Volume 2, numéro 2, 1er semestre 2004 Cannabis Sous la direction de Mohamed Ben Amar
Sommaire (11 articles)
Présentation du numéro
-
Pharmacologie du cannabis et synthèse des analyses des principaux comités d’experts
Mohamed Ben Amar
RésuméFR :
La première partie de cette étude est une exposition simplifiée de la pharmacologie du cannabis, la substance illicite la plus consommée au Québec, au Canada et dans le monde. Le cannabis contient plus de 460 produits connus, dont plus de 60 cannabinoïdes. L’ingrédient psychoactif majeur de la marijuana et du haschich est le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC).
Outre l’euphorie, le cannabis entraîne divers effets aigus et chroniques affectant principalement les systèmes nerveux central et périphérique, respiratoire, cardiovasculaire, endocrinien et immunitaire.
De nombreux rapports anecdotiques et quelques études cliniques sur un nombre peu élevé de patients suggèrent les applications thérapeutiques suivantes du cannabis : sensation de bien-être, anxiolyse, stimulation de l’appétit, effet antiémétique, analgésie, effet antispasmodique et myorelaxant, soulagement du syndrome de la Tourette, effet anticonvulsivant, diminution de la pression intraoculaire dans le glaucome et traitement du sevrage à certains psychotropes. Au Canada, depuis le 31 juillet 2001, le Règlement sur l’accès à la marijuana à des fins médicales permet à certains malades graves d’être admissibles à l’usage thérapeutique du cannabis. Parallèlement, Santé Canada a instauré depuis juin 1999 un programme de recherche sur l’emploi médicinal de la marijuana qui a débouché sur des essais cliniques en cours.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et divers comités d’experts nord-américains et européens concluent que le cannabis est moins dangereux pour la santé que beaucoup d’autres psychotropes. Nous comparerons la toxicité du cannabis, de l’héroïne, de la cocaïne, de l’alcool, de la nicotine (tabac) et de la caféine. Il n’y a pas d’évidence scientifique que le cannabis soit une drogue « gateway » incitant à l’usage de drogues plus dures comme l’héroïne ou la cocaïne. Contrairement à l’alcool et à plusieurs autres drogues, le cannabis ne conduit ni à la violence ni au crime. En fait, il tend à supprimer l’agressivité et à apaiser le récipiendaire.
La deuxième partie de cet article traite du débat sur la législation entourant le cannabis puisque le Canada envisage une nouvelle politique dans ce domaine. Nous avons sélectionné certaines conclusions d’une série de rapports officiels émanant d’autorités scientifiques du Canada, des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne. Elles font le point sur les effets du cannabis sur la santé et leurs retombées sur le plan législatif. La synthèse des analyses de ces comités d’experts permettra au lecteur de comprendre le contexte national et international qui a entouré le récent dépôt à la Chambre des communes du Canada du projet de loi fédéral visant, entre autres, la décriminalisation de la possession de petites quantités de cannabis.
L’examen des principales conclusions de ces commissions d’experts nous conduit à constater que, jusqu’à récemment, les lois en matière de cannabis ont davantage été régies par des objectifs politiques que par des considérations scientifiques.
EN :
The first part of this article is a simplified review of the pharmacology of cannabis, the most consumed illicit substance in Quebec, Canada and worldwide. It contains more than 460 known products, from which more than 60 are cannabinoids. The main psychoactive ingredient of marijuana and hashish is delta-9-tetrahydrocannabinol (THC).
Besides euphoria, cannabis induces different acute and chronic effects which affect mainly the central and peripheral, respiratory, cardiovascular, endocrine and immune systems.
Numerous anecdotic reports and some clinical studies on a reduced number of patients suggest the following therapeutic applications for cannabis: feeling of well-being, anxiolysis, stimulation of appetite, antiemetic effect, analgesia, antispasmodic and muscle relaxing effect, relief of Tourette’s syndrome, anticonvulsant effect, lowering of intraocular pressure in glaucoma and treatment of withdrawal symptoms to some psychotropes. In Canada, since July 31, 2001, the Marijuana medical access regulations allow some patients suffering from grave illnesses to be eligible to the therapeutic use of cannabis. In parallel, Health Canada instituted since June 1999 a research program on the medicinal use of marijuana which has lead to clinical trials currently in progress.
