Corps de l’article

1. Introduction

Près d’un demi-siècle s’est à présent écoulé depuis l’apparition des premiers corpus informatisés totalisant plus d’un million de mots. Dans leur exploitation du Brown Corpus, Kučera et Francis (1967) avaient ouvert la voie en montrant la manière dont les statistiques tirées de l’analyse lexicométrique pouvaient apporter un nouvel éclairage sur l’usage de la langue. Le travail effectué en Grande-Bretagne sous l’impulsion de John Sinclair avait dans les deux décennies suivantes mené à la création du British National Corpus, qui est longtemps resté la référence des linguistes de corpus qui se sont intéressés à l’usage britannique. C’est l’exploitation de ce corpus qui a notamment conduit Sinclair (1991) à jeter les bases de sa théorie de la lexico-grammaire et lui a permis de décrire de manière novatrice les phénomènes collocatifs de l’anglais moderne, travail théorique qui allait trouver son application pratique dans la réalisation d’ouvrages lexicographiques tels que le dictionnaire COBUILD (Sinclair 1995), précédé par le célèbre dictionnaire des collocations de l’anglais de Benson, Benson, et al. (1986). Même si certains linguistes de renom (Chomsky 2004) continuent d’exprimer leurs réticences vis-à-vis de cette nouvelle approche méthodologique qu’est la linguistique de corpus, d’autres (Fillmore 1992) expriment des vues plus nuancées et, tout en dénonçant l’importance exagérée accordée aux données statistiques rendues disponibles par ces nouveaux outils, reconnaissent leur utilité dans le cadre d’une nouvelle manière d’aborder l’étude des faits de langue.

L’utilisation des corpus s’est rapidement imposée dans le domaine de la lexicographie unilingue et bilingue, ainsi que dans celui de la terminographie. L’apport des corpus dans le processus d’extraction terminologique, clairement perçu dès le début des années 1990, a notamment amené les spécialistes du traitement automatique de la langue à se pencher sur les propriétés lexicales et syntaxiques des adjectifs relationnels, éléments-clés de la formation des termes complexes (Daille 2001), la réflexion sur le rôle de l’adjectif dans la formation des termes ayant été poursuivie par Normand et Bourigaud (2001), L’Homme (2004) puis Bowker et Hawkins (2006). Les capacités de stockage informatique allant croissant, l’abondance des données fournies par les grands corpus textuels amène les terminologues à se poser un certain nombre de questions, dont les suivantes : la fréquence d’emploi en corpus est-elle un critère fiable d’inclusion terminographique ? Dans le cas des groupes nominaux candidats termes extraits de façon automatique, existe-t-il des critères fiables d’exclusion des données non pertinentes reposant sur une catégorisation sémantique des noms modifiés par l’adjectif ? Enfin, les corpus spécialisés de grande taille (plusieurs millions de mots) permettent-ils de repérer des candidats termes non encore inclus dans les bases de données terminographiques de référence ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans le cadre d’une étude des groupes nominaux de patron Nom-Adjectif dans la langue médicale.

2. Les corpus de langue de spécialité et les bases de données terminologiques

Les principaux outils utilisés pour la première partie de cette étude sont le Grand Dictionnaire terminologique[1] (GDT) et le corpus de français médical du CRTT (CRTT-MED). Ce corpus est constitué d’articles de recherche dans le domaine médical tirés des revues disponibles sur la base de données Science Direct, et les droits de reproduction et d’utilisation dans le cadre d’un projet de recherche ont été accordés par les éditions Elsevier pour la quasi-totalité des publications. Le corpus a été étiqueté en partie du discours par l’analyseur Cordial, et compte actuellement vingt-trois millions de mots[2]. Sa conception et son utilisation sont notamment détaillées dans Maniez (2009).

Nous avons dans un premier temps comparé les couvertures respectives du GDT et du corpus CRTT-MED pour les expressions de patron syntaxique Nom-Adjectif formées à partir de l’adjectif cardiaque totalisant au moins dix occurrences dans le corpus.

