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Introduction

Aujourd’hui, « l’information [est devenue] la matière première et le produit-clé des sociétés contemporaines développées » (Fondin, 1998 : 17). Elle est reconnue comme une ressource essentielle dans les organisations au même titre que les ressources matérielles, financières et humaines. Les technologies de l’information sont omniprésentes. On parle de société de l’information, de gestion des connaissances, de gestion du savoir et, bien sûr, de gestion de l’information. L’importance de l’information est telle que certains auteurs considèrent que « les futurs historiens tomberont probablement d’accord sur le fait que dans la fenêtre temporelle 1995-2010, l’organisation de l’information et de la connaissance a pris le pas sur l’organisation des infrastructures physiques pour devenir le moteur premier de la richesse, de la culture et du pouvoir » (Lesley et Macarez, 2001 : 117).

Toutefois, même si l’on entend fréquemment parler de gestion de l’information et que l’on comprend intuitivement ce que cela signifie, il n’est pas facile pour autant de se faire une idée précise de la réalité que cette expression traduit. Qu’est-ce que l’on entend par gestion de l’information ? De quoi s’agit-il au juste ? De technologies ? De contenus ? De systèmes ? De documents ? De tous ces aspects à la fois ?

Pour répondre à ces questions, le premier réflexe est de chercher une définition de la gestion de l’information. Mais qu’en est-il de ces définitions ? Sont-elles à même de traduire la réalité conceptuelle de la gestion de l’information ? Comment le vérifier ? Comment obtenir une vision complète ?

Le but de cette note de réflexion est de procéder à l’analyse de définitions afin de déterminer, puis de valider, les caractéristiques de la gestion de l’information. Pour ce faire, différentes sources, principalement en format électronique, seront utilisées (dictionnaires, glossaires, thésaurus, vedettes-matière, moteur de recherche) et notre démarche comprendra cinq étapes.

Après avoir précisé, dans un premier temps, le sens des termes gestion et information, il s’agira deuxièmement de réunir différentes définitions de la gestion de l’information ou de son équivalent anglais information management. Déjà, à ce stade, nous verrons que cette comparaison met en évidence un ensemble de caractéristiques qui, autrement, ne sont pas forcément prises en considération. D’autre part, cela permet également d’apporter des précisions terminologiques, de mieux comprendre la place qu’occupe la gestion de l’information dans l’univers de l’information et de souligner sa nature interdisciplinaire. En effet, comme nous le verrons lors d’une troisième étape en utilisant les dictionnaires normalisés que sont les thésaurus, l’interdisciplinarité est une dimension importante de la gestion de l’information.

Les définitions de la gestion de l’information ayant été vérifiées à l’aide des thésaurus, il sera nécessaire, dans un quatrième et un cinquième temps, de poursuivre la validation des caractéristiques de la gestion de l’information à l’aide de deux autres outils : les catalogues de bibliothèque et les moteurs de recherche.

Pourquoi ces deux outils ? Pour ce qui est des catalogues de bibliothèque, il y a au moins deux raisons. D’abord, parce que les bibliothèques, surtout celles rattachées à des écoles ou des programmes en gestion ou en sciences de l’information, cherchent à développer des collections qui soient les plus complètes possible. Elles sont donc représentatives de l’état de la situation dans le domaine. Ensuite, parce que les vedettes-matière, le langage documentaire qui sert à exprimer le sujet des documents, offrent la possibilité de dresser un portrait des plus justes de la réalité conceptuelle que traduit la réalité documentaire.

En ce qui concerne les moteurs de recherche, Google en l’occurrence, leur apport est précieux. À condition, bien sûr, de ne pas perdre de vue que leurs capacités sont limitées. Le Web invisible étant là pour le rappeler. Néanmoins, dans la mesure où Internet est aujourd’hui un immense carrefour où se rencontrent les offres, produits ou services d’un nombre phénoménal d’organisations de tous les milieux, l’utilisation d’outils de recherche, comme Google ou d’autres, est des plus intéressantes. Ils fournissent, en une fraction de seconde, une image de la réalité qui auparavant aurait été longue et difficile à obtenir. Image certes non dénudée d’imperfections, de distorsions, mais qui toutefois présente une vision globale des choses dans un domaine particulier. Ainsi, tout en venant confirmer les caractéristiques mises en évidence par les définitions et les descripteurs des thésaurus, le bilan des résultats obtenus grâce aux vedettes-matière et au moteur de recherche Google indiquera des aspects non considérés jusqu’alors.

