent dans le rapport Durham[6], il fut soulevé sporadiquement ensuite, dont en 1858 et en 1861 à l’initiative du Canada-Uni[7]. Toutefois, lorsque des premières communications furent échangées à ce sujet en 1864, les discussions devaient porter sur un autre thème. L’invitation lancée par la Nouvelle-Écosse visait l’union des provinces Maritimes[8], mais ni l’endroit ni la date n’avaient été choisis lorsque le gouverneur général du Canada demanda « d’élargir les cadres de l’union projetée de façon qu’elle embrasse toutes les provinces de l’Amérique du Nord britannique[9].. Lors de la conférence du 1er Septembre à Charlottetown, la Confédération figurait comme point non officiel à l’ordre du jour.

L’idée d’une union fédérale éclipsa rapidement celle de l’union des Maritimes et, avant la fin de la conférence, on se mit à prévoir l’organisation d’une nouvelle conférence sur le thème plus populaire d’une confédération de toutes les provinces. Lors de cette deuxième rencontre, tenue du 10 au 28 octobre 1864 à Québec, les participants adoptèrent 72 résolutions qui devaient servir de base au nouveau pays. Débattues à huis clos, elles furent gardées secrètes pendant quelque temps. Au Nouveau-Brunswick, elles furent publiées officiellement dans la Gazette royale du 25 janvier 1865[10], après la décision de déclencher des élections[11]. Lors du scrutin général, le gouvernement au pouvoir subit une cuisante défaite, pour être remplacé par un groupe d’élus opposés à la Confédération. Ce revirement fut ressenti ailleurs, car le Canada-Uni envoya aussitôt une délégation en Grande-Bretagne pour réaliser l’union, alors que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse refusa de soumettre les résolutions à l’approbation de son Assemblée législative. Par la suite, Londres intervint directement dans le débat par le biais d’instructions au lieutenant- gouverneur du Nouveau-Brunswick et en retenant sa collaboration à des projets d’importance locale. Cette influence fut déterminante pour les événements subséquents[12].

Le nouveau gouvernement du Nouveau-Brunswick avait déjà reçu une lettre du secrétaire d’État aux colonies, qui menaçait de soustraire la contribution de la Grande-Bretagne à la défense du territoire si le Nouveau-Brunswick n’approuvait pas le projet de Confédération[13], lorsque la session législative s’ouvrit sur un ton clairement anti-confédératif. Une motion y fut déposée, à la fin mai 1865, exprimant une opinion sans équivoque sur les ententes conclues à Québec à l’automne précédent. Plus particulièrement, le deuxième paragraphe du préambule exprimait l’avis de la Chambre «  que la réalisation de ce projet serait, du point de vue politique, commercial et financier, des plus nuisibles aux intérêts de cette province[14]». La motion fut adoptée le 5 juin par un vote massif de 29 députés pour et 10 contre[15], puis une délégation de la province se rendit à Londres pour informer la métropole du sentiment local. Lorsqu’ils y mirent les pieds le 3 juillet 1865, le premier ministre et le procureur général du Nouveau-Brunswick furent reçus froidement. Le projet de la Confédération y avait déjà été bien défendu et les représentants du Nouveau-Brunswick furent avisés sans détour de la politique impériale favorable à l’union[16].

Sans décrire tous les événements associés, il importe de mentionner la crise constitutionnelle engendrée par l’ingérence du lieutenant-gouverneur du Nouveau- Brunswick dans le débat local. Suivant des instructions de Londres, celui-ci pressa son Conseil exécutif de prendre position sur le sujet de la Confédération. Sans promouvoir un projet en particulier, il le somma d’accepter le principe de l’union sous peine d’être remplacé par des ministres favorables. Lorsque le Cabinet refusa de prendre position et que le Conseil législatif entérina les termes convenus à Québec, le lieutenant-gouverneur approuva les démarches de la Chambre non élue en dépit des objections ministérielles. Le Conseil exécutif se voyait contraint de remettre sa démission malgré la confiance d’une majorité de la Chambre[17]. Sans surprise, le nouveau gouvernement fut immédiatement contesté en Chambre et, plutôt que d’y subir une défaite, il déclencha de nouvelles élections générales le 16 avril 1866; son résultat fut aussi renversant que le précédent[18].

La Chambre fut convoquée immédiatement après le nouveau scrutin et, cette fois, elle était dominée par une députation favorable au principe de l’union. Pendant la campagne électorale, le parti victorieux avait promis, notamment, de meilleures conditions pour la province à l’intérieur d’un cadre confédératif[19]. De plus, la menace de Londres de se retirer de la défense du territoire prit un sens réel peu après la démission du Conseil exécutif du Nouveau-Brunswick avec l’apparition des Fenians à la frontière américaine. Ces événements eurent un impact sur les résultats des élections provinciales. La nouvelle session législative à peine ouverte, on proposa de nommer une délégation qui se rendrait en Grande-Bretagne pour réaliser l’union. Ses membres étaient libres d’accepter tous les termes sans l’approbation de l’Assemblée législative. L’opposition tenta d’imposer une telle condition mais sans succès. De plus, trois jours après l’adoption de cette résolution (le 30 juin 1866), une deuxième résolution cherchant à imposer des restrictions à la délégation fut débattue, mais elle fut aussi défaite[20]. De l’autre côté de l’océan Atlantique, les représentants approuvèrent, à quelques détails près, les conditions résolues à Québec et rejetées par la population en 1865.

Parmi les objections formulées au cours des débats, on peut noter la marginalisation politique de la province dans les nouvelles institutions fédérales et des ententes financières jugées inacceptables. Concernant le premier élément, les représentants du Nouveau-Brunswick formulèrent des réserves quant à la composition du Sénat, de la Chambre des communes et du Conseil exécutif. Ils désiraient aussi l’établissement d’un tribunal chargé de résoudre les différends sur l’interprétation et la portée de la loi constitutionnelle, au lieu de laisser au gouvernement central l’entière responsabilité de créer une cour générale d’appel. Quant aux arrangements financiers, l’attribution au Parlement du Canada du pouvoir illimité de taxation et l’insuffisance des transferts prévus furent l’objet de contestations[21]. De plus, l’acquisition des terres de Rupert et l’expansion vers l’ouest étaient perçues comme une priorité ontarienne offrant peu d’avantages à la région. D’autres motifs étaient invoqués à l’occasion, dont la rupture des relations entre le Nouveau-Brunswick et la Grande-Bretagne, mais généralement la structure convenue de l’appareil étatique fédéral constituait la principale pierre d’achoppement.

Ses opposants exprimaient ainsi un doute envers la future prospérité économique de la région dans le pays proposé. Ils invoquaient un biais institutionnel envers l’Ontario à l’appui de cette préoccupation naturelle. Implicitement, l’absence de mécanisme de protection des intérêts locaux justifiait leur opposition aux principes, entre autres, de la représentation proportionnelle et du pouvoir fédéral illimité de taxation et de dépense des fonds publics. De plus, en réponse à l’argument d’une meilleure intégration économique des régions, les opposants remirent sérieusement en question l’ampleur des échanges commerciaux possibles dans la nouvelle union au motif que le marché traditionnel des produits des provinces Maritimes se situait ailleurs et que la situation géographique de la province n’était pas avantageuse. On prévoyait l’invasion des marchés locaux par les producteurs du Canada et non l’inverse. Depuis, l’histoire tend à confirmer la légitimité des objections formulées à l’époque et la perspicacité des gens qui les défendirent.

