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Introduction

Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est caractérisé par des pensées obsessives suivies de compulsions, dont la fonction est de réduire l’anxiété causée par les obsessions. En termes de prévalence, il se place au quatrième rang des troubles mentaux et touche de 1 à 3 % de la population canadienne (Horwath et Weissman, 2000). Les rémissions spontanées sont extrêmement rares (Skoog et Skoog, 1999) et la sévérité des symptômes varie, souvent en réponse à des évènements de vie (Rasmussen et Eisen, 2002). Le TOC est un trouble anxieux invalidant et peut sévèrement affecter le fonctionnement social, familial et professionnel, la qualité de vie et causer une souffrance significative (Aardema, Emmelkamp, et O’Connor, 2005 ; Bobes, González, Bascarán, Arango, Sáiz et coll., 2001 ; Eisen, Mancebo, Pinto, Coles, Pagano et coll., 2006).

Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) basées sur l’exposition avec prévention de la réponse (EPR – Abramowitz, 2006), combinées avec la pharmacothérapie de type antidépresseur (inhibiteurs de recapture de la sérotonine), permettent une amélioration dans 70 % à 80 % des cas (Foa, Franklin et Moser, 2002). Le traitement du TOC combine souvent des procédures d’EPR avec un travail cognitif de remise en cause des croyances dysfonctionnelles. L’application des TCC au TOC a révolutionné la prise en charge de ce trouble et permis une amélioration significative pour les personnes en souffrant. Cependant, près de 40 % des patients refusent l’exposition, s’avèrent résistants ou rechutent (Cottraux, Bouvard et Milliery, 2005).

Dans ce contexte, l’apparition d’approches nouvelles représente un développement prometteur pour la prise en charge du TOC. Cet article passe en revue les bases de preuves pour l’efficacité de nouvelles approches comportementales et cognitives dites de troisième vague basées sur la pleine conscience (Kabat-Zinn, 2009 ; Segal, 2006) et l’acceptation et, plus particulièrement la thérapie basée sur la pleine conscience et la thérapie d’acceptation et d’engagement (Acceptance and commitment therapy - ACT, prononcé « acte », Hayes, Strosahl et Wilson, 1999 ; 2011). Un cas clinique de l’application de l’ACT dans le traitement du TOC présentant certaines particularités illustrera l’intérêt potentiel de cette thérapie.

Les trois vagues des TCC

Les dernières décennies ont vu l’apparition de nouvelles approches issues des TCC collectivement désignées comme représentant une « troisième vague » des TCC (Hayes, 2004). L’EPR qui prescrit d’exposer la personne souffrant de TOC à l’anxiété induite par son obsession tout en l’aidant à se retenir de produire la compulsion est issue de la première vague comportementale focalisée sur l’exposition et l’application des principes de l’apprentissage répondant et opérant. La thérapie cognitive visant la modification des cognitions par la remise en cause des pensées obsessionnelles surévaluées ou dysfonctionnelles représente la deuxième vague. Pour leur part, les approches de troisième vague, basées sur la pleine conscience et l’acceptation, focalisent plus volontiers sur la modification de la relation que l’on entretient avec son expérience intérieure (pensées et émotions) que sur la modification du contenu de cette expérience (pensées ou anxiété). La pratique méditative proposée par la thérapie basée sur la pleine conscience entraîne à la distanciation des pensées afin de pouvoir les recevoir plus sereinement sans s’y attacher outre mesure. Une personne souffrant de TOC pourrait ainsi se détacher de ses pensées obsessionnelles sans remettre en cause leur caractère irréaliste ou les modes de raisonnement contribuant au doute obsessionnel. Cette approche ne prescrit pas formellement d’exposition à l’anxiété induite par les pensées obsessionnelles ni aux stimuli externes générateurs d’anxiété, ce qui la démarque nettement des deux premières vagues de TCC. Une récente méta-analyse suggère que l’entraînement à la pleine conscience aurait une efficacité comparable à la thérapie comportementale et cognitive pour l’anxiété, la dépression et le stress (Khoury, Lecomte, Fortin, Masse, Therien et coll., 2013). Pour le TOC, une série d’études de cas contrôlée rapporte des améliorations de neuf points au questionnaire Y-BOCS et des effets de taille d’environ 0,90 (Wilkinson-Tough, Bocci, Thorne, et Herlihy, 2010). Une étude auprès d’étudiants indique une baisse de 60 % aux scores des questionnaires obsessionnels (Hanstede, Gidron et Nyklicek, 2008).

