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Les accords de Bretton Woods n’ont pas inventé une monnaie internationale comme le plan Keynes l’avait prévu. Ils n’ont donc pas mis en place une banque centrale pour la gérer. Ils ont seulement créé une institution – le Fonds monétaire international – qui pourrait obliger les pays à respecter certaines règles, à la fois pour maintenir leurs monnaies stables les unes par rapport aux autres et pour les rendre convertibles en supprimant toutes les restrictions existantes. Le Fonds devait aider les pays à remplir leurs obligations en leur accordant des crédits, les fameux tirages, qui sont en fait une opération de change par laquelle ils peuvent obtenir des monnaies fortes en cédant leur propre monnaie. De ce fait, ce sont les pays qui s’entraident par l’intermédiaire du Fonds : un pays en position difficile obtient la monnaie d’un autre en position plus solide, la monnaie qu’il cède – la sienne – est faible, celle qu’il reçoit est forte… et au fmi la position du premier pays devient débitrice, la position du second devient créancière. Quelques années plus tard les choses auront changé. Le pays débiteur pourra devenir créancier, et vice-versa. Le Fonds Monétaire a été conçu comme une mutuelle de crédit, une espèce de coopérative…

Cette aide financière d’un genre tout à fait nouveau était au départ essentielle. Les articles iii et v des Accords de Bretton Woods consacrés aux quotes-parts et aux transactions avec le Fonds tiennent plus de place que les articles iv et viii consacrés à la stabilité et à la convertibilité des monnaies. Le rôle du Fonds a donc été, d’abord, quantitatif, il se mesurait par le montant des crédits accordés – les tirages effectués chaque année. Cela est tellement vrai qu’au début des années 50 le Fonds n’avait plus assez de monnaies fortes – seul le dollar l’était à ce moment-là et il les avait tous donnés – il a pratiquement cessé son activité. Au début des années 60, il a fallu qu’une dizaine de pays lui prêtent leur monnaie dans le cadre des Accords généraux d’emprunt pour qu’il puisse répondre aux besoins d’autres pays membres. Au début des années 70, ce sont les droits de tirage « spéciaux » qui ont été mis en place pour doubler les tirages « ordinaires » et permettre au Fonds de faire face au besoin de liquidités internationales, ce qui était à l’époque fort préoccupant[1].

Ce n’est qu’après sa création, et lentement, que le rôle du Fonds est devenu de plus en plus qualitatif. Le principe et la nature des conditions que les pays doivent respecter quand ils sollicitent une aide du Fonds ont été arrêtés en 1952 et les modalités ont été modifiées à plusieurs reprises. Elles sont devenues importantes à partir de 1980 lorsque les pays industrialisés qui « tiraient » sur le Fonds en souscrivant à des programmes de stabilisation ont été remplacés – et complètement – par les pays en développement qui ont souscrit à des programmes d’ajustement, nécessairement plus complets, et dont le contenu est beaucoup plus discuté. Ce sont ensuite les programmes d’ajustement structurel, liés à la facilité du même nom (fas), puis l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés qui repose sur l’élaboration d’un document stratégique pour la réduction de la pauvreté (dsrp), utilisé également dans la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (frpc) qui a remplacé la fas.

Autant ces programmes sont importants, impliquent beaucoup d’acteurs et concernent de nombreux domaines, économiques, sociaux, environnementaux… autant les sommes en jeu sont faibles : à peine dix milliards de dollars de crédits en cours au 31 décembre 2005, pour soixante pays – dont 37 africains. Car ce sont maintenant les mêmes pays, en développement et en transition, qui empruntent au Fonds… et les pays industrialisés qui, à travers lui, leur prêtent. Le Fonds est toujours une mutuelle, mais les débiteurs et les créanciers ne « tournent » plus, comme autrefois, et l’important n’est plus le montant des crédits qu’il accorde, mais à quelles conditions il le fait chaque fois.

Rien n’a changé, paradoxalement, lorsque la finance internationale a explosé. Tout a commencé quand le dollar est devenu, du fait du déficit américain, la monnaie internationale « de fait ». Le phénomène de l’euro-dollar n’a fait qu’accentuer les choses, provoquant en même temps la crise de la dette. Il est devenu impossible de maintenir partout la stabilité des monnaies. Quand, à partir de 1978, les pays ont pu choisir leur régime de change et que le fmi a dû exercer à cet égard « une ferme surveillance », son rôle – de plus en plus qualitatif – s’est affirmé. Quelques années plus tard, accompagnant le phénomène de la globalisation financière, les marchés financiers ont pris – pour partie – le relais des banques. C’est par eux désormais que l’épargne trouve à se placer, et que les créanciers prêtent aux débiteurs. Les sommes en jeu sont devenues considérables, elles n’ont plus rien à voir avec les réserves des banques centrales. Quant au Fonds, il ne voit pas son rôle diminuer, au contraire. L’explosion des marchés financiers entraîne de nouveaux risques. Le Fonds doit aider à les prévenir et, quand la crise survient, comme cela est arrivé plusieurs fois depuis dix ans, il doit aider à la gérer. Cette fois nous sommes au coeur de la finance. Le Fonds devrait retrouver pleinement son rôle quantitatif

Nous allons voir qu’il n’en est rien – ou presque. Malgré l’explosion de la finance internationale, le rôle strictement financier du Fonds monétaire reste très modeste. En revanche, il continue à surveiller, à contrôler, à conseiller les États membres, il le fait même de plus en plus. Mais ce faisant c’est un rôle politique qui grandit et qui s’affirme. On peut l’admettre, car il correspond à un besoin de la Communauté internationale. « Si le fmi n’existait pas, il faudrait le créer » entend-on dire parfois. Mais un tel rôle peut-il être dévolu à une institution qui a été créée il y a 60 ans pour faire tout autre chose, et dont les statuts, l’organisation, le mode de fonctionnement sont restés les mêmes, alors que le monde, et en particulier la finance, ont tellement changé… ?

Nous allons d’abord examiner le rôle du fmi dans la régulation de la finance internationale – rôle plus qualitatif que quantitatif, plus politique que financier – puis nous nous interrogerons sur la capacité du Fonds à jouer ce rôle, autrement dit sur la qualité de sa gouvernance… et sur les réformes qui s’imposent.