Tableau 1

Inclusion dans le GDT des expressions de type <Nom-Adjectif> contenant l’adjectif cardiaque dans le corpus CRTT-MED

Inclusion dans le GDT des expressions de type <Nom-Adjectif> contenant l’adjectif cardiaque dans le corpus CRTT-MED

-> Voir la liste des tableaux

Le tableau 1 fait apparaître que le critère de fréquence est fortement prédictif de l’inclusion terminographique dans le cas des items de très haute fréquence. Les exceptions à cette règle de la fréquence apparaissent toutefois rapidement, la première règle d’exclusion semblant être l’appartenance au sens large à la classe sémantique des états morbides (accident, anomalie, antécédent, atteinte, complication, dysfonction, événement, lésion, maladie, mortalité, risque, séquelle, toxicité, trouble). Ce critère n’est cependant jamais totalement fiable (déficience cardiaque est consigné dans le GDT), et peut éventuellement être rendu opaque par certains phénomènes de synonymie. Ainsi, l’anglais failure a pour équivalents défaillance et insuffisance, mais seul insuffisancecardiaque est présent en tant qu’expression bilexicale dans le GDT, défaillance cardiaque apparaissant dans des termes de complexité supérieure (défaillance cardiaque d’amont, ~ d’aval, ~ antérograde, ~ rétrograde)[3].

Les noms exprimant des liens de causalité (cause, effet, origine, retentissement) peuvent par définition être suivis de n’importe quel type d’adjectif relationnel et ne sont pas non plus présents dans les termes de modèle Nom-Adjectif du GDT. Certains noms d’usage très fréquent (état, niveau) sont également absents de ce type de terme, et les déverbaux (évaluation, performance, remplissage, tolérance) semblent généralement peu propices à la formation de candidats termes. Enfin, l’usage de l’adjectif relationnel pour signifier l’appartenance de certains types de cellules à un organe (mastocytes/myocytescardiaques) ne donne pas non plus lieu à une terminologisation[4].

À l’inverse, un certain nombre des termes présents dans le GDT sont absents du corpus CRTT-MED, comme le révèlera l’examen du tableau 3.

Tableau 2

Fréquence des termes du GDT de type <Nom-Adjectif> contenant l’adjectif cardiaque dans le corpus CRTT-MED et sur la Toile (recherche effectuée sur Google le 30-09-2010)

Fréquence des termes du GDT de type <Nom-Adjectif> contenant l’adjectif cardiaque dans le corpus CRTT-MED et sur la Toile (recherche effectuée sur Google le 30-09-2010)

-> Voir la liste des tableaux

Le tableau 2 indique un taux de couverture relativement élevé du corpus CRTT-MED, puisque l’on y trouve 50 des 79 termes (62 %) de patron syntaxique Nom-Adjectif contenant l’adjectif cardiaque qui sont consignés dans le GDT[5]. La quatrième colonne du tableau 2 indique également une certaine stabilité du rapport des occurrences Toile/Corpus, qui se situe majoritairement dans la fourchette 100-800 pour les expressions de fréquence supérieure à 10 dans le corpus CRTT-MED (la valeur très faible du rapport pour l’expression enzyme cardiaque tient au fait que celle-ci est beaucoup plus souvent employée au pluriel). Les valeurs les plus élevées de ce rapport sont observées dans le cas d’expressions génériques comme crise cardiaque, qui ne font pas réellement partie du vocabulaire spécialisé (aucune définition n’est donnée dans le GDT pour ce terme et sa traduction anglaise, heart attack), ou de termes comme rythme cardiaque, muscle cardiaque ou imagerie cardiaque, qui sont abondamment utilisés sur les sites de vulgarisation médicale.

Tableau 3

Fréquence sur la Toile des termes du GDT de type <Nom-Adjectif> contenant l’adjectif cardiaque et absents du corpus CRTT-MED (recherche effectuée sur Google le 30-09-2010)

Fréquence sur la Toile des termes du GDT de type <Nom-Adjectif> contenant l’adjectif cardiaque et absents du corpus CRTT-MED (recherche effectuée sur Google le 30-09-2010)