En d’autres termes, vouloir cerner la réalité conceptuelle de la gestion de l’information implique nécessairement de faire appel à plusieurs sources différentes. De la sorte, nous aurons l’occasion en conclusion d’en tirer des considérations des plus enrichissantes tant en ce qui concerne la définition de la gestion de l’information que pour les programmes d’enseignement de cette discipline.

1. Gestion et information : précisions terminologiques

Avant d’examiner ce que l’on veut dire par « gestion de l’information », il importe de préciser le sens des deux termes en présence : « gestion » et « information ».

Par gestion, l’on signifie la « mise en oeuvre de tous les moyens humains et matériels pour atteindre les objectifs de l’entreprise » (Office québécois de la langue française, 2004). En effet,

[…] gérer, n’est-ce pas, dans les faits, assurer le développement d’une organisation, en mettant à contribution des ressources et en planifiant, en dirigeant, en contrôlant et en évaluant leur utilisation dans le cadre de la réalisation de programmes, de projets et d’activités nécessaires à l’accomplissement de sa mission, à l’atteinte de ses objectifs et à la livraison des biens et services qu’on attend d’elles.

Couture et Grimard, 2003 : 59

Quant au concept d’information, il importe de faire une distinction entre son utilisation dans le langage courant et en science de l’information. « Le terme information possède, dans le langage courant, un sens qui le rapproche des termes renseignement, connaissance, nouvelle, etc. » (O’Leary et O’Leary, 2001 : 4). Alors que, dans le contexte de la science de l’information, sa signification est différente. « L’information est une connaissance inscrite (enregistrée) sous forme écrite (imprimée ou numérisée), orale ou audiovisuelle », comme le précise Le Coadic (1997 : 8). Il est à noter que cette dernière définition correspond à l’étymologie du terme information. « Quant au mot information, au sens étymologique du mot « in-former » signifie « donner une forme », or la matière première à mettre en forme est bien la connaissance » (Fayet-Scribe, 1997).

Gestion et information. Si l’on tente de faire une synthèse et d’unir les deux termes en présence, la gestion de l’information consisterait en la mise en oeuvre des moyens (ressources) pour que la connaissance inscrite sous une forme puisse permettre d’atteindre les objectifs de l’entreprise. Voyons dans quelle mesure ce sont là des éléments déterminants de la définition de la gestion de l’information.

2. Les définitions de la gestion de l’information

Comment définit-on la « gestion de l’information » (information management en anglais) ou le « management de l’information », comme on l’appelle aussi en France depuis la fin des années 1990 ? Pour répondre à cette question, nous avons réuni dans un tableau dix définitions (tableaux 1a, 1b) en faisant ressortir pour chacune d’entre elles les principaux éléments qu’elle contient. Soulignons que notre objectif n’est pas ici de déterminer une meilleure définition parmi celles-ci, mais de mettre en évidence les principales composantes de la réalité conceptuelle que l’on cherche à cerner. Quant au choix des définitions, nous avons retenu les plus significatives en prenant soin d’obtenir un ensemble de sources des plus diversifiées. Nous n’avons pas exclu une certaine redondance dans la mesure où celle-ci permettait de mieux mettre en évidence les principales caractéristiques du concept de gestion de l’information.

Il est possible de regrouper les éléments principaux des différentes définitions de la gestion de l’information en sept catégories, c’est-à-dire autant de caractéristiques traduisant les diverses facettes du concept de gestion de l’information. Examinons chacune d’entre elles.

Premièrement, soulignons l’aspect du contrôle, de la maîtrise de l’information. En fait, il s’agit là de l’objet de la gestion de l’information, du moins d’une partie importante, puisque qui dit gestion, dit forcément une volonté de contrôler, de maîtriser (efficacité, efficience) un domaine donné, en l’occurrence l’information.

Deuxièmement, nous retrouvons la question des politiques, des procédures, des normes, des principes, etc. Ce deuxième point est en quelque sorte le corollaire du premier. Contrôler, maîtriser l’information exige la mise en place de règles pour y parvenir.

Troisièmement, figure le concept du cycle de vie de l’information, qui dans plusieurs définitions est traduit par l’utilisation des termes fonctions, étapes ou encore processus. Qu’entend-t-on au juste par cycle de vie de l’information ?

Le cycle de vie de l’information comprend les étapes de la planification, de la collecte, de la création, de la réception et de la saisie de l’information; de l’organisation, du recouvrement, de l’utilisation, de l’accessibilité, de la diffusion et de la transmission de l’information; de l’entreposage, de la mise à jour et de la protection de l’information et de l’élimination ou de la conservation de l’information[1].

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Direction du dirigeant principal de l’information, 2003

En d’autres termes, gérer l’information est un processus dynamique qui exige de prendre en considération les multiples aspects de l’information depuis sa création jusqu’à son élimination ou sa préservation à long terme.

