Résumés
Résumé
Cet article propose une lecture à visée épistémologique de l'agir pédagogique. Après avoir précisé ce qu'il entend par agir et lire, l'auteur identifie trois modalités d'action: expliquer quelque chose à quelqu'un, placer quelqu'un en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même, expliquer quelque chose avec quelqu'un. À chacune de ces formules, il associe une théorie de la connaissance et une théorie de la formation. Ce travail de lecture permet de clarifier le débat pédagogique en l'adossant à trois conceptions différentes de la scientificité et du rapport au monde. Pourtant, dans un autre registre, celui de l'activité journalière des formateurs, les trois modalités d'agir identifiées sont autant d'impératifs sociaux qu'il n'est pas raisonnable d'opposer.
Abstract
This article proposes an epistemological reading of pedagogical behavior. Following a definition of action and of – reading – the author identifies three modalities for behavior: to explain something to somebody, to place someone in a situation which would allow a self initiated explanation, and to explain something with another person. The author associates a theory of knowledge and a theory of training with each of these modalities. This exploration allows a clarification of the pedagogical debate by finding support from three different conceptions of science and of world views. However, using another register, that of the daily activities of trainers, the three modalities identified are viewed as social imperatives that one would not reasonably oppose.
Resumen
Este artículo propone una lectura del actuar pedagógico bajo un óptica epistemológica. Luego de haber precisado lo que él entiende por actuar y leer, el autor identifica tres modalidades de la acción: explicar algo a alguien, colocar alguien en situación de explicarse algo a sí mismo, explicar algo con alguien. A cada una de estas formulaciones, el autor asocia una teoría del conocimiento y una teoría de la formación. Este trabajo de lectura le permite clarificar el debate pedagógico adscribiéndolo a tres concepciones diferentes de lo científico y de su relación con el mundo. Sin embargo y dentro de una otra dimensión, aquella de la actividad cotidiana de los docents, las tres modalidades del actuar identificadas son imperativos sociales a los cuales no corresponde razonablement oponerse.
Zusammenfassung
Dieser Artikel bietet eine epistemologische Lektüre der pädagogischen Aktion an. Der Autor definiert zunächst, was er unter «handeln» und «lesen» versteht und identifiziert dann drei verschiedene Handlungsmodalitäten: jemandem etwas erklären, jemanden dazu zu bringen, dass er selbst nach einer Erklärung sucht, etwas mit Hilfe einer anderen Person vermitteln. Jeder dieser Formeln wird eine Erkenntnistheorie und eine Lerntheorie zugeordnet. Diese Lektüre verdeutlicht die pädagogische Grundsatzdiskussion, denn sie stützt sich auf drei verschiedene Grundkonzepte des wissenschaftlichen Verstehens und des Weltverständnisses. In einem anderen Bereich, nämlich der täglichen Arbeit der Lehrer, lassen sich die drei Grundkonzepte zugleich soziale Imperative verstehen, die nicht gegeneinander ausgespielt werden sollten.
Corps de l’article
Introduction
Si une intention devait être énoncée en prélude à ce texte, ce serait celle-ci: qu'il fasse écho à ce que font habituellement les formateurs et les enseignants, qu'il permette de dialoguer avec un déjà-su et qu'il le fortifie. Pour tendre vers cet objectif, cet article est organisé de la manière suivante.
Au préalable, nous précisons l'usage qui sera fait des mots «lire» et «agir». Ensuite, nous identifions trois modalités de communication pédagogique: transmissive, constructiviste et dialogique en les associant respectivement à l'activité de l'artisan, à celle du jardinier et à celle du médiateur. Précisons que cette comparaison n'a qu'une valeur très relative et qu'elle vise tout au plus à fixer les idées. Nous concluons sur le fait qu'à chaque modalité de communication pédagogique, on peut attacher une formule significative: expliquer quelque chose à quelqu'un, mettre quelqu'un en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même, expliquer quelque chose avec quelqu'un. Cette démarche de réflexion nous conduit à poser les questions suivantes. À quelle condition est-il possible d'affirmer qu'on peut expliquer quelque chose à quelqu'un? qu'on peut mettre quelqu'un en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même? qu'on peut expliquer quelque chose avec quelqu'un?
À partir de ces questions, l'investigation prendra un tour épistémologique. Cela nous conduira à établir une relation significative entre la structure de l'agir pédagogique et celle de l'agir scientifique. Le rapport à la connaissance peut en effet être pensé selon trois modalités qui sont aussi trois conceptions particulières de la scientificité: descriptive, représentationniste et pragmatique.
Cette lecture épistémologique devrait offrir une perspective large et fondée pour analyser les courants actuels en éducation. Mais elle devrait aussi conduire à relativiser les oppositions qui attisent les débats pédagogiques.
Lire et agir
Agir – Dans le monde de l'éducation, on parle volontiers de pratique pédagogique plutôt que d'agir. Néanmoins, il sera question ici d'agir plutôt que de pratique. C'est que la signification de ce mot est piégée dans les rets du sens commun, ce qui en rend l'emploi délicat. De fait, en associant pratique et théorie, l'usage courant focalise d'une manière très particulière sur la nature de cette relation. Le théorique est souvent renvoyé à l'abstrait, à des considérations intellectuelles qui n'auraient pas l'expérience de la vraie vie. A contrario, la pratique ferait avantageusement référence au vécu, au concret, à ce qui serait vraiment important. Ce préjugé me semble difficile à prendre en charge. Utiliser la notion d'agir permettra de le contourner.