La théorie des cadres relationnels

Parmi les TCC de troisième vague, l’ACT occupe une place particulière. Elle est basée sur la théorie des cadres relationnels (TCR ; Relational Frame Theory, Hayes, Barnes-Holmes et Roche, 2001), une théorie des processus cognitifs qui élargit l’analyse du langage proposée par B. F. Skinner (1957). Selon la TCR, le langage résulte d’un comportement de mise en relation de stimuli sensoriels, intéroceptifs et symboliques et de la transformation des fonctions de ces stimuli induite par cette mise en relation. Par exemple, la vue d’un loup peut être mise en relation avec la peur ressentie de même qu’avec le son « loup ». Les stimuli ainsi mis en relation peuvent voir leurs fonctions transformées. Le simple son « loup », stimulus à l’origine neutre, pourra acquérir des fonctions d’activation émotionnelle et d’évitement comportemental similaires à celles d’un loup. Selon la TCR, qui s’appuie sur un corpus de résultats expérimentaux (Dymond, May, Munnelly et Hoon, 2010), le langage humain se caractérise par le caractère bidirectionnel et combinatoire de la dérivation de relations, qui le distingue des modes de communication des animaux. Si un humain verbalement compétent apprend directement deux relations, par exemple que l’animal loup est équivalent au son « loup » et que « loup » est équivalent à « wolf », il dérivera quatre relations supplémentaires (soit n2) : 1) que le son « loup » est équivalent à l’animal ; 2) que « wolf » est équivalent à « loup » ; 3) que l’animal loup est équivalent à « wolf » ; et 4) que « wolf » est équivalent à l’animal loup. Ce processus de dérivation de relations conduit à des réseaux dérivés de plus en plus complexes, et est largement involontaire. À l’intérieur de ces réseaux s’opère une transformation des fonctions psychologiques contrôlée par le contexte des relations présentées, les cadres relationnels. Ces cadres peuvent être d’équivalence, d’opposition, de comparaison, de hiérarchie, de perspective ou encore temporels. Ainsi les fonctions d’un stimulus de prime abord neutre, comme un son, une image ou une pensée, pourront se transformer. Quand ces fonctions ont des valences aversives, elles peuvent participer à l’étiologie du TOC et rendre compte du fait que certaines pensées acquièrent d’intenses fonctions aversives, contrôlant des comportements d’éloignement comme des compulsions. La transformation des fonctions verbales serait ainsi un facteur impliqué dans le TOC.

Étiologie et théorie

Selon le modèle de la TCR, les comportements d’évitement induits par la transformation des fonctions des stimuli symboliques, s’ils sont adaptés aux stimuli externes – il est adaptif de s’éloigner d’un loup –, peuvent devenir problématiques quand ils concernent l’expérience intérieure. Les travaux de Wegner et son équipe suggèrent que chercher à supprimer une pensée la multiplie, et peut conduire à la réactivation de l’émotion présente lors de la suppression (Wenzlaff et Wegner, 2000). Quand ces tentatives d’évitement d’expérience se font au détriment des actions que la personne aurait voulu pouvoir engager, elles peuvent devenir source de psychopathologie (Hayes, Wilson, Gifford, Follette et Strosahl, 1996). L’évitement expérientiel serait commun à nombre de troubles psychologiques et modérerait la capacité à réguler ses expériences intérieures, que ce soit à travers des stratégies cognitives, de régulation émotionnelle ou de coping (Boulanger, Hayes et Pistorello, 2010 ; Ciarrochi, Bilich et Godsel, 2010).

Twohig, Moran et Hayes (2007) proposent un modèle d’étiologie du TOC combinant la vulnérabilité biologique, une histoire d’apprentissage favorisant la soumission à des règles arbitraires, et la présentation et le renforcement précoce de cadres relationnels évaluatifs et temporels centrés sur l’évitement des expériences aversives. Ces facteurs conduiraient à la soumission à des règles verbales favorisant l’évitement de l’expérience, un rétrécissement du répertoire comportemental, un appauvrissement des actions valorisées, et un excès de rigidité cognitive. Ainsi s’installeraient des comportements partageant une même fonction d’évitement expérientiel : compulsions, distraction, neutralisation et souci. Leur efficacité à court terme renforcerait les règles verbales d’évitement expérientiel tout en gardant la personne prisonnière de ses stratégies d’évitement expérientiel (Twohig et coll., 2007). Pour le TOC, l’évitement expérientiel prend la forme de tentatives de contrôle ou d’évitement de pensées, autant que de tentative d’évitement de ressentis. Ce modèle rendrait compte des processus biologiques, cognitifs et comportementaux associés au TOC. Il prédit également une comorbidité significative du fait de la non-spécificité cognitive des processus impliqués, comorbidité avérée pour le TOC (Adam, Meinlschmidt, Gloster et Lieb, 2011 ; Ruscio, Stein, Chiu et Kessler, 2010).