-> Voir la liste des tableaux

L’absence du corpus des 29 termes du tableau 3 s’explique par divers facteurs. Certains de ces termes (crochet cardiaque, ciseaux cardiaques, synchroniseur cardiaque, télémonitorage cardiaque) étaient des hapax sur la Toile lors de notre recherche (notons que si télémoniteur cardiaque, télémonitorage cardiaque et télésurveillance cardiaque sont absents du corpus, leurs équivalents privés du préfixe télé- y figurent et comptent plusieurs milliers d’occurrences sur la Toile). Par ailleurs, il est probable que certains termes d’usage courant (par exemple, valvule cardiaque) subiront systématiquement une ellipse adjectivale en contexte et que d’autres seront employés dans leur forme pleine là ou seule une forme siglée a été retenue par notre mode de sélection (par exemple, IRM cardiaque est absent du corpus, où l’on trouve la forme pleine imagerie par résonance magnétique cardiaque). Enfin, certaines pathologies sont rares et il n’est pas surprenant qu’elles ne soient pas mentionnées dans le corpus. C’est en particulier le cas de celles pour lesquelles l’adjectif cardiaque est précédé d’un nom d’organe (poumon cardiaque, rate cardiaque)[6], l’usage de l’adjectif constituant une hypallage par désignation de l’origine de l’état pathologique de l’organe concerné (foie cardiaque, qui compte 1 900 occurrences sur la Toile, est bien présent dans le corpus). Il est intéressant de noter que cette relation causale peut être inversée : ainsi, si la cirrhose cardiaque (stade ultime du foie cardiaque) désigne une variété de cirrhose secondaire à une défaillance cardiaque (illustrant la même relation de causalité que dans les exemples précédents), la névrose cardiaque désigne en revanche des troubles cardiovasculaires consécutifs à une dystonie neurovégétative.

L’examen de ces données semble donc montrer qu’un corpus spécialisé d’une vingtaine de millions de mots peut fournir près des deux tiers des termes de longueur 2 de patron syntaxique <Nom-Adjectif> répertoriés dans le GDT, voire davantage si l’on tient compte du phénomène de l’ellipse adjectivale (ce phénomène d’ellipse expliquant par ailleurs le fait que certains des termes de haute fréquence présents dans le tableau 1 ne figurent pas sous leur forme pleine dans le GDT, les termes précharge et postcharge y étant présents sans être qualifiés par l’adjectif cardiaque)[7].

Mais si le repérage de ces « faux négatifs » terminologiques (le silence informationnel) est nécessairement long et requiert l’aval des experts, l’élimination des « faux positifs » (le bruit) par l’utilisation des quelques critères mentionnés dans notre commentaire du tableau 1 permet indéniablement une utilisation plus efficace des grands corpus textuels dont l’usage se généralise en terminographie.

3. Utilisation des corpus de langue de spécialité en traduction : le cas de la prémodification en anglais

La structure du nom adjectival pose souvent au traducteur et au terminographe dont le français est la langue cible le problème du choix entre deux structures possibles : celle du complément de nom et celle qui utilisera l’adjectif formé par dérivation à partir du nom français correspondant, si cet adjectif existe. Ce choix est déterminé par l’usage : cell repository est traduit par banque de cellules, cell wall par paroi cellulaire, la variation étant rarissime dans le cas de ces deux combinaisons lexicales. Quand un choix existe, il dépend cependant du locuteur et du contexte de communication. Un médecin écrira (et dira dans certains contextes) cancer mammaire ou infarctus myocardique là où le non-spécialiste parlera de cancer du sein et d’infarctus du myocarde[8]. Il s’agit là de deux exemples pour lesquels l’anglais ne présente pas réellement de variation, puisque la première expression utilise quasi exclusivement une prémodification nominale (breast cancer) et l’autre un adjectif (myocardial infarction). Toutefois, on peut supposer que l’adjectif relationnel anglais joue lui aussi ce rôle de démarcation entre le discours du spécialiste et celui du non-spécialiste. La variation entre prémodification par un adjectif (splenic rupture) et post-modification prépositionnelle (rupture of the spleen) en anglais ne sera toutefois pas étudiée dans le cadre de cet article, faute de place.

La formation de nouveaux adjectifs relationnels français est ainsi souvent provoquée par la nécessité de traduire des expressions venant de l’anglais dans lesquelles on observe un phénomène syntaxique typique des langues germaniques, la prémodification nominale par un nom adjectival. Même si la traduction par le complément de nom est souvent utilisée pour ce type de structure, l’utilisation de l’adjectif offre plusieurs avantages : d’une part, elle confère à l’expression utilisée une consonance plus technique par son aspect figé ; d’autre part, elle évite au traducteur ou au terminologue un choix doublement délicat : celui de la préposition et du type de détermination à utiliser dans le groupe prépositionnel qui traduit le prémodificateur. Ainsi, comme on l’a souligné plus haut, l’adjectif cardiaque signifie « consécutif à une défaillance cardiaque » dans cirrhose cardiaque alors qu’il signifie « ayant des conséquences au niveau cardiaque » dans névrose cardiaque. L’utilisation de l’adjectif relationnel permet donc dans de tels cas une traduction plus fidèle à l’original dans la mesure où l’opacité de la relation entre prémodificateur et nom modifié est préservée.