Cette notion renvoie elle aussi à une tradition philosophique et à un couple notionnel: l'agir et le faire. Les préoccupations pour ces questions sont anciennes puisque les termes du débat ont été posés par Aristote. Mais aujourd'hui, l'incertitude sur ce que sera le devenir des hommes et l'idée largement vulgarisée que la réalité sociale est complexe et indéterminée donne aux théories de l'action un nouvel élan. Nous admettrons ici que faire, c'est avoir un but précis et employer des moyens adéquats pour l'atteindre, que le faire s'apprécie en termes d'efficacité et que son déroulement peut donner lieu à contrôle (Ardoino et Berger, 1989, p. 9), c'est-à-dire à comparaison entre un résultat obtenu, interprété à partir d'un référé, et une norme attendue qu'on appelle aussi référent. Nous sommes bien ici dans l'ordre du programme, de la procédure, de la technique.
Nous admettrons, a contrario, que l'agir n'est pas seulement la mise en oeuvre de moyens, mais aussi la production de finalité, que son emprise n'est pas technique mais politique. Agir, c'est s'orienter dans l'existant en situation d'incertitude, c'est effectuer des choix qui restreignent, enrichissent ou renouvellent la panoplie des possibles. L'agir s'apprécie en termes de pertinence et donne lieu à évaluation ( Idem ): cela a-t-il du sens et pour qui? Nous sommes ici dans l'ordre du projet, de l'improvisation et, pour employer un terme tout compte fait bien pratique, de la complexité[1].
Dans cette configuration, le faire est un moment de l'agir. On pourrait dire, pour accentuer le trait, que le faire est déjà pensé, déjà stabilisé et déjà expérimenté, qu'il peut en principe être vécu sans surprises. Par contre, agir réclame de la prudence; il faudra notamment opérer des choix. Certes, entre le faire et l'agir, la relation est interactive; de l'agir résultent toujours des zones de régularité, de certitude, autrement dit de «faire». Mais s'il arrive que le faire s'avère inopérant, insatisfaisant, inefficace; il revient alors dans le giron de l'agir. Fondamentalement, du moins est-ce la position défendue dans ce texte, le faire reste une catégorie de l'agir.
Ce propos n'est pas dénué d'implications épistémologiques, éthiques, politiques [2] et pédagogiques. Choisir ce parti signifie prendre résolument position contre toute tendance qui cherche à promouvoir un agir certain, rassurant, sécurisant; un agir qui aurait en fait toutes les qualités d'un faire. Ce danger ou cette tentation, comme le dit très justement Meirieu (1997, p. 105), guette le pédagogue s'il croit que les finalités portent en elles-mêmes des méthodes capables de les incarner.
Lire – L'agir pédagogique peut s'interpréter de multiples manières. On connaît par exemple, dans le monde de la formation d'adultes (en France), la lecture proposée par Lesnes[3] (1984, p. 221-222). Elle invite le formateur à prendre conscience des déterminants qui pèsent sur son activité. Mais il s'agit là d'une lecture parmi d'autres. Nombreux sont en effet les points de vue identifiables: psychologiques à orientation psychanalytique, comportementaliste, constructiviste, etc. Ceci donne des lectures sociologiques attentives à la reproduction des classes sociales ou privilégiant une visée microsociologique, des lectures économiques d'inspiration libérale ou régulationniste, et il faudrait ajouter des lectures juridiques, historiques, philosophiques, biologiques, géographiques, ethnologiques, etc. On le sait, il n'y a pas une, mais des lectures de l'agir pédagogique; chacune a une intention plus ou moins explicite et, pour certaines, des racines épistémiques mal élucidées ou non précisées; ce que constate judicieusement Astolfi (1997): «d'abord savoir quelle psychologie ou quelle sociologie, tant ces dernières sont marquées par une absence de consensus et répondent à des paradigmes pluriels» (p. 26).
Ce texte invite à une lecture épistémologique de l'agir pédagogique.
Pour ne pas tomber dans le travers dénoncé précédemment, convenons que les lectures épistémologiques sont elles aussi plurielles. La lecture épistémologique n'a pas l'ambition de tirer d'une quelconque ornière idéologique le débat pédagogique pour qu'enfin il devienne scientifique. Elle a par contre l'ambition de repérer et d'identifier les systèmes de valeurs et les courants de pensées qui sont aux racines, parfois insoupçonnées, des oppositions et des débats pédagogiques.
Dans quelles matrices conceptuelles évoluent les chercheurs et les praticiens en éducation? Telle est la question posée dans ce texte.
La lecture épistémologique
Pour tisser le fil d'Ariane d'une possible lecture épistémologique, nous avons identifié et différencié trois postures caractéristiques. Cela nous a permis (Leclercq, 1997) d'associer à chacune d'entre elles une conception de la communication pédagogique spécifique, précise et univoque, puis de préciser ses fondements épistémiques. La présentation qui suit servira d'esquisse provisoire pour engager des arguments. Ceux-ci seront repris et relativisés par la suite.
De l'épistémologie de l'agir scientifique à l'épistémologie de l'agir pédagogique
Dans cette proposition de lecture épistémologique, une première question est implicitement posée: l'agir pédagogique peut-il se comprendre en référence à l'agir scientifique? Pour y répondre, nous prenons le risque de dresser un tableau épistémologique simple de l'agir scientifique en utilisant les trois catégories mentionnées précédemment: théorie descriptive, théorie représentationniste et théorie pragmatique de la connaissance.
Pour y parvenir, une solution rapide, mais structurante, consiste à mettre les théories descriptives de la connaissance et plus précisément le positivisme logique au centre de la discussion. Ce courant de pensée (cercle de Vienne) a été créé en 1923 par un élève de Planck (1858, 1947), Moritz Schlick. C'est un mouvement scientifique et philosophique essentiel de l'entre-deux-guerres, qui s'est transporté en partie aux États-Unis lors de la Deuxième Guerre mondiale. On admettra, sans risques excessifs d'être contredit, qu'il s'agit là d'un noeud particulièrement significatif autour duquel s'est structurée la science du XXe siècle. Restons-en à cette simplicité élémentaire.