Certaines données pourraient appuyer ce modèle. Dans une étude, Abramowitz et collaborateurs (2009) ont validé que les sujets souffrant de TOC présentaient des niveaux d’évitement expérientiel plus élevés, même en contrôlant pour la détresse (Abramowitz, Lackey et Wheaton, 2009). Dans une étude corrélationnelle, l’évitement expérientiel apparaît comme un médiateur de la relation entre expérience adverse dans l’enfance et symptomatologie et croyances dysfonctionnelles du TOC, une fois l’anxiété et la dépression contrôlées (Briggs et Price, 2009). L’évitement expérientiel pourrait représenter un processus transdiagnostique impliqué dans de nombreuses pathologies (Hayes, Luoma, Bond, Masuda et Lillis, 2006). Son intérêt vient non seulement du fait qu’il prédirait divers troubles, mais également parce qu’il semble directement manipulable par intervention thérapeutique (Boulanger et coll., 2010). De ce fait, il pourrait constituer une cible de traitement transdiagnostique permettant de traiter simultanément les comorbidités à travers des protocoles très largement similaires, quel que soit le trouble traité.

La thérapie d’acceptation et d’engagement, aspects cliniques en lien avec le TOC

L’ACT constitue la traduction clinique du modèle décrit ci-dessus. L’ACT vise à contrer l’évitement expérientiel en entraînant la flexibilité psychologique, c’est-à-dire la capacité à persister ou changer de comportement de manière flexible – y compris en présence d’expériences intérieures aversives – afin de pouvoir engager des actions en phase avec ses valeurs personnelles (Hayes, Strosahl, Bunting, Twohig et Wilson, 2004). Pour cela, l’ACT entraîne six processus composant la flexibilité psychologique : la défusion cognitive ; l’acceptation ; le contact avec le moment présent ; le Soi comme contexte ; les valeurs ; et l’action engagée. Ces six processus sont souvent présentés sous la forme d’un hexagone (Hayes et coll., 2004 ; figure 1).

La défusion cognitive correspond à la distanciation d’avec ses pensées, déjà évoquée par Beck comme une stratégie de thérapie cognitive et une étape préliminaire à la remise en cause des pensées dysfonctionnelles (Beck, 1976). Pour l’ACT, cette distanciation est une cible centrale de traitement. Elle permet en elle-même d’interagir différemment avec les pensées et de réduire les comportements problématiques qu’elles induisent, sans qu’il soit nécessaire de remettre en cause leur contenu ou le caractère irréaliste des évaluations dysfonctionnelles. Disputer le contenu des obsessions est notoirement difficile. De plus, chercher à changer le contenu des pensées obsessionnelles ou des évaluations s’y rattachant risque paradoxalement de renforcer l’importance donnée à ce contenu. L’acceptation entraîne à consentir à faire l’expérience des ressentis inconfortables ou douloureux quand chercher à les éviter s’avère inefficace ou fait obstacle aux actions valorisées. Les personnes souffrant de TOC engagent souvent leurs compulsions par refus de ressentir de l’anxiété et les entraîner à accueillir la totalité de leur expérience intérieure pourrait s’avérer bénéfique. Le contact avec le moment présent permet d’élargir son attention pour englober l’ensemble de son expérience de l’instant et non plus les seules pensées obsessionnelles et ressenties inconfortables. Cette capacité, proche de la pleine conscience, peut s’avérer utile pour des personnes dont l’attention est souvent restreinte à leurs obsessions. Le Soi comme contexte aide à contacter un sens de soi stable et flexible, qui, plutôt qu’être défini par le contenu des obsessions, de son histoire personnelle ou de conceptualisations rigides, correspond à l’expérience d’avoir toujours été présent au travers des situations, états et rôles changeants. Les valeurs invitent la personne à choisir les qualités qu’il serait important pour elle de pouvoir incarner à travers ses actions. Elles peuvent offrir une base pour engager des comportements fondés sur « ce que ferait la personne que je veux être », permettant de choisir librement des actions chargées de sens personnel pouvant remplacer les compulsions. Enfin, l’action engagée représente la traduction comportementale observable des processus précédents. En choisissant d’agir comme la personne qu’elle veut être, la personne souffrant de TOC s’engage sur la voie d’une vie sous le contrôle appétitif de ses valeurs, représentant une solution de rechange viable à long terme à une vie vécue sous le contrôle aversif de son anxiété et de ses obsessions.