En somme, l’entrée en vigueur de la Confédération était loin de régler tous les problèmes. Encore fallait-il la mettre en œuvre, ce qui ne s’est pas fait sans heurt. En plus de devoir monter de toutes pièces l’appareil étatique fédéral (avec sa fonction publique puisée pour l’essentiel des gouvernements de l’Ontario et du Québec[22]), le gouvernement fédéral devait saisir certaines structures provinciales, tels les chemins de fer ou les infrastructures militaires, à des fins nationales. Sans surprise, des divergences d’opinions survinrent au sujet du transfert de propriétés et d’obligations vu l’absence d’une instance de règlement de différends comme celle qu’avaient demandée des députés du Nouveau-Brunswick. Plusieurs communications furent échangées pour résoudre l’impasse et les responsables néo- brunswickois constatèrent rapidement leur peu d’influence dans le nouveau gouvernement central[23]. Même si les autorités provinciales se disaient disposées à collaborer avec leurs homologues, elles exigeaient un traitement équitable et une application libérale des termes de la Constitution à leur situation. Elles durent rappeler aux agents fédéraux le sens du texte constitutionnel dès les premières années de son adoption. Les relations intergouvernementales débutèrent ainsi sur une note discordante.

La réponse du Nouveau-Brunswick à l’accommodement offert à la Nouvelle- Écosse (1869-1881)

Si, en tentant de garder secrets le plus longtemps possible les termes de l’union, la stratégie de John A. Macdonald était réellement d’en faciliter l’acceptation par ses détracteurs[24], il s’y prit sûrement mal en ce qui concerne la Nouvelle-Écosse. Aux premières élections fédérales, la population de la Nouvelle-Écosse envoya à la Chambre des communes un seul député sympathique à l’union, en la personne de Charles Tupper, son principal promoteur. Les résultats du scrutin concomitant lors des élections à l’Assemblée législative ne furent guère plus encourageants. La représentation de la province aux deux parlements était alors dominée par des opposants à la Confédération. Une longue résolution de l’Assemblée législative condamna aussitôt l’union imposée à la Nouvelle-Écosse et les moyens utilisés pour l’obtenir. Le premier ministre de la province se rendit ensuite à Londres dans l’espoir d’en faire sortir la province.

Avec le refus du Parlement britannique de renverser la vapeur, des discussions s’amorcèrent entre les autorités fédérales et celles de la Nouvelle-Écosse afin de trouver une résolution à l’impasse. S’en remettant surtout à l’opinion de députés de la Nouvelle-Écosse au Parlement, le gouvernement fédéral adopta en 1869, de façon unilatérale, une modification aux conditions financières relatives à cette province dans la loi constitutionnelle[25]. La réaction du Nouveau-Brunswick fut immédiate. À la suite des élections provinciales et de la formation d’un nouveau cabinet comptant plusieurs individus qui s’étaient opposés à la Confédération entre 1864 et 1867, chacune des chambres de son Assemblée législative adopta à l’unanimité une longue résolution exprimant ses doléances[26]. Les deux principales objections formulées visaient 1) la bonification accordée à la Nouvelle-Écosse sans que le Nouveau- Brunswick bénéficie d’un ajustement correspondant; et 2) la procédure suivie par les autorités fédérales pour accorder cette bonification.

À cette époque, à s’en fier à la résolution adoptée à l’Assemblée législative, le gouvernement du Nouveau-Brunswick percevait la Confédération comme un pacte entre les quatre provinces fondatrices, dont les termes ne pouvaient être modifiés qu’avec le consentement de toutes les parties. Des auteurs modernes avancent aussi cet argument[27]. La procédure suivie par le Parlement du Canada en 1869 demeura longtemps suspecte aux yeux des représentants de la province[28]. De son côté, la position du gouvernement fédéral, répétée par d’autres chercheurs modernes[29], plaida pour un pouvoir très étendu de modifier la Constitution. Les autorités de Londres entérinèrent alors l’approche du Parlement canadien au détriment des intérêts provinciaux. Ce genre de débats d’une importance considérable pour la nation fut résolu seulement en 1981 avec le Renvoi relatif à une résolution pour modifier la Constitution[30]. L’absence d’une procédure de modification a néanmoins permis au fédéral d’offrir des avantages à la Nouvelle-Écosse sans considération pour les autres provinces.

Avec l’adoption des deux résolutions en 1871, une délégation de députés fut mandatée d’obtenir de meilleures conditions financières pour la province. Une analyse comparative de la situation du Nouveau-Brunswick et de celle de la Nouvelle-Écosse fut réalisée, dont le rapport de 50 pages fut publié en annexe du Journal of the House of Assembly en 1872[31]. Le discours du Trône prononcé à l’ouverture de la session de 1873 rapportait, dans des termes peu élogieux pour la Confédération conclue cinq ans auparavant, que les démarches du gouvernement avaient obtenu peu de succès auprès des autorités fédérales[32]. Un deuxième rapport de la délégation était produit en annexe du Journal of the House of Assembly de cette année[33]. Des discussions s’étalèrent ensuite sur une décennie et une solution partielle fut annoncée seulement en 1880[34]. Finalement, le niveau d’insatisfaction en Nouvelle-Écosse demeura élevé; même en 1886, à la suite des efforts infructueux de sa propre délégation, un parti politique y remporta les élections en défendant une plateforme séparatiste[35].

À première vue, les démarches entamées en 1871 pour de meilleurs accords connurent peu de succès. On peut observer que le gouvernement fédéral mit en place certaines mesures allant dans le sens prôné par le gouvernement du Nouveau- Brunswick, mais elles demeurèrent relativement banales. Par exemple, dans le discours du Trône du 12 février 1874, le lieutenant gouverneur du Nouveau- Brunswick rapporte l’intention du gouvernement canadien d’absorber une plus grande part de la dette de l’Ontario et du Québec, avec un ajustement correspondant pour les autres provinces. Cette mesure allait rapporter annuellement environ 58 000 $ au Nouveau-Brunswick[36]. Au même moment, on annonçait un transfert additionnel de 150  000  $ par an[37] en contrepartie de l’abandon du tarif sur l’exportation du bois protégé par l’article 124 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce sujet avait fait l’objet des discussions menant au traité de Washington[38]. De plus, en 1873, la délégation du Nouveau-Brunswick établie en 1871 avait plaidé en faveur de la prise en charge du lazaret de Tracadie par le gouvernement fédéral[39], en vertu des compétences de celui-ci en matière de quarantaines et de questions d’intérêt national[40]. Le transfert de l’autorité fut effectué au début de la décennie suivante[41]. Par contre, le maintien du transfert spécial prévu à l’article 119 de la Loi constitutionnelle de 1867 était refusé en 1876[42], alors que l’obligation du fédéral d’assumer les coûts de l’incarcération des personnes condamnées en vertu du droit criminel menait à un renvoi à la Cour suprême du Canada, mais sans tenir compte du fait que cette obligation constituait l’une des principales préoccupations du Nouveau-Brunswick[43]. Dans l’ensemble, les efforts menés par le Nouveau- Brunswick ne furent pas plus fructueux que ceux engagés peu après par la Nouvelle- Écosse.