I – Le fmi et la régulation financière internationale

Il ne s’agit plus aujourd’hui, comme autrefois, de réformer le système monétaire international, mais seulement de mettre en place une « nouvelle architecture financière internationale ». L’expression est à la mode, mais elle est bien difficile à définir. Souhaitée par le G7 et officialisée au Sommet de Cologne en juin 1999, elle constitue « une réponse pragmatique à l’instabilité financière internationale et non pas une avancée institutionnelle quant aux modes de gouvernance monétaire et financière à l’échelle internationale[2] ». Aucun changement majeur en effet, aucune institution nouvelle, aucun accord général sur de nouvelles règles contraignantes relatives par exemple à la stabilité des monnaies, à la surveillance des marchés, à la coordination des politiques. En fait, ce concept met en cause un certain nombre d’acteurs, le fmi, la Banque mondiale, la Banque des règlements internationaux, les États, en particulier ceux du G7, des groupes de travail, des banques internationales… et il repose surtout sur un ensemble d’incitations, de codes de conduite, de normes qu’il faut élaborer et édicter pour assurer de meilleures pratiques de la part des États, des banques, des investisseurs… Dans cet ensemble, le rôle du Fonds reste essentiel, son rôle quantitatif certes, mais surtout son rôle qualitatif. Il reste néanmoins, à son sujet, bien des problèmes en suspens.

A — Les mesures quantitatives

Le Fonds a dû faire face aux crises financières qui ont affecté plusieurs pays émergents depuis une dizaine d’années : le Mexique en 1994, l’Asie du Sud-Est en 1997, puis la Russie, puis l’Argentine. Il a créé deux nouvelles facilités. La première, dite Facilité de réserve supplémentaire (frs), ouverte en décembre 1997, permet de soutenir fortement et rapidement un pays qui connaîtrait « des difficultés exceptionnelles de balance des paiements en raison de sorties de capitaux liées à une perte de confiance soudaine et brutale des marchés ». La seconde, ouverte en avril 1999 sous la forme de « lignes de crédit préventives » (lcp), peut être utilisée au profit de pays dont l’économie est fondamentalement saine, mais qui risquent de devoir affronter une perte de confiance[3]. Dans les deux cas, le crédit accordé n’est pas lié aux quotes-parts, il n’est donc pas plafonné, mais le remboursement doit intervenir rapidement (18 mois prolongeables un an), et le taux d’intérêt est supérieur de 3% au taux pratiqué normalement par le Fonds. C’est de cette façon, en acceptant de prêter beaucoup, pour peu de temps et à un taux élevé, que le Fonds a été amené à jouer le rôle de « prêteur en dernier ressort » et à amortir l’incidence d’une sortie brutale de capitaux.

L’aide accordée par le Fonds a atteint effectivement des montants jusqu’alors inconnus : 28 milliards de dollars pendant l’exercice 1998, dont 78 % à trois pays asiatiques – la Corée, l’Indonésie et la Thaïlande – puis 34 pendant le suivant, dont toujours 78 % accordés cette fois à quatre pays, dont la Russie et le Brésil. L’aide atteint de nouveau 38 milliards pendant l’exercice 2002, dont 90 % cette fois à trois pays – l’Argentine, le Brésil et la Turquie – et 32 pendant le suivant, dont plus des trois quarts aux deux pays précédents. Le Fonds a commencé à s’inquiéter quant à sa capacité à faire face à une augmentation des besoins de ces pays émergents, les plus affectés par les nouvelles crises. Il a négocié de Nouveaux accords généraux d’emprunt (nage) qui, ajoutés aux anciens, lui permettent d’emprunter un maximum d’environ 45 milliards de dollars. Il a défini un nouvel indicateur de liquidité – la capacité d’engagement à terme – pour mieux mesurer sa capacité de prêter et mieux suivre son évolution. Et les débats se sont multipliés sur la capacité du Fonds à jouer le rôle du prêteur en dernier ressort au niveau international…

Il est vrai que chacun des pays évoqués a pu effectuer des tirages d’un montant exceptionnellement élevé, et que ces tirages ont amené le Fonds à prêter beaucoup plus pendant quelques années qu’il n’en avait l’habitude. Mais les tirages effectués par les autres pays sont restés d’un niveau très modeste. Ainsi pendant l’exercice 2003, le dernier que nous venons d’évoquer, le Brésil, à lui seul, a tiré plus de 20 milliards de dollars, mais 45 autres pays en développement ou en transition se sont « partagé » moins de trois milliards ! Tous ces pays se sont entendus avec le Fonds sur un programme qui prévoit non seulement des mesures de politique économique et monétaire, souvent détaillées, mais aussi des réformes de structures souvent plus importantes… Le rôle du Fonds reste principalement qualitatif.

De plus, cette aide financière exceptionnelle l’est aussi par sa durée. Non pas pour le pays bénéficiaire qui, quand il s’agit de la frs, doit la rembourser rapidement, mais au niveau de l’ensemble des pays : tous ne sont pas concernés tour à tour. Les crises financières heureusement ne se succèdent pas rapidement. C’est ainsi que depuis deux ans les tirages ont beaucoup diminué : 3,6 milliards de dollars pendant l’exercice 2005. Et comme plusieurs pays – l’Argentine, le Brésil, la Russie et la Turquie – ont effectué des rachats – ce sont les remboursements – par anticipation, l’encours des crédits accordés par le Fonds a diminué de près de 20 % en l’espace de douze mois. De ce fait sa capacité d’engagement à terme s’est brutalement améliorée, mais en même temps les intérêts perçus ont sensiblement diminué, à tel point que le Fonds prévoit maintenant une baisse de ses revenus. Une première solution serait de relever, et peut-être sensiblement, le taux des commissions prélevées sur les tirages, mais il ne serait pas normal que les pays emprunteurs prennent en charge de cette façon l’ensemble des services, par exemple la surveillance ou l’aide technique, assurés par le Fonds. D’autres solutions sont nécessaires. Une première consiste à placer une partie au moins des réserves. Le Fonds s’est doté pour ce faire, en mai 2006, d’un compte d’investissement[4].Et il a nommé un Comité externe d’experts pour évaluer les possibilités de financer ses activités à l’avenir. Quelques solutions sont déjà évoquées : placer une partie de son capital (les quotes-parts) et pas seulement ses réserves, vendre une partie de l’or qu’il détient, exiger des pays membres une cotisation annuelle, imposer des frais d’usage pour certains services…

Cette évolution est particulièrement éclairante. Le Fonds est toujours une institution financière et l’aide que les pays peuvent obtenir est significative pour eux. Mais cette activité ne domine plus comme autrefois, et elle va même bientôt ne plus suffire à couvrir ses charges…

B — Les mesures qualitatives

Depuis longtemps l’action du Fonds ne passe pas d’abord par le volume des crédits qu’il accorde. Les conditions auxquelles ces crédits sont accordés ont beaucoup plus d’importance. Comme cette conditionnalité, ce sont des mesures d’ordre qualitatif que le Fonds a prises en réponse au développement des marchés financiers.

