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Entreprises collectives est un ouvrage de synthèse portant sur l’économie sociale et solidaire (ESS) qui décrit la diversité des pratiques caractérisant ce domaine dans une perspective interdisciplinaire. Il s’adresse aux étudiants de sciences économiques, sociales et humaines, mais aussi aux professionnels de ce secteur. Cet ouvrage présente une caractéristique originale, cependant, par rapport aux travaux antérieurs. Son trait particulier réside dans la volonté de mettre en évidence les différents regroupements qui se partagent ce champ politique en tentant de saisir les stratégies, les alliances, mais aussi les rivalités qui s’établissent entre eux.
L’auteur commence par dresser un portrait général de l’ESS au Québec. Alors que les richesses produites par le secteur privé sont souvent mises en avant, il convient de rappeler l’apport des entreprises collectives (les coopératives, les mutuelles et les associations qui exercent des activités économiques) à l’essor du développement économique et social de nos sociétés. Aujourd’hui, au Québec, les entreprises collectives ont un chiffre d’affaires global de plus de 20,7 milliards de dollars et emploient environ 132 000 personnes (dont 87 000 dans les coopératives) (p. 2). Qu’en est-il au niveau mondial ? Ces entreprises collectives représentent globalement 8 à 10 % de l’emploi dans les pays occidentaux. Le rappel de l’importance économique de ce secteur est suivi d’une mise en perspective historique de ce secteur. L’économie sociale apparaît au XIXe siècle, parallèlement à l’émergence du mouvement ouvrier qui caractérise la société industrielle naissante. Les syndicats en Amérique du Nord, inspirés par les Chevaliers du travail, soutenaient ostensiblement le modèle coopératif, certains d’entre eux s’occupant eux-mêmes de la mise en place de programmes d’assurance vie collective ou de magasins coopératifs (p. 27). La nouvelle économie sociale, issue principalement des mobilisations pour l’emploi et pour le développement de nouveaux services collectifs de proximité dans les années 1980, est caractérisée par trois types d’initiatives (p. 9) :
des initiatives à visée pédagogique favorisant des apprentissages liés au marché du travail ou des entreprises d’insertion socioprofessionnelles ;
des initiatives liées à la mise en place de services de proximité (exemples : services de garde, restauration populaire, aide à domicile…) ;
des initiatives territorialisées de revitalisation économique et sociale visant la mise sur pied et le soutien d’entreprises collectives.
Quelques exemples contemporains de ce renouvellement de l’économie sociale au Québec sont détaillés, tels que le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ) et l’Atelier du chômeur à Sorel.
Dans le second chapitre, c’est le lien entre action publique territoriale et ESS qui est abordé. Longtemps méconnue des pouvoirs publics, la contribution de ce secteur au développement économique local est depuis les années 1980 de plus en plus reconnue. L’augmentation des financements publics vers ce secteur se traduit par l’émergence de ce que l’auteur appelle « une nouvelle filière institutionnelle de développement local ». Cette filière prend la forme de dispositifs variés, tels que les sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC), les centres locaux de développement (CLD), les coopératives de développement régional (CDR) ou encore les corporations de développement économique communautaire (CDEC), mais aussi de fonds de développement spécifiques, comme le Fonds local d’investissement (FLI), le Fonds d’économie sociale (aujourd’hui disparu), les fonds propres de certaines CDEC, les fonds d’investissement locaux (FIL) et les fonds de solidarité (FTQ). Cette nouvelle filière de développement repose sur une démarche inédite où se croisent le monde coopératif, syndical et associatif, le secteur privé (chambres de commerce locales) et le secteur public (municipalités et gouvernements centraux) afin de contribuer au développement local et régional. Trois exemples sont plus particulièrement détaillés dans ce chapitre : les sociétés locales d’investissement et de développement de l’emploi (SOLIDE), les sociétés d’aide au développement des collectivités (SDAC) et les centres locaux de développement (CLD). Une hypothèse est avancée pour expliquer l’émergence de cette nouvelle dynamique urbaine. Le mouvement ouvrier caractérisé par l’action syndicale dans le monde de l’entreprise qui prévalait jusque dans les années 1970 aurait laissé la place aux actions collectives prenant comme ancrage le quartier et tentant d’adresser des réponses aux problèmes de l’exclusion sociale (p. 59). Du monde de l’entreprise, le point d’action se serait ainsi déplacé vers le lieu d’habitation, et les problématiques liées au travail auraient évolué pour prendre en compte le « hors-travail ».