Une des principales spécificités de l’ACT réside dans la facilitation de la transition des comportements vers le contrôle appétitif. Les procédures d’exposition en TCC prescrivent couramment de rester au contact des stimuli anxiogènes jusqu’à une baisse de 50 % de l’anxiété. Les interventions de « restructuration cognitive » invitent le client à trouver des pensées alternatives à ses pensées ou évaluations dysfonctionnelles. De la perspective de l’ACT, ces approches qui visent à aider les personnes souffrant de TOC à s’éloigner de leur anxiété ou de leurs obsessions courent le danger de garder la personne sous le joug du contrôle aversif. Quand l’objectif même de la thérapie est de s’éloigner de ce qu’on ne veut pas penser ou ressentir, cela pourrait paradoxalement nourrir l’évitement expérientiel et favoriser les rechutes (Webster, 2014).

Figure 1

L’hexaflex et les six processus de flexibilité psychologique

L’hexaflex et les six processus de flexibilité psychologique

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La flexibilité psychologique vise un meilleur fonctionnement de la personne dans ses différents contextes de vie plutôt que la réduction des symptômes. Elle réduit l’importance fonctionnelle du symptôme en éliminant sa fonction d’obstacle aux actions valorisées. Plutôt que de consacrer son temps et son énergie à rechercher une baisse de l’anxiété ou la réduction des pensées obsessionnelles, la personne souffrant de TOC est invitée à se réorienter par l’action en direction de ce qui lui est important dans la vie. En termes plus techniques, l’ACT vise à libérer la personne des pièges du fonctionnement normal du langage. Pour cela, l’ACT vise à réduire l’évitement expérientiel en remettant en cause le contrôle excessif du comportement par des règles verbales rigides sous le contrôle aversif des pensées obsessionnelles et de l’anxiété afin de faciliter les comportements sous le contrôle de règles verbales flexibles et appétitives (les valeurs).

Des données probantes sur l’ACT dans le traitement de troubles anxieux et de l’humeur et de divers troubles fonctionnels comme la douleur chronique ont fait l’objet de méta-analyses suggérant une efficacité équivalente à la TCC classique (Öst, 2008 ; Powers, Zum Vorde Sive Vording et Emmelkamp, 2009). Pour le TOC, les données sont à ce jour limitées à un essai randomisé contrôlé comparant l’ACT à la relaxation musculaire progressive (Twohig, Hayes, Plumb, Pruitt, Collins et coll. 2010) dans lequel l’ACT s’est montré supérieur à la relaxation progressive (50 % vs 15 % de réponse et un effet de taille de 0,84 pour la condition ACT), une étude à ligne de base multiple sur 6 patients (Twohig, Hayes et Masuda, 2006), un essai ouvert de prise en charge en groupe pour patients souffrant du TOC, ayant été résistants ou ayant rechuté après un ou plusieurs traitements (Schoendorff, Putois, Mollard et Barnel, 2009) et un essai ouvert avec trois adolescents (Armstrong, 2012).

Le modèle de la matrice

Le modèle de la matrice (Polk et Schoendorff, 2014 ; Schoendorff, Grand et Bolduc, 2011) représente un développement de la technologie clinique ACT dont le but est d’entraîner la flexibilité psychologique en invitant les patients à pratiquer le tri entre deux discriminations figurées par deux lignes perpendiculaires (figure 2). Sur l’axe horizontal sont situées à gauche les actions engagées pour s’éloigner de ce que l’on ne veut pas penser ou ressentir (l’évitement expérientiel) et à droite les actions engagées pour s’approcher de ce qui est important (les actions valorisées). Un axe vertical invite à discriminer entre expérience des cinq sens et expérience mentale ou intérieure. Les actions d’approche ou d’éloignement font partie de l’expérience des cinq sens, mais elles prennent place dans le contexte de l’expérience intérieure de l’individu, figurée sous la ligne horizontale, et qui peut se discriminer entre expérience aversive (ce que l’on ne veut pas penser ou ressentir) et expérience appétitive (les personnes ou les choses importantes, ce vers quoi on veut avancer).