Afin de comparer l’usage des prémodificateurs de forme nominale et adjectivale en langue générale et en langue de spécialité, nous avons fait porter nos requêtes sur une section et une sous-section du Corpus of Contemporary American English (accessible à l’adresse http://www.americancorpus.org/, et désigné ci-dessous par le sigle CCAE). Le corpus, qui totalise 410 millions de mots, contient une partie composée exclusivement d’articles de recherche de genre universitaire (nommée ACADEMIC), elle-même divisée en plusieurs sous-sections, dont une partie médicale (nommée ACAD : Medicine) qui totalise un peu plus de 6 millions de mots (les cinq parties principales du corpus, intitulées Spoken, Fiction, Magazine, Newspaper et Academic contiennent chacune entre 81 et 87 millions de mots). Sa conception et son utilisation sont décrites par son créateur dans Davies (2009). Nous avons fait porter notre comparaison sur la section Newspaper (qui compte un peu plus de 83 millions de mots) et la sous-section ACAD : Medicine. Nos interrogations du corpus ont porté sur les fréquences comparées dans les sous-ensembles précités des mots heart et cardiac, et sur la fréquence d’emploi de ces deux mots en tant que prémodificateurs d’un nom[9].

Tableau 4

Fréquence comparée de heart et cardiac dans la section Newspaper et la sous-section ACAD : Medicine du CCAE

Fréquence comparée de heart et cardiac dans la section Newspaper et la sous-section ACAD : Medicine du CCAE

N. B. : freq1 et freq2 sont les fréquences absolues respectives ; pm1 et pm2 sont les fréquences relatives (par million de mots).

-> Voir la liste des tableaux

L’examen des trois dernières colonnes du tableau 4 révèle que l’utilisation de heart est aussi fréquente dans la section Newspaper que dans la sous-section ACAD : Medicine, alors que cardiac est 25 fois plus employé que heart dans cette sous-section. Les emplois de heart en tant que prémodificateur y sont deux fois plus nombreux, et ceux de cardiac 23 fois plus nombreux. Mais si l’on compare l’utilisation des deux types de prémodification à l’intérieur du même corpus, on voit que leur fréquence relative est comparable (109,80 et 93,14) alors que la prémodification par heart est 12 fois plus fréquente que par cardiac dans la section Newspaper. On peut donc en déduire que l’utilisation de l’adjectif cardiac en tant que prémodificateur est caractéristique de la langue de spécialité médicale, le nom heart étant plus souvent utilisé dans cette fonction dans la langue générale.

3.1. Utilisation de la prémodification par l’adjectif dans les deux corpus

Le tableau 5 donne la liste des 16 expressions de type cardiac NN de fréquence supérieure à 2 dans la section Newspaper du CCAE, classées par ordre décroissant de l’indice de spécificité relative (pm2/pm1) des deux parties comparées.

Tableau 5

Utilisation de la prémodification par l’adjectif cardiac dans la section Newspaper du CCAE

Utilisation de la prémodification par l’adjectif cardiac dans la section Newspaper du CCAE

-> Voir la liste des tableaux

L’examen de la colonne pm2/pm1 est instructif, dans la mesure où seules les trois premières expressions sont d’un emploi relatif plus fréquent dans la section Newspaper que dans la sous-section ACAD : Medicine. Il s’agit de deux cas d’apocope qui relèvent de la langue familière – cardiac rehab(ilitation) et cardiac cath(erization) – et d’une expression localisante désignant un service hospitalier (cardiac unit) et par conséquent peu employée dans les articles de recherche médicale, où l’on trouverait plus vraisemblablement une forme non elliptique pour la désigner (cardiac care unit). Dans la totalité des autres cas, la fréquence relative des expressions concernées est au moins deux fois supérieure, l’indice pm2/pm1 chutant rapidement en dessous de 10 %. Ces données confirment l’utilisation relativement rare de l’adjectif cardiac dans la langue générale. Notons d’ailleurs que d’après les données observées dans la section Newspaper du CCAE, la substitution de heart à cardiac est possible pour l’ensemble des expressions du tableau, même si l’emploi de l’adjectif est beaucoup plus fréquent pour la majorité d’entre elles.