The World Health Organization (WHO) and several North-American and European expert committees conclude that cannabis is less harmful for health than many other psychotropes. We will compare the toxicity of cannabis, heroin, cocaine, alcohol, nicotine (tobacco) and caffeine. There is no scientific evidence that cannabis is a gateway drug conducting to the use of harder drugs such as heroin or cocaine. Contrary to alcohol and many other drugs, cannabis does not induce neither violence nor crime. In fact, it tends to suppress aggressiveness and to calm the consumer.
The second part of this article deals with the debate on the cannabis legislation as Canada is considering a new policy for this psychotrope. We have selected some conclusions of a series of official reports originating from scientific authorities of Canada, United States, France and Great Britain. They take bearings on the health effects of cannabis and their impact on the legislative field. The syntheses of the analysis of these expert committees will allow the reader to understand the national and international context which has surrounded the recent deposition at the House of Commons of Canada of the federal law project intending, among others, the decriminalization of the possession of small quantities of cannabis.
The examination of the main conclusions of these expert commissions allows us to ascertain that, until recently, laws regarding cannabis were dictated rather by political objectives than by scientific considerations.
-
Schizophrénie et cannabinoïdes : données cliniques, expérimentales et biologiques
Stéphane Potvin, Emmanuel Stip et Jean-Yves Roy
RésuméFR :
Dans le débat sur la décriminalisation du cannabis, ce sont les conséquences de la consommation de cette substance psychoactive qui interpellent les experts. Rarement s’interroge-t-on, toutefois, sur la nature de l’intoxication au cannabis. Or, un survol attentif de la littérature laisse entrevoir de multiples rapports entre les effets du cannabis et la phénoménologie de la schizophrénie.
Communément classé parmi les perturbateurs du système nerveux central, le cannabis possède des propriétés psychotomimétiques. Selon les circonstances, il peut produire des manifestations qui rappellent diverses dimensions de la schizophrénie. Alors que ses effets aigus évoquent les atteintes cognitives des schizophrènes, ses effets chroniques (le controversé syndrome d’amotivation) peuvent ressembler aux symptômes négatifs, et certains de ses effets adverses (la « psychose cannabique ») imitent les symptômes positifs de cette psychopathologie.
Incidemment, les schizophrènes seraient particulièrement sensibles au cannabis. En effet, la probabilité de développer un trouble de consommation de cannabis est environ six fois plus élevée chez le schizophrène que dans la population générale. Divers modèles tentent de rendre compte de cette comorbidité singulière, le principal étant celui de l’automédication. À l’encontre de ce modèle toutefois, la littérature rapporte que la consommation de cannabis accroît régulièrement l’incidence des rechutes psychotiques et des hospitalisations chez les schizophrènes.
Sur le plan biologique, des données préliminaires suggèrent l’existence de perturbations du système des cannabinoïdes endogènes chez le schizophrène. Dans cette foulée, la communauté scientifique espérait que le blocage du récepteur CB1, le principal récepteur des cannabinoïdes, agisse comme antipsychotique. Après l’échec clinique du rimonabant, un antagoniste CB1, la recherche se tourne maintenant vers les inhibiteurs de la recapture de l’anandamide, le cannabinoïde endogène le mieux connu.
FR :
In the ongoing debate regarding the legal status of cannabis, much emphasis has been put on the consequences of this psychoactive substance. Much less attention has been paid, however, to the very nature of cannabis intoxication. Interestingly, following a close review of the literature, it appears that cannabis pharmacology shares much in common with schizophrenia.
Being a dysleptic, cannabis has psychotomimetic properties. According to the circumstances, it produces effects that remind diverse schizophrenic dimensions. Acutely, cannabis disrupts cognition similarly to what is observed in schizophrenia. Chronically, its effects (the controversial amotivational syndrome) show resemblance with the negative symptoms of this psychopathology. Among its adverse effects, cannabis can induce, in rare occasions, a transient psychosis that mimics the positive symptoms of schizophrenia.
Incidentally, schizophrenic patients seem to be particularly sensitive to cannabis. In fact, they are six times more likely to develop a cannabis disorder, compared to the general population. Different models try to explain this particular comorbidity, the principal one being the self-medication model. Against this hypothesis however, the data currently available demonstrates that cannabis consumption increases the rates of relapses and hospitalisations of schizophrenic patients.
On the biological level, some disturbances of the endogenous cannabinoid system in schizophrenic patients have been shown recently. Along these observations, the scientific community was hoping that the blockade of the CB1 receptor, the principal cannabinoid receptor, would act as an antipsychotic. However, rimonabant, a CB1 antagonist, has failed in a phase II clinical study. Researchers now shift their attention to uptake inhibitors of anandamide, the best known endocannabinoid.