Quatrièmement, il y a bien sûr l’information en tant que telle. Étrangement, bien qu’il est fait mention de ressources d’information, de documents, de documentation, et que l’on précise que la gestion de l’information vise l’information sous toutes ses formes, les définitions contiennent peu de précision à ce sujet. Comme nous l’avons vu pourtant, ce qui caractérise l’information est non seulement la forme et le contenu, mais aussi le fait qu’elle soit « consignée sur un support tel que le papier, la bande magnétique, la bande vidéo, le disque optique ou le microfilm » (Rousseau et al., 1994 : 44).

Tableau 1

Définitions de la gestion de l’information

Tableau 1a

Tableau 1b

-> Voir la liste des tableaux

Cinquièmement, mentionnons l’idée de système, c’est-à-dire « un ensemble de personnes, de procédures et de ressources qui permettent de recueillir, de transformer et de propager de l’information dans une organisation » (O’Brien, 2003 : 533). Cela inclut, comme en témoignent les différentes mentions (système informatique, systèmes et technologies de l’information, infrastructure technique, systèmes de traitement de l’information), la dimension de l’informatique et des technologies.

Sixièmement, il y a le fait que la gestion de l’information est au service aussi bien de l’entreprise que du gouvernement ou de tout autre type d’organisations. Elle n’est donc pas l’apanage d’un milieu. De plus, tout en leur permettant d’atteindre leurs objectifs (bonne marche, développement, succès des opérations, rendement), elle vise également à satisfaire aux besoins de leurs usagers.

Enfin, septièmement, et c’est là un point à ne pas négliger, la gestion de l’information est un domaine ouvert, en lien avec d’autres disciplines : gestion des documents ou records management, documentation, gestion du savoir, science de l’information. D’ailleurs, il serait utile à ce stade-ci de préciser en quoi ces disciplines consistent afin d’être en mesure de mieux situer la place qu’occupe la gestion de l’information dans l’univers de l’information.

Le records management ou gestion des documents[2] désigne la gestion des documents internes et des données électroniques qu’une entreprise doit conserver comme preuves de son activité, des transactions qu’elle a opérées, des relations qu’elle a entretenues avec ses partenaires. […] Dans la pratique archivistique actuelle, l’activité de records management correspond à la gestion des archives courantes et intermédiaires.

Martin et Vaillant, 1999

C’est donc dire que, d’une part, le records management ou gestion des documents recoupe la gestion de l’information électronique, c’est-à-dire l’ « ensemble des activités de planification, conception, implantation, opération et évaluation, d’un ou plusieurs systèmes d’information servant principalement à traiter de l’information sous forme électronique (numérique) » (École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, 2002). D’autre part, cela signifie que la gestion de l’information couvre le champ des archives, soit l’« ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale » (Archives nationales du Québec, 1996 : 133). Elle est par conséquent en rapport avec l’archivistique :

Discipline régissant la gestion de l’information organique (archives). Elle peut prendre trois formes : une forme uniquement administrative (records management), dont la principale préoccupation est la prise en compte de la valeur primaire du document; une forme traditionnelle, qui met l’accent uniquement sur la valeur secondaire du document; une forme nouvelle, intégrée et englobante qui se donne pour objectif de s’occuper à la fois de la valeur primaire et de la valeur secondaire du document.

Rousseau et al., 1994 : 281

Mais la gestion de l’information n’est pas restreinte à l’information organique, « c’est-à-dire élaborée, expédiée ou reçue dans le cadre de la mission » d’une organisation. Elle couvre également l’information non organique, « c’est-à-dire produite en dehors du cadre de la mission » (ibid. : 44). Comme, par exemple, la documentation, à savoir l’ « ensemble des méthodes et des techniques de traitement systématique de documents ou d’informations, quel que soit leur support, mises en oeuvre pour répondre aux besoins des usagers » (Boulogne, 2004 : 87), ou encore la « gestion du savoir : promotion, coordination et facilitation de la synthèse, de la préservation, des processus, de la production et de l’échange de connaissances pour appuyer les buts stratégiques de l’organisation » (Ressources naturelles Canada, 2004).

Bref, la gestion de l’information porte autant sur l’information organique que non organique et peut comprendre une utilisation stratégique de celles-ci. Par ailleurs, en tant que discipline, elle fait partie intégrante de la science de l’information, cette « science qui a pour objet l’étude des propriétés générales de l’information (nature, genèse, effets) c’est-à-dire plus précisément : l’analyse des processus de construction, de communication et d’usage de l’information et la conception des produits et des systèmes qui permettent sa construction, sa communication, son stockage et son usage » (Le Coadic, 1997: 31)[3].