Le tableau 6 donne la liste des 19 expressions de type cardiac NN de fréquence supérieure à 4 dans la sous-section ACAD : Medicine du CCAE, classées par ordre décroissant de l’indice de spécificité relative (pm1/pm2) des deux parties comparées.

Tableau 6

Utilisation de la prémodification par l’adjectif cardiac dans la sous-section ACAD : Medicine du CCAE

Utilisation de la prémodification par l’adjectif cardiac dans la sous-section ACAD : Medicine du CCAE

-> Voir la liste des tableaux

Ces résultats confirment, si besoin était, la fréquence de la prémodification par l’adjectif en langue spécialisée. La quasi-totalité des expressions sont des hapax dans la section Newspaper, et l’indice de spécificité est beaucoup plus élevé que dans le tableau 5.

3.2. Utilisation de la prémodification par le nom dans les deux corpus

Le tableau 7 donne la liste des 16 expressions de type heart NN de fréquence supérieure à 10 dans la section Newspaper du CCAE, classées par ordre décroissant de l’indice de spécificité relative (pm1/pm2) des deux parties comparées.

Tableau 7

Utilisation de la prémodification par le nom heart dans la section Newspaper du CCAE

Utilisation de la prémodification par le nom heart dans la section Newspaper du CCAE

-> Voir la liste des tableaux

Le fait le plus marquant est l’absence totale des formes concernées de la sous-section ACAD : Medicine, qui laisse à penser que l’utilisation de la prémodification par heart donne lieu à une division relativement étanche de la catégorie des noms prémodifiés entre langue générale et langue spécialisée.

Le tableau 8 donne la liste des 16 expressions de type heart NN de fréquence supérieure à 5 dans la sous-section ACAD : Medicine du CCAE.

L’enseignement principal à tirer des données de ce tableau est le fait que la prémodification par heart est présente dans les deux types de langue observés, les hapax correspondant à ces formes étant relativement rares dans la section Newspaper.

Tableau 8

Utilisation de la prémodification par le nom heart dans la sous-section ACAD : Medicine du CCAE

Utilisation de la prémodification par le nom heart dans la sous-section ACAD : Medicine du CCAE

-> Voir la liste des tableaux

La fonction de comparaison du module d’interrogation du CCAE permet de se faire une idée plus précise des items lexicaux susceptibles de subir l’un ou l’autre type de prémodification en fonction du type de langue choisi, et permet d’établir les listes ci-dessous.

  • Section Newspaper :

    • Noms exclusivement prémodifiés par heart (fréquence supérieure à 10) : attack(s), failure, rate, transplant(s), condition, ailment(s), valves, health, problem, defect(s), palpitations, pounding, scan, monitor, murmur, operation, medication ;

    • Noms exclusivement prémodifiés par cardiac (fréquence supérieure à 2) : arrest(s), care, rehab, unit, death(s), cath ;

    • Noms modifiés au moins deux fois par le nom et l’adjectif : disease, monitor, muscle, patients, problems, rhythm, surgeon, surgery.

  • Sous-section ACAD : Medicine :

    • Noms exclusivement prémodifiés par cardiac (fréquence supérieure à 4) : arrest, arrhythmias, catheterization, causes, complications, death(s), dysfunction, enzymes, events, life, monitoring, myocytes, output, tamponade ;

    • Noms exclusivement prémodifiés par heart (fréquence supérieure à 2) : attack(s), block, diseases, health, hospital, infusion, involvement, level, rate, sound(s), strain, study, thromb[us/i], tissue, trauma, valve ;

    • Noms modifiés au moins une fois par le nom et l’adjectif : disease, failure, murmur, surgery, valves.