-
La recherche médicale sur le cannabis dans le traitement de la douleur au Canada : passé, présent et futur ?
Pierre Beaulieu et Mark Ware
RésuméFR :
Cet article a pour but de présenter une vue d’ensemble de l’histoire récente et des progrès de la recherche médicale sur l’utilisation du cannabis dans le traitement de la douleur au Canada. L’accent sera mis sur la démonstration de l’importance d’une telle recherche et sur la description des mesures qui ont été prises afin d’assurer une recherche de qualité. Nous discuterons également des obstacles qui se sont présentés. Enfin, nous aborderons les priorités de la recherche future.
EN :
This paper aims to provide an overview of the recent history and progress of medical cannabis research in Canada. The focus is on providing an understanding of why this research has become important and what steps have been taken to ensure good quality research. The obstacles that have been faced will be discussed. Future research priorities will be identified.
-
La question du cannabis thérapeutique : les lois, les professionnels de la santé, les mouvements activistes et… les patients !
Pierre-Charles Boudrias
RésuméFR :
L’attitude à adopter à l’égard des drogues a toujours été un problème pour les gouvernements. Malgré la controverse actuelle, les vertus médicinales du cannabis deviennent de plus en plus documentées. Toutefois, nous constatons toujours une absence de consensus dans la communauté scientifique et médicale sur l'efficacité réelle des applications thérapeutiques du cannabis. Les publications, divers professionnels de la santé et les regroupements de patients nous rapportent continuellement la preuve du potentiel thérapeutique de cette plante.
En juillet 2001, suite à une décision de la Cour d’appel de l’Ontario, le gouvernement canadien, à travers Santé Canada, met en place un règlement qui permet à certains patients souffrant de maladies graves l’accès au cannabis à des fins médicales. Dans la réalité, la situation est plus complexe. Cette réglementation rend l'exemption en question difficilement accessible et l'admissibilité par ses nombreuses conditions et procédures, est fort contingentée. Cet article traitera de la problématique qui entoure l’accessibilité, licite et illicite, à ce psychotrope et examinera les enjeux sociaux et légaux des lois ainsi que leur conséquence sur l’individu et la société. Le rôle des professionnels de la santé sera abordé sous un angle critique dans le contexte d’une nouvelle approche de santé publique. Les bienfaits de l’usage du cannabis sont-ils plus importants que les risques associés à sa consommation ? Ces bienfaits se comparent-ils avantageusement aux traitements déjà existants ? Il nous apparaît important que le gouvernement canadien règle les problèmes associés à l’admissibilité et à l’approvisionnement en cannabis thérapeutique. Le climat social d’aujourd’hui offre-t-il un environnement plus favorable au changement ? Le discours des activistes pro-légalisation a t-il un impact sur la population quant à la crédibilité du débat ?
EN :
Finding the right attitude towards drugs has always been a problem for the governments. Regardless of the actual controversy, the medical values of cannabis are being documented more and more. There is still, however, an absence of consensus in the medical and scientific communities concerning the actual effectiveness of the therapeutic use of cannabis even though publications, some health professionals and patient associations continuously report proof of the therapeutic potential of the plant.
Following a ruling of the Ontario Appeals Court, the Government of Canada, through Health Canada, adopted a regulation that permits access to cannabis, for medical purposes, for certain patients suffering from serious illnesses. In reality, the situation is more complex. The ruling renders the exception difficult to apply and admissibility is limited by many rules and regulations. This article treats the issue of accessibility, both legal and illegal, of this psychotropic drug and examines the social and legal stakes of the laws and regulations as well as their consequences on the individual and on society. The health professional’s role will be looked into in the context of a new approach to public health. Do the benefits of cannabis measure up to the existing treatments? We find it important that the Canadian Government solves the problems linked to the accessibility and supply of therapeutic cannabis. Is today’s social climate favorable to change? Do the arguments of the pro-legislation activists have any impact on the population as far as the credibility of the debate is concerned?