Comme il est possible de le constater, à la suite de la comparaison et de l’analyse de définitions, la gestion de l’information semble comporter au moins sept principales caractéristiques. C’est donc dire que nous avons mis en évidence un ensemble d’éléments qu’aucune définition ne contient en entier. Toutefois, nous disons bien « semble comporter au moins » car, à ce stade-ci, il y a des risques d’extrapolation et il n’est pas exclu que d’autres caractéristiques puissent s’ajouter à cette liste ultérieurement. Par conséquent, ces caractéristiques demandent à être validées par d’autres sources, à commencer par les thésaurus.

3. La gestion de l’information à la lumière des thésaurus

Contrôle, politiques, cycle de vie, information, système, organisation, interdisciplinarité, est-ce là autant de caractéristiques qui définissent la gestion de l’information ? Pour répondre à cette question, nous avons eu recours aux thésaurus, notamment le Thésaurus des sujets de base du gouvernement du Canada, ERIC Thesaurus et OECD Macrothesaurus[4].

Quelles sont les particularités d’un thésaurus ?

Le thésaurus est un vocabulaire contrôlé qui identifie un terme unique, choisi parmi un ensemble d’autres termes apparentés, à utiliser pour représenter un concept donné dans un index […]¸ au détriment de tous les autres termes. Le thésaurus fournit également un contexte sémantique pour les termes d’indexation en faisant des liens hiérarchiques (termes génériques et spécifiques) et associatifs (termes associés). Il peut aussi donner certains renseignements complémentaires, p. ex. portée et notes historiques.

Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 2004. Questions posées fréquemment

Et c’est justement ce contexte sémantique qui est particulièrement révélateur pour notre propos. Lorsque l’on effectue le bilan des termes spécifiques ou encore associés à la gestion de l’information dans les thésaurus consultés, ceux-ci correspondent pour l’essentiel aux caractéristiques répertoriées dans les définitions. En effet, à l’exception de l’aspect « contrôle », qui est un terme trop général pour être retenu dans le contexte d’un thésaurus, tous les termes spécifiques ou associés traduisent à leur manière l’une ou l’autre des caractéristiques provenant des définitions de la gestion de l’information. En voici un aperçu : politiques (politique d’information, information policy), cycle de vie (diffusion de l’information, traitement de l’information, transfert d’information, access to information, information transfer, catalogage, métadonnées), information[5], système (système d’information, technologie de l’information, Internet, intranet, information systems, information technology, database management systems, management information systems), organisation (information needs, information utilization), interdisciplinarité (gestion des documents administratifs, gestion du savoir, information science, records management).

Dans les circonstances, il est donc justifié de croire que les sept caractéristiques identifiées lors de la comparaison des différentes définitions traduisent bel et bien des aspects qui sont le propre de la gestion de l’information[6]. Mais il y a plus que la simple confirmation ou validation des sept caractéristiques. Une huitième caractéristique fait son apparition. Il s’agit de : services d’information (information services, library administration). Effectivement, à bien y penser, comment exercer un contrôle, comment maîtriser le cycle de vie de l’information, comment la gestion de l’information peut-elle permettre à une organisation d’atteindre ses objectifs sans un service qui en soit responsable, c’est-à-dire sans au minimum une reconnaissance de l’importance de l’information et de la nécessité d’y accorder des ressources pour la gérer ?

Qu’en est-il au juste ? Est-ce que la gestion de l’information comprend toutes les caractéristiques identifiées, y compris celle des services d’information ? Existe-t-il d’autres caractéristiques ? Pour répondre à ces questions, nous utiliserons deux autres outils : des catalogues de bibliothèque et un moteur de recherche.

4. Gestion de l’information, catalogues de bibliothèque, vedettes-matière

En quoi un catalogue de bibliothèque peut-il être à même de traduire la réalité conceptuelle de la gestion de l’information ? En fait, un catalogue est une liste de documents conservés dans une unité documentaire, liste qui est établie à partir de la notice bibliographique de chacun des documents. Comme on le sait, une notice bibliographique comprend différents éléments de description (auteur, titre, éditeur, collection, localisation, etc.) dont un sert à préciser le ou les sujet(s) du document. Et, pour ce faire, pour indexer celui-ci, il est nécessaire d’avoir recours à un langage documentaire, c’est-à-dire « un langage conventionnel utilisé par une unité d’information pour décrire le contenu des documents en vue du stockage et de la recherche des informations » (Guinchat et Menou, 1984 : 113).