Pour expliquer l'emploi du terme «descriptif», rappelons que le positiviste «classique» croit qu'il est possible de décrire la réalité, ce que nous continuons à croire, à bon droit me semble-t-il, dans les situations de la vie courante. Remarquons au passage que, s'il n'est pas de bon ton aujourd'hui de se dire positiviste, il n'est pas raisonnable de dénoncer cette croyance par simple souci de mode. Elle a permis l'essor des sciences modernes et on lui doit aussi des avancées émancipatrices décisives. Reste qu'avec les «révolutions» relativiste puis quantique en sciences physiques, la foi du positiviste «classique» dans l'expérience sensible a été prise à partie. Sa raison l'invite désormais à imaginer un monde dont il ne peut plus faire directement l'expérience, mais qui se révèle plus vrai que ce qu'il peut percevoir. De ce constat est née la nécessité d'une conception plus affirmée de ce que signifie décrire le monde. Le positiviste, devenu logique, fait alors l'hypothèse qu'il existe un langage bien fait, qui respecte les règles de la logique formelle et qui possède une structure isomorphe au monde réel. Si cette hypothèse est juste, la connaissance de ce langage efficace et pertinent permet de dialoguer avec le réel et d'agir sur lui. C'est dans l'existence de ce langage que réside la possibilité d'une théorie descriptive de la connaissance. Ajoutons que, même si l'on sait depuis Gödel qu'il est impossible de construire des systèmes logiques entièrement cohérents, ils n'en sont pas pour autant entièrement incohérents.
Parmi les réactions que le positivisme logique a engendrées, on peut en isoler deux. L'une a donné lieu aux théories pragmatiques de la connaissance et l'autre peut être associée aux théories représentationnistes de la connaissance.
Ces dernières se démarquent des théories descriptives (positivistes) en généralisant l'idée selon laquelle l'homme légifère sur la nature (Kant). Si l'on en croit cette conception, nous ne découvrons pas le monde, mais nous y participons et, à notre mesure, nous l'inventons. Sur le plan épistémologique, ce point de vue diffère du précédent puisqu'il privilégie une relation d'intériorité et d'appartenance au monde plutôt que d'extériorité. C'est la curiosité vis-à-vis des modalités de cette appartenance qui conduit à élaborer des théories représentationnistes de la connaissance. Ici, contrairement à ce que propose le positivisme logique, ce ne sont pas l'existence et la connaissance d'un langage susceptible de décrire la réalité qui sont enjeu d'analyse, mais le fonctionnement des systèmes cognitifs animaux et artificiels[4].
Dans l'espace de la pédagogie, un certain constructivisme et un certain cognitivisme sont apparentés à ces théories.
Les théories pragmatiques[5], quant à elles, se démarquent du positivisme logique en généralisant une autre idée. Le pragmaticien critique de manière radicale la conception selon laquelle la description et l'action sont deux mondes distincts. Il affirme au contraire que le langage sert d'abord à agir et il en tire la conclusion que décrire n'est jamais qu'une forme particulière d'action (Searle, 1972).
Le pragmaticien privilégie l'analyse du sens comme coopération entre des personnes plutôt que comme émanation du seul sujet. Pour lui, le langage ne renvoie pas à un objet à décrire (la nature), mais à l'interaction d'une personne avec la nature (le monde objectif), avec elle-même (monde subjectif) et avec les autres (monde social). À qui prétendrait qu'il y a quand même dans ce triptyque une relation objective avec la nature et une relation subjective avec soi-même, le pragmaticien répond que notre relation avec le monde objectif est toujours une relation sociale avec quelqu'un d'autre à propos de la «nature» et qu'une relation avec nous-même n'est jamais qu'une relation avec le monde social qui est en nous. Le principe de questionnement pragmatique se résume assez simplement à cette proposition: que faisons-nous de social quand nous parlons ou, dans un sens plus large, quand nous utilisons le langage?
En pratique, le pragmaticien dispose d'un outillage conceptuel relativement simple. La notion centrale est sans aucun doute celle d'activité, telle qu'elle a été conceptualisée, par exemple, par Habermas (1987 b ) (activité instrumentale, stratégique et communicationnelle). Cette catégorie peut être «outillée» de diverses manières, par exemple, avec les notions complémentaires de jeu de langage et de forme de vie (Wittgenstein, 1984) ou encore avec celle d'acte de langage (Searle, 1972).
Qui admet cette trilogie (qu'illustrent les réactions au positivisme logique) admet aussi qu'il y a trois conceptions du monde qui structurent les démarches scientifiques: descriptive ou positiviste, représentationniste ou autoconstructiviste et pragmatique, dialogique ou interconstructiviste. Parallèlement à cela, et comme en écho, une hypothèse peut être faite qu'il y a aussi trois conceptions du monde qui balisent le champ des démarches pédagogiques:
expliquer quelque chose à quelqu'un en écho aux théories descriptives;
mettre quelqu'un en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même en écho aux théories représentationnistes;
expliquer quelque chose avec quelqu'un en écho aux théories pragmatiques.
Premier balisage: à chaque formule semble reliée une théorie de la connaissance.
Pour poursuivre l'analyse des trois modalités d'agir pédagogique repérées, observons leur comportement dans le modèle proposé par Houssaye (1988), à savoir le «triangle pédagogique». Cela permettra d'associer aux trois théories de la connaissance précédemment identifiées trois théories de la formation.
Le triangle pédagogique revisité
Rappelons d'abord que le triangle pédagogique est une modélisation de l'agir pédagogique, une structure susceptible de le rendre intelligible.
On le sait, un premier pôle de ce triangle représente le contenu, la matière, le programme, bref ce qu'il faut savoir, savoir faire, savoir être; un second pôle représente l'enseignant, le formateur, le tuteur, bref, celui qui transmet ou médiatise la connaissance; un troisième pôle représente le formé, l'apprenant, l'élève, l'étudiant, le stagiaire, bref le destinataire immédiat et apparent du processus éducatif.
Entre ces trois pôles pris deux à deux, Houssaye (1988, 1996) identifie trois processus, le processus enseigner, le processus apprendre et le processus former.
