Résumés
Résumé
Dans un premier article (voir m/s n° 4, avril 2004), nous avons souligné que des déterminants de polarité ou de développement précoce et les mécanismes qui président à leur localisation et à leur expression n’ont pour l’instant été identifiés que dans quelques espèces. Dans ces espèces - l’insecte Drosophila melanogaster, le ver Caenorhabditis elegans, le crapaud Xenopus laevis et les ascidies Ciona intestinalis et Halocynthia roretzi - l’ovogenèse, la fécondation, les modes de division et de développement diffèrent considérablement mais des thèmes communs apparaissent (rôle des ARNm corticaux, des protéines de polarité PAR, réorganisations relayées par le cytosquelette). Nous revenons ici sur ces différences et ces similitudes et les restituons dans un contexte chronologique, de l’ovocyte à la gastrula. Deux autres organismes modèles classiques - la souris et l’oursin - viennent compléter le tableau des comparaisons, représenté sous forme d’un Poster (qui peut être téléchargé sur le site http://biodev.obs-vlfr.fr/biomarcell).
Summary
In an accompanying article (C. Sardet et al. m/s 2004 ; 20 : 414-423) we reviewed determinants of polarity in early development and the mechanisms which regulate their localization and expression. Such determinants have for the moment been identified in only a few species : the insect Drosophila melanogaster, the worm Caenorhabditis elegans, the frog Xenopus laevis and the ascidians Ciona intestinalis and Holocynthia roretzi. Although oogenesis, fertilization, and cell divisions in these embryos differ considerably, with respect to early polarities certain common themes emerge, such as the importance of cortical mRNAs, the PAR polarity proteins, and reorganizations mediated by the cytoskeleton. Here we highlight similarities and differences in axis establishment between these species, describing them in a chronological order from oocyte to gastrula, and add two more classical model organisms, sea urchin and mouse, to complete the comparisons depicted in the form of a Poster which can be downloaded from the site http://biodev.obs-vlfr.fr/biomarcell.
Corps de l’article
L’intérêt pour l’embryologie comparative remonte au xixe siècle. Des livres largement diffusés, tels que The cell in development and inheritance, comparaient les événements communs et les différences propres à des dizaines d’espèces sur la base d’observations histologiques et de manipulations expérimentales des embryons [1]. Cette tradition s’est perpétuée jusqu’aux années 1960, pour aboutir à des concepts, aujourd’hui délaissés, comme la théorie des gradients physiologiques [2]. Depuis, ces approches de type zoologique ou morphologique ont fait place aux approches moléculaire et génétique, et plus récemment cellulaire, des processus de développement. Notre connaissance se limite toutefois à un petit nombre d’organismes modèles [3].
L’établissement d’un premier axe de développement peut être défini précocement pendant l’ovogenèse (cas le plus fréquent chez les organismes triblastiques) ou plus tardivement, jusqu’au moment du premier clivage (en particulier chez les cténaires et les cnidaires, que nous ne traitons pas ici). Un deuxième axe peut être spécifié dès l’ovogenèse (drosophile) ou plus tardivement, durant la gastrulation (brachiopodes) [4]. Cette analyse, fondée sur les relations phylogénétiques entre organismes, suggère que les diblastiques ancestraux établissent leurs axes plus tardivement que les triblastiques, qui constituent les modèles principaux d’étude du développement.
Les préoccupations « évo-dévo » redonnent un nouvel intérêt aux comparaisons embryologiques entre espèces. S’il existe indéniablement de grandes différences d’un phylum à l’autre (Tableau I), des différences existent aussi à l’intérieur de certains taxons, comme celui des nématodes où les mécanismes qui président à l’établissement des axes varient d’une espèce à l’autre [5]. À l’opposé, dans d’autres taxons comme celui des ascidies, ces mécanismes semblent relativement bien conservés [3].
À l’heure actuelle, la drosophile et C. elegans fournissent la plupart des clés des mécanismes génétiques et moléculaires sous-jacents à l’établissement des polarités et à la compréhension de la différenciation embryonnaire [6-9]. Échinodermes, amphibiens, poissons, ascidies et mammifères contribuent quant à eux de façon majeure aux aspects physiologiques et cellulaires, en particulier en ce qui concerne les signaux d’activation, le contrôle des cycles cellulaires [10, 11], les transformations et réorganisations du cytoplasme et du cortex [12, 13] et les mécanismes des mitoses, clivages, lignages et interactions cellulaires [6, 7].
Nous comparons dans cet article six organismes triblastiques à symétrie bilatérale qui possèdent les trois feuillets embryonnaires : ectoderme, endoderme et mésoderme (Encadré 1 et TableauI). La drosophile et C. elegans sont des protostomiens ecdysosoaires (qui subissent une mue), alors que les quatre autres organismes considérés sont des deutérostomiens. Trois d’entre eux, l’ascidie, le crapaud et la souris, sont des chordés. Ces six organismes ne représentent qu’une fraction du règne animal, et ces comparaisons devraient être étendues, en particulier aux organismes diblastiques (cténaires, cnidaires…).
En ce qui concerne les insectes, les nématodes, les amphibiens et la souris, les informations proviennent essentiellement d’une seule et unique espèce dont l’homogénéité génétique, l’élevage et la reproduction sont maîtrisés (respectivement Drosophila melanogaster, Caenorhabditis elegans, Xenopus laevis, et Mus musculus). Pour les oursins et les ascidies, les données proviennent d’observations redondantes ou complémentaires obtenues sur les oeufs et embryons de plusieurs espèces sauvages (Strongylocentratus purpuratus, Lytechinus pictus, Paracentrotus lividus, Arbacia lixula et Heliocidaris erythrogramma pour les oursins ; Ciona intestinalis et savigny, Halocynthia roretzi, Phallusia mammillata, Ascidiella aspersa pour les ascidies) qui peuvent être collectées à différentes périodes de l’année sur les côtes de différents continents. Pour la drosophile, C. elegans, Ciona intestinalis et Musmusculus, la connaissance presque complète des génomes et la description exhaustive des profils d’expression des gènes permettent d’élaborer de puissants outils communs (banques de sondes, gènes exprimés, sites de référence, voir Tableau I) qui, couplés aux outils moléculaires et aux méthodes d’imagerie et de micromanipulation, favorisent l’utilisation de ces organismes comme modèles par un nombre toujours croissant de biologistes.