Règle générale, le langage documentaire en usage dans le milieu des bibliothèques est celui des vedettes-matière. À titre d’exemples, mentionnons les Subject Headings de la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress Subject Headings), RAMEAU, « le langage d’indexation élaboré et utilisé par la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques universitaires, ainsi que de nombreuses autres bibliothèques de lecture publique ou de recherche » (Bibliothèque nationale de France, 2004), les Canadian Subject Headings, « un répertoire de vedettes-matière en anglais qui utilise un vocabulaire contrôlé servant à accéder et exprimer le contenu-sujet de documents portant sur le Canada et les sujets canadiens » (Bibliothèques et Archives Canada, 2004a) ou encore le Répertoire de vedettes-matière.

Développé par « une équipe de bibliothécaires, tous employés de la Bibliothèque de l’Université Laval », le Répertoire de vedettes-matière est une « adaptation partielle de Library of Congress Subject Headings (LCSH) de la Library of Congress et de Canadian Subject Headings (CSH) de la Bibliothèque nationale du Canada » qui contient près de 200 000 vedettes, dont « environ 45 000 vedettes sont dites originales » (Bibliothèque de l’Université Laval, 2004). Le RVM, comme on le désigne communément, est « utilisé dans plusieurs pays francophones » et il « a été reconnu comme norme d’indexation par la Bibliothèque nationale du Canada » (Services Documentaires Multimédia, 2004).

Alors si, comme nous venons de le voir, les vedettes-matière sont utilisées dans les bibliothèques pour indexer le ou les sujet(s) des documents, cela veut dire que les catalogues des bibliothèques universitaires par exemple, qui ont comme mission de développer des collections pour soutenir l’enseignement et la recherche et qui, de ce fait, se doivent d’être les plus complètes ou du moins les plus représentatives possible, permettraient d’obtenir, grâce aux recherches, réalisations et réflexions dont les documents témoignent, un portrait de la situation dans un domaine donné fort approprié. Par conséquent, nous avons été amené à interroger deux catalogues de bibliothèques universitaires qui, de par les programmes enseignés dans les institutions auxquelles elles sont rattachées, ont développé des collections dans le domaine des sciences et de la gestion de l’information, à savoir la Bibliothèque de bibliothéconomie de l’Université de Montréal (c’est-à-dire la bibliothèque de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information) et la Bibliothèque du campus de Shippagan en raison du programme de baccalauréat en gestion de l’information offert par l’Université de Moncton, campus de Shippagan.

Dans les deux catalogues, soit ATRIUM, le catalogue des bibliothèques de l’Université de Montréal, et ÉLOIZE, celui des bibliothèques de l’Université de Moncton, nous avons effectué les choix suivants. D’abord, nous avons limité la recherche au catalogue des deux bibliothèques mentionnées. Ensuite, nous avons opté pour une recherche exacte de la « gestion de l’information » dans l’index sujet. De la sorte, nous avons obtenu tous les documents qui, dans les deux systèmes, ont notamment la gestion de l’information comme sujet. Partant de là, nous avons dépouillé la zone sujet de chacun de ces documents, puis les vedettes des deux catalogues ont été regroupées dans une même liste selon les huit catégories ou caractéristiques ayant été identifiées comme étant propres à la gestion de l’information.

Cette liste comprend une cinquantaine de vedettes. Il faut dire qu’elle serait encore plus importante si nous n’avions pas éliminé les vedettes comportant une deuxième, voire une troisième subdivision (ex. : Intelligence économique – Politique gouvernementale; Intelligence économique – Politique gouvernementale – Québec Province)[7], à moins bien sûr qu’elles ne soient pas présentes autrement, ainsi que celles en anglais qui ne faisaient que redoubler des vedettes déjà disponibles en français. Nul doute, ce sont là des éléments importants qu’il faudrait examiner attentivement afin de déterminer avec le plus de précision possible le contenu de chacune des caractéristiques de la gestion de l’information, mais cette analyse dépasse largement le cadre de notre propos (nous y reviendrons en conclusion).

Ici aussi, comme pour les termes spécifiques et associés des thésaurus, les vedettes-matière peuvent être placées dans l’une ou l’autre des huit caractéristiques identifiées. En effet, compte tenu des vedettes inventoriées (ex. : Bibliothèques; Bibliothèques universitaires; Bibliothèques spécialisées; Documentation, Services de), la huitième caractéristique portant sur les services d’information ne laisse aucun doute quant à sa validité. En ce qui a trait aux autres caractéristiques, les points importants à signaler sont les suivants.