Ces repères étant donnés, posons-nous la question suivante: peut-on associer ce modèle de l'agir pédagogique avec les formules «Expliquer quelque chose à quelqu'un», «Mettre quelqu'un en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même», «Expliquer quelque chose avec quelqu'un»?
En première approximation, les associations suivantes sont assez séduisantes:
Expliquer à = processus enseigner
Expliquer avec = processus former
Mettre en situation de s'expliquer à soi-même = processus apprendre
Autrement dit, chacune des formules permet a priori de nommer un côté du triangle. Pourtant, plutôt que de nous engager dans cette voie, nous allons associer à chaque formule un triangle pédagogique singulier; ce qui conduit à imaginer une configuration transmissive du triangle pédagogique, une autre constructiviste et une dernière dialogique. Cette manière de faire invite à considérer les processus enseigner et apprendre comme des dimensions constitutives du processus former. Elles peuvent se combiner de manière singulière dans trois théories de la formation spécifiques: une théorie formative explicative, une théorie formative constructiviste, une théorie formative dialogique.
L'essentiel
Le formateur qui adopte cette posture travaille de manière intime la matière à enseigner, il identifie précisément l'objet de son enseignement, il cherche à le comprendre, prépare sérieusement son cours, envisage des enchaînements clairs, des objectifs et des enjeux explicites; le rectangle entourant les pôles A et C symbolise cette activité.
Il suffit qu'ensuite, son message soit clair et cohérent pour être compris et appris par un apprenant normalement constitué, ce que symbolise à son tour la flèche pointée vers B.
Quant au processus apprendre, le formateur le conçoit comme l'écho plus ou moins investi et personnalisé par «l'étudiant»[6] du processus enseigner. A minima, «l'élève» sera capable de répéter, mais libre à lui de devenir «apprenant» en faisant l'effort de comprendre et en prenant en charge le processus apprendre.
Le formateur qui défend cette conception explicative de la formation limite son rôle dans le processus former à la transformation d'une «matière» en savoir à enseigner. Il opte pour une modalité d'enseignement à responsabilité limitée et privilégie une didactique du contenu médiatisée par le langage avec comme objectif la transposition didactique d'un savoir en savoir à enseigner.
La relation avec le positivisme
À l'instar du principe de vérifiabilité cher aux positivistes logiques, principe qui postule qu'est scientifique ce qui est vérifiable, c'est-à-dire ce qui est écrit dans un langage sans contradiction ni paradoxe, est pédagogique, dans la perspective explicative, ce qui est dit dans un langage rigoureux, cohérent, logique. Cette démarche peut être lue comme un effet dans le champ de la pédagogie d'un idéal qui est celui du positivisme logique.
Nous sommes en présence d'une théorie formative; elle n'est pas centrée exclusivement sur le contenu comme on le dit souvent, mais sur un bon usage du langage qui sert à dire un contenu et éventuellement sur le bon usage d'un langage propre à une discipline particulière.
Ainsi défini, «l'expliquer à» est une modalité de communication pédagogique qu'il n'est pas sage de réduire à une perspective transmissive simpliste (déverser un contenu d'un réceptacle dans un autre) associée à une idéologie béhavioriste rampante. Il s'agit là d'une surinterprétation des démarches explicatives. La possibilité de transmettre s'explique tout aussi bien par une autre croyance que partagent plus ou moins les formateurs: l'existence d'un langage fondamentalement commun et partageable pour peu que l'apprenant le souhaite.
La relativisation
L'agir explicatif, en invitant au partage des tâches entre l'enseignant et l'étudiant, laisse tout compte fait une certaine autonomie à l'apprenant. Il n'exclut pas une perspective constructiviste puisque le bon élève saura décoder les règles du jeu et exercer à part entière le métier d'apprenant. Sans doute est-ce, de ce fait, une modalité de formation sensible à la reconnaissance et à la valorisation du pareil à soi, aux tentations élitistes et reproductrices; mais ces caractéristiques ne sont certainement pas constitutives de l'agir explicatif. D'ailleurs, il n'est pas rare que les enseignants, quand ils adoptent une telle posture, accroissent leur responsabilité dans le processus éducatif en s'assurant que «l'élève» a bien effectué son métier «d'étudiant». Par analogie avec la critique poppérienne de la vérifiabilité (il ne suffit pas qu'une théorie soit bien dite pour être scientifique, encore faut-il qu'elle soit falsifiable), ils considèrent qu'il ne suffit pas qu'un enseignement soit bien dit pour être compris et qu'il ne suffit pas non plus que «l'appris» affirme avoir compris. Encore faut-il essayer de falsifier ce qu'il dit savoir et ce qu'on dit lui avoir appris. Seules les «expériences» menées à cette fin attesteront de la qualité de sa compréhension et de l'efficacité de l'enseignement dispensé.
Dans le même ordre d'idées, l'expérience du surgroupe[7] est susceptible d'assurer une connaissance a priori des obstacles et des résistances; ceci permet d'envisager un cours participatif et pseudodialogué où l'enseignant utilise à bon escient les représentations et conceptions préalablement identifiées des étudiants.
Conclusion locale – L'agir explicatif est sans doute la modalité la plus répandue d'agir pédagogique. Il se peut qu'elle soit aussi la plus décriée dans les endroits où l'on enseigne la pédagogie. Cette réputation résulte d'une erreur d'analyse qui restreint le processus former, tel qu'il est envisagé par l'agir explicatif, à son apparence transmissive. Il est d'ailleurs possible que cette erreur ne soit pas tout à fait innocente. En tous cas, elle dualise l'agir pédagogique en valorisant le bien agir (appropriatif) et en diabolisant le mal agir (transmissif)[8] (Leclercq, 1996). Sans doute n'est-il pas de meilleur ennemi que celui qu'on construit à sa mesure, mais le procédé résiste mal à l'analyse épistémologique.