Une première mesure concerne la transparence des informations. Pour que les marchés fonctionnent correctement, il faut que les agents soient suffisamment informés. Ils le sont au niveau national, car les entreprises sont tenues de publier leurs comptes en respectant des règles bien précises, et en suivant des procédures qui, en principe, offrent toutes les garanties. Mais les États ne sont pas tenus aux mêmes obligations, et les comptes nationaux n’ont pas la rigueur des bilans d’entreprises. C’est pourquoi le Fonds a réagi en élaborant des « normes de diffusion des données ». Tous les pays membres sont sollicités de respecter des normes « générales », et les pays qui ont ou pourraient avoir accès aux marchés internationaux des capitaux sont sollicités de respecter des normes « spéciales ». Toutes précisent la nature des données à publier – certaines sont obligatoires, d’autres recommandées – leur périodicité, les délais de diffusion… Les pays concernés doivent annoncer le calendrier de la diffusion, communiquer les données en même temps à tous les utilisateurs, indiquer les modalités selon lesquelles les statistiques ont été produites ou pourront être révisées, préciser la méthodologie et les sources utilisées, et même ajouter les commentaires dont ces données ont été l’objet dans les administrations d’origine. À la fin de l’exercice 2005, 79 avaient adhéré aux normes générales – c’était neuf de plus que l’année précédente – et 60 avaient adhéré aux normes spéciales – c’était trois de plus que l’année précédente, à savoir la Russie, l’Égypte et le Bélarus[5].

Une deuxième mesure concerne des recommandations que le Fonds a édictées. Les unes concernent les politiques macro-économiques. La politique monétaire doit rester ferme pour éviter l’inflation et ne pas encourager les sorties de capitaux. La politique budgétaire doit permettre une bonne gestion des affaires publiques et une maîtrise des dépenses de l’État. Le Fonds a adopté pour ce faire des codes de bonnes pratiques en matière monétaire et en matière de transparence des finances publiques[6]. Les autres concernent les systèmes financiers nationaux qui doivent permettre d’observer des flux de capitaux en constante et rapide progression. On ne peut garantir la confiance des marchés qu’en fermant les institutions insolvables, en restructurant et en capitalisant celles qui sont viables mais fragiles. Il faut aussi renforcer le contrôle et la réglementation dans le secteur bancaire comme dans celui de l’assurance. Le Fonds se réfère à cet égard « aux règles et aux bons usages en matière bancaire » définis par le Comité de Bâle. Il se réfère aussi, en ce qui concerne les entreprises, aux normes de gouvernance, de comptabilité et d’audit, ainsi qu’à celles relatives à l’insolvabilité des débiteurs et aux droits des créanciers.

Une troisième mesure concerne le suivi de ces recommandations et l’évaluation qui en est faite. Le Fonds a décidé de publier chaque année un Rapport sur l’observation des normes et des codes (ronc) qui évalue le degré d’observation par chaque pays des normes et des codes applicables aux décisions et aux opérations de l’État, ainsi qu’au secteur financier et au secteur des entreprises. À la fin de l’exercice 2005, ces évaluations concernaient 122 pays, et les trois quarts avaient été publiées[7]. Le Fonds élabore aussi chaque année un programme d’évaluation du secteur financier (pesf) qui fait le bilan du secteur financier d’un pays, à la fois de ses institutions, de ses marchés, du cadre juridique de leurs opérations. Cent vingt pays ont pris part à ce programme ou ont demandé à le faire[8]. Le Fonds a mis au point pour ce faire une série d’indicateurs de solidité financière (isf), les uns essentiels, les autres seulement recommandés, qui concernent principalement les institutions de dépôts, mais aussi les entreprises, les ménages , les marchés financiers ou immobiliers. Ces initiatives incitent les pays, surtout les pays émergents, à prendre les mesures nécessaires pour stabiliser et renforcer leur système ; elles permettent aussi de donner aux agents des informations précises sur la solidité financière de chaque pays.

Une quatrième mesure concerne les flux de capitaux. L’article vi des Accords de Bretton Woods qui permet de les contrôler n’a toujours pas été modifié à ce jour, mais ils ont été considérablement libéralisés, et le Fonds a beaucoup poussé dans ce sens. Devant l’ampleur des crises financières, il a assoupli sa position[9]. Il recommande désormais que cette libéralisation soit échelonnée, qu’elle soit précédée de la mise en place de systèmes financiers solides capables de résister aux flux et reflux des capitaux, qu’elle s’accompagne de politiques nationales adéquates, enfin qu’elle n’exclut pas une certaine souplesse, qu’il s’agisse de dispositions transitoires ou de clauses de sauvegarde[10]. Ce revirement s’est accompagné d’un intérêt plus grand porté aux marchés financiers. Le Fonds a ouvert au sein de ses services un nouveau département, dit des marchés financiers ; il publie chaque trimestre un rapport sur les marchés financiers mondiaux ; il considère désormais l’activité des places financières off shore dans le cadre d’un programme mis en place en 2000 qui l’amène à suivre régulièrement l’activité d’une quarantaine de centres et à apprécier leur transparence et leur conformité aux normes de contrôle ; enfin, il apporte sa contribution à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme en faisant siennes les recommandations du Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux (gafi) et en renforçant l’aide technique qu’il propose en matière de rédaction de textes, de création de cellules du renseignement et d’actions de formation[11].

