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De février à avril 2005, plus de 100 000 étudiants et étudiantes du Québec ont déclaré une grève illimitée pour exercer une pression collective contre le gouvernement au pouvoir. Qualifiée du plus grand rassemblement étudiant depuis 1968, cette grève a fait couler beaucoup d’encre. On a parlé des coupures proposées par le gouvernement. Au cours de la campagne électorale de 2003, le Parti Libéral du Québec, avec Jean Charest à sa tête, promettait le gel des frais de scolarité pour les études postsecondaires tout en maintenant son désir de baisser les impôts. Afin de tenir ces promesses, les Libéraux organisèrent ce qu’ils appellent aujourd’hui la « réingénierie » de l’État, une forme de réorganisation des priorités budgétaires et du rôle de l’État dans la société. Plusieurs projets de loi, tels la loi 31 sur le code du travail, furent passés à l’Assemblée nationale sous bâillon. Plusieurs programmes sociaux virent leur budget amputé, tels le programme des garderies, et l’éducation ne fut pas exemptée de ces coupes. La réforme de l’Aide financière aux études prévoyait ainsi des coupures de 103 millions de dollars dans le régime de prêts et bourses. Des coalitions représentant les étudiants collégiens et universitaires engagent dès lors des négociations avec le gouvernement. Des marches de protestation sont organisées, pendant ce temps, la grogne s’étend dans le milieu étudiant. Devant l’impasse, plusieurs consultations concernant une grève commencent à s’organiser dès l’automne 2004.
On a parlé aussi des grandes associations étudiantes concernées, dont la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), la Coalition pour une association solidaire syndicale étudiante élargie (CASSÉÉ) et l’Association facultative des étudiants et étudiantes en sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal (AFESH). En somme, les revendications du mouvement étudiant concernaient l’abolition de la réforme de l’Aide financière aux études, la fin de tout projet de décentralisation ou d’arrimage au marché du réseau collégial et le tout dans une perspective de gratuité scolaire et d’éradication de l’endettement étudiant. La CASSÉÉ, elle, avait élargi les bases de la lutte étudiante pour y inclure des revendications menant vers un projet de société plus global : la fiscalité responsable, la démocratisation des institutions postsecondaires, l’altermondialisation, la démilitarisation, le développement du logement social, et la défense des droits des minorités, avec une attention particulière aux droits des femmes. La CASSÉÉ fut exclue de la table des négociations par le nouveau ministre de l’Éducation Jean-Marc Fournier à cause de son refus de condamner les gestes violents posés lors d’actions qu’elle a organisées. Toutefois, selon la CASSÉÉ, c’est plutôt dans le but de diviser le mouvement étudiant que le ministre l’a écartée.
NPS a rencontré trois étudiantes qui ont participé à l’émergence d’un collectif féministe au sein de la mouvance étudiante de l’UQÀM qui a milité pour l’amélioration des rapports de pouvoir entre hommes et femmes à l’intérieur des groupes militants. Le Comité femmes en grève de l’UQÀM était composé d’une dizaine d’étudiantes, aussi membres de la CASSÉÉ et engagées dans différents groupes militants ; certaines plus que d’autres, certaines à l’UQÀM depuis plus longtemps, mais toutes avaient milité au moins de près ou de loin dans le milieu étudiant. Leur point de vue a rarement été diffusé, mais leurs actions ont eu néanmoins un impact déterminant dans la vie de plusieurs étudiantes et étudiants.
NPS – Selon vous, quels étaient les enjeux de la grève étudiante ?
ISABELLE : Je sais qu’il y a toute une symbolique autour du 103 millions, mais nous avons essayé d’apporter un discours plus large, justement vers un débat de société sur le droit à l’éducation, l’avènement de l’endettement étudiant, sur la gratuité scolaire, le maintien du réseau collégial dans son intégrité.
FRANÇOISE : Pour nous, ça allait encore plus loin aussi. Nous avons amené des propositions en assemblée générale de l’AFESH, par exemple, sur les mères étudiantes, les mères monoparentales qui se faisaient couper dans les prêts et bourses parce qu’elles recevaient une pension alimentaire pour l’enfant. Nous avons amené des caucus non mixtes sur le féminisme et plusieurs autres points féministes à l’ordre du jour.
ISABELLE : C’est que dans l’organisation de la grève, plusieurs comités soulevaient des questions rattachées à la division sexuelle du travail : la garderie, le comité bouffe, des comités occupations de l’UQÀM pour se réapproprier l’espace… Et tous ces enjeux vont bien plus loin que les 103 millions.
