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Cet ouvrage, écrit par deux auteurs, dont un médecin militaire, a toutes les propriétés des livres publiés dans la collection encyclopédique « Que sais-je? ». Ainsi, le lecteur trouvera, sous une forme précise et concise, l’essentiel des informations techniques relatives aux armes biologiques.
Cet aspect technique regroupe quatre rubriques. En premier lieu, après avoir défini les armes biologiques comme étant l’emploi, à des fins militaires, de micro-organismes ou de toxines produits par ceux-ci, les auteurs établissent une liste de substances biologiques qui pourraient être utilisées à des fins de violence armée. On comprend aisément qu’il ne s’agit pas de n’importe quel germe pouvant avoir un effet pathogène sur l’homme. En effet, dans le cadre d’une logique militaire, il importe de sélectionner les agents en fonction d’un ensemble de critères : toxicité bien sûr, mais aussi, contagiosité, facilité de production et de stockage, existence de thérapeutiques...
Une arme se définit comme étant un outil ayant pour fonction de faire fléchir la volonté de l’adversaire ; et ce, par neutralisation ou destruction de ses forces. Aussi, certains agents biologiques, compte tenu de certaines de leurs propriétés, peuvent générer des effets sur un adversaire, rendant concevables de les utiliser comme armes.
En deuxième lieu, l’ouvrage présente l’historique de l’emploi d’agents pathogènes à des fins militaires. Ce principe est très ancien. Les travaux d’historiens nous apprennent que cette pratique a eu cours dès l’Antiquité. Il s’agissait alors, en particulier, d’atteindre les forces de l’adversaire en souillant ses points d’approvisionnement en eau. Naturellement, l’ouvrage se concentre sur une période plus récente. Ainsi, apprenons-nous que, durant la Première Guerre mondiale, les armées françaises et allemandes ont fait usage de toxines. Entre 1932 et 1945, ce sont les Japonais qui ont fait un effort important dans ce domaine. Après la Seconde Guerre mondiale, les programmes de mise au point d’armes biologiques ont été principalement le fait des Britanniques, des Américains et des Soviétiques. Pour la période actuelle, si les armements biologiques semblent intéresser quelque onze États, ce sont les cas de la Russie et de l’Irak que les auteurs présentent plus en détail.
En troisième lieu, l’ouvrage se consacre à l’exposé des réponses de nature médicale à apporter à cette menace. Il s’agit à la fois de procédés thérapeutiques, prophylactique, voire d’alerte. Enfin, en quatrième lieu, l’ouvrage aborde la question du désarmement biologique, tout particulièrement à partir de la Convention d’interdiction des armes biologiques de 1972. La question du contrôle est succinctement et clairement présentée.
La qualité de l’exposé de ces quatre aspects techniques démontre, sans conteste, la maîtrise de ces questions par les deux auteurs. Malheureusement force est de constater que l’aspect politique de la problématique des armes biologiques est abordé de manière trop simpliste. Plus encore, certains enjeux de cette question sont tout simplement ignorés. Pour la défense de nos auteurs nous rappellerons, cependant, que la collection « Que sais-je ? » impose des exigences très strictes en matière de rédaction et que les aspects les plus techniques de la question ont été privilégiés. Il importe donc, de la part du lecteur, de poursuivre par lui-même l’analyse de la question des armes biologiques.
L’aspect politique de ce type d’armement doit être abordé en considération de sa dimension opérationnelle. Une arme doit être jaugée à partir d’un critère de rentabilité ; plutôt qu’à partir d’un critère d’efficacité. En effet, l’efficacité peut être considérée comme une mesure absolue de l’effet de neutralisation ou de destruction. À la différence du critère de rentabilité qui est une valeur relative tirée d’un ratio entre effets opérationnels et caractéristiques du système d’armes en question. C’est ainsi qu’il importe de mesurer les résultats potentiellement obtenus sur le terrain conséquemment à l’utilisation de l’arme étudiée, en relation avec ses spécificités de conception de fabrication et d’emploi. C’est sur la base de cette notion de rentabilité que l’arme nucléaire jouit de caractéristiques qui la distingue résolument des autres armements dits conventionnels et qui ainsi ont permis de faire d’elle l’outil privilégié de la dissuasion.