Détermination de l’axe primaire animal-végétatif
Dans la majorité des organismes deutérostomiens et protostomiens, une première polarité correspondant à l’axe a-v (animal-végétatif) est établie durant l’ovogenèse [6, 7]. Le pôle animal (a) est clairement défini avant la fécondation par la position des chromosomes méiotiques et le site d’extrusion des globules polaires. Le pôle végétatif (v) est, par définition, situé à l’opposé. L’axe primaire a-v participe généralement à la spécification des axes embryonnaires antéro-postérieur (A-P) et dorso-ventral (D-V) (Tableau I et Poster).
L’origine de la polarité a-v reste mal définie et suscite peu de travaux à l’heure actuelle. On sait seulement que, chez les céphalochordés et certains échinodermes comme le concombre de mer, l’ovocyte dérive d’une cellule épithéliale dotée d’un cil primaire dont le corps basal préfigure le centrosome au site de méiose (pôle animal) [14]. Dans les cas de la drosophile et de C. elegans, le terme axe a-v n’est presque jamais employé : l’ovocyte de C. elegans ne semble pas posséder d’asymétrie à l’issue de l’ovogenèse, la position légèrement excentrée de la vésicule germinative ne jouant apparemment aucun rôle déterminant pour le développement d’un premier axe A-P, qui dépend du spermatozoïde fécondant (Poster, Be-f). Chez la drosophile, le positionnement de l’ovocyte dans la gonade conditionne l’établissement d’un premier axe qui correspond directement au futur axe embryonnaire A-P, sans que l’on puisse à proprement parler d’un axe a-v (Poster, Ab-e).
Selon l’espèce considérée, l’axe primaire a-v devient perceptible à différents stades de l’ovogenèse. Cette polarisation lente se manifeste par des différenciations cytoplasmiques et corticales visibles le long de l’axe (granules, vésicules pigmentaires, déformations de surface), qui sont intimement liées aux périodes de croissance de l’ovocyte (vitellogenèse) et dépendent des interactions et échanges avec les cellules folliculaires et nourricières environnantes. La plus significative et souvent la première de ces différenciations cytoplasmiques axiales des ovocytes est la formation de domaines cytoplasmiques particuliers, appelés plasmes germinatifs, qui sont transmis par la mère via les cellules germinales [15, 16]. Les caractéristiques conservées des plasmes germinatifs (agrégations spécifiques de granules et d’organites et, au niveau moléculaire, d’ARNm ou de protéines telles que Vasa) constituent les meilleurs marqueurs cellulaires des pôles végétatif ou postérieur des oeufs et embryons d’un grand nombre d’organismes [17, 18].
Établissement de l’axe a-v avant la maturation : le cas du xénope
L’élaboration d’un axe primaire a-v est particulièrement bien connue chez le xénope (Poster, ligne F). Dans les cellules germinales regroupées en cystes de 16 cellules (stade 0), les noyaux (vésicules germinatives) et les centrosomes sont polarisés, et il est possible que leur position indique déjà la future polarité a-v de l’ovocyte [19] (Poster, Fa-b). Cette polarité est manifeste dès le stade II de l’ovogenèse, lorsque l’un des nuages mitochondriaux situés autour de la vésicule germinative arrive dans le cortex végétatif (Poster, Fb-c). Ces nuages mitochondriaux sont des domaines cytoplasmiques globulaires contenant une grande densité de mitochondries, mais également du réticulum endoplasmique et des granules denses caractéristiques des plasmes germinatifs. Le nuage mitochondrial véhicule également une grande famille d’ARNm dont Xcat2 (homologue de Nanos, un déterminant maternel du pôle postérieur chez la drosophile) et Xdazl, un déterminant des cellules germinales [20, 21]. Lorsque le nuage mitochondrial atteint le cortex végétatif, il se disperse sous forme d’îlots de plasmes germinatifs associés à des mitochondries, les ARNm apparaissant alors plaqués contre le cortex végétatif (Poster, Fc-d) [22]. Entre les stades II et IV de l’ovogenèse, une autre classe d’ARNm parvient au cortex : elle comprend en particulier Vg1 (codant pour un facteur de croissance) et VegT (codant pour un facteur de transcription), ces facteurs jouant par la suite un rôle essentiel dans la formation des tissus endomésodermiques [23]. À ces stades, l’ovocyte se remplit de vitellus par endocytose et grossit considérablement (Poster, Fd-e). Au stade IV, des granules pigmentaires se positionnent sous le pôle animal, la vésicule germinative se déplace vers le cortex animal et des plaquettes vitellines emplissent l’hémisphère végétatif (Poster, Fe). Entre les stades IV et VI, cette mise en place d’une polarité a-v est accompagnée d’une organisation différentielle des réseaux de microtubules et des filaments intermédiaires composés de kératines, apparemment ancrés dans un réseau de microfilaments corticaux [19, 24]. Côté animal, les réseaux de microtubules et de filaments intermédiaires composés de kératines sont organisés de façon radiale autour de la vésicule germinale tandis que, du côté végétatif, les microtubules sont moins organisés et le réseau de filaments intermédiaires moins épais, avec une maille moins serrée.