ANNE : La grève a été déclenchée et menée en réponse à des enjeux pragmatiques et concrets. Ces enjeux-là sont intimement féministes aussi.
NPS – Comment a débuté votre implication ?
ISABELLE : En septembre 2004, un comité féministe radical s’est mis en branle à l’UQÀM. Un peu plus tard dans l’année, vers le mois de décembre ou janvier, donc avant la grève, il y a eu une tentative de créer un comité femmes à l’AFESH. Cette action a permis de recruter d’autres étudiantes féministes, mais le comité lui-même est tombé à l’eau. Puis après ça, la grève a commencé.
FRANÇOISE : Là, nous avons ouvert le groupe et nous nous sommes appelées « Comité femmes en grève ». Tous les matins, il y avait un Conseil de grève et nous faisions de la promotion pour parler du collectif, que nous étions ouverts à toutes les femmes qui voulaient venir, pas seulement les étudiantes impliquées dans la grève.
NPS –Quelles sont les conditions qui ont favorisé l’émergence des « collectifs féministes » au sein du mouvement de grève étudiante ?
ISABELLE : D’abord, il y a eu l’inexistence de groupes féministes. Quand nous cherchions les contingents féministes à l’intérieur du mouvement de la grève étudiante, il était supposé en avoir, mais il n’y avait personne. Il y a eu une rumeur d’une bannière à un moment donné dans une manifestation qui représentait un collectif féministe ; nous l’avons cherchée, mais nous ne l’avons jamais trouvée. Le féminisme est présent dans le discours, mais pas souvent dans la pratique. Par exemple, les étudiants grévistes étaient intéressés par la réalité des étudiantes monoparentales et voulaient en savoir plus. Mais qui allait faire la recherche, porter le point de vue ou en parler d’une façon éclairée ?
ISABELLE : C’était important que la lutte féministe fasse partie intégrante de la grève parce qu’il y a beaucoup de sexisme et de machisme dans le monde étudiant, et encore plus pendant des moments de tension comme lors d’une grève. Nous avions entendu parler d’incidents assez graves qui ont eu lieu : des agressions sexuelles, physiques, verbales et psychologiques envers des étudiantes, venant d’étudiants machos impliqués dans le fonctionnement des instances de la grève étudiante. L’idée était de se réapproprier un local amical, un local non mixte. Parce que, dans une grève, nous nous doutions qu’il allait y avoir des moments d’occupation, d’action, puis qu’il allait être important d’avoir un endroit où nous pouvions nous sentir bien à tout moment. Un endroit non mixte et où il n’y aurait pas trop de hiérarchie.
FRANÇOISE : C’est aussi selon nos expériences personnelles des groupes militants, dans les différentes associations étudiantes ; nous savions combien un collectif féministe serait pertinent en contexte de grève.
NPS –Est-ce que d’autres instances féministes étaient impliquées à vos côtés ?
ISABELLE : Nous n’avons pas cherché l’appui de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQÀM. Nous aurions pu, mais notre action était plus sur le terrain qu’institutionnelle…
FRANÇOISE : Il y a deux temps, de façon générale, dans la grève. Certaines vont chercher des appuis auprès des syndicats, des professeurs de cégep, des médias, des trucs comme ça. Puis, il y a du monde sur le terrain, comme le Comité femmes en grève.
NPS – À quels obstacles vous êtes-vous heurtées ?
ISABELLE : Il y avait le problème de coordination. Les deux ou trois premières semaines de la grève, tout était beau, tout le monde était bien content. Ensuite, ça s’entredéchirait, à l’UQÀM et ailleurs ; il y a des divisions internes incroyables qui ne se sont jamais réglées. Puis le mouvement s’est séparé par associations étudiantes.
FRANÇOISE : Ce qui a été dur aussi, en fait, moi, je l’ai ressenti comme ça, le Comité femmes m’intéressait, mais pendant ses réunions, je ne pouvais aller aux autres réunions des autres comités qui m’intéressaient.
ISABELLE : Et tu ne peux pas faire de l’occupation en même temps. Faire une occupation prend deux jours complets. Parce qu’il faut l’organiser, puis la faire, puis, te faire arrêter. Je pense que nous avions toutes les trois d’autres implications qui nous intéressaient, puis c’était quand même une grève. Ça donnait le goût d’aller dans les manifestations à l’extérieur de Montréal.