Au sujet de l’aspect interdisciplinaire de la gestion de l’information, les vedettes-matière font apparaître les domaines de la veille technologique et de l’intelligence économique. L’Association française de normalisation (AFNOR) définit la veille comme une « activité continue et en grande partie itérative visant à une surveillance active de l’environnement technologique, commercial, etc., pour en anticiper les évolutions » (Bergeron, 2000 : 3). C’est donc dire que la veille technologique consiste en « l’observation et l’analyse de l’environnement scientifique, technique, technologique et économique de l’entreprise pour en détecter les menaces et saisir les opportunités de développement » (Jakobiak, 1998 : 124). Quant à l’intelligence économique, elle implique « l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques » (Bergeron, 2000 : 4). En d’autres termes, « c’est bien une organisation au niveau national […] et non plus uniquement au niveau de l’entreprise » (Jakobiak, 1998 : 133) dont il est alors question.

Pour ce qui est de la catégorie « organisation », il est à noter que les vedettes portent surtout sur l’aspect « entreprise » (ex. : Petites et moyennes entreprises – Gestion; Gestion d’entreprise; Communication dans l’entreprise). Est-ce là une distorsion causée par la formulation ou l’application des vedettes-matière ? Cela est fort possible et demanderait de plus amples vérifications. Quant à la question des « systèmes », qui englobent l’informatique et les technologies, les nombreuses vedettes viennent encore une fois confirmer son importance au sein de la gestion de l’information (ex. : Informatique; Base de données – Gestion; Systèmes d’information; Sites Web – Conception; Communication, Systèmes de; Imagerie (Technique); Télécommunications).

À propos des « politiques, procédures et normes, etc. », deux remarques. D’une part, l’absence de vedettes en rapport avec ces aspects est peut-être en grande partie attribuable au fait qu’il s’agit là de types de documents, une dimension peu prise en considération lors de l’indexation. À titre d’exemple, si l’on examine les résultats d’une recherche dans le catalogue ATRIUM parmi les documents de la Bibliothèque de bibliothéconomie de l’Université de Montréal qui ont le mot « guide » dans le titre et « gestion de l’information » comme sujet, un seul des 32 documents répertoriés comprend des vedettes à cet effet. D’autre part, il est à souligner la présence de « audit de l’information », vedette qui, dans la mesure où les applications qu’il connaît sont souvent reliées à l’évaluation des systèmes d’information, aurait pu être associée aussi à la question des « systèmes ».

Concernant la catégorie « information », des vedettes comme « information technique », « information économique » et « banque de données » attirent l’attention sur les types d’information et la distinction entre données et information. Nous aurons l’occasion de revenir sur la question des types ou de la typologie de l’information, mais quant à la distinction entre données et information, rappelons, comme le précise O’Brien (2001 : 26), que les données sont des « observations, faits bruts à propos de phénomènes physiques ou d’opérations commerciales » tandis que l’information est constituée de « données qui ont été transformées en un contexte significatif et utile pour certains usagers en particulier ». Le passage de l’un à l’autre est donc une question de gradation. Tout comme entre « information » et « savoir », soit un « ensemble des connaissances acquises qui ont été approfondies par une activité mentale suivie » (Office québécois de la langue française, 2004).

Enfin, en ce qui concerne la catégorie « contrôle », aucune vedette n’y fait explicitement référence. Nous y voyons trois raisons. Premièrement, le contrôle est en fait le but visé par la gestion de l’information, il s’avère donc difficile d’indexer pareille dimension. Deuxièmement, il est possible que cet aspect soit implicitement pris en considération dans la catégorie « politiques, procédures, normes, etc. ». Troisièmement, les probabilités sont grandes pour que l’idée de contrôle soit par défaut associée à la vedette « gestion ».

5. Internet et la gestion de l’information

Qu’en est-il de la gestion de l’information dans Internet ? En fait, nous devrions plutôt dire, qu’en est-il des caractéristiques de la gestion de l’information à la lumière de l’Internet ? Notre propos n’étant pas, comme nous l’avons mentionné, d’inventorier les contenus reliés au concept de gestion de l’information.

Pour le savoir nous avons utilisé le moteur de recherche Google qui à l’heure actuelle, avec ses milliards de pages indexées, est le moteur le plus important en accès libre sur le Web. Point important à souligner, Google fonctionne selon un tri par popularité, soit une méthode de classement indépendante du contenu des documents. « Google classe les pages grâce à la combinaison de plusieurs facteurs dont le principal porte le nom de PageRank. PageRank utilise le nombre de liens pointant sur les pages » (Passero, 2002). Il s’agit là d’un facteur à retenir dans l’analyse des résultats. Évidemment, nous sommes conscient ici qu’il faudrait élargir la perspective et recourir non seulement à d’autres moteurs de recherche, mais aussi à d’autres types d’outils comme les outils de type répertoire ou encore les métamoteurs, soit des logiciels « permettant de lancer une requête dans plusieurs moteurs de recherche simultanément » (Office québécois de la langue française, 2004). Il s’agit d’une première exploration et une recherche plus élaborée reste à faire.

