Numéro 7, printemps 2006 Filer (Sophie Calle) Shadowing (Sophie Calle) Sous la direction de Bertrand Gervais et Maïté Snauwaert
Sommaire (13 articles)
Filer (Sophie Calle) / Shadowing (Sophie Calle)
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Présentation : « au fil des oeuvres »
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À l’image de l’histoire : formalisation, cristallisation, circulation
Maïté Snauwaert
p. 17–48
RésuméFR :
L’intermédialité du travail de Sophie Calle transforme les rapports entre texte et photographie en les déplaçant du statut de catégories matérielles étanches au rang, respectivement, de récit et d’image, par le biais d’une mise en fiction qui les fait accéder à la signification. Par ce glissement de valeur, ils ne se définissent plus séparément, mais participent également et conjointement d’un régime à la fois poétique et plastique qui les rend indivisibles. Ce sont alors des livres d’images à lire que produit l’artiste, dont les photographies ne sont pas tout à fait les illustrations, ni les textes à proprement parler les légendes.
EN :
The intermediality displayed in Sophie Calle's work transforms the usual relations between text and photography by displacing their status as distinct material categories towards a new field of discourse where they become considered respectively as narration and image and thus, part of a fiction process in which they gain meaning. Through this transformation of values, both text and photography lose their specific definitions to become part of a poetic and plastic regime which renders them indivisible. The artist produces original books of images to read, whose photographs are not exactly illustrations, and whose texts are not captions per se.
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L’abdication devant l’image? Figures du manque, de la disparition et du deuil dans les oeuvres récentes de Sophie Calle
Cécile Camart
p. 49–66
RésuméFR :
Lors de son exposition rétrospective au Centre Pompidou en 2003, Sophie Calle a dévoilé des oeuvres inédites, créées pour l’occasion. Cette étude, qui se nourrit aussi d’une collaboration curatoriale et éditoriale avec l’artiste depuis 2002, considère les problématiques originales abordées par les pièces Unfinished (1988-2003), Une jeune femme disparaît (2003), Voyage en Californie (2003) et Douleur exquise (1984-2003). L’oeuvre n’est plus envisagée d’un simple point de vue intertextuel et narratif. Le postulat est celui d’une autonomie renouvelée de l’image, qui révèle l’omniprésence des métaphores de la disparition, du manque et de la perte. La relique pourrait devenir ici l’expression d’un impossible deuil, en filigrane, dans l’oeuvre.
EN :
During her retrospective at the Centre Pompidou in 2003, Sophie Calle unveiled new works produced for the occasion. This essay, generated by a curatorial and editorial collaboration with the artist begun in 2002, considers the original issues at stake in pieces such as Unfinished (1988-2003), A woman vanishes (2003), Journey to California (2003) and Exquisite Pain (1984-2003). This body of work is not only looked at from an intertextual and narrative point of view. The basic premise now relies on a renewed autonomy of the image, which reveals the omnipresence of metaphors of disappearance, lack, and loss. The relic may become the symbol of an impossible mourning, as a watermark in the work.
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L’enfant effacé ou retrouver le fil d’une figure
Bertrand Gervais
p. 67–87
RésuméFR :
Les dispositifs textuels de Sophie Calle favorisent l’apparition de figures, d’objets de pensée qui, une fois lancés, se déploient et marquent l’imaginaire. Son travail permet même de comprendre certaines de leurs modalités d’apparition. Il favorise une réflexion sur les figures, sur leurs statut et rôle dans les processus symboliques. Il en est ainsi de la figure de l’enfant effacé qui hante l’un des textes de Disparitions (2000). Avant de décrire cette figure, l’auteur commence par identifier quelques-uns des gestes essentiels à sa production, à savoir les gestes d’apercevoir, d’imaginer et de manipuler une forme. Il donne deux courts exemples, tirés de Witold Gombrowicz et de Don DeLillo. Puis, après avoir décrit la figure de l’enfant effacé, présente dans Disparitions, il s’arrête sur le statut particulier des figures, qu’il décrit, à l’instar de Georges Didi-Huberman et à la suite de Walter Benjamin, comme des objets auratiques.
EN :
Sophie Calle's texts are elaborate devices that facilitate the production of figures, of complex symbolic entities. In fact, her work enables us to better understand how figures emerge and unfold in the imaginary. Thus, we find in her Disparitions (Disappearances), a startling figure, which we can name the “rased Child.” The author presents this figure and explains how it stems from the description of a painting by Rembrandt, stolen at the Isabella Gardner Stewart Museum in Boston. He starts by identifying some of the essential processes implied in the identification of a figure, and, to do so, provides two short examples drawn from Witold Gombrowicz and Don DeLillo. Then, after having described the figure of the Erased Child, he argues, following Georges Didi-Huberman in his reading of Walter Benjamin, that figures are auratic objects.