Établissement de l’axe primaire a-v pendant la maturation : le cas des oursins, ascidies, xénope et souris
Chez les oursins, les ascidies et la souris (Poster, lignes C, D, E), la polarité de l’ovocyte devient visible lors de la maturation méiotique, en raison de la distribution des organites vis-à-vis de l’axe primaire a-v (Poster, Ce, De, Ee). En réponse à des signaux environnementaux qui stimulent l’ovulation, l’ovocyte bloqué au stade de vésicule germinative (4 n chromosomes) atteint le stade de méiose à partir duquel il est compétent pour être fécondé. Ce stade varie suivant l’espèce considérée, sans relation phylogénétique apparente (Tableau I, colonne 1). Pendant la maturation, de nombreux changements préparent l’ovocyte pour la fécondation. Chez les oursins, les amphibiens et les mammifères, des vésicules golgiennes connues sous le nom de granules corticaux migrent vers la périphérie et accostent sous la membrane plasmique en prévision de l’exocytose massive ou des réorganisations corticales déclenchées par le spermatozoïde fécondant. D’autres éléments du cortex (réticulum endoplasmique, microfilaments, microtubules, filaments intermédiaires) subissent également des réorganisations sous l’effet de variations des facteurs du cycle cellulaire méiotique [12]. Chez le xénope, les filaments intermédiaires constitués de kératines disparaissent, et la longueur comme la densité des microtubules diminuent (Poster, Fe) [19]. Des microdomaines riches en réticulum endoplasmique cortical s’établissent sous la membrane plasmique dans l’hémisphère végétatif [25]. Ces microdomaines se mettent également en place dans l’hémisphère végétatif des ovocytes de souris. À l’opposé, la région animale de l’ovocyte de souris est caractérisée par une zone de surface différenciée dépourvue de microvilli, riche en microfilaments corticaux (Poster, Ee) [26]. Dans l’ovocyte d’ascidie, on note également l’établissement d’un gradient a-v de réticulum endoplasmique cortical dans le cortex et d’un panier végétatif sous-cortical riche en mitochondries, appelé myoplasme (Poster, De) [27, 28].
Ces changements d’organisation des réseaux de réticulum, de microtubules et de microfilaments associés à la maturation contribuent au repositionnement des macromolécules impliquées dans les processus de polarisation et de différenciation. Chez l’ascidie, une catégorie d’ARNm (appelés ARN postplasmiques, ou Pem) est associée au réticulum endoplasmique cortical et positionnée « en sandwich » entre la membrane plasmique et le myoplasme dans le cortex végétatif [29, 30]. Dans l’ovocyte du xénope, les ARNm de type Vg1/VegT s’éloignent de la membrane plasmique et s’étalent contre le cortex et le cytoplasme végétatif, tandis que les îlots de plasmes germinatifs contenant Xcat2 s’agrègent dans la région sous-corticale, sous forme d’une calotte (Poster, Fe) [31]. Simultanément, les protéines de polarité PAR-3 et aPKC (protéine kinase C atypique), ainsi que les ARNm PAR-1 [32] et PAR-6 [33], se localisent progressivement dans le cortex animal (Poster, Fe). On ne sait pas pour l’instant quelle signification donner au positionnement de ces facteurs PAR, qui sont des acteurs majeurs de la polarité des ovocytes, zygotes, cellules épithéliales et nerveuses chez C. elegans et chez la drosophile, ainsi que des cellules épithéliales et polarisées des mammifères [9, 34]
Détermination des axes embryonnaires A-P et D-V
Nous avons examiné dans le premier article ((→) m/s 2004, n° 4, p. 414) les mécanismes présidant à la mise en place des axes embryonnaires antéropostérieur (A-P) et dorso-ventral (D-V) chez la drosophile, C. elegans, le xénope et les ascidies [3]. Les représentations graphiques discutées dans cet article sont visibles sur le Poster, de même que les Figures 1, 2, 3 et 4 du premier article ((→) m/s 2004, n° 4, p. 414) qui sont incorporées sur le Poster en Ab-d, Bf-i, De-h, et Fb-h. Nous rappelons ici les grands principes de la mise en place des axes A-P et D-V (symboles A↔P et D↔V, Poster) pour guider le lecteur à travers ces représentations.
Établissement des axes A-P et D-V avant la fécondation : le cas de la drosophile
D’excellentes revues détaillées peuvent être consultées sur ce sujet [35-38].
Sélection et positionnement de l’ovocyte
La sélection de l’ovocyte s’opère dans le germarium, à partir d’un cyste constitué de 16 cellules issues des 4 divisions avec cytocinèse incomplète d’une cellule germinale primaire. Les 16 cellules se retrouvent reliées entre elles par 1 à 4 ponts cytoplasmiques, le futur ovocyte étant sélectionné parmi les 2 cellules dotées de 4 ponts cytoplasmiques. L’ovocyte correspond à la cellule qui hérite de la majeure partie d’une structure cytosquelettique membranaire, le fusome. Les 15 cellules restantes deviennent polyploïdes et nourricières : elles synthétisent des macromolécules, parmi lesquelles les ARNm déterminants comme Bicoid et Oskar, qui sont acheminés dans l’ovocyte à travers les ponts cytoplasmiques (Poster Aa-b). De façon intéressante, la stabilisation de la destinée de l’ovocyte requiert des homologues des protéines PAR identifiées comme des déterminants de la polarité chez le zygote de C. elegans [8, 39], ce qui suggère déjà que des mécanismes de polarisation ont été conservés au cours de l’évolution (voir « Principes communs de polarisation » dans [3]).
Établissement des axes A-P puis D-V pendant l’ovogenèse
Une fois que l’ovocyte a quitté le germarium pour la chambre ovarienne, dans laquelle il est encapsulé par les cellules folliculaires, l’ovocyte acquiert ses axes embryonnaires A-P puis D-V par deux événements de signalisation qui font intervenir le réseau de microtubules et la protéine Gurken, un homologue de l’EGF (epidermal growth factor) (stades 6-7 ; Poster, Ab). Les ARNm déterminants et leurs partenaires (comme les protéines de liaison à l’ARN Vasa, Staufen…) sont ensuite tranportés et ancrés respectivement aux pôles antérieur (ARN Bicoid) puis postérieur (ARN Oskar puis Nanos) de l’ovocyte. La localisation des déterminants dans les différents domaines corticaux fixe l’axe embryonnaire A-P (Poster, Ae) [40, 41].