Après avoir présenté les liens entre l’ESS et l’État, c’est à la dynamique propre du champ politique québécois dans lequel s’insère l’ESS que s’attelle le chapitre 3 de cet ouvrage. L’ensemble de l’ESS au Québec est représenté par deux grands regroupements : le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) et le Chantier de l’économie sociale. Le CQCM a été créé au début des années 1940. Actuellement, il regroupe l’ensemble des coopératives et des mutuelles du Québec. Le Chantier de l’économie sociale est né pour sa part à la suite du Sommet du gouvernement du Québec sur l’économie et l’emploi. Créé officiellement en 1999, il regroupe essentiellement des associations. Ces deux regroupements entretiennent des liens étroits avec l’action communautaire autonome, si bien que les frontières sont parfois difficiles à tracer. Pour clarifier les différentes composantes du tiers secteur, l’auteur a créé une typologie du tiers secteur (p. 104). Cette typologie distingue d’un côté l’action communautaire et de l’autre l’économie sociale. L’action communautaire autonome est elle-même divisée en deux sous-ensembles : le premier est orienté vers la défense des droits, tandis que le second vise à développer des services. L’économie sociale et solidaire, de son côté, comporte également deux sous-ensembles : les entreprises collectives et les entreprises sociales. Notons que les deux regroupements qui représentent l’ESS au Québec se retrouvent aussi au niveau national avec la Canadian Co-operative Association (CCA, ou Association des coopératives du Canada) et le Canadian CED (Community Economic Development) Network.
Le chapitre 4 aborde la question du renouvellement des formes prises par l’État social au Québec. L’auteur défend ici non pas la thèse du déclin irrémédiable de l’État-providence, mais bien plutôt celle d’une recomposition des politiques sociales à travers la prise en compte de nouveaux acteurs issus de la société civile suivant une voie différente du modèle néolibéral américain. Quant au chapitre 5, il approfondit les questions évoquées au chapitre 3 en détaillant plus longuement l’évolution des différentes composantes du champ politique québécois au cours des dix dernières années. Les interactions entre le Chantier de l’économie sociale et le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ) sont particulièrement détaillées afin de montrer comment les rivalités peuvent naître de la compétition qui s’instaure pour recevoir des financements publics. Les opportunités politiques sont également analysées. Globalement, celles-ci ne semblent guère favorables au renforcement des actions collectives, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du régime libéral en 2003, la montée de l’ADQ dans le vote populaire en 2007 et l’élection des conservateurs à Ottawa en 2006. Le dernier chapitre aborde la question des initiatives de l’ESS orientée vers le développement de la coopération Nord-Sud. Un tableau de l’ensemble des regroupements agissant dans ce domaine est alors présenté.
Avant de conclure, nous aimerions revenir sur le choix du titre de l’ouvrage. Les entreprises collectives qui forment le titre de l’ouvrage sont en premier lieu définies de la façon suivante : il s’agit de « toutes les formes de regroupements de personnes mobilisées par un engagement social quelconque sur le terrain économique (mutuelles, coopératives et OBNL) et produisant donc biens et/ou services sur le marché privé ou public en y obtenant en dernière instance des revenus propres relativement consistants de manière à y assurer leur autonomie et leur développement propre » (p. 4). Dans le contexte actuel, les entreprises collectives désignent une forme renouvelée de l’économie sociale et, pour le formuler différemment et faire le lien avec le thème de ce dossier, une nouvelle génération de l’économie sociale. Mais une seconde définition plus restreinte des « entreprises collectives » est présentée au milieu de l’ouvrage. Les entreprises collectives s’opposent alors aux entreprises sociales (p. 104). Les entreprises collectives désignent essentiellement les coopératives qui mettent la viabilité économique au centre de leur mission, tandis que les entreprises sociales recouvrent l’ensemble des associations exerçant une activité économique et dont la motivation première est la finalité sociale. Ces deux idéaux-types se distinguent donc par leur statut (coopératif ou associatif), mais aussi par leur mission première (rentabilité économique versus finalité sociale). Cette ambiguïté entre les deux définitions, l’une très large désignant l’ensemble de la nouvelle génération d’économie sociale apparue à partir des années 1980 et l’autre plus restreinte, se rapportant uniquement aux coopératives de cette nouvelle génération, persiste tout au long du livre.
Néanmoins, l’ambition de l’ouvrage était ailleurs. Il s’agissait de montrer l’ensemble des recompositions des formes prises par l’économie sociale et solidaire au Québec à travers une approche historique. Concernant l’avenir de ce secteur, l’auteur souligne que l’un des enjeux déterminants des années à venir sera « le développement durable et solidaire des territoires autour des défis actuels de la santé, de l’énergie et du contrôle des ressources naturelles » (p. 179).