C — Les problèmes en suspens

C’est par ces mesures que le Fonds s’est adapté à l’évolution de l’environnement monétaire et financier international et qu’il s’est efforcé de répondre aux besoins de régulation qu’a fait naître l’expansion des marchés. Cette régulation n’est pas pour autant la panacée. Le fmi joue un rôle essentiel, mais la Banque des règlements internationaux est également concernée, le G7 – maintenant G8 – plus encore, sans oublier le Club des dix ou le Comité des vingt ou des vingt-quatre… De plus, cette régulation est multiforme, et de ce fait plus complexe que vraiment efficace. Elle repose plus sur des incitations que sur des obligations ; elle s’adresse à une grande variété d’agents, publics et privés, bancaires et non bancaires ; elle repose sur la publicité des rapports mais non pas sur de véritables sanctions. En définitive, elle est plus politique que vraiment financière.

Elle l’est d’autant plus que la plupart des mesures qui ont été décidées résultent de compromis. Elles suscitent encore des débats, et bien des questions, parfois essentielles, sont encore âprement discutées. Elles concernent en priorité le rôle même du fmi, qui n’a plus grand-chose à voir avec celui qu’il avait à sa création.

C’est la dualité de son rôle. Il est devenu une sorte d’agence de développement, comme la Banque mondiale, mais il est en première ligne lorsque survient une crise financière, une crise « de la nouvelle génération », qui affecte le plus souvent les pays émergents. Peut-il continuer à assurer deux rôles aussi différents en même temps ? La Commission Meltzer nommée par le Congrès américain a proposé de limiter le rôle du Fonds à la gestion des crises. Ses recommandations ont été beaucoup discutées, beaucoup critiquées, mais elles n’ont guère eu de conséquences, à ce jour, sur l’activité de l’institution.

C’est la gestion des crises financières. Les débats ont été vifs pour savoir si le Fonds devait exercer la fonction de prêteur en dernier ressort dans le système financier international. La réponse semble acquise désormais. Mais le Fonds aura-t-il toujours, le moment venu, les moyens nécessaires qui pourraient être considérables au vu de l’explosion des transactions internationales ? Quel signal va-t-il donner aux agents s’il intervient systématiquement en cas de défaillance ? Et les fonds qu’il apporte ne vont-ils pas servir à rembourser des créanciers privés ?

C’est la prévention des crises financières. Ce rôle revient à la bri qui assure une sorte de contrôle prudentiel. Mais le Fonds n’est pas sans responsabilité aucune. On lui a reproché de n’avoir pas vu venir les crises, depuis la crise mexicaine en 1994 à celle de 2001 en Argentine[12]. On lui a reproché aussi de les avoir expliquées par des causes endogènes, intérieures aux États, et non par une cause exogène, telle que la libéralisation excessive et trop rapide des flux de capitaux[13]. Il est évident qu’on peut difficilement prévoir une crise si on n’a pas bien compris la précédente…

Les discussions sont également vives à propos des politiques macro-économiques que le Fonds examine régulièrement. Il le fait chaque fois qu’un pays sollicite une aide, et Dieu sait si le programme de réformes habituellement préconisées – le fameux consensus de Washington – a été et continue d’être fortement critiqué[14]. Le Fonds pourrait aussi avoir un rôle plus actif en ce qui concerne les politiques de change puisque les pays peuvent désormais adopter tel ou tel régime, du plus fixe au plus flexible (les solutions « en coin ») ou préférer un régime intermédiaire de stabilité plus relative. Ce faisant, le Fonds pourrait non seulement aider les petits pays à choisir le meilleur régime, mais faire en sorte que les grands pays mènent leur politique de change en coopérant avec leurs partenaires. Cela permettrait au Fonds d’exercer « une surveillance multilatérale des parités[15] ». Enfin, le Fonds ne devrait-il pas se préoccuper davantage des déséquilibres mondiaux persistants, caractérisés notamment par le déficit extérieur américain et les excédents japonais et maintenant chinois ? Des voix s’élèvent pour réclamer une certaine cohérence internationale des politiques[16]. Cela voudrait dire que le fmi donne des conseils de politique à tous les pays, même les plus grands, y compris le plus grand. Cette évolution-là n’est pas pour demain. Une telle symétrie dans les relations internationales ne va-t-elle pas pourtant de soi ? C’était l’une des idées les plus originales du plan britannique présenté par Keynes à la Conférence de Bretton Woods.

D’autres réformes sont envisagées qui favoriseraient la stabilité du système financier international. Certains pays suggèrent par exemple d’aller jusqu’à la suppression totale de la dette des pays les plus pauvres. D’autres réclament l’institution d’une taxe sur les mouvements de capitaux (la taxe Tobin). D’autres encore ont imaginé des modalités innovantes de financement du développement : le Royaume-Uni a proposé une « facilité financière internationale » qui permettrait d’emprunter sur les marchés pour prêter aux pays pauvres, la France a proposé une taxe sur les billets d’avion. Quelques pays seraient favorables à une reprise des allocations de dts, ce qui donnerait plus de moyens au Fonds et rendrait plus crédible cette forme de réserve tellement originale mais quasiment oubliée ! D’autres – plus nombreux – accueilleraient volontiers toute tentative de régionalisation comme un contrepoids à un processus de mondialisation qui pourrait leur échapper. Cela pourrait aller jusqu’à la création de Fonds monétaires régionaux[17].

Le Fonds est chaque fois concerné par les initiatives visant à mieux réguler la finance internationale, soit qu’il participe à l’élaboration de nouvelles dispositions, de lui-même ou mandaté par certains pays membres, soit qu’il en assure le suivi ou en surveille l’application. Son rôle est de ce fait de plus en plus politique. Le Fonds ne peut l’exercer que s’il apparaît aux yeux de tous les pays membres capable de l’assurer dans le respect des intérêts de chacun. En d’autres termes, comment le Fonds se fait-il comprendre, comment les pays sont-ils représentés et comment les décisions sont-elles prises ? C’est le problème de la gouvernance.