Dans Google, notre démarche a été la suivante. Nous avons effectué une requête en français pour « gestion de l’information » et une autre en anglais pour information management[8]. Dans les deux cas, nous avons retenu les 100 premiers résultats pour fins d’analyse. Résultats que nous avons ensuite regroupés selon cinq catégories : (1) gouvernements et organismes publics, (2) entreprises, (3) associations, (4) enseignement et (5) autres domaines. Une fois cette première étape effectuée, nous avons fait la synthèse des résultats obtenus en français et en anglais.

Dans l’ensemble, 27,5 % des résultats s’inscrivent dans la catégorie « gouvernements et organismes publics », 25 % dans « enseignement », 22,5 % dans « entreprises », 9 % dans « associations » et 16 % dans « autres domaines ». À noter qu’en français, la catégorie « gouvernements et organismes publics » obtient un pourcentage nettement plus élevé, 41 %, qu’en anglais, 14 %. Par contre, les catégories « enseignement », « entreprises » et « associations » obtiennent en anglais, 30 %, 27 % et 14 %, soit des moyennes nettement supérieures à celles en français qui sont de l’ordre de 20 %, 18 % et 4 %. Quant à la catégorie « autres domaines », les résultats sont sensiblement les mêmes en français (17 %) et en anglais (15 %). Enfin, différence importante à souligner, en anglais, 17 % de l’ensemble des résultats portent sur la question de la santé alors que ceux-ci sont à peu près nuls en français.

Bien que notre objectif ne visait pas à analyser en détail le contenu de ces résultats, il est important néanmoins d’en donner un aperçu. La catégorie « gouvernements et organismes publics » comprend surtout des documents en rapport avec les politiques et la gestion stratégique. Du moins en français, car les sujets des documents sont nettement plus diversifiés en anglais. La catégorie « entreprises » quant à elle est surtout monopolisée par les firmes qui offrent leurs services conseils ou encore leurs logiciels dans le domaine de la gestion de l’information. Pour ce qui est de la catégorie « enseignement », ce sont évidemment les écoles, les programmes, les cours (du moins des modules, des documents), les publications, les répertoires de ressources qui sont les principaux points abordés. Toutefois, en anglais, une plus grande place est faite aux centres de recherche et en particulier au domaine de la santé. Tout comme d’ailleurs dans la catégorie « associations » où, en anglais, la santé est au premier rang. Enfin, la catégorie « autres domaines » regroupe, tant en français qu’en anglais, une multitude de types d’information. À titre d’exemples, mentionnons : informations financières, information agricole, information médicale, bien sûr, informations touristiques, information sur la paix, information sur la biodiversité, etc.

Bref, l’information n’a pas de frontière. Elle touche tous les domaines, souvent bien loin du domaine administratif, le terrain le plus connu. Comment rendre compte de cette dimension, à savoir que l’information est des plus diversifiées tant sur le plan du milieu que de la forme ? Qu’elle est aussi bien compendiums médicaux que cotes de la bourse, renseignements touristiques, communiqués de presse ou oeuvres romanesques ? Comme le montre les travaux d’Hubert Fondin (1998 : 19-23) sur la typologie de l’information, il est possible de différencier quatre types d’information : (1) Information utile et éphémère (information de renseignement : ex. : renseignements pratiques), (2) Information utile et durable (information scientifique et technique : l’auteur tient à préciser que cela « inclut non seulement l’information scientifique et technique, mais aussi administrative, juridique, économique, historique, philosophique, etc. »), (3) Information gratuite et éphémère (information générale ou de presse : ex. : bulletins de nouvelles), (4) Information gratuite et durable (information culturelle : ex. : arts et littérature).

Voilà donc une facette déterminante de l’information qui se doit d’être prise en charge par une discipline qui a précisément comme raison d’être de vouloir la gérer efficacement. En conséquence, il nous apparaît important d’ajouter une neuvième caractéristique, la typologie de l’information, aux huit autres identifiées jusqu’à maintenant. Car, sans elle, la gestion de l’information ne serait pas ce qu’elle est.