FRANÇOISE : Oui. Alors finalement, parfois, le choix de s’impliquer est un peu déchirant. Les 10 femmes impliquées faisaient partie des 30 personnes impliquées dans l’UQÀM. Veux, veux pas, nous nous sommes brûlées. Après trois semaines de grève où tu cours partout, tu ne dors pas, tu fais des occupations, tu es stressée, la police débarque... Tu sais, c’est vraiment l’enfer ! Donc, tu te dis : « Tel comité, on va manquer deux ou trois réunions, tel autre aussi, puis tel autre. Puis le local, est-ce qu’on va l’occuper ou non ? Tu sais, il n’y aura plus personne qui y vient. À quoi sert-il ? Est-ce qu’on le garde à long terme ou pas ? »
NPS – Après trois semaines…
ISABELLE : Déjà, après trois semaines, puis à la fin de la grève, il n’y en avait plus de…
FRANÇOISE : Plus de réunions.
ISABELLE : Plus de réunions, plus rien. Le local, nous l’avons un peu abandonné à son sort. Après huit semaines, c’était l’épuisement, puis c’était aussi très démoralisant, c’était le retour à l’école et la négociation des ententes d’évaluation…
FRANÇOISE : Mais dans la tête des gens, la gratuité scolaire ça reste quand même un espoir.
NPS –Selon vous, quelle était la perception que les gens avaient du Comité et de vos activités ?
ISABELLE : Paraît-il que le Comité femmes en grève a inspiré la création de comités femmes en milieu collégial… et ailleurs. C’est le bon côté. Aussi, quand nous nous sommes approprié notre local, les gens ont tout de suite cédé à notre demande sans questionnement. Ça a été clair : elles y ont droit. Mais pour le quotidien du local, certains ont mal réagi, dans le sens de croire que nous n’avions pas le droit d’être seules, au risque de « comploter contre les hommes ». Franchement ! Puis nous avons eu des réactions vraiment dégueulasses. Des gens qui sont entrés dans le local, des hommes, pour nous écrire des obscénités sur le tableau, du genre « Ma bite vous dit salut ».
NPS –Ce sont des étudiants ?
ISABELLE : Oui. Mais en plus ce sont des gens qui sont en train d’occuper les locaux de l’université, qui sont supposés êtres conscientisés à la cause féministe. Là, tu te demandes avec quel genre de gars est-ce que je faisais les manifs ? Tu ne sais pas qui c’est, c’est signé anonyme, tu sais : « On va vous faire peur les petites féministes. »
NPS –Alors, il y a beaucoup de résistance ?
ISABELLE : Du bord des hommes énormément ; du bord des femmes, il y en avait quand même, mais moins. C’est vrai que la double tâche existe dans le milieu militant aussi, et de là, plusieurs femmes ont reconnu la pertinence du Comité femmes en grève et plusieurs discussions ont eu lieu.
FRANÇOISE : Les gars refusaient quasi systématiquement de faire des caucus non mixtes. Oui, nous avons forcé la main pour qu’il y ait quelque chose de féministe, parce que tout le monde n’avait que la grève étudiante au coeur et personne ne voulait mettre le temps et l’énergie d’apporter d’autres enjeux, disons sur l’environnement, le racisme, la pauvreté en général. C’était compliqué d’essayer de faire des liens avec les autres mouvements sociaux.
ANNE : Même qu’il était supposé d’y avoir des occupations femmes tous les jours, pas seulement dans la semaine du 8 mars.
ISABELLE : D’ailleurs, un slogan qui était ressorti était : « Être féministe, c’est de l’action directe tous les jours. »
NPS – On n’en a pas entendu parler ?
ISABELLE : Le problème du Comité femmes en grève, c’est qu’il a fini par être restreint, parce qu’au fur et à mesure que la grève a grossi en importance, partout au Québec, les questions féministes n’ont pas suivi. Le mouvement a pris de l’ampleur à travers des associations étudiantes qui n’avaient pas nécessairement de caucus féministe ou qui n’étaient pas conscientisées. Alors que les associations qui étaient à la base de la grève, ça faisait longtemps qu’il y avait des féministes qui martelaient qu’il y avait du machisme dans le milieu militant. Le mouvement s’est éloigné de tout ça.
ANNE : C’est vrai que, dans certaines associations, comme à l’AFESH par exemple, le féminisme est pris au sérieux… Quand tu ne féminises pas, tu te le fais dire ! Et c’est certain qu’à l’UQÀM, il y a une culture féministe, plus grande peut-être qu’à d’autres endroits dans le Québec francophone, ce qui fait que c’était plus facile.