La comparaison des listes fait apparaître une variation dans la prémodification et permet de déduire l’absence de combinaisons telles que heart monitor, heart muscle, heart patients, heart problems, heart rhythm et heart surgeon de la sous-section ACAD : Medicine, combinaisons qui étaient toutes présentes dans la section Newspaper. Ces expressions contiennent toutes des noms de fréquence élevée et dont le degré de technicité peut être qualifié de modéré, et leurs équivalents de traduction français utilisent l’adjectif cardiaque (heart patients peut également être traduit par l’adjectif substantivé). On peut donc émettre l’hypothèse selon laquelle, lors du processus de traduction du français vers l’anglais en langue de spécialité, les adjectifs spécialisés sont plus fréquemment traduits par des adjectifs que par des noms lorsqu’ils entrent en combinaison avec des noms n’appartenant pas au vocabulaire spécialisé, le rôle de l’adjectif étant peut-être de conférer à l’ensemble de l’expression un plus haut degré de spécialisation.

3.3. Comparaison des deux types de prémodification par le nom dans les deux corpus pour d’autres couples Nom-Adjectif

Pour le couple lung/pulmonary, on ne trouve les deux types de prémodification dans la section Newspaper que pour les noms ailment, disease(s), infection, specialist, tests. Les noms cancer(s), capacity, condition, damage, failure, function, power, problems, surgery, tissue, transplant(s), tumors sont modifiés au moins trois fois par lung et jamais par pulmonary[10].

Dans la sous-section ACAD : Medicine, on trouve les deux types de prémodification pour un nombre de noms plus élevé. Outre disease(s) et infection, adenocarcinoma, disorders, inflammation, injury, involvement, function, metastasis et nodules sont précédés de l’un ou l’autre prémodificateur. Les noms biopsy, cancer(s), carcinoma, complication, development, fields, infiltration, lesions, scan(s), sections, tissue, tumors, volume(s) sont modifiés au moins trois fois par lung et jamais par pulmonary, les noms cancer(s), tissue et tumors étant les seuls items communs aux deux sections. C’est surtout dans la catégorie des noms modifiés au moins trois fois par pulmonary et jamais par lung que l’on observe la plus grande différence quantitative entre les deux sections étudiées : on y retrouve cinq des six items de la liste de la section Newspaper (artery, edema, embolism, fibrosis, hypertension) et 27 autres noms du vocabulaire spécialisé ayant trait pour la plupart au domaine de la pathologie[11].

L’étude de la paire kidney/renal révèle des résultats similaires, même si renal est de fréquence moindre que pulmonary dans la section Newspaper. Les noms ailments, cancer, damage, dialysis, donor(s), function, infection, patients, problem(s), stone(s), tissue, transplant(s) et trouble y sont exclusivement modifiés par kidney, alors qu’aucun nom n’est modifié uniquement par renal plus de deux fois. Les deux seuls items qui puissent être indifféremment modifiés par le nom et l’adjectif sont disease et failure. Dans la sous-section ACAD : Medicine, les seuls noms qui soient exclusivement modifiés par kidney au moins trois fois sont recipients, donors et cells, mais un grand nombre de noms du vocabulaire spécialisé (34) sont modifiés exclusivement par l’adjectif renal[12]. On retiendra quelques observations de la comparaison de ces données :

  • Un petit nombre de substantifs sont modifiés exclusivement par le nom en langue générale (cancer, function, patient, tissue, transplant)[13], les mots disease et failure étant les seuls à recevoir systématiquement les deux types de modification ;

  • Un nombre relativement faible de substantifs peuvent recevoir les deux types de prémodification en langue de spécialité ;

  • Un nombre conséquent de substantifs sont modifiés exclusivement par l’adjectif en langue de spécialité.

Il reste toutefois à déterminer l’apport que ces données peuvent constituer pour la mise à jour des ressources lexicographiques bilingues existantes, notamment pour la traduction et la rédaction en langue de spécialité.

3.4. Apport potentiel des corpus aux ressources lexicographiques bilingues

Le traducteur/rédacteur pouvant être amené à intervenir dans le domaine de la vulgarisation aussi bien que dans celui d’un domaine de spécialité, une alternative à la solution consistant en la consultation de deux dictionnaires distincts peut être envisagée grâce au support électronique. On peut ainsi imaginer un mode de consultation qui renseignerait l’utilisateur quant à la possibilité des deux types de modification en fonction du type de langue envisagé (générale ou spécialisée), à l’aide d’une structure similaire à celle du tableau 9.