Les premières années de la Confédération donnèrent lieu à plusieurs autres interventions provinciales en opposition à l’exercice des compétences fédérales. Dans certains cas, l’Assemblée législative s’opposa vigoureusement aux actions du Parlement canadien. Par exemple, en 1869, elle s’objecta à ce que les juges de la Cour supérieure du Nouveau-Brunswick reçoivent une rémunération inférieure à celle de leurs homologues de l’Ontario et du Québec[44]. Toujours dans le domaine de l’administration de la justice, concernant une priorité du premier ministre du Canada[45], le projet de créer une cour générale d’appel pour le pays faisait l’objet d’une résolution en Chambre soulevant plusieurs préoccupations[46]. L’année suivante, dans le cadre de discussions au sujet d’un traité international avec les États-Unis sur les pêches (traité de Washington), une autre objection était soulevée : les intérêts de la province du Nouveau-Brunswick n’y étaient pas protégés[47], bien que les Britanniques y aient joué un rôle important[48]. Pour compliquer la situation davantage, de 1872 à 1875, le Parlement du Canada fut abondamment impliqué dans le débat local sur les écoles communes. Son intervention mena à une critique acerbe du Conseil exécutif qui dénonça ces ingérences afin de défendre sa souveraineté en la matière[49]. Le sujet fut repris en 1874 dans une résolution adoptée en réponse à une série de pétitions (inspirées de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867) demandant la reconnaissance d’écoles séparées ou confessionnelles pour les catholiques[50]. Cette résolution s’opposait expressément à un pouvoir d’intervention accru des autorités fédérales dans les champs législatifs provinciaux. Encore en 1883, une résolution alléguait qu’un projet de loi fédéral minait les intérêts provinciaux dans la pêche au saumon dans les eaux sans marées[51]. Manifestement, le gouvernement du Nouveau-Brunswick doutait de la capacité du Parlement du Canada de protéger les intérêts de la province.

Dans d’autres cas, la législature s’est interposée pour affermir son autorité. Ainsi, après qu’une de ses lois[52] fut déclarée invalide par la Cour supérieure parce qu’elle empiétait sur la compétence fédérale en matière de faillite[53], l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick en adopta une nouvelle[54].n plus d’immuniser les actions de ses fonctionnaires contre le prononcé judiciaire[55]. La première loi sur les conseillers de la Reine (en 1873) aurait été une autre initiative pour affirmer la souveraineté provinciale[56]. Dans ces circonstances, il n’est sûrement pas exagéré de conclure que, du point de vue des relations fédérales-provinciales, la première décennie de la Confédération fut tout sauf paisible. La question constitutionnelle ne semble pas avoir reçu une réception très chaleureuse des politiciens du Nouveau-Brunswick; des efforts constants furent engagés par le gouvernement provincial pour protéger les intérêts de la province. Il faut noter, notamment, une longue résolution débattue en Chambre en 1888 et adoptée avec une majorité écrasante[57]. Elle revendiquait quelque 17 changements à la Loi constitutionnelle de 1867, dont une révision importante du processus de nomination des sénateurs (article 4) et de la formule des transferts fédéraux (article 17). Cette initiative suivait une conférence de cinq provinces tenue à Québec en octobre 1887 pour célébrer le 20e anniversaire de la Confédération.

Paradoxalement, en dépit de toutes ces hésitations par rapport à la nouvelle forme de gouvernement, ou peut-être à cause de ces événements, le projet original d’une union entre le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse revint sur le parquet de la Chambre d’assemblée tôt après 1867[58] et régulièrement par la suite[59]. L’objectif était encore de faire contrepoids aux intérêts du centre du pays. L’union des provinces Maritimes est souvent liée aux débats sur la Confédération[60] et même si la force de l’argument fut remise en question en 1927[61]. il continue d’être avancé, surtout par des économistes qui s’intéressent au développement régional[62]. Tous ces débats n’ont pas été complètement vains puisque plusieurs efforts de coopération interprovinciale ont été déployés au fils des ans[63]. Néanmoins, le lien entre la Confédération et l’union des provinces Maritimes est constant et omniprésent, surtout dans une perspective économique, principalement lorsque la région critique les conditions obtenues en 1867. D’ailleurs, le projet d’union des provinces Maritimes refait périodiquement surface lorsque ces provinces sont soumises à des pressions de l’extérieur, en particulier lorsqu’elles doivent expliquer les raisons de leur sous-développement économique.

La marginalisation politique et économique des provinces Maritimes

La marginalisation politique et économique du Nouveau-Brunswick, et généralement des provinces Maritimes, depuis 1867 est relativement bien documentée[64]. Ironiquement, cette conséquence avait déjà été anticipée lors des débats tenus dans la province et menant à la Confédération. En premier lieu, la crainte d’une telle marginalisation avait conduit en 1865 à une défaite écrasante du gouvernement provincial favorable à l’union puis, après les élections générales de 1866, à la demande que des meilleures protections soient incluses dans la Constitution. La situation de la province a évolué dans la direction prévue, mais de façon plus marquée que prévu. Sa représentation à la Chambre des communes a atteint un plancher il y a déjà longtemps (en 1931), et seules les garanties constitutionnelles obtenues après 1867 l’empêchent de diminuer davantage. La chute se produisit rapidement : de 16 députés dans les années 1870, le nombre baissa à 11 en 1921, alors que la taille de la Chambre augmenta de 206 députés en 1874 à 235 en 1921[65].

Entre-temps, le gouvernement du Nouveau-Brunswick invoqua une série d’arguments pour tenter de préserver la position de la province dans les institutions fédérales. L’effritement de la représentation du Nouveau-Brunswick au Parlement du Canada mena à un renvoi devant les tribunaux à la suite du recensement de 1901, qui se solda par une opinion défavorable du comité judiciaire du Conseil privé rendue le 4 novembre 1904[66]. Cette doléance fut ensuite versée dans une longue résolution adoptée à l’unanimité par l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, puis communiquée au gouverneur général[67]. Un remède ne fut apporté qu’en 1915 par une modification constitutionnelle. L’article 51A, ajouté à la Loi constitutionnelle de 1867 après le rejet de deux autres propositions plus généreuses[68], stipule expressément : « 51A Nonobstant quoi que ce soit en la présente loi, une province doit toujours avoir droit à un nombre de membres dans la Chambre des communes non inférieur au nombre de sénateurs représentant cette province.  » Cette condition requiert maintenant le consentement unanime des provinces pour être modifiée[69]. Elle établit à 10 le nombre de députés du Nouveau- Brunswick à la Chambre des communes, alors que l’Île-du-Prince-Édouard en compte 4[70], ce qui est supérieur à leurs poids démographiques respectifs. Au début des années 1990, lorsque le gouverneur général en conseil invoqua son pouvoir spécial de nommer huit sénateurs additionnels pour résoudre l’impasse autour du projet de la Taxe sur les produits et les services, l’article 51A servit de fondement à une autre poursuite judiciaire. L’un des deux sénateurs nommés des provinces Maritimes provenait du Nouveau-Brunswick, ce qui portait à 11 le nombre total de sénateurs de cette province, alors que le nombre de ses députés était toujours de 10. Un jugement de la Cour du Banc de la Reine déclarait l’obligation d’accorder à la province un député additionnel à la Chambre des communes[71], mais il n’allait être d’aucune utilité pratique puisque le nombre de sénateurs revint à 10 peu après, de sorte que l’appel logé par le fédéral fut rejeté comme étant rendu théorique[72]. Une autre modification effectuée en 1985 protège maintenant toutes les provinces contre une réduction de leur nombre de députés[73], mais elle est sans effet au Nouveau- Brunswick puisque sa représentation a atteint son plancher bien avant.