Il importe donc d’étudier les armes biologiques à l’aune de ces considérations. Distinguons le cas de la guerre classique de celui de la « petite guerre », appelée de nos jours le « terrorisme ». Dans le premier cas, les auteurs ne sont pas très précis sur la valeur opérationnelle des armes biologiques. Certaines incohérences peuvent être repérées. Ainsi, bien que les auteurs envisagent un scénario de « pertes massives », ils insistent sur la « difficulté de la prévision des effets » de l’usage de ces armes ; précisant que « l’emploi stratégique est aléatoire ». Les auteurs établissent une analogie d’emploi entre armes chimiques et biologiques. Ce rapprochement laisse sous-entendre le peu d’intérêt militaire des armes biologiques. En effet, rappelons que les armes chimiques ont été massivement employées pendant la Première Guerre mondiale. Près de 90 ans après leur premier emploi, on aurait pu craindre un développement de ces armes. Or durant la Seconde Guerre mondiale et les nombreux conflits et guerres qu’a connus l’humanité depuis 1918, l’emploi des armes chimiques est resté plus que marginal. Cela démontre l’intérêt militaire limité des armes chimiques. Ainsi, compte tenu de ces conclusions et de l’analogie entre armes biologiques et armes chimiques, on peut déduire le peu de menaces effectives que semblent représenter, sur le plan opérationnel, les armes biologiques. Symptomatiquement des difficultés rencontrées par les auteurs dans l’analyse de l’emploi des armes biologiques, ils envisagent le traitement par elles d’un pc divisionnaire ou de corps d’armée. Il est cependant très probable qu’un tel objectif serait, en pratique, détruit par l’emploi d’armes à explosif.
Il faut éviter les amalgames et les raccourcis. Sans doute le corps médical et les autorités sanitaires rencontreraient un certain nombre de difficultés dans la mise en place du diagnostic et du traitement des effets des armes biologiques. Incontestablement, la mégalomanie de certains responsables politiques, en particulier dans les régimes autoritaires, peut amener à la mise en place d’unités de recherche et de production d’armements biologiques au prix d’investissements coûteux en personnel scientifique et en moyens financiers. Mais ces éléments ne démontrent, en aucune mesure, l’importance de la menace que représentent ces armes.
Envisageant un emploi terroriste de ces armes biologiques, les auteurs étudient l’historique des actions terroristes biologiques depuis 1915, pour conclure à la « faible récurrence de ce type d’attentat ». Il est vrai, cependant, que l’arme biologique, compte tenu de ses spécificités, en particulier de la non-visibilité immédiate de ses effets, peut créer des comportements de panique qui pourraient être exploités par les auteurs de ces attentats. Cependant, la menace du terrorisme biologique doit s’évaluer en fonction du concept général d’usage terroriste de la violence. Il importe de raison garder. Par-delà l’effet d’amplification démesuré qu’ont causé les attentats du 11 septembre 2001, rappelons la réalité des faits et le nombre de victimes du terrorisme international. Le Département d’État des États-Unis publie (sur son site internet) les chiffres des morts par région géographique : de 1995 à 2000, soit sur six années, en Europe occidentale : 1232 victimes, en Amérique du Nord : 7 !
Ainsi, que ce soit dans le cadre d’un emploi classique ou sous la forme d’actions terroristes, il est essentiel de distinguer les propriétés techniques de ces armes biologiques, des objectifs que pourraient effectivement atteindre ceux qui pourraient envisager l’utilisation de ce type d’armement. La logique politique et opérationnelle incitent donc à relativiser la menace biologique.
S’il est de la responsabilité de l’État de recueillir les informations relatives aux travaux menés dans le domaine des armements biologiques et de contrôler l’application de la Convention d’interdiction de ces armes, il est de la seule responsabilité des citoyens d’en évaluer la menace et de définir la part de la richesse nationale à consacrer à la défense contre celle-ci.
En effet, il importe de souligner qu’on ne saurait définir une menace en fonction des seules caractéristiques d’un outil, indépendamment de la logique globale du système sociopolitique dans lequel il prend sens. Cependant, toute bureaucratie, tout corps a ses propres intérêts corporatistes qui ne rejoignent pas nécessairement l’intérêt général. On ne peut donc pas négliger le risque qu’une administration exagère une menace à partir d’un argumentaire purement technique, à des seules fins d’obtenir des postes et des moyens financiers supplémentaires.
De même, tout pouvoir politique, dans la logique de domination qui le fonde, peut être tenté par l’exploittion de thèmes qui lui permettent d’espérer renforcer son autorité, c’est-à-dire l’obéissance imposée.
Ainsi, un des enjeux politiques de la problématique des armes biologiques, c’est de voir un pouvoir politique s’emparer de la problématique de ce type d’armement pour amplifier une menace, dans le but de maintenir la légitimité de sa domination, alors même qu’il rencontrerait de profondes difficultés à répondre aux attentes des citoyens en matière de sécurité économique et sociale. Le pouvoir politique étatique, fragilisé par les évolutions de la société qu’il dirige, pourrait être tenté par cette démarche. Les pays occidentaux ne sont pas à l’abri de ce risque.
En complément de l’analyse technique, on aurait donc souhaité, de la part des auteurs, une étude des enjeux politiques des armes biologiques et des conclusions plus nuancées sur la menace qu’elles représentent.