II – La gouvernance au Fonds monétaire international

Le Fonds est une mutuelle, une sorte de coopérative. Les pays ne sont pas des actionnaires, ils sont des membres. Plus encore que dans une entreprise ou une institution classique, il faut que tous les membres participent au fonctionnement de l’institution. Cela s’impose plus encore pour les pays qui sont concernés par les politiques menées par le Fonds, et qui doivent prendre part à leur élaboration. Il ne le faut pas seulement pour que l’esprit de la mutuelle – la coopération, la recherche du consensus – soit respecté. Il le faut aussi d’abord parce que les politiques seront mieux adaptées si les pays qui vont les appliquer participent aux choix qui sont faits. Ce sont eux qui connaissent le mieux la situation de leur économie et ses problèmes. Il le faut enfin parce que les politiques seront mises en oeuvre plus efficacement si les pays concernés sont pleinement d’accord avec les mesures et les réformes qui ont été décidées, et s’ils adhèrent vraiment à ces programmes. Il s’agit naturellement, en priorité, des pays en développement, dont la plupart sont des pays endettés, ainsi que des pays émergents, notamment de ceux qui subissent une crise financière. Les solutions préconisées par le Fonds auraient été dans le passé plus efficaces si elles avaient davantage tenu compte des particularités des pays membres et si elles étaient apparues comme étant le fruit d’un consensus entre tous les pays, et pas seulement entre les pays industrialisés et les pays créanciers[18].

Ces critiques rencontrent une résonance particulière depuis que la gouvernance est devenue un concept à la mode. Le Fonds lui-même l’introduit souvent dans ses programmes. Il demande aux pays qui sollicitent son aide de pratiquer « une bonne gouvernance », c’est-à-dire de faire en sorte que les autorités administrent le pays au mieux des intérêts de tous les groupes sociaux, en respectant la loi et en s’imposant la transparence. Il serait logique, naturellement, que le Fonds s’impose la même discipline, tienne compte des intérêts de tous les pays membres et s’applique les mêmes règles de transparence. Il a commencé à considérer ce problème. Dans le Rapport 2003, un nouveau chapitre a été ouvert « Transparence, obligation de rendre compte et coopération ». Dans le Rapport 2004, ce chapitre s’intitule « Gouvernance, coopération et transparence ». Le mot est maintenant pris en compte, mais qu’en est-il au-delà des mots ? Nous allons voir que si de réels efforts ont été faits au niveau de la transparence, tout ou presque reste à faire en ce qui concerne la représentation des pays membres et la prise de décision.

A — La transparence

Une bonne gouvernance suppose la transparence des informations et des décisions. Elle a été beaucoup améliorée au fmi. Depuis quelques années le Fonds publie les lettres d’intention signées par les pays qui sollicitent un crédit, ainsi que les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (dsrp) liés à l’usage de la frpc. Il met aussi un grand nombre de notes d’informations à la disposition du public, et il a décidé d’ouvrir plus largement – et plus rapidement – ses archives. Le délai d’accès aux procès-verbaux du Conseil d’administration a été abaissé de vingt à dix ans[19]. Cet effort dans la communication est tel que le directeur du Département des Relations Extérieures a considéré que « il n’est pas exagéré de dire que notre institution ne publiait rien et publie aujourd’hui presque tout[20] ».

Les rapports de ses services sur les questions de politique générale et les rapports établis à la suite des consultations menées avec les différents pays membres au titre de la surveillance prévue par l’article iv soulèvent un problème plus délicat. La discussion est vive au sein du Conseil d’administration entre les partisans d’une publication volontaire, décidée par le pays concerné, et les partisans d’une publication automatique. Le Fonds a convenu dans la plupart des cas d’une politique de publication volontaire, mais en principe automatique[21]. Les pays concernés ont cependant un droit de réponse qui leur permet de publier une déclaration qui sera ensuite annexée aux rapports. Et les informations sensibles peuvent être supprimées, lorsqu’elles sont susceptibles d’influencer les marchés. Il s’agit par exemple des passages portant sur les taux de change ou d’intérêt ou traitant de la vulnérabilité du secteur bancaire ou du marché financier.

Une bonne gouvernance suppose aussi des procédures de dialogue qui permettent d’écouter et d’apprendre autant que d’informer et de convaincre. Le Fonds a beaucoup innové à ce sujet. Il a pris l’habitude de nouer des contacts avec la société civile, avec les associations professionnelles ou religieuses, avec les syndicats, avec les ong, avec des universités ou des centres de recherche. Il multiplie les réunions et les colloques, à Washington ou dans certains pays. Il accueille à son siège des délégations de parlementaires. Ses fonctionnaires ou ses représentants en rencontrent souvent dans les pays où il intervient. Et il invite le public à donner son avis et à réagir aux rapports ou aux informations qu’il publie. L’existence d’un site facilite ces échanges qui deviennent permanents et quotidiens.

Mais l’initiative la plus significative en termes de gouvernance est l’institution d’un Bureau indépendant d’évaluation (bie) en juillet 2001, après plusieurs années de discussions au sein du Conseil. Composé d’un Directeur et de douze personnes recrutées pour la plupart à l’extérieur du Fonds, il a pour mission de produire des évaluations objectives et indépendantes sur des sujets qui se rapportent aux activités du Fonds. Il fonctionne indépendamment de la direction et en complète autonomie par rapport au Conseil d’administration. Il arrête lui-même son programme de travail au terme d’une vaste consultation avec les autorités gouvernementales, des ong, des représentants du monde universitaire comme du secteur bancaire… et bien sûr de la Direction et du Conseil d’administration. Les trois premiers thèmes étudiés ont concerné l’utilisation prolongée des ressources du Fonds par certains pays, l’ajustement budgétaire dans les programmes suivis par les pays à faible revenu, le rôle du Fonds dans trois crises financières récentes. Trois autres ont suivi, sur le rôle joué par le Fonds dans la réduction de la pauvreté, sur son rôle en Argentine de 1991 à la crise de 2002, sur l’efficacité de l’assistance technique offerte aux pays membres, sur l’approche du Fonds en matière de libéralisation des flux de capitaux. Il examine actuellement le programme d’évaluation du secteur financier, la conditionnalité structurelle, l’assistance technique à la Jordanie.