Le déclin de la représentation des provinces Maritimes découle de la chute de leur population par rapport aux autres régions du pays. Pourtant, la croissance démographique au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince- Édouard équivalait approximativement à celle du reste du Canada jusque vers 1880[74] et leur croissance économique était aussi comparable[75]. Une migration des Maritimes vers l’extérieur, « strongly motivated by economic factors[76]», s’accentua alors. Il est difficile de déterminer les causes précises de ce retard économique et l’influence de chacune dans le contexte global, mais la structure constitutionnelle canadienne n’a certainement pas protégé la province contre cette érosion. En fait, la perte de leviers économiques et réglementaires a éliminé une part de la marge de manœuvre dont bénéficiaient les provinces Maritimes pour encourager leur développement industriel. Par exemple, malgré un important coup de barre suscité par l’ouverture du chemin de fer et la Politique nationale, qui visait à diversifier les activités manufacturières, une importante vague de relocalisation d’entreprises vers le centre du pays sévissait aussitôt. Dans d’autres cas, des intérêts du Canada firent l’acquisition d’entreprises locales afin d’en contrôler la production[77]. D’autres exemples rapportés démontrent des politiques nationales au même effet[78] en plus de la concentration des emplois fédéraux en Ontario[79].

L’image de province mendiante

La façon dont la Confédération a été réalisée, puis les conditions obtenues par les provinces de l’Est, ont suscité une vive réaction de leur population. Un sentiment d’injustice y demeure présent, même si leurs habitants se sont résignés à leur situation depuis. Notamment, au Nouveau-Brunswick, les exemples précités d’interventions en opposition à des politiques fédérales révèlent un manque flagrant de confiance envers le gouvernement du Canada. Nous avons aussi relaté les événements survenus en Nouvelle-Écosse à la suite des premières élections canadiennes et provinciales. Les élections de 1886 remportées à l’aide d’un slogan séparatiste sont une autre démonstration de cet état d’esprit. Ainsi, depuis 1867, la revendication de programmes nationaux mieux adaptés à la situation des provinces Maritimes s’est amplifiée à peu près au même rythme que la détérioration de leur situation économique. Cette transformation a eu pour effet que, souvent, les gens de l’extérieur dépeignent la région comme une perpétuelle quêteuse auprès du gouvernement du Canada.

La formation de cette perception a été graduelle, au fur et à mesure que le souvenir des circonstances de l’entrée en vigueur de la Confédération s’est estompé dans la conscience collective. L’histoire a été interprétée en purgeant certains faits ou en leur attribuant un différent caractère[80]. Par exemple, pour obtenir l’union, ce sont l’Ontario et le Québec qui mendièrent auprès des autorités britanniques lorsque leur projet fut généralement rejeté dans les provinces Maritimes. Leurs politiciens durent faire appel à toute l’influence de Londres en leur faveur pour agir sur l’opinion publique du Nouveau-Brunswick au lieu de lui offrir des conditions plus acceptables. C’est surtout par cette ingérence politique que cette province puis la Nouvelle-Écosse se rallièrent finalement à un projet de société leur offrant peu en retour. Sauf pour les historiens de la Constitution, cette version des événements a été pratiquement oubliée des autres provinces, et seules sont enregistrées les nombreuses revendications locales de meilleurs programmes fédéraux. Mais encore là, la transformation n’a pas été immédiate, et son point culminant est survenu dans les années 1920.

1. Maritime Rights Movement (1919-1927)

Le long déclin de la position relative des provinces Maritimes dans l’économie nationale ne s’est pourtant pas fait dans le silence. Le premier mouvement contestataire à se démarquer dans la région, tôt dans le XXe siècle, fut le « Maritime Rights Movement[81]». On estime que toutes les classes de la société maritimienne (industrielle, marchande, professionnelle, agraire et ouvrière) contribuèrent au phénomène. Un facteur important dans la montée de la vague de mécontentement aurait été la décision du gouvernement fédéral de déménager le siège social du chemin de fer Intercolonial dans le centre du pays en 1918 et d’éliminer des tarifs préférentiels applicables au transport des marchandises vers l’ouest. On attribue à ces politiques un impact notable sur l’industrie métallurgique de la Nouvelle- Écosse, notamment[82]. Le symbolisme de ces événements ne peut que frapper l’imaginaire. La construction d’une ligne ferroviaire d’Halifax à Rivière-du-Loup avait été le principal avantage invoqué au Nouveau-Brunswick pour rallier sa population à la Confédération[83]. En retirant du Nouveau-Brunswick le siège social de l’Intercolonial, le gouvernement fédéral envoyait aux provinces Maritimes le message selon lequel la fédération canadienne était, tout compte fait, une union à sens unique, où la région avait tout sacrifié sans aucun bénéfice tangible en retour. Dans ces circonstances, on peut comprendre comment l’enjeu de l’Intercolonial aurait été l’élément déclencheur du réveil populaire. D’autres régions mieux nanties ont eu l’occasion de vivre une situation similaire plus récemment sans l’apprécier davantage[84].

Une certaine grogne avait persisté dans la région après 1867 par rapport à la façon dont la Confédération avait été conclue et à son effet allégué sur la situation économique des provinces Maritimes. Comme nous l’avons observé précédemment, en 1871 puis en 1873 au Nouveau-Brunswick, une délégation désirant obtenir de meilleures conditions financières avait produit des rapports en vue d’engager les autorités fédérales dans des discussions en la matière. Le discours du Trône de février 1873 était allé jusqu’à qualifier la situation d’embarrassante[85]. Une initiative similaire était survenue en Nouvelle-Écosse au milieu de la décennie 1880, sans résultat, contribuant à la résurgence d’un mouvement séparatiste[86]. Cependant, jusque dans les années 1920, ces efforts ne semblent pas avoir rassemblé les trois provinces Maritimes en un seul mouvement.

C’est donc sous le symbole du chemin de fer Intercolonial qu’une nouvelle conscience collective se forma dans la région, rassemblant les forces du Nouveau- Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et, dans une moindre mesure, de l’Île-du-Prince- Édouard. Selon des auteurs, le mouvement prit une telle ampleur qu’il influença la politique partisane sur la scène fédérale. Les principaux partis politiques, peu importe leur couleur, auraient tenté de capitaliser sur ce vent de protestation en s’y associant, ce qui expliquerait en partie les fluctuations considérables dans les résultats régionaux aux élections fédérales de 1921 et de 1925. La stratégie du gouvernement fédéral en réponse à cette effervescence allait être double : d’abord diviser la solidarité locale en offrant des avantages à l’Île-du-Prince-Édouard[87], puis établir la Commission royale sur les réclamations des provinces Maritimes pour étudier la situation et gagner du temps.

2. Commission royale sur les réclamations des Maritimes (1926)

La commission royale mise en place le 7 avril 1926, à la suite du tumulte créé par le mouvement de protestation des provinces Maritimes, était présidée par sir Andrew Rae Duncan; ses deux autres membres étaient l’honorable juge William Bernard Wallace et le professeur Cyrus MacMillan. Son mandat était de mener « an inquiry and examination [...] relative to the conditions and claims of the people of the Maritime Provinces and to make as a result of such inquiry and examination such specific recommendations as [...] would result in affording relief from the conditions complained of[88]». Les doléances en question sont expliquées plus en détail dans le rapport du Conseil privé du même jour[89]. Parmi les principaux éléments soulevés, il y avait les politiques fédérales sur les transferts monétaires, l’exploitation du chemin de fer Intercolonial et l’utilisation des ports de la région : trois enjeux abordés sur la voie de la Confédération.