Trier selon l’axe vertical (cinq sens/mental ou intérieur) pourrait s’avérer utile pour réduire la confusion action-pensée souvent présente dans le TOC (Shaffran et Rachman, 2004). Trier selon l’axe horizontal (s’approcher/s’éloigner) pourrait permettre d’augmenter les actions sous contrôle appétitif et réduire les actions sous contrôle aversif.

Notre équipe à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal mène actuellement une étude randomisée contrôlée (N = 46) comparant l’ACT avec l’approche basée sur les inférences (O’Connor et Aardema, 2011) pour le traitement du TOC. Le manuel de la condition ACT est une adaptation intégrant la matrice du manuel utilisé par Twohig et collaborateurs (2006 ; 2010). Il est offert par courriel auprès du premier auteur.

Figure 2

La matrice ACT

La matrice ACT

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Nous présentons ci-dessous un cas issu de cette étude et illustrant comment l’ACT peut permettre de transformer la vie d’un patient souffrant de TOC en modifiant les fonctions verbales des comportements, sans remettre en cause le contenu des pensées ni chercher à faire baisser son anxiété.

Étude de cas

Monsieur M. est un homme d’une soixantaine d’années issu d’une famille ayant subi les violences génocidaires de la première moitié du xxe siècle européen. Il souffre d’obsessions envahissantes concernant la santé et la sécurité de ses proches. Il est assailli d’images violentes où il les voit victimes d’atroces sévices et tortures. Il rapporte également des pensées obsessionnelles très anciennes autour de ses capacités personnelles qui l’ont amené à renoncer à des études plus poussées et à se mettre en retraite anticipée de son métier de professeur. Il est enfin persuadé que ses capacités cognitives diminuent de manière significative. Lors de l’évaluation initiale par un évaluateur indépendant, il a reçu un diagnostic de TOC selon le Structured Clinical Interview for DSM-IV Clinical Version (SCID-I/CV ; First, Spitzer, Gibbon et Williams, 1996) et son score au Y-Bocs (Goodman, Price, Rasmussen, Mazure, Delgado et coll., 1989 ; Goodman, Price, Rasmussen, Mazure, Fleischmann et coll., 1989 ; traduction française : Mollard, Cottraux et Bouvard, 1989) est de 9, soit un TOC léger (entre 8 et 15). Malgré son score léger au Y-Bocs, Monsieur M. fait état d’une forte souffrance. Malgré le contenu de ses obsessions, il ne souffre pas de trouble de stress post-traumatique. Il a essayé plusieurs approches pour se débarrasser de ses obsessions, y compris la thérapie cognitive et comportementale, la médication (anxiolytiques et antidépresseurs) et la méditation. Mais rien ne semble avoir soulagé sa souffrance.

À la deuxième rencontre, nous avons présenté la matrice à Monsieur M. et ensemble avons trié son expérience du TOC dans les quatre quadrants. Puis nous avons invité Monsieur M. à noter quotidiennement et pour le reste de la thérapie une action engagée pour s’éloigner de ce qu’il ne voulait pas penser ou ressentir, et une action engagée pour s’approcher d’une chose ou d’une personne importante. En d’autres termes, nous l’avons invité à pratiquer un tri sur l’axe horizontal de la matrice. À la rencontre suivante, nous l’avons invité à évaluer l’efficacité de ses actions pour s’éloigner de l’anxiété et de ses obsessions sur trois dimensions : court terme, long terme et au regard de leur efficacité pour avancer en direction de ce qui est important pour lui. Cette analyse a fait ressortir que ses comportements compulsifs étaient efficaces à court terme pour s’éloigner de ce qu’il ne voulait pas ressentir, mais qu’ils n’avaient aucun effet à long terme. En revanche, tous, sauf éviter, lui permettaient d’avancer en direction de ce qui était important pour lui (voir figure 3). Il s’agit d’un profil atypique pour une personne vivant avec un TOC. Les compulsions de Monsieur M. consistaient à courir, écouter de la musique, téléphoner à ses filles ou ses amis, faire des mots croisés, lire, faire la cuisine ou changer d’activité. Ces comportements compulsifs n’avaient pas le caractère répétitif et stéréotypé souvent rencontré dans le TOC. Cependant, du fait qu’ils étaient engagés de façon compulsive et dans le but de faire baisser l’anxiété accompagnant des pensées obsessionnelles concernant de possibles sévices physiques envers ses filles, Monsieur M. répondait aux critères diagnostiques du TOC. Par ailleurs, dans le TOC, les compulsions empêchent souvent de s’approcher des choses ou des personnes importantes, comme quand elles prennent tant de temps et sont tellement bizarres qu’elles rendent difficiles les relations avec les proches. La réduction de leur fréquence est alors une condition de l’amélioration clinique. Dans le cas de Monsieur M., ces comportements compulsifs pouvaient servir des buts valorisés plutôt que des buts d’évitement d’expérience. Nous avons choisi ce cas car il peut illustrer l’intérêt d’une approche qui ne remet pas en cause les pensées, ne prescrit pas l’exposition et permet à des actions engagées compulsivement pour réduire l’anxiété d’être transformées dans leurs fonctions psychologiques tout en restant apparemment similaires.