L'essentiel
Tout enseignant a fait cette expérience singulière: en corrigeant des «copies», il constate avec un certain désarroi que certains étudiants sont apparemment hors jeu, que la plupart sont polis et que quelques-uns, assez rares, ont réinventé ce qu'il leur a enseigné. Ce constat renvoie à cette part du processus former laissée à la charge de l'étudiant par l'agir explicatif; c'est précisément la connaissance puis l'exploitation de cette «jachère» que l'agir constructiviste déclare essentielle. Pour un constructiviste, la connaître permettra de rendre opérationnel le principe d'éducabilité (Meirieu et Develay, 1993, p. 93), principe régulateur qui présume que tout un chacun peut apprendre pourvu que les conditions soient favorables. Ceci engage le formateur dans un projet d'enseignement à responsabilité quasi illimitée.
Le formateur constructiviste vit le processus former comme une soumission raisonnée du processus enseigner au processus apprendre. Partant de cette hypothèse, il en déduit que, pour s'approprier vraiment un savoir, il faut l'avoir construit ou reconstruit soi-même. Comparé à la posture précédente, le rôle du formateur s'en trouve sensiblement transformé. Plutôt que d'expliquer quelque chose à quelqu'un, il s'agit cette fois de mettre quelqu'un en situation de s'expliquer quelque chose à lui-même. Le formateur constructiviste souhaite être perçu comme une personne ressource, un facilitateur, un tuteur méthodologue et non comme un dispensateur de savoir. En cela, l'agir constructiviste présuppose une connaissance de l'apprenant. Il importe que le formateur sache ce qu'il en est des processus d'apprentissage pour tenir son rôle.
Rapportée au triangle pédagogique, cette proposition conduit à envisager une rotation du rectangle vers la droite autour de l'axe central. Dans ce rectangle s'exprime encore une tension entre une personne et un savoir, mais cette fois-ci, c'est l'apprenant qui est au centre de la scène. La relation qu'entretient le formateur avec le savoir a désormais une existence en creux, elle est devenue mise en situation, conception d'énigmes, proposition problématique, ressource, etc. Ce que symbolise la flèche orientée vers A, quand on l'associe à l'expression «B s'explique C grâce à A».
À une didactique du contenu médiatisé par le langage, le formateur constructiviste préfère une didactique de la mise en situation ayant pour objectif l'autoformation (Carré, Moisan et Poisson, 1997).
La relation avec le constructivisme
Ainsi comprise, une démarche pédagogique active peut être lue comme une certitude constructiviste appliquée. Le formateur qui défend ce point de vue estime qu'on apprend en agissant, qu'on comprend en réussissant et qu'on retient d'autant mieux que cela nous concerne; il importe d'être l'auteur de son savoir, d'être son propre enseignant, d'avoir conscience que toute explication fait main basse sur une construction potentielle.
Une pédagogie active
Une telle configuration exprime les idéaux de toute une galaxie, celle des pédagogies actives. Mais méfions-nous des attitudes simplistes; «actif» ne signifie pas forcément qu'il y aurait des pédagogies passives qui seraient, on l'imagine, dans le camp des démarches explicatives. Dans cette autre configuration, le partage des tâches entre l'enseignant et l'étudiant peut être source d'une grande activité.
La différence effective entre les deux formes d'agir pédagogique (explicatif, constructiviste) tient moins dans l'opposition actif/passif que dans la question suivante: qui a l'initiative? Côté «expliquer à», elle reste l'apanage du maître; sur l'autre versant, il convient de ne pas la confisquer à l'apprenant. Ignorer ce distinguo, préviennent les théoriciens du constructivisme, c'est prendre le risque de mener une pédagogie activiste sous couvert de pédagogie active. Au mieux, cela ressemblera à une sorte d'animation; au pire, à une forme subtile de conditionnement.
Un constructivisme
À la question «comment un individu construit-il son savoir?», on peut apporter au moins deux réponses et toutes deux peuvent être qualifiées de constructivistes. Il est utile de différencier avec soin ces deux allures du constructivisme qu'on nomme communément psycho et socioconstructivisme. Nous les qualifierons ici d'auto et d'interconstructiviste. Pour l'instant, tenons-nous-en à la première orientation.
Un programme de recherche autoconstructiviste conduit à envisager une science [9] de l'autocognition et du fonctionnement cérébral[10] (Carré, Moisan et Poisson, 1997, p. 27). Qui adopte ce point de vue convient que la science cognitive a d'abord été béhavioriste. On peut en effet considérer le béhaviorisme comme un modèle élémentaire de théorie cognitive qui postule que l'existence peut s'analyser comme une adaptation à des stimuli externes. Dans une telle configuration, les états mentaux, la conscience, la pensée sont considérés comme des spéculations philosophiques douteuses.
En opposition à cette psychologie, les conceptions piagétiennes du développement cognitif marquent une rupture. Quoiqu'elles s'en tiennent à une approche clinique, elles osent une exploration de la «boîte noire» et des états mentaux, en prenant la précaution toutefois de se démarquer de la psychologie psychanalytique et en se cantonnant prudemment à l'étude des processus cognitifs. Contrairement au béhaviorisme, Piaget fait l'hypothèse d'un vitalisme et d'une autonomie du sujet connaissant, producteur de représentations. À la suite de cela, les théories représentationnistes de la connaissance ont acquis leurs lettres de noblesse.
Cette théorie cognitive a eu un impact certain dans les programmes qui organisent la scolarisation des enfants et aussi, plus curieusement, en formation d'adultes. Apprendre à apprendre, être acteur de son savoir… ces propos sont devenus des lieux communs, même si, dans les faits, l'agir explicatif conserve une place prépondérante. De même, les pédagogies cognitives d'inspiration piagétienne connaissent et ont connu un certain succès. Mais la pénétration de «l'idéal constructiviste» s'explique aussi par des considérations externes au champ éducatif. Les années 1970-1980 ont été dominées par un climat intellectuel qui mettait sérieusement en cause l'autonomie du sujet; on avait fini par convenir que l'homme avait définitivement perdu sa place au centre du monde (Galilée), au centre de la création (Darwin), au centre de lui-même (Freud), au centre de l'histoire (Foucault) et, pour finir, au centre de la raison (physique quantique). Prenant en un sens ce mouvement à contre-pied, le constructivisme participe à l'infléchissement idéologique de cette tendance. Le constructiviste pense que l'acteur est tout compte fait capable d'être libre, non pas libre de connaître les déterminismes et de s'y conformer en devançant la programmation historique, mais libre de produire de l'histoire dans un univers complexe. En ce sens, l'idéal constructiviste participe du tempo libéral qui rythme les années quatre-vingt-dix.