Dans leur analyse, les commissaires refusèrent d’attribuer exclusivement à la Confédération la responsabilité du retard économique observé dans les provinces Maritimes. Toutefois, ils n’exonérèrent pas le gouvernement fédéral de tous blâmes, préférant plutôt l’excuser d’avoir négligé la région («  the older and well settled communities of the East ») au détriment des autres du fait de l’ampleur du territoire et de la diversité des intérêts sous son administration[90]. L’argument était peu convaincant pour les personnes concernées puisque cet effet avait été prédit avant l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867. Sans surprise, le sujet de l’union des provinces Maritimes était aussi invoqué pour expliquer les difficultés locales, mais le raisonnement fut rejeté. Malgré une gestion frugale, les provinces Maritimes devaient recourir davantage à leurs propres taxes comparativement aux autres provinces[91]. De plus, une certaine attention fut accordée au sentiment d’injustice prévalant dans la région depuis 1867, surtout en Nouvelle-Écosse, dans la foulée des événements relatés plus tôt[92]. Soixante ans après, on semblait finalement accorder une légitimité aux préoccupations formulées à l’époque des grands débats constitutionnels.

De façon générale, le rapport de la Commission constatait la situation défavorable dont souffraient les provinces Maritimes. Plusieurs politiques fédérales identifiées dans le rapport accordaient à ces provinces un traitement moins généreux qu’à d’autres membres de la fédération. Par exemple, les conditions octroyées aux provinces de l’Ouest étaient clairement plus avantageuses[93]. De plus, depuis 1912, l’augmentation des tarifs ferroviaires dans la région avait été de 92  %, comparativement à 55 % ailleurs au pays[94]. À cet égard, le rapport concluait :

On the broader question, however, of the incidence of the existing rates as a whole upon industry and employment in the Maritimes, we have come very definitely to the conclusion that the rate structure as it has been altered since 1912 has placed upon the trade and commerce of the Maritime Provinces, (a) a burden which, as we have read the pronouncements and obligations undertaken at Confederation, it was never intended it should bear, and (b) a burden which is, in fact, responsible in very considerable measure for depressing abnormally in the Maritimes to-day business and enterprise which had originated and developed before 1912 on the basis and faith of the rate structure as it then stood[95].

On reconnaissait que l’objectif du chemin de fer Intercolonial avait été perverti depuis sa création. L’insensibilité de l’autorité réglementaire fédérale à la situation locale était notée avec préoccupation[96]. Un autre problème se rapportait aux activités portuaires. Une bonne portion des biens entrant et sortant du pays transitaient par des installations américaines. On alléguait que les ports de Saint John et d’Halifax n’étaient pas équipés pour la manutention d’un tel volume de marchandises. Par une comparaison symbolique, les commissaires estimèrent que ces ports avaient autant d’importance pour l’intérêt public que les chemins de fer et la voie maritime du Saint-Laurent[97]. À cet égard aussi, ils recommandaient une intervention rapide du fédéral pour mieux adapter ces infrastructures aux développements technologiques en matière de navigation.

Comme pour les démarches des délégations des années 1870 et 1880, il est difficile de mesurer l’influence des diverses recommandations de la Commission. Certains effets peuvent être notés[98], mais non un renversement de la tendance lourde. Néanmoins, les conclusions de l’étude légitimèrent plusieurs des arguments avancés depuis 1867 et pouvaient soutenir les nombreuses doléances de la région à l’endroit des autorités fédérales[99]. En revanche, dans l’esprit d’autres régions, l’exercice de la Commission contribua peut-être à officialiser l’image de provinces mendiantes qu’on s’y faisait du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. Même si les commissaires leur donnèrent raison sur bon nombre des points soulevés, l’opinion publique se retourna contre les plaignants en leur attribuant une attitude défaitiste bien qu’ils aient combattu seuls pour leur propre développement, souvent en opposition au fédéral. Rares étaient les programmes fédéraux dont le fonctionnement n’était pas conçu en fonction des intérêts du centre du pays.

Le programme d’assurance-emploi (1940)

La compétence fédérale en matière d’assurance-chômage ne faisait pas partie du pacte constitutionnel original. Invoquant des pouvoirs généraux comme ceux relatifs à la taxation, le Parlement du Canada adopta néanmoins, en 1935, une loi sur l’assurance-chômage. Cette loi fut aussitôt déclarée invalide par le comité judiciaire du Conseil privé[100]. Dans une série de lettres qui suivirent ce jugement, le gouvernement fédéral demanda aux provinces de consentir à une modification de la Constitution pour lui permettre d’établir un tel programme[101]. En invoquant les dispositions du texte soumis au comité judiciaire du Conseil privé, le premier ministre du Nouveau-Brunswick afficha un scepticisme, affirmant que «  it will naturally affect but a very small percentage of our population because of our relatively small industrialized areas[102]». Il indiqua quand même vouloir étudier la proposition attentivement. Dix jours plus tard, il renvoya la balle à l’Assemblée législative[103]. Une résolution y fut adoptée à l’unanimité le 14 avril 1938. Celle-ci recommanda de ne pas se prononcer sur le sujet avant la publication du rapport de la Commission royale d’enquête sur les relations fédérales-provinciales, établie en 1937[104]. Le gouvernement du Canada revint à la charge après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale[105]. Le premier ministre du Nouveau-Brunswick consentit finalement à la modification constitutionnelle, même si, à son avis, la loi en découlant « n’avantagera qu’une partie relativement faible de notre population, en comparaison des provinces d’Ontario et de Québec, plus fortement industrialisées[106]». Le paragraphe 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867 entra en vigueur peu après et une loi similaire à celle de 1935 fut rapidement adoptée.

Les domaines dans lesquels le Parlement du Canada peut établir des politiques ayant un impact sur l’économie des provinces Maritimes sont définis aux articles 91, 92(10), 92A, 93, 94A et 95 de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans plusieurs champs, une concurrence s’exerce entre les compétences fédérales et provinciales : ce qui appartient à un palier législatif ne peut pas appartenir à l’autre. Il y a aussi des pouvoirs qui sont partagés entre les deux ordres de gouvernement, comme le statuent les articles 92A, 93 (à certaines conditions), 94A et 95. Une troisième catégorie concerne les pouvoirs de taxation, où il n’existe ni concurrence ni superposition et où les seules restrictions sont énoncées dans d’autres parties de la Constitution[107].u celle relative au caractère direct de la taxation provinciale. La plupart des compétences ont les caractéristiques d’un partage de l’autorité législative dans un État fédéral mais leur exercice peut se faire différemment selon les circonstances.