Le relais de cette polarisation A-P initiale est pris dès la fécondation par la traduction des ARNm localisés aux pôles (Poster, Af-h). Les localisations corticales distinctes des ARNm déterminants maternels Bicoid, ainsi que Oskar et Nanos, sont ainsi converties en gradients cytoplasmiques complémentaires de protéines aux propriétés de morphogènes (tels que les facteurs de transcription Nanos et Bicoid lorsque ce dernier est associé à Hunchback) à l’intérieur d’une cellule syncytiale multinucléée [42] (voir Encadré 2, modes de développement). Dès la migration des noyaux à la périphérie, puis la cellularisation du blastoderme syncytial, on perçoit plusieurs domaines cellulaires qui expriment différents gènes le long de l’axe A-P, reflétant en cela la distribution réciproque des morphogènes en gradients [43].
L’axe dorso-ventral est mis en place au stade 10 de l’ovogenèse grâce au deuxième événement de signalisation assuré par le facteur sécrété Gurken (Poster, Ad). Les centrosomes sont désormais situés dans la région antérodorsale, avec pour conséquence la relocalisation de la vésicule germinative vers ce côté de l’ovocyte. La sécrétion localisée de Gurken confère l’identité dorsale aux cellules folliculaires voisines et réprime l’expression de la protéine Pipe du côté dorsal de l’ovocyte, induisant la destinée ventrale des cellules folliculaires situées à l’opposé de la sécrétion de Gurken [44]. Après la fécondation et la cellularisation (13e cycle mitotique après fécondation ; Poster, Ah-i), une cascade d’activités protéolytiques intervenant à la surface des cellules ventrales aboutit à une localisation nucléaire asymétrique du facteur de transcription Dorsal [45, 46] (homologue de NF-κB). Après la cellularisation du blastoderme, Dorsal est exclu des noyaux des cellules dorsales et concentré dans les noyaux des cellules ventrales. Cela aura pour conséquence l’expression de gènes (Twist, Snail) nécessaires à la gastrulation et à la spécification du mésoderme du côté ventral (Poster, Aj), tandis que, du côté dorsal, la faible concentration nucléaire de Dorsal se traduit par la spécification de l’ectoderme [44].
Établissement des axes après fécondation : ascidie, xénope, C. elegans
Rôle déterminant de la fécondation et du spermatozoïde
Chez la plupart des espèces examinées, l’entrée du spermatozoïde est restreinte à une région particulière de l’ovocyte, et/ou s’effectue près de l’un des pôles [12] (Tableau I, 1e colonne). Cela définit une polarité dans le positionnement du pronoyau mâle par rapport au noyau maternel femelle et a des conséquences au niveau des facteurs transmis par le gamète mâle. Ces facteurs participent à la fois au positionnement des axes et à l’activation/initiation du développement. Pour notre propos, le spermatozoïde transmet principalement à l’oeuf un « facteur spermatique » activateur, ainsi qu’un corps basal servant de centre organisateur des microtubules (centrosome) [12, 47]. L’augmentation de la concentration en Ca2+ par le facteur spermatique se propage alors jusqu’à l’antipode, sous la forme de vagues se succédant et bouleversant l’organisation du cortex et des réseaux de microtubules, de microfilaments et de réticulum endoplasmique [11, 48]. Cette vague de Ca2+ module un nombre considérable de réactions enzymatiques et d’interactions entre les macromolécules, les éléments du cytosquelette et les organites [12, 49].
Chez l’ascidie, le point d’entrée du spermatozoïde, situé généralement dans l’hémisphère animal, comme chez le xénope, joue un rôle prépondérant dans l’établissement des axes. La vague calcique d’activation déclenchée par le facteur spermatique à cet endroit se propage en direction de l’hémisphère végétatif. Elle donne naissance à une vague de contraction d’actomyosine corticale qui aboutit à la formation d’un pôle de contraction fixant le futur site de gastrulation en cet endroit [50] (Poster, Df). La position exacte de ce pôle de contraction dans l’hémisphère végétatif dépend à la fois du site d’entrée du spermatozoïde, d’où part la contraction corticale initiée par la vague calcique, et du panier d’actine sous-membranaire, polarisé selon l’axe a-v établi lors de l’ovogenèse [50]. Cette position constitue la première indication du futur côté dorsal (axe D-V) de l’embryon, puis du têtard. La contraction corticale concentre vers l’hémisphère végétatif la calotte sous-corticale riche en mitochondries (le myoplasme) ainsi qu’un domaine cortical riche en réticulum endoplasmique ; le centrosome mâle est lui aussi déplacé par cette contraction [51]. Le point d’entrée du spermatozoïde et la position du centrosome mâle acquise à l’issue de la contraction définissent le plan méridien dans lequel sera fixé le pôle postérieur et l’axe A-P de l’embryon [52] (Poster, Df-h).
La situation est comparable chez le xénope, en ceci que le spermatozoïde féconde l’oeuf dans l’hémisphère animal et que la vague calcique résultante déclenche la reprise de la méiose (méiose II au lieu de méiose I ; Tableau I) et une contraction corticale (Poster, Ff). La contraction est apparemment symétrique par rapport à l’axe a-v et ne semble pas participer à l’établissement des futurs axes de l’embryon. La vague calcique de fécondation est suivie dans la même direction générale par des vagues d’exocytose, d’endocytose et d’érection de microvillosités, dont la longueur et l’organisation varient le long de l’axe a-v [12, 53]. Ces différences axiales amplifiées lors de la fécondation jouent un rôle dans la mise en place des trois futurs feuillets embryonnaires (Poster, Fj). L’axe A-P est déterminé par des réorganisations de ces feuillets pendant la gastrulation et semble dépendre d’interactions entre la voie de Wnt et VegT [53, 54].