Depuis quelques années, à cette théorie du développement cognitif s'est ajoutée et en partie substituée une science de l'esprit dont on connaît les orientations connexionnistes et «computationnelles»[11]. La possibilité de simuler, même modestement, les fonctions supérieures de «l'esprit» avec un ordinateur et celle d'explorer, même modestement, le fonctionnement du cerveau ont conduit à un dialogue fécond entre les neurosciences et l'intelligence artificielle, à l'ouverture d'un programme de recherche inédit et pluridisciplinaire où dialoguent avec plus ou moins de succès la psychologie cognitive, la linguistique, la philosophie de l'esprit et aussi, dans une certaine mesure, la psychanalyse.
Du point de vue de l'agir pédagogique, la question est celle-ci: ce nouveau paradigme influence-t-il l'agir pédagogique et comment? À coup sûr, il permet d'envisager sous un nouvel angle des spéculations anciennes (théorie des intelligences multiples, réseaux sémantiques, etc.), mais l'impact des sciences cognitives n'est pas seulement centré sur l'éducation des hommes. Les sciences cognitives sont aussi un bon instrument «d'éducation» des ordinateurs et des robots. Cette école des machines n'est d'ailleurs pas sans effet sur l'école des hommes. Par interface, elle nous jardine assurément. Il se peut que nous assistions à l'instauration d'une tradition de convivialité à l'échelle mondiale. Sans doute est-ce une voie, insidieuse diront certains, par laquelle le cognitivisme influence l'agir pédagogique.
L'essentiel
Dans cette configuration, A avec B s'expliquent à propos de C. Le rectangle trouve cette fois son équilibre dans la tension produite entre des personnes à propos du savoir et non plus dans la tension existant entre le savoir et une personne, que celle-ci soit l'enseignant (agir explicatif) ou l'apprenant (agir autoconstructiviste). On conviendra qu'il s'agit là d'une démarche interconstructiviste. Le dialogue s'instaure jusqu'à ce que les locuteurs aient la certitude de s'être accordés ou jusqu'à ce qu'ils sachent ce sur quoi ils ne s'accordent pas.
Le formateur dialoguiste est un spécialiste des jeux de langage, jeux de langages spécialisés certes, mais aussi jeux de langage de tous les jours. Il admet qu'il en existe une grande variété, un peu comme il existe de nombreux jeux de cartes. Il sait qu'un mot peut avoir, dans telle ou telle configuration, un rôle très différent et il est attentif à cette diversité d'usages. Dans sa pratique, il s'emploie à identifier son engagement et celui d'autrui dans cette diversité langagière; ceci lui permet de repérer les malentendus qui naissent en formation quand les locuteurs jouent à des jeux différents sans s'en rendre compte. Un exemple de relation dialogique extrait d'un ouvrage dirigé par Vermersch et Maurel (1997) permettra d'illustrer le propos.
S est une élève de CE2 à qui J propose une dictée de plusieurs nombres dont quatre-vingt-dix-huit qu'elle écrit invariablement 88 et quatre-vingt-huit qu'elle écrit aussi 88. Ce qu'ils vont comprendre ensemble, c'est que S quand elle écrit 98 pense quatre-vingt (80) puis dix-huit (18) et qu'elle enlève les chiffres du milieu (0 et 1) puisqu'on ne peut écrire que 2 chiffres. Ce qu'ils vont comprendre aussi, c'est que pour écrire 88, S pense 80 puis 28, ce qui dans sa logique à elle s'écrit aussi 88 (Vermersch et Maurel, 1997, p. 78-79).
Certes, notre formateur ne croit pas que tous les jeux se valent et savoir différencier 88 de 98 lui semble utile. Mais, et c'est une caractéristique essentielle de la posture dialogique, il s'interdit d'imposer un jeu particulier par la violence, c'est-à-dire sans dialogue. Il sait qu'à un jeu de langage est toujours associée une forme de vie et que cette dernière peut asservir fermement les conceptions. Il doit en tenir compte et admettre qu'il est beaucoup mieux «désarmé»[12] que l'autre dans le dialogue pédagogique. La notion de «retenue», décrite par Meirieu et Develay, illustre précisément cette spécificité de la communication pédagogique quand elle se veut dialogique:
la retenue n'est pas le reniement; c'est cette manière de donner de la place à l'autre sans y paraître, c'est une sorte de rétractation confiante, une manière de s'éclipser en encourageant, de ne pas s'imposer parce qu'on sait que l'autre, maintenant, va pouvoir aller jusqu'au bout de lui-même. La retenue, c'est l'expression de soi sans la brutalisation de l'autre, c'est cette légère hésitation de la véritable compétence quand elle s'exprime sans s'exposer, quand elle reconnaît la difficulté de l'autre à l'entendre et, sans renoncer à ce qu'elle croit et sait, prend la précaution essentielle de lui laisser un espace pour exister (Meirieu et Develay, 1993, p. 127-128).
Le formateur dialoguiste ne renonce pas à une didactique de l'explication ou de la mise en situation, mais il la soumet à une didactique de l'interlocution ayant pour finalité l'activité communicationnelle. À une responsabilité plus ou moins limitée, il préfère une responsabilité partagée.