Ces rapports font eux-mêmes l’objet de commentaires, voire de critiques, notamment par les services du Fonds qui dans l’ensemble souscrivent aux conclusions du bie, mais pas forcément totalement[22]. On leur a reproché notamment d’être longs et peu faciles à utiliser par un large public, comme de faire des recommandations trop générales qu’il n’est pas facile de mettre en application[23]. Mais l’accueil fait à cette nouvelle instance et à ses premiers travaux a été dans l’ensemble très favorable, d’autant plus que le bie a tissé des liens avec les milieux universitaires, avec les représentants de la société civile… bref, avec toutes les « parties prenantes » extérieures au Fonds. Cette initiative marque surtout la volonté du fmi – et de ses actionnaires – de réfléchir à la pertinence de ses analyses, d’améliorer ses méthodes de travail et d’accroître la transparence de ses opérations. Ce rôle du bie est d’ores et déjà reconnu et son influence devrait aller grandissant.

Enfin le Fonds a mis en place un système d’audit externe de ses comptes, qui fait intervenir un cabinet d’audit, mais aussi un Comité de vérification composé de trois personnalités indépendantes nommées pour trois ans qui se réunit normalement deux fois par an à Washington. C’est lui qui présente et commente les conclusions de l’audit au Conseil d’administration. C’est dire qu’à ce jour c’est par la transparence que le fmi a accompli le plus de progrès en matière de gouvernance. Il n’en est pas de même en ce qui concerne la représentation des pays.

B — La représentation des pays membres

En devenant membre du Fonds, chaque pays se voit attribuer une quote-part qui correspond à sa souscription dans le capital de l’institution, et dont il doit verser 25 % en devises et 75% en sa monnaie nationale. Les quotes-parts sont calculées en fonction de critères qui ont été arrêtés à Bretton Woods en 1944 : le revenu national, les avoirs en or et en dollars, la moyenne des importations et des exportations et la variation de celles-ci. La formule correspondante retenue à l’époque a été ensuite plusieurs fois modifiée : le Produit intérieur brut (pib) a remplacé le revenu national, on a considéré l’ensemble des réserves de change, on a pris en compte les opérations courantes à la balance des paiements… Car il ne faut pas seulement calculer la quote-part de chaque nouveau pays membre, il faut aussi calculer l’augmentation de la quote-part de tous les pays membres lorsqu’elle est décidée au moment de la révision, prévue tous les cinq ans.

En fait, malgré la technicité apparente de tels calculs, la fixation des quotes-parts est essentiellement politique.

  • La première formule utilisée à Bretton Woods a été établie de façon à obtenir des résultats préalablement fixés entre les quatre principaux pays : la quote-part des États-Unis devait être double de celle de la Grande-Bretagne, la quote-part de l’urss devait suivre en étant le double de celle de la Chine. La formule trouvée pour aboutir à ce résultat faisait arriver la Chine après l’Inde. Mais dans les discussions la Chine a fait valoir que le revenu de sa population rurale n’était pas assez bien connu et que son revenu national devait être plus important que celui déclaré… L’urss a obtenu de son côté une quote-part plus élevée en arguant de l’importance de son stock d’or… qu’elle se refusait à déclarer[24] !

  • Les premières augmentations des quotes-parts ont été proportionnelles, elles sont devenues sélectives à partir de 1983. Les calculs correspondants sont devenus fastidieux. D’une part, il a fallu chaque fois décider des modes de calcul de l’augmentation de chaque quote-part. D’autre part, l’augmentation des quotes-parts n’a été sélective que pour une partie (60 % en 1983). Enfin plusieurs fois l’augmentation a été plus forte pour les pays industrialisés car le Fonds a besoin de leur monnaie pour la céder dans les tirages. Si on ajoute l’obligation pour les pays de s’entendre sur le pourcentage global d’augmentation, on imagine que les tractations nécessaires pour aboutir à un accord peuvent occuper les cinq années qui séparent deux révisions…

En marge de ces augmentations générales, certains pays peuvent bénéficier d’ajustements spéciaux. Il en a été ainsi en 1974 pour les pays pétroliers après le choc du même nom, puis en 1980 pour l’Arabie Saoudite lorsqu’elle a consenti au Fonds un prêt de huit milliards de dts, enfin pour la Chine, lorsqu’elle est devenue membre en remplaçant la Chine nationaliste (Taïwan). De plus, les pays qui ont accumulé des impayés à l’égard du Fonds ne peuvent plus exercer leurs droits de vote ; ils ne peuvent donc plus ratifier l’augmentation de leur quote-part. Ce sont là des cas particuliers, mais ils accentuent l’importance du politique dans ces calculs qui prennent en compte tout à la fois l’évolution des conditions économiques, le souci de préserver la structure des quotes-parts les plus élevées et la nécessité d’assurer au Fonds une liquidité suffisante[25].

C’est ainsi que la répartition actuelle des quotes-parts peut surprendre. On a conscience que les pays en développement sont sous-représentés, ainsi que les pays émergents, notamment les pays en transition qui connaissent un taux de croissance très soutenu depuis quelques années. C’est aussi la quote-part de certains pays qui peut étonner. Celle de l’Allemagne est double de celle de la Chine qui est égale à celle du Canada, celle de l’Arabie Saoudite dépasse celle de la Russie, celle des Pays-Bas approche celles de l’Inde et du Pakistan réunis, celle de la Belgique est une fois et demie celle du Brésil, celle du Luxembourg une fois et demie celle du Cameroun… On pourrait multiplier les exemples, en rapprochant les quotes-parts du pib, de la population ou du commerce extérieur des différents pays[26]. Certaines comparaisons seraient surprenantes[27]

Le moment semble venu d’opérer quelques changements. Le Fonds s’est penché sur ce problème pour la première fois au printemps 2003. A l’occasion des travaux préparatoires de la prochaine révision des quotes-parts, le Conseil d’administration « réfléchit aux dispositions à prendre pour renforcer la gouvernance du fmi[28] ». Aucune réforme n’a encore été décidée. Les mesures les plus souvent envisagées consistent en une augmentation générale des quotes-parts qui comporterait un « volet sélectif » important, ainsi que des augmentations ponctuelles destinées à corriger « les discordances les plus manifestes ». Il semble acquis, pour l’instant, que les pays africains, les pays asiatiques et la Turquie en bénéficieront. Mais les pays s’opposent encore à la fois sur l’intérêt de mettre au point une nouvelle formule pour calculer les quotes-parts, et même sur la nécessité d’un relèvement général qui ne semble pas indispensable à certains pays[29] pour préserver la position de liquidité du Fonds…

Quoi qu’il en soit, la solution passe par une diminution de la quote-part des pays industrialisés… et de certains en particulier. On pense à la Zone euro dont les pays totalisent actuellement 23,2 % des quotes-parts, un tiers de plus que les États-Unis. Comme les exportations de chaque pays sont considérées dans le calcul de sa quote-part, on fait valoir que les exportations des pays européens sont en moyenne pour moitié destinées à leurs partenaires. L’élimination de ce commerce intra-communautaire abaisserait de neuf points le poids de la Zone euro[30]. Le calcul est simple, son utilisation ne l’est pas autant. Car les quotes-parts ne déterminent pas seulement la contribution que verse chaque pays et le montant de l’aide qu’il peut solliciter, elles déterminent les droits de vote, et de ce fait le poids des pays au sein de l’institution.