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Mise en récit et mise en oeuvre. De l’enregistrement à la fiction dans les filatures de Sophie Calle
Perin Emel Yavuz
p. 89–109
RésuméFR :
Dans le prolongement du Narrative art, Sophie Calle produit au tournant des années 1980 une oeuvre de photographies et de textes. Dans un rapport très étroit avec le réel, ses premiers travaux illustrent ce que Paul Ricoeur appelle la « configuration du temps en récit ». À partir du concept de la grille photographique, on mettra en évidence comment, dans Filatures parisiennes, Suite vénitienne et La filature, Sophie Calle fait basculer le récit factuel dans la fiction.
EN :
Following on from the Narrative art, Sophie Calle produces at the turn of the 1980s a work that combines photography and text. Closely connected to the real, her early works illustrate what Paul Ricoeur called the “configuration of time into a story”. From the concept of the photographic grid, we will try to show how Sophie Calle transforms an apparently factual story into fiction in Filatures parisiennes, Suite vénitienne and La filature.
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No Sex Last Night: The Look of the Other
Cybelle McFadden Wilkens
p. 111–125
RésuméEN :
In 1992, Calle departed briefly from still photography and experimented with video to create another version of herself as artist in No Sex Last Night (made in collaboration with Greg Shepard). Video is another way to construct herself for others and through others as she wants to be seen. No Sex Last Night differs from Calle's other projects due to her loss of artistic control, since Shepard also holds a video camera. Each camera reveals not only the perspective of the person shooting, but also shows the reactions and feelings of the other person being recorded. The interplay between the two cameras suggests that ways of looking at others and one's daily life are shaped by a need to be affirmed by the other. Calle affirms herself both as an artist and as a woman in this confrontation with the other, in this case, Shephard.
FR :
En 1992, Calle a quitté l’image figée pour faire l’expérience de la vidéo en élaborant une autre version d’elle-même en tant qu’artiste dans la vidéo intitulée No Sex Last Night, réalisée en collaboration avec Greg Shephard. La création vidéo est un autre moyen de construire son « soi » pour les autres et à travers les autres, c’est-à-dire de façonner la manière dont elle souhaite être vue. Ce qui distingue No Sex Last Night de ses autres projets est sa perte d’autorité artistique, car Shephard tient aussi une caméra. De fait, ce qui prime dans cette vidéo est la dépendance de l’autre au niveau de l’image et de l’existence. C’est à travers l’autre, Shephard en l’occurrence, que Calle s’affirme à la fois en tant qu’artiste et en tant que femme.
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Quelques r.-v. avec Hervé. Quand Sophie Calle rencontre encore Hervé Guibert
Catherine Mavrikakis
p. 127–138
RésuméFR :
L’oeuvre de Sophie Calle se place d’emblée dans une relation ludique par rapport aux textes et au personnage de l’écrivain Hervé Guibert. Si No Sex Last Night s’ouvre sur l’annonce par Sophie de la mort de son ami Hervé, si Douleur exquise raconte un épisode d’intimité, celui du bain, entre Calle et Guibert, si Guibert fut le dépositaire négligent d’une photo d’enfance de l’artiste sur laquelle il écrit un texte que Calle recopie dans un de ses propres livres, force est de constater que le travail de Calle se met sous le signe de rendez-vous artistiques, sporadiques avec Hervé Guibert et ses écrits. Ces derniers se donnent d’ailleurs comme relances ou entraves au processus de création. Hervé Guibert serait un des spectres de Calle, une « image-fantôme », pour reprendre ici le titre d’un livre de Guibert, qui visite Sophie de temps à autre et dont celle-ci suit les demandes et les prières. Et c’est par le biais de cette photographie de Sophie enfant qui a été prêtée à Guibert, photographie qu’il a perdue puis retrouvée, qu’il nous est possible de réfléchir sur le « M’as-tu vue, Hervé? » que Calle lance sans cesse dans sa propre oeuvre.