Chez C. elegans, nous savons depuis peu que, comme pour les autres espèces, la fécondation se manifeste par une vague calcique débutant au point d’entrée du spermatozoïde [55]. Les conséquences immédiates de cette vague calcique ne sont pas connues dans le détail, mais il est probable qu’elle participe à l’élaboration d’un chorion et aux vibrations corticales à la surface du zygote [56]. La fécondation s’effectue généralement à l’opposé du futur site d’émission des globules polaires, et la position des microtubules du spermatozoïde fécondant, organisés en aster spermatique, définit le pôle postérieur du zygote et de l’embryon (Poster, Bf-g) [3, 8, 57, 58].
Des réorganisations axiales dirigées par les asters
Chez le zygote de C. elegans, les interactions entre les microtubules astraux et le cortex initient un flux cortical d’acto-myosine du pôle postérieur vers le pôle antérieur (Poster, Bg). Le flux cortical qui se propage vers le pôle antérieur donne naissance à un flux intracytoplasmique d’organites et de granules de sens opposé, médié par le cytosquelette qui propulse le pronoyau femelle (Poster, Bg) [56]. Ce flux nécessite probablement un mécanisme d’endocytose au pôle antérieur conjugué à une exocytose accrue au pôle postérieur [56, 59]. La mise en place de domaines corticaux est suivie de la translocation des granules polaires (granules P) qui contiennent les marqueurs caractéristiques des plasmes germinatifs (Vasa et Nos-1 et Nos-2, qui sont des analogues de Nanos) vers le pôle postérieur (Poster, Bg-h). À la suite de ces translocations, les deux pronoyaux se rencontrent. Les deux asters, initialement alignés sur l’axe court de l’oeuf, subissent une rotation de 90°, ce qui oriente le fuseau mitotique selon l’axe A-P (Poster, Bh). Cette rotation et le positionnement légèrement postérieur du fuseau résultent de forces différentielles exercées sur les microtubules astraux par les cortex antérieur et postérieur, forces régulées par la kinase PAR-1 et le complexe PAR-3 (Poster, Bg-h) [8, 60]. Le clivage asymétrique qui s’ensuit produit une cellule postérieure (P1) plus petite que la cellule antérieure (AB) (Poster, Bh).
La formation de domaines PAR antérieurs et postérieurs dans le cortex entraîne des ségrégations d’autres protéines vers les pôles antérieur ou postérieur (Poster, Bi). Ainsi, la protéine membranaire GLP-1 (homologue de Notch) et les protéines cytoplasmiques liant l’ARN (MEX-5/6) sont localisées dans la cellule antérieure AB et ses descendants, alors que la protéine PIE-1, déterminant des cellules germinales, est principalement localisée dans les noyaux et les granules P de la cellule postérieure P1 et de ses descendants (Poster, Bj).
Chez l’ascidie et le xénope, les réorganisations du cytosquelette suivent l’évolution des facteurs contrôlant le cycle cellulaire [13, 22, 52]. La méiose s’achève dans la demi-heure qui suit la fécondation. Au début de l’interphase, les microtubules atteignent une longueur extrême, ce qui permet la migration puis la rencontre des pronoyaux (Poster, Dg et Fg). Les forces de traction exercées sur les noyaux et celles des microtubules astraux sur le cortex se traduisent par des translocations massives d’organites et de domaines cytoplasmiques. Chez le zygote du xénope, une traînée de granules pigmentaires laisse une trace visible de ces mouvements en formant une comète derrière l’aster mâle (Poster, Fg). Les glissements actifs des microtubules prennent la forme d’une « rotation corticale », mouvement qui déplace de 30° la calotte pigmentaire et une zone corticale de 5 microns d’épaisseur par rapport au cytoplasme sous-jacent [61]. Cette rotation est dirigée en direction de l’hémisphère animal, vers le point d’entrée du spermatozoïde. Elle est amplifiée par un abondant réseau de microtubules périphériques situés dans la région végétative (Poster, Fh). La polarité D-V de l’embryon du xénope s’établit comme conséquence de ce basculement cortical et de la translocation de domaines cytoplasmiques et de macromolécules (telles que la protéine Dishevelled) qu’elle entraîne (Poster, Fh) [62-64]
Mitose, clivages et polarisation des embryons
La mitose met une touche finale aux translocations déclenchées par le spermatozoïde, puis poursuivies par le jeu des interactions entre asters et cortex. L’oeuf de xénope est parcouru entre la fin de la mitose et le début de clivage par des vagues de contraction de surface (SCW) qui partent du pôle animal proche du site de résidence du fuseau mitotique [65]. Ces SCW sont sous-tendues par des modifications des facteurs du cycle cellulaire et reposent sur une régulation localisée du MPF (mitosis promoting factor) dont l’effet se propage du pôle animal vers le pôle végétatif. Les réorganisations corticales ont pour conséquence de rassembler les îlots de plasmes germinatifs en de plus larges agrégats lorsque les vagues de contractions de surface atteignent le cortex végétatif (Poster, Fi) [66].
Le plan de premier clivage répartit les plasmes germinatifs également entre les blastomères. Ce plan passe près du site de fécondation et des globules polaires (pôle animal) et délimite la position du futur organisateur dorsal (centre de Niewkoop) (Poster, Fi) [54]. Le deuxième plan de clivage est orthogonal au premier et sépare la partie dorsale de la partie ventrale de l’embryon de xénope, tandis que, chez l’ascidie, ce sont les côtés antérieur et postérieur qui sont séparés par ce deuxième clivage. Une analogie supplémentaire existe entre les embryons précoces d’ascidie et de xénope, du fait de la matérialisation de « centres de signalisation » dans les régions postérieures ou dorsales respectivement. Chez le xénope, il s’agit du centre de Niewkoop, qui devient opérationnel dans la blastula et induit la formation du blastopore et des structures dorsales de l’embryon [53]. Un acteur majeur de la voie de Wnt, la β-caténine, est concentré dès le stade 16 cellules dans les noyaux des cellules dorsales et est clairement impliqué dans les effets dorsalisants du centre de Niewkoop, lui-même précurseur de l’organisateur de Spemann (pour des discussions récente des modes d’action de ces organisateurs dorsaux, voir [53, 54]). On ne sait pas encore avec certitude quels facteurs déterminants, transportés par la rotation corticale, permettent de contrôler le flux nucléaire de β-caténine dans les cellules du côté dorsal [64, 67].