La relation avec la pragmatique
La pragmatique est cette discipline qui enseigne que les actes de langage sont aussi… des actes. Elle renvoie à une théorie de l'activité qui n'exclut pas l'action langagière. Parmi les conceptions disponibles, Habermas (1987 a ) en propose une qui semble tout à fait utilisable pour décrire l'agir dialogique.
Habermas distingue l'activité stratégique orientée à la réussite et l'activité communicationnelle orientée à l'intercompréhension. Pour le formateur dialoguiste, il n'est pas question de choisir entre l'une et l'autre; par contre, il s'agit de faire prévaloir la seconde sur la première. En procédant ainsi, il estime qu'il est raisonnable de soumettre l'activité stratégique à l'activité communicationnelle, parce qu'il est raisonnable d'imposer à nos stratégies et à celles d'autrui un principe régulateur.
Son choix est à la fois moral et rationnel, moral parce qu'il privilégie une relation non utilisatrice de l'autre, rationnel parce que, si l'on en croit Habermas, c'est en exerçant une activité communicationnelle que l'humanité se perpétue.
Un autre constructivisme
Le formateur dialoguiste pense que les démarches auto et interconstructivistes appartiennent à deux «géométries» qu'il est utile de distinguer (Quéré, 1996; Taylor, 1991). Elles diffèrent selon lui dans leurs principes fondateurs, ce qu'il exprime de la manière suivante: pour l'autoconstructiviste, parler signifie d'abord parler de quelque chose alors que pour l'interconstructiviste, parler signifie toujours parler avec quelqu'un, ce quelqu'un pouvant éventuellement être soi-même. Il précisera qu'analysant ce rapport à soi, Vygotsky définit le langage intérieur comme la manifestation d'un dialogue social en soi: «Nous sommes conscient de nous-même [dit-il] parce que nous sommes conscient des autres; de manière analogue, nous sommes conscient des autres parce que, dans notre relation avec nous-même, nous sommes semblable aux autres dans leur relation avec nous-même» (Rivière, 1990, p. 52). Peut-être, citera-t-il aussi Bakhtine (1977):
Le monde intérieur et la réflexion de chaque individu sont dotés d'un auditoire social propre bien établi, dans l'atmosphère duquel se construisent ses déductions intérieures, ses motivations, ses appréciations (p. 123).
Priorité est donc donnée à l'exercice du dialogue interne et externe. Celui-ci est pensé comme une activité, notion dont Vygotsky dit qu'elle est l'unité d'analyse minimale qui permet d'exprimer de manière pertinente les caractéristiques fondamentales des fonctions psychiques de l'homme.
Conclusion
En commençant à écrire ce texte, il y a quelques années, un souhait m'était venu; qu'il fasse écho à ce que font habituellement les formateurs et les enseignants, qu'il permette de dialoguer avec un déjà-su et qu'il le fortifie.
Ce propos était inspiré d'un texte de Gadamer (1996). Celui-ci y posait une question qui n'est pas sans rapport avec les enjeux de ce texte-ci: que faisons-nous quand nous comprenons? Gadamer conclut qu'au fond, tous les êtres humains comprennent de la même manière, et qu'il n'y a certainement pas lieu de différencier fondamentalement la compréhension scientifique de la compréhension commune. Il faut, dit-il, radicaliser ce que signifie comprendre et on dispose alors d'un modèle qui est absolument général et à propos duquel toute personne peut se dire: au fond, c'est ainsi que je comprends.
À la manière de Gadamer, on peut se demander: mais que faisons-nous quand nous agissons pédagogiquement. Les formules «expliquer à», «mettre quelqu'un en situation de…», «expliquer avec…» radicalisent, du moins je l'espère, les réponses possibles. De cette radicalisation résultent des théories formatives qui ne sont pas sans lien avec les théories de la connaissance et qui s'expriment assez bien dans l'espace du triangle pédagogique. Ce ne sont pas des configurations inédites; elles font écho à l'activité habituelle des formateurs, elles permettent d'engager un dialogue avec un déjà-su et de l'enraciner dans des systèmes de valeurs et des courants de pensée qui sont aux racines des oppositions et des débats pédagogiques.
Mais on peut aussi essayer de penser, au-delà des divergences, à la manière dont fonctionnent ensemble les différentes modalités d'agir pédagogique.
En même temps qu'elles renvoient à des choix scientifiques et idéologiques identifiables, les postures explicative et constructiviste sont des impératifs sociaux.
«On» demande à l'enseignant d'être le vecteur de la tradition, de transférer, d'enseigner quelque chose à quelqu'un;
«On» lui demande aussi d'être un catalyseur de redécouverte, de ne pas être celui qui sait déjà et confisque toute possibilité d'invention sous prétexte que cela a déjà été dit.
Renoncer à ces deux modalités d'agir ou choisir l'une contre l'autre n'est pas raisonnable. Ce sont deux dimensions majeures de l'agir pédagogique dans les sociétés ouvertes. Elles jumellent, sans qu'il puisse en être autrement, apprentissage de la tradition et critique de cette tradition. Autrement dit, agir de manière explicative ou constructiviste n'est pas seulement une question de choix, de préférence ou de certitude. Former, c'est avoir la prudence de ne pas renoncer à ces rôles sociaux et à la fois ne pas en être dupe.
À l'instar des deux autres formes d'agir, l'agir dialogique est lui aussi un impératif social. Mais c'est une forme d'agir assez discrète sur le marché des idées pédagogiques et, bien que ses manifestations soient permanentes, nous n'en percevons pas toujours la saveur ni même l'importance.
Dire et redire cette banalité est pourtant utile, car le dialogue est un principe régulateur vital qui permet de ne pas être dupe des rôles sociaux que nous jouons. Dialoguer, c'est présumer qu'il y a toujours une profondeur sociale à explorer, qu'elle est toujours susceptible de suspendre la réification, l'aliénation et la domination.
