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Ce court essai s’ajoute à la liste déjà longue d’articles et de monographies que Lucie K. Morisset consacre aux significations du paysage construit. Dans Des régimes d’authenticité, elle propose d’utiliser le cas québécois pour voir dans quelle mesure il est possible de sortir le concept de « patrimonialisation » de France, où il a été conçu, et de l’appliquer à d’autres collectivités. Pour y arriver, elle développe, dans la première moitié de l’essai, la notion de « régime d’authenticité ». En un peu plus d’une dizaine de pages très denses, Morisset nous introduit d’abord à la notion de « mémoire patrimoniale », qui amalgame patrimoine et patrimonialisation, c’est-à-dire ces éléments du passé auxquels on a attribué une valeur et le processus par lequel cette valeur leur a été attribuée. Dans ces circonstances, la mémoire patrimoniale serait constituée « des représentations patrimoniales superposées ou juxtaposées dans le temps » (p. 19). Cette idée de mémoire patrimoniale sous-entend que les patrimoines et les représentations de ce patrimoine peuvent se succéder dans le temps. « À une époque ou à une ère donnée, ainsi, correspondrait un investissement patrimonial, particularisé par ses modalités ou par son objet » (p. 24). C’est ce qu’entend Morisset lorsqu’elle parle de « régimes d’authenticité », qui représentent un certain point d’équilibre entre le rapport qu’entretient une société au Temps, à l’Espace et à l’Autre. La modification de cet équilibre conduirait à un basculement, à un changement de régime d’authenticité qui amènerait une société à repenser sa façon de créer et d’entretenir son patrimoine.
Morisset applique ce cadre aux activités de la Commission des monuments historiques, entre 1922 et 1929. À partir des procès-verbaux et des documents produits par cet organisme créé par le gouvernement québécois pour identifier et protéger le patrimoine de la province, Morisset met au jour les régimes d’authenticité qui s’y succèdent et qui distinguent à son avis l’expérience canadienne-française. Dans un premier temps, les activités de la commission se caractérisent par un rapport à l’Autre (le touriste américain) et à l’Espace (le réseau routier) qui laisse peu de place au passé. Dans un second temps, à la fin des années 1920, le rapport au Temps de la commission se transforme et marque un basculement important : le passé est progressivement réifié, une Nouvelle-France abstraite devient l’Espace de référence et l’Autre prend de plus en plus la forme d’un ennemi duquel il faut protéger le patrimoine.
Ce passage d’une patrimonialisation du « monument » à celui de la « relique », pour reprendre les termes de Morisset, est bien illustré par le recours à maints exemples tirés des archives de la commission, mais également par une analyse du lexique utilisé par les commissaires. Quant à la spécificité québécoise, Morisset la lie étroitement au mandat donné initialement à la commission, à sa composition, mais également au rapport particulier qu’entretient le Canada français à son passé. L’ouvrage représente certainement une contribution importante à l’histoire de la patrimonialisation au Québec, mais l’ouverture sur l’Occident que permettrait l’étude des régimes d’authenticité québécois demeure à l’état de projet prometteur.