C — La prise de décisions

Les quotes-parts déterminent les droits de vote des pays membres, mais d’une façon qui n’est pas exactement proportionnelle. Aux termes des statuts du Fonds, chaque pays dispose de 250 voix, plus une voix supplémentaire pour chaque fraction de sa quote-part équivalant à 100 000 dts. Cette disposition permettait à l’origine de favoriser les petits pays. Mais comme elle n’a jamais été modifiée, elle a perdu de son incidence à mesure que les quotes-parts étaient relevées, ces 250 voix pesant de moins en moins à mesure que les voix liées aux quotes-parts augmentaient. De cette façon, les droits de vote tendent à devenir proportionnels aux quotes-parts. Leur répartition entre les pays membres supportent donc les mêmes critiques que la répartition des quotes-parts, mais il s’agit cette fois du poids dans les décisions.

Ces droits de vote sont exercés au sein du Conseil d’administration qui siège en « session permanente », c’est-à-dire qui se réunit aussi souvent que les affaires courantes le nécessitent, normalement trois jours complets chaque semaine. Cela représente un temps considérable de débats et de discussions au fil de l’année : 500 heures pendant l’année civile 2004[31]. Cinq administrateurs sont nommés pour les cinq pays qui ont la quote-part la plus élevée. L’Arabie Saoudite a obtenu d’en nommer un quand elle est devenue le plus gros créancier du Fonds… qui l’a remboursée depuis. La Chine et la Russie en ont obtenu un également quand elles sont devenues membres, bien que d’autres pays aient eu à ce moment-là une quote-part plus élevée. Seize autres administrateurs sont élus pour deux ans par les autres pays qui se regroupent en autant de « constituantes ». Ce système est souvent critiqué. Certaines constituantes sont assez homogènes, mais il y a quelques exceptions. Celle dominée par les Pays-Bas par exemple comprend l’Ukraine, Israël, la Croatie, la Géorgie, Chypre… Celle dominée par la Suisse comprend la Pologne, la Serbie-Monténégro, l’Ouzbékistan… À l’inverse, les pays d’Europe centrale et orientale qui sont devenus membres récemment et qui font maintenant partie de l’Union européenne se retrouvent dans quatre constituantes et sont donc représentés par quatre administrateurs. Les pays de l’ex-urss le sont par six et les pays de la Zone euro par huit, ce qui pose pour celle-ci un difficile problème de représentation. Enfin, il reste que les pays du Sud ont peu de voix. Ainsi le groupe des 24  pays francophones d’Afrique « pèse » 1,41 % !

Les choses se compliquent dans la mesure où un administrateur « élu » doit voter en bloc pour tous les pays qu’il représente[32]. En fait les votes sont rares au sein du Conseil, les compromis sont habituellement élaborés au cours de discussions informelles et le Président fait se poursuivre les débats « jusqu’à ce qu’une très large majorité se soit ralliée aux aspects marquants de la politique examinée[33] ». Mais les oppositions peuvent être vives et les conditions dans lesquelles les décisions sont prises sont alors très importantes.

La critique qui se fait la plus régulière à cet égard concerne l’influence prépondérante des États-Unis qui, avec 17,43 % des quotes-parts et 17,11 % des voix, ont un droit de veto sur les décisions les plus importantes qui requièrent une majorité de 85 %. C’est également le cas de l’Union monétaire européenne. Mais ce sont plutôt les États-Unis qui s’opposent parfois à l’ensemble des leurs partenaires, par exemple sur les politiques macro-économiques, sur la libéralisation des flux de capitaux, sur le code international des faillites, sur la levée du secret bancaire, sur le contenu des programmes d’ajustement, sur la création d’un Fonds monétaire asiatique, sur les allocations de dts, sur le mécanisme de restructuration de la dette souveraine, voire sur l’augmentation des quotes-parts qui doit être approuvée par le Congrès[34]… Les États-Unis s’efforcent surtout de conserver une influence prépondérante au sein du Fonds[35], dont certaines décisions ont pu être considérées comme servant les intérêts américains[36]. Pour que le fmi soit fort, dit J. Polak, il faudrait que des décisions puissent être prises contre la volonté de son principal actionnaire et que les États-Unis « n’essaient pas de le microgérer[37] ».

Une première réforme est intervenue en septembre 1999 pour améliorer la gouvernance en faisant en sorte que les décisions les plus importantes soient prises d’une façon plus démocratique. C’est la création du Comité monétaire et financier international, qui remplace le Comité intérimaire créé en 1976, mais il est devenu un Comité permanent qui permet une réunion des Gouverneurs en format restreint et qui se trouve plus proche des gouvernements. Et il dispose d’un mandat élargi puisqu’il peut traiter aussi des questions financières et qu’il peut maintenant prendre des décisions. Il peut donc jouer un rôle effectif dans l’évolution du système monétaire et financier international. Il faut dire toutefois que la composition de ce Comité reflète celle du Conseil d’Administration, que cette transformation était prévue depuis le deuxième amendement ratifié en 1978 – il y a plus de 25 ans ! – enfin que les attributions de ce Comité sont restées en deçà de ce que la France, par exemple, qui a beaucoup poussé ce projet, avait souhaité[38].