Chez l’ascidie, une vague de relaxation corticale partant du pôle végétatif achève le mouvement vers l’équateur des domaines corticaux (réticulum endoplasmique cortical) et sous-corticaux (myoplasme) amorcés en interphase [52]. La première division démarre à l’issue de la mitose, et le premier plan de clivage passe près du point d’entrée du spermatozoïde et du pôle de contraction végétatif (Poster, Dh). Cet événement répartit de façon égale les domaines cytoplasmiques et corticaux et les ARNm de type Pem tels Macho-1 dans la région postérieure de l’embryon (Poster, Di). En conséquence, les potentialités de développement sont également réparties entre les blastomères gauche et droit, selon un plan de symétrie bilatérale [68]. Le deuxième plan de clivage sépare les parties antérieure et postérieure de l’embryon, tandis que le troisième clivage sépare les parties animale (futur côté ventral) et végétative (futur côté dorsal) et produit en particulier deux blastomères postérieur-végétatif B4.1 (Poster, Dj) [28]. Ces blastomères sont des précurseurs des cellules musculaires et héritent de la majeure partie du myoplasme et du réticulum endoplasmique cortical. L’organisateur de cette région de l’embryon est une structure corticale particulière, appelée CAB (centrosome attracting body), localisée au pôle postérieur par les translocations corticales décrites plus haut (Poster, Dj). Il est possible que le CAB agisse comme une source localisée de protéines issues d’ARNm déterminants tels que Macho-1, un facteur de transcription de la famille Zic [69]. Il est à noter que les petites cellules issues des trois divisions inégales successives au pôle postérieur de l’embryon d’ascidie sont dotées de propriétés particulières, caractéristiques des propriétés des cellules germinales. Elles cessent de se diviser, leurs capacités traductionnelles sont réduites et elles contiennent l’ARNm Vasa, marqueur quasi universel des cellules germinales [70].
Cette ségrégation polarisée des cellules germinales est bien détaillée pour l’embryon de C. elegans, dans lequel la cellule postérieure P1 produit les cellules de la lignée germinale P contenant les déterminants (PIE-1) et plasmes germinatifs (Poster, Bh-i). Dans ces cellules, la traduction est inhibée et les divisions sont restreintes [71]. Dans l’embryon de C. elegans, les mitoses et clivages assument un rôle essentiel dans l’acquisition du deuxième axe embryonnaire (Poster, Bi). Cet axe (D-V) est en effet établi pendant le deuxième clivage. L’orientation du fuseau mitotique de la cellule antérieure AB permet de définir une cellule fille antérieure (ABa) et une cellule fille postérieure (ABp) ayant des cellules adjacentes différentes (EMS et ABp pour Aba, EMS, P2 et ABa pour ABp). L’axe D-V est spécifié par une signalisation intercellulaire utilisant la voie de Notch. Le blastomère postérieur P2 (exprimant APX-1, homologue de Delta) contacte l’un des deux blastomères descendant de AB (exprimant GPL-1, homologue de Notch, récepteur de Delta), spécifiant ainsi sa destinée en ABp. La cellule P2 envoie également un signal vers la cellule EMS, qui active la voie de Wnt. Au final, la polarité corticale initiale des complexes de protéines PAR est convertie en un jeu complexe d’interactions entre facteurs maternels orchestré par le gène spn-4 [72]. Ce gène code pour une protéine de liaison à l’ARN qui pourrait réguler la traduction de plusieurs ARNm maternels dans les différentes cellules fondatrices des lignées somatiques et germinales. Une fois spécifiées, les cellules ABa et ABb se différencient en épiderme, neurones et cellules mésodermales. La cellule EMS donne naissance à l’endoderme et à des cellules mésodermales. La cellule postérieure P2 produit quant à elle les cellules germinales P3 et P4, ainsi que des cellules musculaires et épidermales (Poster, Bj) [73].
Un axe avant et un axe après la fécondation : l’exemple de l’oursin
On sait depuis un siècle que l’axe primaire animal-végétatif (a-v) préfigure, chez les oursins, l’axe A-P de la gastrula et de la larve plutéus (Poster, Ce-k) [74, 75]. Le deuxième axe oral-aboral (correspondant à l’axe V-D) n’est perceptible dans la gastrula que lorsque l’archentéron (intestin primitif mis en place lors des mouvements gastruléens) et les cellules du mésenchyme primaire qui l’entourent contactent un côté de la paroi de la gastrula (future bouche du côté ventral de la larve) (Poster, Ck). Une des premières manifestations de l’axe oral-aboral est une asymétrie dans la respiration mitochondriale, le côté oral exprimant une activité cytochrome oxydase plus intense que le côté aboral [76]. Il n’y a pas pour l’instant de consensus quant au moment auquel cet axe oral-aboral est défini, ni sur les mécanismes qui sous tendent l’acquisition de cet axe chez divers oursins à développement direct ou indirect [77, 78].
L’axe a-v des oeufs matures d’oursins n’est pas visible au moment de la fécondation [79], excepté dans l’espèce européenne Paracentrotus lividus, choisie pour notre illustration (Poster, ligne C). Dans cette espèce, cette polarité a-v/A-P peut être suivie pendant tout le développement précoce grâce à la présence, dans le cortex, de vésicules pigmentaires oranges exclues du pôle végétatif. Ces vésicules pigmentées acquièrent leur distribution polarisée en fin de méiose (Poster, De), formant une bande sous-équatoriale qui peut être isolée avec le cortex [80]. Cette bande pigmentée a été exploitée par S. Horstadius pour mener des expériences de mérogonie (séparation de régions des oeufs et des embryons) [74], démontrant qu’il existait dans l’oeuf avant la fécondation, puis dans l’embryon, un gradient morphogénétique disposé selon l’axe a-v. Chez d’autres espèces d’oursins, l’acquisition d’une bande de vésicules délimitant le pôle végétatif n’est atteinte qu’entre les stades 8-16 cellules, moment où la première division asymétrique produit quatre petits micromères dépourvus de vésicules pigmentaires ou vésicules acides [79] (Poster, Cj).