Conclusion

Qu’est-ce que la « gestion de l’information » ? Pour répondre à cette question, notre avons divisé notre démarche en cinq étapes. Après, dans un premier temps, avoir précisé le sens des termes « gestion » et « information », nous avons deuxièmement réuni des définitions de la gestion de l’information en faisant ressortir pour chacune d’elles les principaux éléments. Fort des caractéristiques ainsi mises en évidence, nous avons troisièmement examiné les termes spécifiques et associés à la gestion de l’information dans les thésaurus. Tout en venant confirmer celles identifiées précédemment, ces descripteurs ont révélé l’existence d’une autre caractéristique.

Quatrièmement, nous avons fait appel aux vedettes-matière, le langage documentaire qui sert à déterminer le sujet des documents dans les catalogues de bibliothèque. La compilation des nombreuses vedettes en rapport avec la gestion de l’information s’est avérée déterminante dans la mesure où elle a permis de confirmer la pertinence des différentes caractéristiques identifiées. Cinquièmement, les résultats obtenus grâce à un moteur de recherche ont montré la nécessité d’en ajouter une nouvelle. Autrement, l’envergure de la discipline et les types d’information qui en découlent ne seraient pas pleinement pris en considération.

L’analyse des définitions et leur validation à l’aide de différentes sources a permis de mettre en évidence neuf caractéristiques de la gestion de l’information, à savoir : (1) le contrôle, (2) les politiques, (3) le cycle de vie, (4) l’information, (5) les systèmes, (6) les organisations, (7) l’interdisciplinarité, (8) les services d’information et (9) les types d’information. Est-il important de rappeler que l’ensemble de ces caractéristiques va bien au-delà du contenu des définitions existantes. Sans compter qu’elles représentent autant de critères pouvant servir à mieux cerner les situations les plus diverses de la réalité pratique, à mieux développer un regard critique par rapport aux modes passagères qui l’alimentent.

Évidemment, notre recherche est loin d’avoir épuisé le sujet. Il y aurait lieu d’approfondir davantage, à commencer par une identification des caractéristiques qui soit plus juste, plus uniforme. Il serait nécessaire aussi d’accroître le nombre de sources (glossaires, dictionnaires, thésaurus, catalogues de bibliothèque, etc.) ainsi que d’outils de recherche Internet utilisés sans compter l’importance d’analyser plus en profondeur le contenu des différentes caractéristiques. Pensons simplement aux différentes étapes ou fonctions dont il est fait état à propos du cycle de vie de l’information. Être en mesure d’en déterminer le contenu avec plus de précision serait essentiel. Ou encore à la place qu’occupe le domaine de la santé en gestion de l’information, comme l’indiquent les recherches dans Internet. Bref, à bien y penser, il faudrait appliquer à la gestion de l’information ce qu’elle sait si bien appliquer aux autres domaines : une veille, une surveillance de la discipline afin que les spécialistes puissent suivre son évolution, en signaler les changements et maintenir à jour une cartographie des caractéristiques, de leurs contenus et des disciplines associées, notamment par l’utilisation de différents outils logiciels.

Tout en favorisant le développement de la discipline, ce travail sur les éléments fondamentaux de la gestion de l’information n’est pas également sans avoir des retombées intéressantes sur le plan de la formation. En effet, les caractéristiques identifiées, et cela serait encore plus vrai dans l’éventualité où les contenus de chacune d’elles seraient mieux étoffés, peuvent servir à élaborer, évaluer ou encore restructurer des programmes d’études en gestion de l’information. Nous pensons ici tout spécialement à la possibilité de faire le lien entre les caractéristiques de la gestion de l’information et les profils des compétences. D’une part, les profils développés au Canada par l’Alliance des bibliothèques, des archives et la gestion des documents (Gendron, 1999) et le Conseil des ressources humaines du secteur culturel (Sans date) ainsi que par le Forum sur la gestion de l’information (Archives nationales du Canada, Bureau des documents gouvernementaux. 2000). D’autre part, ceux élaborés en Europe par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (1998) et l’European Council of Information Associations (2004). Approche qui aurait comme mérite de permettre l’élaboration de programmes d’études étant aussi près de la réalité conceptuelle que de la réalité pratique de la discipline. D’ailleurs, à bien y penser, la formation ne doit-elle pas autant satisfaire aux besoins du marché du travail que veiller au développement de la discipline ?[9]

Qu’est-ce que la gestion de l’information ? Il nous semblait important en terminant[10] de répondre à cette question posée initialement. Surtout que dorénavant nous disposons d’un ensemble de neuf caractéristiques pour ce faire. Inutile de préciser que la définition qui suit ne se veut nullement normative. La gestion de l’information est un :

Domaine interdisciplinaire qui, en science de l’information, vise le contrôle du cycle de vie de l’information et de ses différents types grâce à des services, des politiques et des systèmes adéquats, et ce, afin de satisfaire aux objectifs d’une organisation et des besoins des usagers.