Sauf les programmes ponctuels et spéciaux de développement régional discutés ci- dessous et malgré le pessimisme initial du premier ministre du Nouveau-Brunswick, la compétence fédérale en matière d’assurance-chômage[108] est possiblement la seule à fonctionner naturellement en faveur des régions défavorisées économiquement[109]. À titre d’assurance sociale[110] compensant la perte de revenu et encourageant le retour sur le marché du travail, le programme d’assurance-emploi redistribue la richesse des secteurs économiques où l’activité est stable vers ceux qui sont volatiles et saisonniers. Les travailleurs des industries favorisées contribuent ainsi au soutien de ceux moins chanceux. Au Canada, de façon générale, le programme d’assurance-emploi est avantageux pour les provinces comme le Nouveau-Brunswick, où l’activité ouvrière dépend plus largement d’industries saisonnières[111]. L’acceptation du programme dans la région ne fait aucun doute : il suffit de considérer les résultats dans la région lors des élections fédérales de 1997, après une réforme substantielle restreignant l’accès au programme[112]. Il n’est donc pas surprenant de noter les paroles humoristiques du groupe musical 1755 : « on est pas Québécois / à cause nous autres on est fait comme ça / en Acadie, vive le U.I.C.[113]. » Néanmoins, l’accessibilité aux prestations dépend des paramètres définis par le Parlement du Canada, et les paramètres actuels ne sont pas protégés constitutionnellement.

Le programme d’assurance-emploi et la compétence fédérale en la matière doivent leur existence en bonne partie à la période économique difficile qui les a précédés[114]. Le pouvoir de dépenser du gouvernement du Canada avait déjà mené auparavant à certaines initiatives en ce sens, dont un régime à frais partagés d’assistance aux démunis, mais la situation financière des provinces Maritimes ne leur permettait pas d’y participer pleinement[115]. Proportionnellement, elles en profitaient moins que les autres. Elles auraient préféré une plus grande participation financière du fédéral dans ce genre d’entreprises[116]. Dans le même esprit, il n’est pas surprenant de constater deux interventions récentes du procureur général du Nouveau-Brunswick à la Cour suprême du Canada au bénéfice d’une interprétation large de cette compétence[117]. Deux autres interventions demandaient que l’interprétation des obligations fédérales soit plus sensible aux besoins locaux[118].

alors que la responsabilité du fédéral par rapport aux services destinés aux communautés autochtones a été rappelée dans deux autres[119]. Ces arguments ne sont pas différents de ceux présentés en 1880 au sujet des obligations financières fédérales envers les personnes incarcérées pour contravention au droit criminel[120].

En un siècle, le débat juridique et constitutionnel est demeuré le même. Ainsi, sans remettre en question son attachement à la Constitution, la province n’hésite pas à revendiquer une plus grande contribution des programmes fédéraux par tous les moyens juridiques imaginables. Même s’il est maintenant critiqué comme étant une source de dépendance[121]. le programme d’assurance-emploi demeure peut-être le seul à servir naturellement les intérêts des régions défavorisées au lieu de consolider les endroits déjà mieux pourvus en industries.

Les politiques fédérales de développement régional

Les politiques d’un gouvernement, autant en matière d’affectation des dépenses qu’en matière réglementaire, peuvent avoir un effet sur la distribution des moyens de production économique. En partageant la souveraineté entre deux ordres de gouvernement, la Confédération a retiré aux provinces un segment important des leviers économiques, financiers et règlementaires autrefois à leur disposition. L’utilisation de ces pouvoirs par le gouvernement central sans aucune considération pour les intérêts régionaux et sans mécanismes précis pour leur sauvegarde devait inévitablement favoriser les provinces qui y détiennent le plus d’influence. Évidemment, les Pères de la Confédération s’attendaient à ce que les provinces continuent à travailler à leur propre développement[122], mais celles-ci s’attendaient sûrement aussi à une intervention équilibrée du fédéral. Limiter cette responsabilité aux gouvernements provinciaux risque d’être futile puisque l’impact est forcément restreint aux sphères leur ayant été dévolues par la Constitution. Sans compter qu’une action similaire de provinces mieux nanties minerait rapidement les efforts des plus faibles. Une responsabilité spéciale repose ainsi sur les institutions nationales d’égaliser les opportunités économiques de tous les membres ou du moins de ne pas défavoriser les uns par rapport à d’autres. Le gouvernement du Canada a été lent à réaliser son rôle à cet égard, qui demeure à être pleinement mis en pratique.

Face au déclin économique de la région et aux inquiétudes grandissantes qu’il suscite dans l’opinion publique, des initiatives ont été entreprises afin d’y encourager les investissements et la diversification des industries[123]. Évidemment, l’idée était loin d’être nouvelle et des efforts engagés dans le même sens étaient survenus bien auparavant, surtout sur la scène locale par des concessions importantes aux entrepreneurs[124] ou à des projets spécifiques[125]. Le gouvernement fédéral y participait à l’occasion, mais il n’existait aucune stratégie globale. À partir de 1937, avec le rapport de la commission Rowell-Sirois, le fédéral commença à tenir compte plus attentivement des arrangements fiscaux du pays. Au Nouveau- Brunswick, deux lois générales de 1936 établirent un cadre d’action permettant d’offrir une assistance aux industries[126], puis le conseil consultatif pour le développement économique et industriel (Advisory Board for Economic and Industrial Development) fut établi en 1939 par le premier ministre du Nouveau- Brunswick, suivi de près par le comité sur la reconstruction en 1943 et un bureau de développement des ressources (Resources Development Board) en 1944[127]. Dans les années 1950, les trois provinces Maritimes s’associèrent dans une revendication d’initiatives économiques d’envergure du fédéral dans la région[128]; le premier ministre du Nouveau-Brunswick avait formulé des demandes similaires pendant la Seconde Guerre mondiale, mais sans effet apparent[129]. Une commission royale sur les perspectives économiques du pays fut établie à la même époque. Elle remit son rapport en 1957 en recommandant une intervention du gouvernement du Canada dans la promotion économique des régions[130]. Le rapport mena aux premiers efforts nationaux soutenus de développement régional, déployés dans les années 1960[131].

Parmi les premières mesures établies par le gouvernement fédéral afin d’encourager la croissance du revenu et des emplois dans les zones rurales, il y eut la Loi sur la remise en valeur et l’aménagement des terres agricoles[132], relevant du ministère de l’Agriculture; elle devint la Loi sur l’aménagement rural et le développement agricole (ARDA)[133] en 1966. En 1962, l’Office d’expansion économique de la région atlantique fut aussi établi, dont le mandat était d’étudier les moyens de générer le développement de la région et des projets en ce sens[134]. Sa composition fut augmentée de 5 à 11 conseillers l’année suivante avec l’établissement du fonds d’expansion économique de la région atlantique, d’un montant de 100 millions de dollars[135], augmenté à 150 millions de dollars en 1966[136]. Le ministère de l’Industrie voyait le jour en 1963, chapeautant l’Agence de développement régional, responsable de mener des recherches sur les façons d’accroître le revenu et l’emploi dans les régions désignées à cette fin[137]. Un budget de 50 millions de dollars lui était accordé en 1965 pour contribuer à certains projets[138]. De nouvelles initiatives survinrent en 1966 avec l’établissement du ministère des Forêts et du Développement rural[139] puis la création, sous son autorité, du Fonds de développement économique rural d’un montant initial de 50 millions de dollars[140], mais augmenté aussitôt à 300 millions de dollars[141]. Néanmoins, les activités de l’Office d’expansion économique de la région atlantique auraient été les plus considérables : au cours de ses meilleures années (1965-1969), l’Office aurait dépensé plus d’argent que les autres programmes combinés[142]. Pendant cette période, malgré les divers efforts engagés, aucun ministère n’était voué exclusivement à la promotion du développement régional.