-
La prévalence de l’usage du cannabis chez les élèves canadiens
Edward M. Adlaf
RésuméFR :
Le présent document dépeint la prévalence de l’usage du cannabis chez les adolescents canadiens aux études, d’après des enquêtes menées antérieurement auprès de cette population. Les résultats montrent que 24 à 39 % de tous les élèves ont fait usage de cette drogue au cours des dernières années. Chez les élèves de septième année, le pourcentage varie entre 5 et 14 %, alors que le taux maximal chez les étudiants à la fin du secondaire atteint 41 à 57 %. Malgré des variations régionales, les données sur les tendances en matière de consommation de cannabis montrent que les taux ont augmenté au cours des années 1990. De plus, certaines données révèlent qu’à la fin des années 1990, le nombre d’élèves ontariens ayant déclaré faire un usage plus fréquent de cannabis et celui ayant signalé la présence d’indicateurs de dépendance s’étaient accrus. Il faut se pencher avec plus d’attention non seulement sur le rapport existant entre non-usage et usage, mais également sur celui qui existe entre usage et méfaits.
EN :
Based on existing surveys of Canadian adolescent students, this paper describes the prevalence of cannabis use. The results show that among all students, past year cannabis use varied from 24% to 39%. Use among 7th-graders varied from 5% to 14%, while peak use for students at the end of high-school varied from 41% to 57%. Despite regional variation in rates of cannabis use, available trend data showed increasing rates of use during the 1990s. In addition, available data showed that more Ontario students reported using cannabis more frequently and more reported dependence indicators during the late 1990s. More attention needs to be given, not only to the linkages from non-use to use, but to the linkages from use to harm.
-
Entre la liberté et la sécurité : une irréductible tension : analyse de quelques prises de position sur le cannabis et la loi
Guy Bourgeault
RésuméFR :
Sur un choix des textes fait par les éditeurs du numéro thématique Cannabis de la revue Drogues, santé et société, l’auteur explicite et discute les enjeux sous-jacents aux divergences de vue de quelques groupes d’acteurs importants eu égard aux politiques et aux pratiques touchant la distribution et l’utilisation du cannabis (regroupant des professionnels de la santé, d’une part, et les policiers canadiens, d’autre part), divergences de vue qui se sont nettement manifestées lors des séances de consultation du Comité sénatorial et lors des représentations et plaidoiries dans le procès mentionné. Plusieurs champs sont du même coup touchés : la loi et l’ordre politique, le droit, la santé, la sécurité publique.
Les textes retenus sont : le Rapport Nolin, la décision du juge Cadieux dans l’affaire « la Reine c. Marc St-Maurice et Alexandre Néron », le mémoire présenté par l’Association médicale canadienne au Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites, la prise de position de l’Ordre des pharmaciens du Québec au sujet du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, une résolution et une prise de position présentées conjointement par deux associations canadiennes regroupant respectivement les policiers et les directeurs des services de police et un document du Service de sensibilisation aux drogues de la GRC.
EN :
Using documents selected by the editors of the thematic issue on Cannabis of Drogues, santé et société, the author identifies and discusses the stakes underlying the diverging views of certain major actors (health professionals and Canadian police forces) regarding the policies and practices of distribution and use of cannabis – diverging views clearly shown during the hearings of the Senatorial Comity and in the pleas and arguments presented in the following trial. Many fields are involved at the same time: political law and order, rule of law, health, public security.
The documents considered are: the Nolin Report, the decision of Justice Cadieux in “The Queen versus Marc St-Maurice and Alexandre Néron”, the Canadian Medical Association’s memorandum to the Senatorial Comity on Illicit Drugs, the Québec Order of Pharmacists’ statement on the Marijuana Medical Access Regulations, a joint resolution and statement presented by the Canadian Police Association and the Canadian Association of Chiefs of Police and a document from the Drug Awareness Service of the RCMP.