Contrairement aux zygotes du xénope, de C. elegans et d’ascidies, il ne semble pas que le point d’entrée du spermatozoïde ait une localisation particulière et joue un rôle majeur dans l’établissement des axes. Chez les oursins, les réorganisations cytoplasmiques qui suivent la fécondation sont de faible amplitude, et l’asymétrie a-v n’est pas amplifiée [48]. On assiste à une contraction corticale déclenchée par une vague calcique d’activation qui précède une spectaculaire vague d’exocytose, à l’origine de la sécrétion de macromolécules se combinant à la membrane vitelline pour former une membrane de fécondation protégeant l’embryon (Poster, Cf).
Pour des raisons encore mal comprises, les fuseaux mitotiques des deux premières divisions s’orientent dans le plan de la bande pigmentée, avec comme conséquence le fait que les deux premiers plans de division contiennent l’axe primaire a-v (Poster, Ch). Le plan de division suivant est équatorial et isole les parties animale (un anneau de mésomères, Me) (Poster, Cj) et végétative (macromères, M et micromères, m) (Poster, Cj). L’événement fondamental pour la suite du développement selon l’axe a-v est la production des micromères au pôle végétatif, lors du 4e clivage. Ce clivage inégal résulte de l’attraction des centrosomes et des noyaux des quatre blastomères végétatifs vers le cortex végétatif caractérisé par l’absence de vésicules pigmentaires (ou vésicules acides) et de microvillosités [79].
Les micromères, qu’ils soient dans leur position naturelle au pôle végétatif ou qu’ils soient transplantés ailleurs sur la surface l’embryon, agissent comme de véritables organisateurs, entraînant les cellules voisines de la blastula à s’engager dans une voie de différenciation endomésodermique et à s’invaginer pour former un archentéron [81, 82] (Encadré 1). Si la plupart des cellules de l’embryon précoce manifestent des capacités régulatrices et une grande plasticité, les micromères se divisent en petits et gros micromères qui suivent des voies de différenciation radicalement différentes. Les petits micromères se divisent une ou deux fois, puis sont mis de côté et aboutissent dans les poches coelomiques (cavités constituées d’épithélium dérivé du mésoderme) contenant les cellules souches qui donneront naissance au jeune oursin après métamorphose. Les micromères les plus gros continuent à se diviser et se différencient en cellules du mésenchyme squelettogénique, de façon autonome, à l’intérieur de la blastula ou en culture (Poster, Ck). La nature des facteurs cytoplasmiques maternels (probablement corticaux) hérités par les micromères et leur conférant cette autonomie reste mystérieuse [81].
La seule chose qui soit claire est que les déterminants maternels des micromères ont la capacité de réguler le flux de β-caténine dans le noyau des micromères et de leurs descendants, et d’activer par ce biais la voie canonique de Wnt [54, 81, 83]. La β-caténine présente dans les noyaux des cellules végétatives de la blastula semble en effet nécessaire pour la spécification de la frontière endoderme-mésoderme. La voie de Wnt/BMP4 constitue l’élément clé de cette signalisation micromérique : elle spécifie la différenciation des descendants des micromères en mésenchyme primaire, puis les interactions cellulaires qui, entre les 8e et 9e clivages, utilisent la voie Delta/Notch pour induire les descendants des cellules végétatives (veg2) à devenir les cellules mésodermiques [84, 85].
Établissement des axes en débat : le cas de la souris
Les oeufs de souris se caractérisent par une absence de réserves d’origine maternelle (oeufs alécithes) et un développement plus lent que ceux des autres embryons considérés dans cette revue. Les oeufs de souris nécessitent une structure nourricière, le tropho-ectoderme, qui assure la subsistance de l’embryon après l’implantation et au cours du développement [86-88] (Tableau I). L’embryon de souris résulte de la mise en place de cellules internes et externes formant une boule de cellules (morula) au cours d’un processus de compaction. La majeure partie des cellules de la masse de cellules internes formeront l’embryon, alors que les cellules de l’épithélium externe sont à l’origine de tissus extra-embryonnaires, dont le placenta. Une polarité axiale, appelée abembryonnaire-embryonnaire (A-E) ou axe trophoectodeme-blastocyste (Poster, Ej), apparaît en quelques jours avec l’émergence du blastocyste .
L’axe A-E prédit dans ses grandes lignes l’orientation dorsoventrale de l’embryon, les parties ventrales se situant dans l’emplacement de la cavité blastocoelique et les parties dorsales vers la masse de cellules internes (Poster, Ej-k). Au stade blastocyste, on distingue la couche ectodermale, formant le trophoblaste autour de la cavité blastocoelique, et deux types cellulaires dans la masse des cellules internes (Poster, Ej). Une population de 600 cellules formant l’épiblaste (en bleu, Poster, Ej) est située contre le trophectoderme. Ces cellules produisent l’embryon proprement dit et le mésoderme extra-embryonnaire, alors que les cellules situées à la frontière entre le blastocoele et l’épiblaste (en jaune, Poster, E-j) sont à l’origine d’une population de cellules endodermales primitives.
La polarité A-E du blastocyste (4,5 jours) évolue en polarité proximo-distale dans l’embryon postimplantatoire précoce de 5,5 jours (Poster, Ek) [86, 87]. Celle-ci se transforme en polarité antéro-postérieure au cours du 6e jour (Poster, Ek). Cette évolution axiale met en jeu un système complexe de migrations et de positionnements de clones de cellules endodermales primitives, ainsi que la formation d’une ligne primitive amorçant la gastrulation dans la région postérieure [89] (Encadré 1).