FRANÇOISE : Puis, il y avait aussi beaucoup de militants et militantes de l’extérieur, en fait peut-être d’anciens étudiants, ou des gens qui militent dans d’autres groupes, qui nous demandaient des nouvelles, pas seulement sur le Comité femmes, mais sur la grève en général. Les gens étaient intéressés et nous encourageaient en disant « Vous avez un très grand impact », « Il n’y a jamais rien eu comme ça qui s’est fait ». Ça faisait du bien d’entendre cela.
FRANÇOISE : Oui. De nous dire « C’est extraordinaire ce que vous faites ». Ah ! Wow ! Merci !
ISABELLE : La perception des gens était vraiment des deux : positive et négative. Ça me fait penser à un cas d’il y a quelques années d’un militant bien connu qui a commis des actes agressifs envers une femme et qui avait été dénoncé publiquement dans le milieu militant. Les femmes, les féministes se sont beaucoup fait reprocher d’avoir tassé un ami de la lutte. Qu’est-ce qui est le mieux finalement : accepter qu’il y ait des femmes qui se fassent agresser pour avoir un membre de plus, parce que nous ne sommes jamais assez nombreux, ou exclure les gens agressifs ? Personnellement, cela va de soi, on l’exclut, on le tasse, il ne mérite pas d’être là. Je trouve ça difficile de penser qu’on s’empêche parfois d’agir et de dénoncer par peur de ternir l’image du mouvement. J’aime mieux savoir que je suis en sécurité, savoir que mon intégrité physique et morale est respectée !
FRANÇOISE : Je pense que la question de l’image est une question de fond. Mais faire une occupation n’aide pas à l’image, s’habiller en noir non plus.
ISABELLE :… peur qu’on pense que toutes les féministes soient méchantes de toute façon…
ANNE : Il ne faut pas oublier que ce n’est pas parce que tu es en grève et que tu milites, que tu n’es plus dans des rapports sociaux, qu’il n’y a plus de rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.
ISABELLE : Tout à fait. Je pense que c’est comme la brutalité policière que nous avons subie en temps d’arrestation ou d’intervention policière ; que nous l’ayons dénoncée ou non, les gens disent que, de toute façon, nous la méritions. La population générale pense que lorsque tu fais une occupation, tu dois t’attendre à te faire brutaliser.
FRANÇOISE : Il y a même des gens qui voulaient nous rentrer dedans avec leur voiture en hurlant : « Tu le méritais de te faire rentrer dedans par un char tu sais ! ». Certains étaient comme un peu fous.
NPS –Qu’avez-vous réalisé comme actions pendant, durant et après la grève ?
ANNE : Dès le deuxième jour de grève, nous avons eu un local non mixte, un lieu agréable et sécuritaire pour les femmes seulement.
ISABELLE : La non-mixité, le fait d’avoir un lieu pour nous qui peut être sécuritaire, par exemple, quand il y a une occupation en temps de grève, est importante. Quand tu dors à l’UQÀM et que tu n’as pas le goût de dormir à côté de n’importe qui, tu ne sais pas ce qui peut arriver, si les trois ou quatre personnes à côté de toi font l’amour, ou si la fille se fait agresser, parce qu’il n’y a personne qui va lever le ton et dire : « Est-ce que ça va ? » Aussi pour avoir un lieu d’expression plus facile. Parce que, par exemple, dans les comités, les gars parlent plus et plus fort que les femmes. Alors, c’est un lieu pour faciliter l’expression, pour parler de certains problèmes reliés au genre, au machisme, etc. C’est pour cela que nous avions notre local, et que nous l’avons répété 10 000 fois à 10 000 personnes, je ne sais pas combien de fois par jour.
FRANÇOISE : Plus la grève avançait, plus il y avait de femmes qui disaient : « Ah ! Je vais peut-être aller voir dans le fameux local non mixte qu’est-ce qui se passe. » Puis tranquillement il y a de plus en plus de femmes qui sont venues voir. « Ah ! Bien finalement, ce n’est pas si fou que ça, cette idée-là. »
ISABELLE : Nous avons fait une soirée où nous avons invité des féministes des alentours, par exemple, Les Sorcières, un groupe de jeunes féministes radicales. Elles sont venues nous visiter et elles nous ont écrit un beau message sur le tableau dans le local. Nous l’avons laissé en souvenir et comme décoration.
ANNE : Ensuite, une de nos plus importantes activités était de surveiller les actes de violence envers les femmes et de les dénoncer.
ISABELLE : Au début de la grève, quand il y avait le Conseil de grève et que les structures mises en place fonctionnaient, le Comité femmes en grève était vraiment utile parce qu’il y a eu des dénonciations d’agressions verbales. Nous les avons dénoncées publiquement, du moins au Conseil de grève, et nous nous étions trouvé des moyens de défense aussi.