EN :
Sophie Calle's work plays with the texts and the character of the French writer Hervé Guibert. No Sex Last Night begins with Sophie announcing the death of her friend, Hervé. Douleur exquise recounts a very intimate moment between Calle and Guibert, when they shared the same bathwater. Calle entrusted Guibert with a childhood photo, about which he wrote a text that Calle recopied in one of her own books. Calle's productions are marked by her sporadic, artistic rendez-vous with Guibert and his writings that are both springboards for or hindrances to Calle's creative process. Hervé Guibert is one of Calle's specters, an « image-fantôme », to refer to one of Guibert's books, that haunts Sophie from time to time and prompts her to heed to its demands and do its bidding. And it is by means of Sophie's childhood photograph, which she loaned to Guibert who lost it and then found it again, that we can understand the question « M'as-tu vue, Hervé? » that Calle repeats over and over in her own work.
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Théâtre d’ombres chez Sophie Calle : les mises en scène du moi et de l’absence
Magali Nachtergael
p. 139–150
RésuméFR :
La mise en scène de l’absence, pour reprendre l’expression de Susan Sontag, est un élément essentiel de l’oeuvre de Sophie Calle. Tout en continuant à mêler habilement vérité et fiction, elle façonne son image d’artiste dans son grand théâtre d’ombre où la photographie montre autant qu’elle cache. Depuis ses filatures à Venise ou dans Paris, elle est passée maître dans l’art de la manipulation de ses personnages, qu’ils soient des monuments communistes démantelés, des jeunes filles disparues ou des tableaux volés.
EN :
The mise en scène of absence, to quote Susan Sontag's expression, is an essential element of Sophie Calle's work. Skilfully mixing truth and fiction as she always does, she shapes her artistic image on her large shadow play where photography shows as much as it hides. Since her shadowing in Venice or in Paris, she became master in the art of handling her characters be they communist monuments, missing girls or stolen paintings.
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Sophie Calle: Follow me
Martine Delvaux
p. 151–164
RésuméEN :
This article addresses the question of sexual identity in Sophie Calle's work, in particular in Des histoires vraies + dix and No Sex Last Night. Through the use of sexual stereotypes and an emphasis placed on desire, the failure of sexual encounters and love relationships, the artist questions the notion of identity, whether sexual or simply biographical.
FR :
Cet article aborde la question de l’identité sexuelle dans l’oeuvre de Sophie Calle, en particulier dans Des histoires vraies + dix et No Sex Last night. Il s’agira de montrer, d’une part, que l’utilisation de stéréotypes sexuels par l’artiste et, d’autre part, l’importance qu’elle accorde au désir et à l’échec des rencontres amoureuses ont pour effet d’ébranler le concept d’identité, qu’il s’agisse d’identité sexuelle ou simplement de biographie.
Artiste invitée / Guest Artist
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Du documentaire au documontage : Vingt ans après de Sophie Calle
Johnnie Gratton
p. 167–179
RésuméFR :
En 2001, Sophie Calle se fait suivre pendant une journée par un détective privé. Son objectif : acquérir le rapport et les photos du détective afin d’y ajouter son propre rapport et de compiler ainsi une attestation documentaire hétérogène, à la fois intermédiale et interauctoriale, du projet. C’est à partir de ce dispositif hétérogène que l’on aborde la version du projet publiée au sein de ce numéro spécial. Et c’est en reconnaissance de ce dispositif hétérogène que l’on proposera de caractériser celle-ci comme « documontage », assemblage d’éléments disparates qui ne cesse de contester, au sein d’un exercice documentaire, les protocoles et le régime de vérité propres à l’éthique documentaire.
EN :
In 2001, Sophie Calle had herself tailed for one day by a private detective. Her objective was to acquire the detective's report and photographs in order to supplement these with her own report and thereby compile a hybrid documentation of the project, a body of evidence based on mixed media and mixed authorship. The version of the project presented and discussed here is approached in terms of this hybridity-fostering setup. In recognition of this setup, the newly published version is characterized as a “documontage”, an assemblage of disparate elements that, within the bounds of a documentary exercise, constantly challenges the protocols and truth regime of the documentary ethic.
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Vingt ans après
Sophie Calle
p. 181–202
Hors dossier / Miscellaneous
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Le temps logé en la photographie. À partir de Barthes et Kracauer
Arlette Farge
p. 205–213
RésuméFR :
Dans des photos du XXe siècle que le XVIIIe siècle ignorait évidemment, quelque chose comme une sédimentation du passé se dépose. Nos corps, nos gestes, comme nos paysages sont emplis de présence d’autrefois dont nous ne sommes pas forcément conscients. Le battement du temps se loge en la photographie.
EN :
In XXth century photographs—that the XVIIIth century obviously did not know—, something like a layering of times passed has been deposited. Our bodies, gestures, as well as our landscapes are filled by yesterday's presence, whether we know it or not. The beat of time is in photography.