En 1969, peu après l’arrivée au pouvoir d’un nouveau premier ministre, les programmes fédéraux étaient révisés. Cette initiative mena à une réorganisation du gouvernement, qui se traduisit notamment par la création du ministère de l’Industrie et du Commerce[143] et du ministère de l’Expansion économique régionale[144].MEER). Celui-ci devint responsable de la Loi sur les subventions au développement régional[145] puis prit en charge les ententes cadres de développement chapeautant une série d’ententes relatives à des secteurs industriels spécifiques. Le Conseil de développement de la région de l’Atlantique fut aussi établi[146] avec le mandat de conseiller le ministre et de faire des études dans les domaines relevant de son autorité. Un ministère d’État au Développement économique et régional voyait le jour en 1978[147], puis le ministère de l’Industrie et du Commerce devint le ministère de l’Expansion industrielle régionale en 1983[148]. La Loi sur le développement industriel et régional était adoptée cette même année, dont la portée couvrait l’ensemble du pays en fonction de quatre types de districts géographiques[149]. Au début, les efforts déployés par les programmes de développement régional étaient relativement concentrés territorialement, mais à la suite des diverses pressions politiques exercées par les provinces exclues, leur portée s’étendit jusqu’à couvrir presque l’ensemble du pays[150]. De plus, aucune stratégie englobant l’ensemble des activités fédérales ne fut adoptée.

Finalement, la stratégie du gouvernement fédéral pour encourager le développement économique dans les provinces de l’Atlantique changea considérablement en 1987. La portée géographique des programmes existants fit l’objet de nombreuses critiques. L’interaction ou l’intégration entre les efforts fédéraux et provinciaux constituait une difficulté additionnelle devant être prise en compte  : les politiques du gouvernement du Canada pouvaient contrecarrer ou annuler les avantages offerts localement[151]. L’importance d’une collaboration entre les paliers a donc été découverte assez tôt. Toutefois, le défi résidait dans le choix des moyens pour l’accomplir[152]. Des travaux de consultation furent entrepris à l’automne de 1986, à la demande du premier ministre du Canada, dans le but d’établir un programme de développement régional mieux adapté aux besoins de la région atlantique[153]. L’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA) voyait le jour l’été suivant et se voyait confier un mandat axé sur le développement de l’entrepreneuriat et la défense des intérêts locaux à Ottawa[154]. À l’origine, l’organisme allait avoir son propre sous-ministre et un siège social situé à Moncton, au Nouveau-Brunswick, et être doté d’une enveloppe budgétaire de plus d’un milliard de dollars. L’annonce fut bien accueillie dans les provinces concernées et l’organisme existe encore aujourd’hui, bien qu’il ait connu sa part de critiques et de défis. Néanmoins, le principe du développement régional est demeuré populaire au Nouveau-Brunswick, alors qu’il a connu d’importantes fluctuations de l’opinion publique dans les régions mieux nanties, ce qui a influé sur les programmes fédéraux en conséquence : leur pérennité est loin d’être assurée. L’apparente indifférence des autorités fédérales à la situation locale a motivé un expert en développement régional à inviter la population à revoir son attitude dans ses relations avec le centre du pays[155].

Une formule de péréquation dans la Constitution (1982)

Dès le départ, la Confédération avait prévu des transferts du fédéral aux provinces dans le but de les aider financièrement à s’acquitter de leurs responsabilités. En plus de la subvention fixe et de la subvention proportionnelle décrites à l’article 118 de la Loi constitutionnelle de 1867, un transfert annuel de 63  000  $ fut accordé au Nouveau-Brunswick pendant une décennie après l’union[156]. Un montant additionnel pouvait être payable selon l’article 116. En contrepartie, les colonies abandonnèrent leur principale source de revenus et leur pouvoir illimité de taxation au profit du gouvernement fédéral. Ces arrangements motivèrent une partie considérable des objections exprimées dans la province pendant les débats menant à l’union. Ils furent aussi critiqués comme étant insuffisants par le gouvernement du Nouveau-Brunswick après la Confédération. Déjà en 1871, celui-ci demanda que l’assistance soit maintenue après la durée de 10 ans, soit après 1876. Une conférence constitutionnelle de cinq provinces, tenue à Québec en octobre 1887, adopta à l’unanimité 17 résolutions, dont la dernière proposa une modification substantielle à la formule des transferts. Cette résolution, la plus élaborée de toutes, comptait six sous-résolutions, dont la condition que les termes établis ne puissent plus être modifiés unilatéralement par le Parlement du Canada[157]. La plainte fut répétée en 1903 à l’issue de deux nouvelles conférences constitutionnelles traitant également des transferts fédéraux[158]. La formule de 1887 y fut reprise et le caractère inadéquat de l’entente originale fut admis de tous les participants. Ces efforts menèrent finalement à une conférence en octobre 1906 impliquant cette fois les autorités fédérales[159]. Malgré l’optimisme et l’augmentation des subventions[160] qui s’ensuivirent, l’enjeu des transferts est demeuré à l’avant-scène des relations intergouvernementales depuis.

Pierre Elliott Trudeau, devenu premier ministre du Canada en 1968 grâce à sa promotion de thèmes liés à la justice sociale[161], affirma que les disparités entre les économies régionales posaient une menace aussi grande à l’unité nationale que la question linguistique[162]. Au Nouveau-Brunswick, un sentiment local attribue en partie la situation économique existante depuis la Confédération aux politiques fédérales biaisées et centralisatrices. C’est une opinion partagée par plusieurs premiers ministres provinciaux, y compris Richard Hatfield[163], qui était au pouvoir au moment du rapatriement de la Constitution, en 1982. En 1971, lors de la conférence constitutionnelle de Victoria, en Colombie-Britannique, Hatfield rappela à ses homologues le retard économique vécu par sa province au cours du premier siècle de la Confédération. Sa priorité était claire :

À l’heure actuelle, la première et la plus importante préoccupation du Nouveau-Brunswick consiste à établir un cadre d’action. Nous aspirons à une Constitution qui établisse clairement la compétence fédérale quant à l’instauration de normes acceptables de services au sein de notre province, ainsi qu’à l’application des politiques et des solutions qui s’imposent afin de remédier à nos problèmes propres; nous voulons la promesse formelle que la réduction des inégalités régionales sera un objectif national[164].

La Charte de Victoria proposa un principe constitutionnel visant l’élimination des inégalités économiques[165]. mais elle échoua pour des raisons hors du contrôle du Nouveau-Brunswick.

Au cours des débats qui suivirent, le premier ministre Hatfield maintint le cap sur une promesse formelle de réduction des inégalités régionales[166]. À cette fin, contrairement à la position de ses prédécesseurs, il était même disposé à permettre au fédéral d’obtenir une modification constitutionnelle sans l’appui d’une majorité des provinces. Tous les événements liés au rapatriement, des nombreuses conférences à l’élection d’un gouvernement séparatiste au Québec, en passant par la menace d’une action fédérale unilatérale, menèrent en fin de compte à l’adoption de l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui édicte que :

36. (1) Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les législatures, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux, s’engagent à :
a) promouvoir l’égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être;
b) favoriser le développement économique pour réduire l’inégalité des chances;
c) fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.

(2) Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l’engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.

