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Le 10 mai dernier est décédée Azilda Lapierre-Marchand, féministe de l’ombre.
On a parfois l’impression que les féministes du Québec appartiennent à deux époques distinctes; qu’entre Marie-Gérin-Lajoie, Carrie Dereck et les militantes des années 1970, il n’y a qu’une longue période où se dresse, unique, la figure hiératique de Thérèse Casgrain. Azilda Lapierre-Marchand fait partie de celles qui ont assuré la transition entre les deux groupes.
Née en 1918, cette femme de caractère a suivi le modèle le plus répandu parmi les Québécoises : études secondaires chez les religieuses, diplôme d’école normale, enseignement dans les petites écoles de rang, mariage et responsabilité d’une famille de neuf enfants.
Sous ce scénario traditionnel se dissimule toutefois un engagement exceptionnel au service des femmes, d’autant plus exceptionnel qu’il est issu des mouvements réputés traditionnels : membre de la Jeunesse agricole catholique dès 1937; membre de l’Union catholique des femmes rurales dès 1950, où elle devient rapidement présidente de la Fédération de Saint-Hyacinthe en 1961; responsable du comité de coordination des principaux organismes féminins dès 1963, d’où est issue l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFEAS) en 1966. Au moment de la création de cette dernière, alors qu’évêques et aumôniers tenaient mordicus à l’étiquette catholique, Mme Lapierre-Marchand a tenu bon : « Je ne pense pas que ce soit l’Église qui décide. Un mouvement d’action sociale peut avoir des relations libres avec l’Église. C’est un organisme de femmes et on est rendu à un point où les gens sont capables de se prendre en main. » Elle a été présidente provinciale de l’AFEAS de 1970 à 1975.
À ce moment-là, une des questions les plus débattues est celle du travail rémunéré des femmes. À l’AFEAS, on songe encore à déplorer la généralisation de ce phénomène. Cependant, Azilda Lapierre-Marchand est une des premières à dire : « Mais il n’y a parmi nous que des femmes qui travaillent. Examinons plutôt la situation des femmes qui besognent gratuitement dans l’entreprise familiale. » Elle déplore publiquement que la commission Bird ne se soit pas penchée sur cette question. De cette interrogation est issu le projet « La femme collaboratrice du mari dans une entreprise familiale », de 1974 à 1977, d’où découlera l’Association des femmes collaboratrices.
Depuis 1972, les états de services publics de Mme Lapierre-Marchand, que ce soit au Conseil supérieur de l’éducation (1972-1985) et, à ce titre, comme membre de plusieurs commissions d’étude, dont l’enseignement collégial et l’enseignement supérieur, en tant que membre du Conseil du statut de la femme (1975-1980) et, à ce titre, comme responsable de la politique d’ensemble de 1978 ou au sein de délégations variées lors de l’Année internationale de la femme en 1975 et à l’UNESCO (1974-1980), lui ont valu le Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » (1984), l’Ordre national du Québec et l’Ordre national du Canada (1985) de même qu’un doctorat honorifique de l’Université de Sherbrooke (1987).
Cette reconnaissance faisait suite à vingt années de travail patient dans le milieu rural. Vingt années à convaincre les femmes qu’elles peuvent prendre la parole, contester les idées reçues, occuper des postes et même, sans ostentation, calmement, être féministes.