FRANÇOISE : Puis, nous avions averti les gars de ne pas jouer les superhéros parce que cela nous obligerait à agir. Nous n’acceptons pas la violence envers les femmes, peu importe l’effervescence du mouvement. Nous allons être vigilantes. Nous allons suivre la personne jusqu’à ce qu’elle sorte de l’UQÀM !
ANNE : Lorsqu’un individu agressait verbalement les femmes en leur disant « ta grève, il faut qu’elle arrête, parce que sinon tu vas avoir affaire à moi », c’est là que nous avions notre mot à dire. Il y a même eu des menaces d’agressions, de mort, du genre « Si tu nous dis que ce n’est pas fini, je vais te retrouver, puis… ». Alors, nous décidions d’intervenir par rapport à lui, et nous l’apportions au Conseil de grève, en disant aux gens comment nous prévoyons agir pour répondre à l’agression.
ISABELLE : D’abord, nous le surveillions sans arrêt, puis quand il y avait des gros rassemblements de gens et que nous savions que l’individu y serait, nous surveillions encore plus, par exemple, en nous assoyant à côté de lui lors des assemblées générales, en utilisant la photographie pour en faire une description et pouvoir informer les femmes sur son cas, en accompagnant les femmes pour qu’elles portent plainte.
ANNE : Une autre activité que nous avons réalisée avec le Comité femmes a concerné l’implication des femmes dans les tactiques d’occupation de l’espace universitaire. Nous avons donc organisé une occupation de l’UQÀM pendant la semaine du 8 mars.
ISABELLE : Puisque nous pouvions en faire pendant toute la durée de la grève, nous nous demandions pourquoi l’occupation par des femmes devait seulement avoir lieu autour du 8 mars. Parce qu’à la limite, les gens vont se dire « ah ! Bien, c’est le 8 mars, c’est normal ». C’est justement l’idée de dire les femmes sont là et il faudrait que nos préoccupations soient reconnues tous les jours, que ça fasse partie de notre discours de tous les jours, pas seulement le 8 mars.
ANNE : Il y a un projet que finalement, nous n’avons pas mis en branle, mais je pense qu’il aurait fait en sorte qu’encore plus de femmes soient venues. Parce qu’il y avait plusieurs ateliers pour lesquels l’inscription était complète !
FRANÇOISE : Nous avions 12 ateliers préparés sur différents thèmes, mais, avec la double tâche, parfois nous avons dû faire autre chose que les activités que nous nous étions fixées au départ. Les thématiques touchaient parfois des questions spécifiques aux militantes grévistes ou des revendications particulières, mais d’autres des questions plus générales et ludiques. D’ailleurs, nous avons donné un atelier sur la réappropriation du vagin. C’est le seul qui s’est donné.
ISABELLE : Ah ! Oui, nous étions une quinzaine à peu près. C’était vraiment sympathique. Nous nous sommes bien amusées.
FRANÇOISE : C’est clair que, personnellement en tout cas, ça m’a permis de discuter avec certaines femmes du comité, puis avec d’autres femmes qui n’étaient pas nécessairement dans le comité. Apprendre aussi à mettre ses limites, reconnaître quand nous sommes brûlées, accepter que parfois il faut se reposer et prendre soin de soi. Il était vital d’explorer ces thèmes, parce qu’il y avait quand même une pression sur toutes les personnes impliquées : être là tous les matins, rester jusqu’à 22 heures, tous les soirs. Ça fait qu’à un moment donné, tu étais portée à croire que tu étais une moins bonne militante parce que tu étais fatiguée.
ANNE : Se donner corps et âme à la lutte, à la cause.
FRANÇOISE : C’était une religion. C’est comme la foi en…
NPS –Et aujourd’hui, le collectif existe-t-il toujours ?
ISABELLE : Bien là, c’est l’été.
ANNE : Nous ne nous sommes pas réunies, mais comme avant la grève, nous avions des projets d’action, moi, il y a encore des choses qui me tiennent à coeur. Ça fait qu’en début de session, je voudrais avoir une réunion. Ça reste à voir. Mais je pense que ça devrait ressusciter.
NPS –Ça redeviendrait ainsi le collectif féministe radical d’avant...
ISABELLE : C’est ça.
ISABELLE : La gaffe !
Parties annexes
Note
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[1]
Elles ont préféré que NPS préserve leur anonymat et utilise les pseudonymes Isabelle, Françoise et Anne.