La consultation suivante a été dévolue à introduire et pratiquer la discrimination entre expérience mentale ou intérieure (pensées, images, sensations corporelles) et expérience des cinq sens, soit l’axe vertical de la matrice. Après avoir souligné que l’expérience des cinq sens n’est ni plus ou moins réelle que l’expérience intérieure ou mentale, simplement qu’elle est différente, nous avons invité Monsieur M. à s’entraîner à reconnaître cette différence. Son deuxième exercice quotidien pour le reste de la thérapie a été de pratiquer ce tri pendant une minute. Monsieur M. a apprécié cet exercice et a rapporté qu’il lui a été très utile.

Au moyen de divers exercices expérientiels et de métaphores, les deux rencontres suivantes (5 et 6) ont permis d’explorer la futilité de chercher à contrôler pensées et émotions, autant que l’inévitabilité du projet du contrôle de l’expérience porté par l’intelligence verbale. Nous avons présenté l’acceptation comme une alternative possible au contrôle de l’expérience intérieure tout en mettant Monsieur M. en garde contre la probabilité que son intelligence verbale cherche à l’utiliser une ultime stratégie de contrôle pour se défaire de ses obsessions et de son anxiété. Il a reconnu avoir pratiqué la méditation dans ce but.

Figure 3

L’analyse de l’efficacité des actions d’éloignement de Monsieur M. avec la matrice (CT = efficacité à court terme, LT = efficacité à long terme, I = efficacité pour s’approcher des personnes ou choses importantes)

L’analyse de l’efficacité des actions d’éloignement de Monsieur M. avec la matrice (CT = efficacité à court terme, LT = efficacité à long terme, I = efficacité pour s’approcher des personnes ou choses importantes)

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Les rencontres 7 à 10 ont été centrées sur la pratique de la défusion cognitive, c’est-à-dire la capacité de se distancer des pensées sans chercher à les changer, tout en identifiant ce que les pensées incitent à faire. Parmi les exercices de cette phase, désobéir délibérément aux pensées en invitant par exemple à faire venir la pensée « je ne peux pas me lever » et à se lever aussitôt. Autre exercice : s’exercer à préfacer ses pensées des mots : « j’ai la pensée… ». Monsieur M. a également été invité à identifier ses « hameçons » et ce qu’il fait ensuite. Les hameçons représentent toute expérience intérieure – pensée, émotions, ressentis, images, conception de soi ou de son histoire – qui, si l’on y « mord » peut « tirer » vers des actions d’évitement expérientiel. Nous avons signalé à Monsieur M. que si les poissons savaient reconnaître les hameçons, il leur suffirait de passer leur chemin, sans avoir besoin d’éliminer ou de changer les hameçons d’aucune manière.

Les rencontres 11 à 14 ont permis à Monsieur M. de contacter un sens de soi indépendant de ses expériences de vie et de ses conceptions de lui, et de faire l’expérience du « soi observateur ». Depuis cette position d’observateur, grandement facilitée par l’adoption du point de vue de la matrice qui invite à observer tant les contenus de son expérience intérieure que ses actions, des exercices de prise de perspective ont été proposés visant à augmenter la capacité de Monsieur M. à recevoir son expérience intérieure avec moins de peur et de dégoût et plus de compassion.