Le premier paragraphe vise tous les paliers gouvernementaux et le second se limite aux autorités fédérales. Celles-ci s’engagent à fournir des fonds pour permettre à toutes les provinces (surtout les plus démunies) d’offrir un niveau de services publics qui soit comparable entre les provinces. Il n’est pas clair s’il s’agit d’une disposition pouvant faire l’objet d’un recours judiciaire[167], mais elle offre un appui moral important au gouvernement du Nouveau-Brunswick dans ses discussions avec son homologue fédéral. L’Assemblée législative de la province a rappelé la valeur de cet engagement, notamment dans une résolution adoptée à l’unanimité le 2 mai 2001[168].

Depuis l’adoption de l’article 36, un article contraignant et ambigu, certaines provinces voudraient le voir consolidé. Rien n’en était dit dans l’entente du lac Meech[169], mais après l’intervention du Nouveau-Brunswick et les circonstances du moment[170], une proposition de révision constitutionnelle plus étoffée fut déposée en 1992 avec l’entente de Charlottetown. Dans le cadre de cette entente, les participants acceptèrent de renforcer l’article 36 avec de nouveaux paragraphes, en plus d’apporter une modification aux termes du paragraphe 2 lui donnant plus de vigueur[171]. Encore une fois, malgré un résultat favorable pour la province, ces efforts furent perdus par le rejet de l’entente lors du référendum national d’octobre 1992.

Comme tel, le programme de péréquation existe officiellement depuis 1957[172], et bien qu’il ait connu plusieurs transformations au fil du temps, il vise à égaliser la capacité fiscale des provinces selon des normes dites nationales. Il s’agit d’un programme financé entièrement par des contributions fédérales. Les fonds sont versés sans condition aux provinces ayant une capacité inférieure de prélever des taxes; sans poursuivre un objectif de développement régional, ces transferts permettent aux provinces et territoires démunis de fournir un niveau de services publics équivalant à celui des autres provinces et, donc, de contribuer à l’activité économique en dépensant ces fonds à leur disposition. Outre les programmes fédéraux de développement régional et d’assurance-chômage discutés précédemment, le régime de péréquation est parmi le plus apprécié des quatre provinces de l’Atlantique puisque, sur la base de leurs recettes brutes, elles en sont les plus grandes bénéficiaires[173]. La formule utilisée pour le calcul des paiements est beaucoup plus élaborée que celle ayant mené aux dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 accordant les transferts aux provinces originales. Bien que la formule ait aussi fait l’objet de critiques[174], cet exemple illustre encore une fois le caractère inadéquat des mesures convenues en 1864 et la perspicacité des principaux détracteurs du projet d’union.

Conclusion

L’information discutée ci-dessus donne suffisamment de munitions pour arguer que la Confédération a eu un impact notable au Nouveau-Brunswick, surtout d’un point de vue politique et économique. Il faut toutefois éviter de tomber dans un piège en concluant que toutes les difficultés économiques actuelles de la province sont dues à la Loi constitutionnelle de 1867 bien que l’encadrement juridique joue certainement en cette matière[175]. D’autres faits connus suggèrent que des transformations technologiques importantes étaient déjà à l’œuvre lorsque l’union des colonies britanniques de l’Amérique du Nord fut conclue, avec toutes les implications techniques, économiques et professionnelles associées[176]. De plus, le contexte international était imprévisible. Néanmoins, en laissant des pouvoirs financiers, économiques et budgétaires importants à un gouvernement central dominé par les intérêts du centre du pays sans contrepoids pour les gouvernements des petites provinces, les Maritimes acceptèrent un acteur politique additionnel (auparavant limité à la Grande Bretagne) sur lequel elles détenaient une influence minimale. Cette situation ne s’est pas améliorée depuis, au contraire.

Pour le Nouveau-Brunswick, le seul avantage évident offert par la Confédération fut la promesse d’un chemin de fer reliant la côte est au centre du continent. Cependant, comme le tracé du chemin de fer que l’on choisit n’était pas avantageux pour la région d’un point de vue concurrentiel, cette promesse servit peu les intérêts de la région, sauf peut-être pour ce qui est des fonds qui y furent injectés lors de sa construction. Le maintien du siège social de l’Intercolonial à Moncton (permettant le contrôle des tarifs selon les besoins locaux et offrant des emplois bien rémunérés) a pu compenser l’inconvénient d’une route plus longue, mais le Nouveau-Brunswick perdit cet avantage avec son déménagement en Ontario. La fin de la construction du chemin de fer, la perte des emplois au sein de la direction et l’élimination des tarifs préférentiels réduisirent à néant le principal argument ayant servi à convaincre les provinces Maritimes de se joindre au projet d’union. Il fallut le mouvement de protestation s’amplifiant à partir de 1919 pour voir le rétablissement d’un bureau régional de l’Intercolonial à Moncton, puis le rapport de la commission Duncan pour obtenir un rajustement des tarifs ferroviaires.

Néanmoins, le gouvernement fédéral s’est engagé sur la voie du développement régional plutôt récemment dans l’histoire du pays. L’impact de ses politiques dans le domaine demeure incertain, mais il est peu probable qu’elles permettent à la situation économique de la région de se rétablir à un niveau comparable à ce qu’il était au moment de la Confédération. De plus, les principaux transferts fédéraux fondés sur une simple formule de calcul au prorata de la population négligent encore les économies d’échelle dont bénéficient les provinces les plus populeuses, principe reconnu par le ministre des Finances du Canada en 1877[177]. Par conséquent, les petites provinces doivent continuer d’utiliser une plus grande portion des subventions leur revenant pour des services particuliers. La solution habituellement proposée selon cet argument consiste à faire renaître l’idée de l’union des provinces Maritimes afin d’en faire une entité plus populeuse et d’empêcher une dispersion des dépenses entre les diverses provinces. Cependant, selon son rapport, la commission royale d’enquête de 1927 n’était pas convaincue des économies pouvant en résulter. En outre, cet argument ignore le contexte culturel particulier du Nouveau- Brunswick, qui compte une population francophone considérable[178]. Si les Acadiens étaient une force politique négligeable en 1867, ce n’est vraisemblablement plus le cas aujourd’hui. L’union comme remède à ce genre de maux constitue donc une option peu réaliste.

Trois événements importants survenus depuis 1867 doivent quand même être notés. D’abord, en 1915, la modification de la Constitution visant à assurer aux provinces un nombre de députés au moins équivalent à celui de leurs sénateurs eut pour effet de diluer le principe de la représentation proportionnelle. Cette protection a su bénéficier au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard. La modification de 1940 accordant au Parlement du Canada la compétence en matière d’assurance-chômage a aussi servi à redistribuer des fonds fédéraux vers les régions dominées par des industries saisonnières et instables. Cela dit, l’équilibre recherché est relativement fragile puisqu’il repose sur les critères d’admissibilité des travailleurs aux prestations, et une simple modification législative à cet égard peut anéantir cette fonction. Finalement, l’inclusion dans la Loi constitutionnelle de 1982 du principe de péréquation a accordé un appui moral important aux parties qui cherchaient à réduire le déséquilibre fiscal entre les provinces. Sur ces trois plans, la situation locale est moins précaire maintenant qu’elle ne l’était au moment de la Confédération, même si le Nouveau-Brunswick demeure marginal dans la formulation des priorités des institutions fédérales. Néanmoins, le cadre organique constitutionnel est resté essentiellement inchangé, de sorte que les relations intergouvernementales sont encore le principal, sinon le seul moyen pour la province de tenter d’influencer les politiques nationales.