Parties annexes
Notes
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[1]
On peut considérer que la complexité est un principe régulateur. Cette précision me semble utile, car il arrive que certains, tout en se réclamant du constructivisme, affirment que la complexité est une qualité des choses dont on n'avait pas pris jusqu'à aujourd'hui la mesure. De là l'idée qu'il faut dorénavant parvenir à penser autrement. C'est, nous semble-t-il, une attitude qui, tout en s'en défendant, n'est pas sans relation avec l'idéal positiviste. En contrepoint de cette conception, on pourrait dire de la raison et de la complexité qu'elles ne sont pas une qualité de la réalité ni une qualité de nos représentations, mais qu'elles sont des modalités possibles de notre relation au monde.
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[2]
La confiance qu'on avait en la raison au siècle des Lumières s'est fortement atténuée. La raison scientifique, disons le point de vue de la raison qui permet d'expliquer et de transformer la nature et le social, s'est vue reconnaître une double nature. D'une part, et même si l'idée de progrès n'entraîne pas l'adhésion sans retenue, on admet en général que la raison scientifique permet d'augmenter considérablement la production des biens et services, d'accroître considérablement la productivité, de mieux organiser les ressources humaines, de mieux gérer les entreprises et les États, d'améliorer considérablement les conditions d'existence dans les pays économiquement développés. Mais cette efficacité est aussi prétexte à idéologie. La raison instrumentale est aussi la «philosophie» de la technocratie quand elle cherche à présenter ses finalités comme allant de soi, à déguiser son agir en faire et à utiliser les institutions démocratiques comme des moyens de sa stratégie. Le point de vue communicationnel développé par Habermas (1987 a ) dans sa théorie de l'agir communicationnel est une tentative pour contrecarrer l'impérialisme d'une raison qui serait d'abord instrumentale ou stratégique.
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[3]
Lesnes (1984) distingue le mode de travail de type transmissif à orientation normative qui permet «une reproduction du système des rapports économiques et sociaux existants (reproduction sociale)»; le mode de travail de type incitatif à orientation personnelle qui permet «l'adaptation aux exigences de fonctionnement du système des rapports économiques et sociaux existants (adaptation sociale)» et le mode de travail de type appropriatif centré sur l'insertion sociale qui permet «la production de nouvelles formes de rapports économiques et sociaux (production sociale)» (p. 221-222).
-
[4]
Le positivisme et le constructivisme diffèrent peut-être moins qu'on ne le pense. La métaphore de l'ordinateur permet d'imaginer que les uns s'intéressent aux langages évolués alors que les autres travaillent au niveau du langage machine ou du langage biologique.
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[5]
Par pragmatique, il ne faut pas entendre une attitude qui consisterait à privilégier les questions pratiques au détriment des questions théoriques. Bien que le mot pragmatique recouvre des conceptions fort diverses, on sait que la pragmatique n'est pas l'étude de la syntaxe ni celle de la sémantique, mais celle du langage en acte. Dans ce texte, le terme est employé pour décrire une démarche qui tend à atténuer le contraste traditionnellement admis entre dire et faire, qui ne s'autorise pas à interpréter le sens indépendamment d'un usage. Peuvent être apparentés à ce courant de pensée Wittgenstein (1984), Austin (1970), Searle (1972), Jacques (1979), Habermas (1987 a ).
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[6]
Ce terme dont on oublie la pertinence s'oppose à celui d'élève, mais aussi à celui d'apprenant. Un étudiant peut aussi choisir judicieusement de n'être pas apprenant dans tel et tel domaine.
-
[7]
Par effet de miroir avec la notion de sous-groupe, celle de surgroupe englobe les groupes qui suivent des formations comparables ou apparentées.
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[8]
On peut d'ailleurs penser que le débat entre pédagogie transmissive et appropriative est un creuset dans lequel se reproduit la «pédagogie normale».
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[9]
Par science, et pour s'en tenir à l'esprit de l'autoconstructivisme, il faut entendre une activité qui n'est pas spéculative, mais expérimentale.
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[10]
«Cette transition illustre le passage d'un paradigme dominant d'orientation béhavioriste à une orientation cognitiviste qui cherche à analyser sur une base pluridisciplinaire, les mécanismes internes (la boîte noire du béhaviorisme) du fonctionnement de la pensée (perception, mémoire, représentations, résolution de problèmes, etc.)» (Carré, Moisan et Poisson, 1997, p. 27).
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[11]
Selon la théorie courante, trois questions orientent le programme cognitiviste: Comment les informations sont-elles filtrées? Comment les représentations se constituent-elles? Comment sont-elles manipulées pour constituer la pensée? Plusieurs niveaux d'analyse sont identifiables, du niveau neuronal jusqu'aux fonctions supérieures, sans qu'il y ait nécessairement continuité entre ces niveaux d'analyse.
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[12]
L'emploi du mot désarmé n'est pas une erreur et il s'agit bien d'un avantage. Le formateur dialoguiste n'est pas en quête d'une identité qui le conduit à défendre la place qu'il occupe.
Références
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- Austin, J.L. (1970). Quand dire c'est faire. Paris: Seuil.
- Bakhtine, M. (1977). Marxisme et philosophie du langage, essai d'application de la méthode sociologique en linguistiqu e. Paris: Les Éditions de Minuit.
- Carré, P., Moisan, A. et Poisson, D. (1997). L'autoformation. Paris: Presses universitaires de France.
- Gadamer, H.G. (1996). Le problème de la conscience historique. Paris: Seuil.
- Habermas, J. (1987 a ). Théorie de l'agir communicationnel (2 tomes). Paris: Fayard.
- Habermas, J. (1987 b ). Explication du concept d'activité communicationnelle. InLogique des sciences sociales et autres essais (p. 413-446). Paris: Presses universitaires de France.
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- Jacques, F. (1979). Dialogiques. Paris: Presses universitaires de France.
- Leclercq, G. (1996). Du paradigme transmissif au paradigme interactionniste en pédagogie. InL'année de la recherche en sciences de l'éducation (p. 89-103). Paris: Presses universitaires de France.
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