Les rencontres 15 à 17 ont mis l’accent sur les valeurs. Dans un premier temps, le lien entre valeurs et souffrance a été exploré en aidant Monsieur M. à observer que sa souffrance était inséparablement liée aux personnes et choses importantes pour lui : sa famille, ses amis, ses proches, sa contribution à la communauté, ses racines et sa santé. La seule manière de ne plus faire l’expérience de cette souffrance serait de ne plus attacher d’importance à ses personnes ou domaines de vie. À la question de savoir s’il serait disposé à faire un tel choix, Monsieur M. choisit fermement de garder sa souffrance afin de pouvoir conserver l’importance de ces personnes et domaines de vie. Cet exemple illustre comment l’ACT peut aider à réduire les fonctions aversives de la souffrance par transfert de certaines des fonctions appétitives des valeurs.

La dernière partie de la thérapie (rencontres 18 et 19) s’est centrée sur la notion de choix des valeurs par l’action à l’aide de divers exercices. Les trois dernières rencontres ont permis un retour sur l’ensemble de la thérapie, de passer en revue les outils les plus utiles et d’établir des stratégies de maintien en cas de rechute.

Au cours de la thérapie, le changement le plus notable a été que Monsieur M. a progressivement pu classer ses comportements à l’origine compulsifs : courir, écouter de la musique, téléphoner à ses filles ou ses amis, faire des mots croisés, faire la cuisine, de plus en plus fréquemment comme des comportements engagés pour s’approcher de l’important. Interrogé sur le rôle des obsessions et de l’anxiété dans le déclenchement de ces comportements, il nous a répondu que les obsessions et l’anxiété jouaient un rôle de moins en moins important, même si elles étaient toujours présentes. Interrogé sur la différence observée, il a décrit qu’il accueillait dorénavant ses pensées et ressentis comme des « enfants malades » qu’il pouvait valider, mais sans plus les laisser contrôler son comportement. En termes techniques, des comportements qui avant la thérapie étaient contrôlés par des contextes verbaux aversifs (anxiété et obsessions) sont graduellement passés sous le contrôle de contextes verbaux appétitifs (ses valeurs et les personnes importantes pour lui). Même si les actions observables étaient largement les mêmes, leur qualité vécue était différente et cette différence s’est reflétée par exemple dans l’approfondissement de ses relations avec sa famille et ses proches. Ces résultats sont maintenus à six mois de suivi et Monsieur M. a même repris une activité d’enseignement à mi-temps alors qu’il avait quitté l’enseignement pour s’éloigner de son anxiété et de ses obsessions.

Résultats

En termes de mesures cliniques, le score de Monsieur M. au Y-Bocs est passé de 9 à l’évaluation pré-traitement à 7 à mi-traitement (après 10 consultations de thérapie) et à 2 au post-traitement, soit une réduction quasi complète des symptômes de TOC. Ce résultat s’est maintenu au suivi à 9 mois. Pour ce qui est des mesures auto-administrées, le score à l’inventaire de dépression de Beck 2 (Beck, Steer,et Carbin, 1988 ; Bourque et Beaudette, 1982) est passé de 15 (pré) à 20 (post) et 6 au suivi à 9 mois. Le score à l’inventaire d’anxiété de Beck (Beck, Epstein, Brown et Steer, 1988 ; Freeston, Ladouceur, Thibodeau, Gagnon et Rheaume, 1994), de 12 (pré) à 22 (post) et 8 au suivi à 9 mois. Compte tenu de l’augmentation significative de son score à ses deux questionnaires pré-post, nous avons invité Monsieur M. à les repasser au suivi à six mois. Son score de dépression était alors de 15 et celui d’anxiété de 11. Le score au questionnaire d’acceptation et d’action (AAQII-7 items Bond, Hayes, Baer, Carpenter, Guenole et coll., 2011) est passé de 46 (sur un maximum possible de 49) à 29 et 18 au suivi à 9 mois (un score plus élevé représentant une plus faible flexibilité psychologique). Le score au questionnaire de fusion cognitive (Gillanders, Bolderston, Bond, Dempster, Flaxman et coll., sous presse) est passé de 55 à 48 à 36 au suivi à 9 mois. Le score au questionnaire des actions valorisées (Smout et Davies, 2011), de 23 à 27 à 35 au suivi à 9 mois. Le score au questionnaire de pleine conscience MAAS (Brown et Ryan, 2003) est passé de 40 à 43 et 48 au suivi à 9 mois. Le score au questionnaire de compassion pour soi version courte (Raes, Pommier, Neff et Van Gutch, 2011), de 31 à 39 et 45 au suivi à 9 mois.