La polarité embryonnaire n’étant clairement visible qu’après la gastrulation, et les axes d’une souris n’étant fixés que plusieurs jours après la gastrulation, il semblait raisonnable de penser que les mammifères ne déterminaient leurs axes de développement que tardivement, et sans tenir compte de la polarité initiale de l’ovocyte ou de l’embryon précoce. Ces dernières années, plusieurs équipes ont cherché à savoir si ces polarités tardives étaient déjà perceptibles dans l’embryon, ou même dans l’ovocyte [88, 90]. La polarité a-v initiale de l’ovocyte semble en effet avoir une importance décisive sur le positionnement et le devenir des cellules de l’endoderme viscéral d’origine extraembryonnaire. Les expériences de lignages montrent que les cellules les plus proches des globules polaires (pôle animal) produisent l’endoderme viscéral distal surmontant l’épiblaste embryonnaire au pôle ventral, alors que les cellules à l’opposé du globule polaire migrent en position proximale et deviennent les cellules endodermiques viscérales qui couvrent l’ectoderme extra-embryonnaire [88, 89]. L’importance fonctionnelle de ces différences axiales est sujette à débat en raison des capacités régulatrices manifestées par les embryons des mammifères. En effet, il est possible d’obtenir des embryons normaux à partir de fragments ou d’agrégats recomposés de cellules internes ou externes. De plus, l’obtention d’embryons normaux après l’ablation des régions polaires de l’embryon précoce ou du zygote semble exclure a priori que des facteurs maternels polarisés spécifient les axes de développement [91, 92].
Les choses sont peut être en train de changer, et un débat a vu le jour concernant l’acquisition précoce des axes de développement dans la situation naturelle par rapport à l’axe a-v et à la position d’entrée du spermatozoïde (SEP, sperm entry position) [88, 90, 93]. Ce débat est d’importance pour ce qui est des manipulations de clonage, de parthénogenèse ou d’ICSI (insémination artificielle par injection intracytoplasmique d’un spermatozoïde dans l’ovocyte), manipulations pour lesquelles la notion de SEP à la surface de l’oeuf perd son sens. Ces expériences démontrent que, au moins dans certaines souches de souris, il existe une relation entre la position des globules polaires (c’est-à-dire la polarité initiale a-v de l’ovocyte), la SEP et l’établissement des axes du blastocyste [94, 95].
L’oeuf de souris manifeste une polarité a-v en raison de la distribution polarisée de macromolécules, telles que la leptine ou Stat3, ou de structures corticales, telles que la zone différenciée riche en microfilaments située autour du pôle animal (Poster, Ee) [93]. La fécondation s’effectue hors de cette zone. Elle déclenche une série de vagues calciques et de microcontractions polarisées (en direction v-a comme chez l’ascidie) qui durent jusqu’en fin de méiose (5 à 6 heures) [96]. Ces signaux périodiques sont nécessaires à l’accomplissement du cycle cellulaire méiotique, et il a été démontré chez le lapin qu’elles participent aussi au développement postimplantatoire de l’embryon [97]. Après la rencontre entre les pronoyaux mâle et femelle, puis la mitose, le côté du zygote contenant le site d’entrée du spermatozoïde est le premier à se diviser (Poster, Eg-i). Les expériences en débat montrent que, dans 80 % des cas, ce site de fécondation est proche du premier plan de clivage, qui lui-même prédit la position de l’axe embryonnaire-abembryonnaire (et donc de l’axe D-V) [94].
Les recherches actuelles tentent de répondre à une série de questions soulevées par cette remise en cause récente du caractère aléatoire de la mise en place des axes chez la souris : quelles sont les informations de position transmises par l’ovocyte, et par le spermatozoïde ? Pourquoi le blastomère contenant la SEP se divise-t-il précocement ? Quelles en sont les conséquences pour l’arrangement des cellules au moment de la compaction, ainsi que pour l’élaboration des couches cellulaires constituant le blastocyste et pour leur destinée dans l’embryon implanté ? Au final, tout cela souligne que les embryons de mammifères ne sont peut-être pas si différents de ceux d’autres organismes que nous traitons ici, et qu’ils partagent peut-être avec eux des mécanismes communs d’acquisition des axes.
Conclusions
Il est clair que quelques principes communs d’organisation des polarités existent au niveau physiologique, cellulaire et moléculaire lorsque l’on compare drosophile, C elegans, xénope et ascidies [3]( (→) m/s 2004, n° 4, p. 414). Il est toutefois difficile d’étendre ces principes à deux organismes supplémentaires, souris et oursins, en raison d’un manque d’informations ou de l’état controversé des informations récentes. Il serait probablement encore plus délicat d’étendre ces principes à d’autres organismes, compte tenu de la diversité des organismes et phylum (mollusques, cténaires, cnidaires…).
Comparer les principes d’établissement et d’expression des axes nécessite d’explorer deux directions.
La première direction consiste à utiliser des approches complémentaires sur quelques organismes modèles de référence pour préciser les principes physiologiques, cellulaires et moléculaires régissant l’établissement et l’expression des polarités. Cette approche est vigoureusement engagée par une large communauté de biologistes bien organisée. La seconde direction repose quant à elle sur l’exploitation nécessaire de la diversité du vivant. Cette approche devrait être riche d’enseignement dans le contexte actuel de séquençage des génomes et d’analyse des relations phylogénétiques entre organismes. L’étude approfondie d’organismes, tels que les cténaires et les cnidaires, les annélides ou les mollusques (protostomiens lophotrochozoaires) devrait logiquement compléter la palette des comparaisons embryologiques esquissée dans cette revue. Pour l’instant, les mécanismes responsables de l’établissement des axes sur les plans moléculaire, cellulaire ou physiologique sont pratiquement inconnus chez ces organismes. De fait, on ne dispose pour la vaste majorité des espèces que d’études embryologiques et morphologiques à basse résolution, qui datent souvent des débuts de l’embryologie expérimentale. Des progrès rapides dans cette deuxième direction ne peuvent être espérés que si des biologistes bien formés sur les modèles de référence se consacrent sérieusement à cette tâche, en collaboration avec des embryologistes maîtrisant le développement des organismes à explorer.
Parties annexes
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