D’autres réformes ont été décidées. Les Administrateurs qui représentent les pays en développement ou en transition disposent depuis peu de moyens administratifs et techniques plus importants ; c’est maintenant la formation de leur personnel qui va être renforcée et la communication avec les autorités nationales qui va être améliorée. De plus, le nombre des voix de base va être augmenté pour corriger l’érosion des droits de vote des membres les plus petits. Le principe est acquis, contrairement aux modalités. Si l’on veut rendre à ces voix l’importance qu’elles avaient à Bretton Woods (plus de 12 % du total des voix, aujourd’hui un peu plus de 2 %), il faudrait les fixer à 1,570 pour chaque pays. Cela abaisserait les voix des pays industrialisés de 60 à 54 %, mais les États-Unis n’auraient plus que 15,37 % des voix, tout juste ce qu’il faut pour préserver leur droit de veto ! Bien d’autres formules sont possibles, c’est pourquoi la décision sera difficile à prendre, d’autant plus qu’il faudra un amendement des statuts… c’est-à-dire des années.

D’autres réformes envisagées fréquemment concernent la répartition des sièges au Conseil, et d’abord leur nombre. On considère souvent que vingt-quatre c’est beaucoup, et il va de soi que l’Union européenne, avec ses trois Administrateurs nommés et pratiquement quatre élus qui représentent des constituantes à majorité européenne, peut permettre de trouver la solution. C’est en ce sens que, « à bien des égards, elle détient la clé de la réussite de la réforme de la gouvernance du fmi[39] ». Mais cela suppose que les pays de la Zone euro s’entendent sur une représentation unique qui leur permettrait de peser beaucoup plus dans les débats, mais qui ne serait pas facile à gérer, surtout si la Zone doit continuer à s’étendre… Et cette réforme suffirait-elle alors que l’on conteste aussi l’administrateur dont dispose l’Arabie Saoudite et même ceux de la Russie et de la Chine. À l’inverse, on considère parfois que l’Asie et surtout l’Afrique mériteraient d’être mieux représentées… Une solution pourrait être d’ajouter quelques administrateurs sans droit de vote[40].

Enfin, c’est le statut même du Conseil d’administration qui pourrait être modifié. On a suggéré que les administrateurs élus le soient pour une durée plus longue – par exemple cinq ou six ans – et qu’ils ne puissent accomplir qu’un seul mandat. Ils gagneraient ainsi en indépendance et en autorité, surtout si leur poste, et celui de leur suppléant, pouvaient être revalorisés. Les parlements pourraient même intervenir dans leur désignation. Ce serait une façon d’instituer un contrôle que certains voudraient confier aux parlements nationaux, et qui pourrait aller jusqu’à ce que les administrateurs rendent compte de leur activité[41]. Cette dernière suggestion est assez irréaliste, d’autant plus qu’elle ne peut concerner que les administrateurs nommés, car on voit mal comment impliquer en même temps les parlements de plusieurs pays, parfois aussi éloignés que les Pays-Bas et la Géorgie, voire d’une vingtaine… ou davantage !

Si les quelques mesures qui ont été prises n’ont guère suscité d’opposition, il en va différemment de celles qui sont envisagées et qui sont, naturellement, les plus essentielles pour améliorer la gouvernance du Fonds.

Conclusion

Un espoir se lève cependant. Une réforme du fmi est évoquée depuis plusieurs années déjà, notamment depuis que la gouvernance fait parler d’elle, et pas seulement dans le monde des affaires. Le rôle du Fonds, devenu de plus en plus qualitatif et de plus en plus politique, l’impose absolument. On a l’impression que les discussions vont maintenant commencer vraiment. Le Directeur Général qui a élaboré une stratégie à moyen terme considère que « s’agissant de la question cruciale de la gouvernance du fmi, la crédibilité future de l’institution dépendra de sa légitimité comme institution internationale vraiment représentative[42] ». Et il propose une démarche en deux temps : d’abord un ajustement ponctuel des quotes-parts reflétant un changement majeur du poids et du rôle des pays dans l’économie mondiale, en attendant une réforme plus fondamentale par la suite.

Cette formule a obtenu un large appui du Comité monétaire et financier international lors de sa réunion du printemps 2006. Elle est cependant bien frileuse : la réforme plus fondamentale annoncée interviendra « par la suite », et elle ne concerne que la représentation des pays. D’autres réformes sont envisagées, mais elles-mêmes auront plus de chance d’être efficaces si la gouvernance du Fonds se trouve en même temps améliorée. L’idée de renforcer le caractère multilatéral de la surveillance pour la rendre plus symétrique ou d’inventer des dispositifs régionaux pour mieux prévenir et gérer les crises financières suppose une coopération étroite entre les pays concernés et le Fonds. De même, le souhait de contribuer davantage à la lutte contre la pauvreté va obliger le Fonds à développer toujours plus ses relations avec la société civile. Tout cela suppose que la légitimité du Fonds soit pleinement admise et que son efficacité soit reconnue.

C’est pourquoi des réformes institutionnelles s’imposent. Elles s’imposent d’autant plus que depuis des années le rôle et l’existence même du Fonds sont régulièrement discutés. Entre sa transformation en une sorte de banque centrale internationale et sa suppression pure et simple, les projets de réformes ne se comptent plus[43]. Des jugements très critiques subsistent encore aujourd’hui, dont le Fonds lui-même se fait l’écho dans ses publications. Ainsi pour un ancien sous-secrétaire au Trésor américain : « Le Fonds ne sait plus où il va[44] », pour Fred Bergstern il est devenu « faible et inefficace », et pour Barry Eichengreen qui, dès 1999, pouvait analyser seize projets de réformes, il est « une institution à la dérive sur une mer de liquidités[45] ».

Cette référence aux liquidités pose le vrai problème. Bien qu’il soit une institution monétaire – il a été créé comme tel – le Fonds a désormais pour mission de réguler la finance internationale. Mais d’une part la finance n’est pas que la monnaie. Non seulement elle concerne des montants beaucoup plus élevés, mais elle met en cause un bien plus grand nombre d’acteurs, de « parties prenantes ». D’autre part, la finance fait oublier la monnaie, sans laquelle elle n’existerait pas. C’est pourquoi toutes les réformes envisagées ou discutées depuis des années, qu’il s’agisse de la représentation et du pouvoir des États, de la surveillance des taux de change ou de la lutte contre la pauvreté… ne permettront pas de faire l’économie de la réforme essentielle dont la plupart des autres dépendent : obtenir un accord des pays sur la définition, la création et la gestion de la monnaie internationale, c’est-à-dire recréer un système monétaire international digne de ce nom.