Monsieur M. a progressé sur les mesures des processus ciblés par l’ACT : flexibilité psychologique, fusion cognitive, action valorisée, pleine conscience et compassion pour soi, avec la plus grande progression observée pour la flexibilité psychologique. Les mesures de dépression et d’anxiété ont toutes deux augmenté en post avant de baisser de manière significative au suivi à 9 mois, ce qui pourrait apporter du soutien au postulat de l’ACT selon lequel la flexibilité psychologique est un processus distinct et pourrait précéder la baisse des symptômes dépressifs et anxieux.

Discussion

Dans cet article, nous avons choisi d’illustrer le traitement du TOC par le cas atypique d’une personne présentant un TOC léger et dont les compulsions représentaient également des actions potentiellement valorisées. Courir pour éloigner de lui les images de torture de ses filles, une de ses principales compulsions, était également une action valorisée en direction de sa santé. Téléphoner à ses filles pour s’assurer de leur sécurité physique, une autre de ses principales compulsions, pouvait devenir une action importante en vue d’entretenir la relation avec elles. Dans ce contexte, lui suggérer ne pas engager ses compulsions aurait pu s’avérer difficile et peut-être inacceptable. En revanche, l’inviter à simplement observer s’il courait ou téléphonait pour s’éloigner de ses pensées et ressentis ou pour s’approcher de sa santé ou de sa relation avec ses filles s’est avéré naturel et aisé. Aucune prescription d’exposition aux obsessions ni remise en cause des cognitions dysfonctionnelles ne s’est avérée nécessaire au succès du traitement. La transition des mêmes comportements de compulsions (comportements sous contrôle aversif de l’anxiété et des obsessions) en actions valorisées (comportements sous le contrôle appétitif des valeurs) suggère le potentiel d’une approche comme l’ACT qui cible les fonctions verbales plutôt que les contenus de l’expérience intérieure. L’augmentation importante de son score de flexibilité psychologique, ainsi que, dans une moindre mesure, son score de compassion pour soi et la baisse de son score de fusion cognitive semblent soutenir l’intérêt d’approches ne visant pas tant le contenu de l’expérience intérieure que la relation que l’on entretient avec ce contenu. Dans le cas de Monsieur M., la transformation de sa relation avec son expérience intérieure s’est accompagnée dans un premier temps d’une augmentation de l’intensité de son expérience intérieure aversive telle que mesurée par les inventaires de dépression et d’anxiété de Beck. Cependant, la réduction substantielle des compulsions, démontrée par le très bas score au Y-Bocs et confirmée par les entretiens de suivi où il déclare ne plus engager de compulsions, démontre l’efficacité de l’intervention en termes de changement comportemental. De plus, la reprise d’une activité d’enseignement à mi-temps et la réduction des évitements indiquent une augmentation significative de son fonctionnement général, malgré l’anxiété et le ressenti dépressif. Enfin, au suivi à 9 mois, on constate une baisse très importante de l’anxiété et de la dépression.

Bien qu’il reste à démontrer que les approches de troisième vague telles que l’ACT puissent être adaptées à toutes les personnes souffrant de TOC, elles apparaissent prometteuses de bons résultats et semblent bien acceptées par les clients (Twohig et al., 2010 ; Schoendorff et al., 2009). Un des intérêts de l’ACT vient du fait, comme c’est le cas ici, qu’elle pourrait ne pas requérir d’exposition pour réduire de manière importante les compulsions et la souffrance causée par les obsessions. De ce fait, elle pourrait participer à réduire les taux de refus ou d’abandon de traitement qui restent élevés pour l’EPR. Pour autant, les approches de troisième vague ne constituent pas, en l’état, des avancées permettant de dépasser les TCC classiques dans la mesure où, à ce jour, leurs résultats cliniques apparaissent équivalents à ceux de la TCC classique (Hayes et coll., 2006 ; O’Connor et coll., 2005 ; Ost, 2008 ; Powers, Zum Vorde Sive Vording et Emmelkamp, 2009 ; Pull, 2009 ; Khoury et coll., 2013). Le recueil d’une plus grande base de données probantes est nécessaire avant qu’elles puissent être considérées comme pleinement équivalentes à la TCC classique dans le traitement du TOC. Notons enfin, pour ce qui est de l’ACT, que des critiques ont été émises concernant les faiblesses méthodologiques de certaines études (Öst, 2008) et qu’il serait important de conduire de nouvelles études présentant de meilleures garanties méthodologiques, comme celle que conduit notre équipe.