Tableau 9

Exemple de structure d’une base de données lexicale renseignant l’utilisateur sur les possibilités de prémodification d’un nom en anglais

Exemple de structure d’une base de données lexicale renseignant l’utilisateur sur les possibilités de prémodification d’un nom en anglais

-> Voir la liste des tableaux

La structure d’une telle base pourrait éventuellement être affinée par l’apport de détails similaires concernant la nature de la modification en français (adjectif ou complément nominal) en fonction du type de langue envisagé.

D’une manière plus générale, les corpus spécialisés de taille conséquente permettent d’améliorer la couverture des dictionnaires existants. Dans le cas de la prémodification par kidney, les expressions formées à partir des noms suivants sont absentes du GDT : biopsy, cells, damage, dialysis, donor, dysfunction, failure, filtration, graft, maldevelopment, malformation, preservation, recipients, section, sonogram, transplant, transplantation, tumor. La majorité de ces expressions ne sont pas des termes, et leur inclusion dans le GDT ne s’impose donc pas. Toutefois, kidney dialysis, kidney failure, kidney graft, kidney transplant et kidney transplantation sont bien des candidats termes potentiels (kidney failure, kidney graft et kidney transplant sont répertoriés dans la banque de données TERMIUM Plus)[14].

Afin d’évaluer l’apport potentiel de l’examen de la sous-section ACAD : Medicine pour les expressions utilisant l’adjectif renal, nous avons établi la liste des termes du corpus présents dans au moins l’une de ces deux bases de données terminologiques de référence. Les résultats sont présentés dans le tableau 10[15].

Tableau 10

Couverture comparée du GDT et de Termium pour les termes du corpus de type renalN présents dans au moins l’une des deux sources

Couverture comparée du GDT et de Termium pour les termes du corpus de type renalN présents dans au moins l’une des deux sources

-> Voir la liste des tableaux

Sur les vingt et un termes présents dans le corpus, dix sont communs aux deux sources, huit spécifiques à Termium et trois au GDT. Précisons cependant que Termium comporte 36 termes de longueur 2 commençant par renal, et que le GDT en compte 38, ce qui rend leur couverture comparable. Nous avons relevé dans la sous-section ACAD : Medicine 12 noms pouvant servir à former des candidats termes potentiels en association avec l’adjectif renal qui sont absents des deux bases de données terminologiques : allograft, angioplasty, azotaemia, capacity, clearance, excretion, hypoperfusion, infarct, insulinase, ischaemia, outflow, parenchyma. Ce choix est bien entendu arbitraire, l’inclusion dans une banque de données terminologique multilingue dépendant de facteurs intrinsèques (place du concept dans l’ontologie du domaine) et extrinsèques (difficulté de traduction potentielle) qui nécessitent une évaluation collective par des linguistes et des experts du domaine concerné. Nous considérons néanmoins que le nombre de candidats termes sélectionnés montre que l’utilisation des corpus spécialisés en terminographie est une base d’enrichissement de telles banques de données.

4. Conclusion

L’examen manuel des données extraites automatiquement des corpus spécialisés grâce à des requêtes utilisant des expressions régulières permet de repérer un nombre important de candidats termes de patron syntaxique Nom-Adjectif en langue de spécialité. La fréquence d’emploi en corpus, qui peut dans certains cas constituer un critère fiable d’inclusion terminographique, ne peut cependant pas être utilisée de manière systématique, certaines collocations ne constituant pas des candidats termes valides. Il est probable que chaque langue de spécialité contient un petit nombre de substantifs pouvant constituer une liste d’exclusion, certains semblant peu propices à la formation de candidats termes. Enfin, les corpus spécialisés de grande taille comme CRTT-MED permettent clairement de repérer des candidats termes non encore inclus dans les bases de données terminographiques de référence, le critère quantitatif ne devant pas occulter le fait que de nombreux termes sont des hapax, y compris dans des corpus de très grande taille. Quant aux corpus bilingues comparables, ils constituent un outil indispensable pour l’appariement multilingue des candidats termes et permettent de rendre compte de l’usage en langue de spécialité en évitant de surestimer le phénomène de l’emprunt à l’anglais souvent constaté dans les corpus traduits. L’apport de la linguistique de corpus s’applique ainsi pleinement au domaine de la terminologie multilingue, auxiliaire indispensable du traducteur spécialisé.