-
Le statut pénal du cannabis au Canada
Marie-Andrée Bertrand
RésuméFR :
L’auteure analyse la résistance opposée aux tentatives de libéralisation du contrôle pénal sur le cannabis au Canada. Après avoir inclus le cannabis parmi les drogues interdites en 1923, le législateur n’a cessé d’élargir la portée de sa législation en créant de nouvelles infractions et en augmentant la sévérité des sanctions jusqu’en 1995. Pourtant, dans l’intervalle, le Parlement canadien s’était vu pressé à plusieurs reprises de reconsidérer sa politique des drogues par des comités et commissions qu’il avait lui-même mis sur pied, mais le législateur n’a accordé aucune attention à leurs recommandations. L’adoption en 1996 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui a placé le chanvre et ses dérivés hors de la liste des stupéfiants et prévu une certaine dépénalisation de la possession de petites quantités de cannabis, a contraint les partisans du statu quo à adopter des stratégies défensives, ce qu’ils ont fait en introduisant dans les projets de loi et règlements « dépénalisants » des conditions d’application si strictes et tant de circonstances aggravantes que l’intention originelle des projets s’en est trouvée pervertie. L’article montre par ailleurs que si le conservatisme du Parlement sort victorieux de presque toutes les tentatives de libéralisation, c’est qu’il est bien appuyé par la classe des magistrats et par l’exécutif du gouvernement comme le montrent, dans le premier cas, les décisions de cours d’appel (2002) et le jugement majoritaire de la Cour suprême (2003) affirmant la constitutionnalité de l’interdiction de possession de cannabis et comme le prouve, dans le deuxième cas, la politique antidrogue rappelée par les ministres responsables de la santé et de la justice (2003) : les adoucissements consentis dans le projet de loi ont comme objectif une application plus rigoureuse de la loi et l’arrestation de « tous les contrevenants » plutôt que la déjudiciarisation de leur infraction et les « avertissements » qu’autorise la loi actuelle. Ainsi s’expliquent la force et la permanence du conservatisme juridique, social, moral et politique au Canada et l’appel constant au contrôle pénal plutôt qu’à la responsabilité sociale et individuelle comme mode de régulation sociale. Constat intéressant à l’heure où d’autres pays occidentaux signataires, comme le Canada, des conventions internationales s’orientent vers ou ont déjà adopté la dépénalisation ou la décriminalisation du cannabis.
EN :
The author analyzes the history of cannabis prohibition in Canada as a telling case of moral and political conservatism feeding an unflinching resistance to any liberal reform of the drug laws. The article shows that far from reconsidering its 1923 prohibitive dispositions on cannabis the Canadian Parliament never stopped adding substances, offences and penalties to the narcotic drug laws which then included cannabis; for seventy years it paid no attention to the recommendations of commissions and committees to depenalize, decriminalize or legalize the substance, even though their work had been commanded by the Canadian government itself. However, from 1995 on, with the passing of the Controlled Drug and Substances Act allowing for a special treatment of cannabis derivatives (1996), the drug became the object of intense legal and judicial activity, some of it bending towards more liberal legal dispositions. Adepts of the status quo were then put on the defense position and had to develop new strategies, which they did by integrating many aggravating circumstances and straight jacketed conditions into the law projects. The amendments had the effect of drastically cutting into the reach and applicability of the depenalizing provisions. As the analysis shows, legal and moral conservatism in drug matters is not particular to the elected members of the Canadian government, it is well shared by members of the judiciary as evidenced in the Appeal Courts’ rulings (2002) and the Supreme Court’s majority decision (2003), the latter stating that cannabis prohibition is constitutionally valid in the country (2003). Penal control in lieu of appeal to social and individual responsibility is also the keynote of the federal executive’s « antidrug policy » (May 2003). Canada’s drug laws offer an interesting case of political resistance to legal reform at a time where other countries signatory of the International Conventions (like Canada) are going forward with the decriminalization or depenalization of cannabis.
-
Les vedettes de la prohibition du cannabis
Nicolas Carrier
RésuméFR :
La nature des infractions liées à la culture, au commerce et à la consommation de cannabis fait en sorte que la criminalisation engendre des discours sociaux variés venant justifier et contester celle-ci. La présente étude vise, d’une part, à relever les justifications énoncées pour rendre acceptable l’imposition de la souffrance par le droit criminel, et, d’autre part, à examiner les contestations que génèrent les normes pénales relatives au cannabis. L’examen des justifications et des contestations de la prohibition du cannabis révèle deux vedettes centrales : le déviant et la victime. Ces vedettes se présentent sous des figures variées. Les rhétoriques prohibitionnistes donnent vie à cinq figures typiques de la déviance : le dangereux, le fou, le junkie en devenir, le fumeur et l’« amotivé ». Les figures typiques de la victime auxquelles donnent vie tant les contestations que les justifications sont le corps, la liberté et la société. L’analyse de la construction de ces deux vedettes et des rôles pour lesquels on leur déroule le tapis rouge permet d’entrevoir certains produits culturels du régime prohibitionniste, notamment comment ce régime peut être justifié par certains de ses effets qui se présentent comme des causes.
EN :
The nature of the infractions linked to the growth, sale and use of cannabis is such that criminalization brings forth varied social positions that both justify and contest it. The present article aims, on the first part, to identify the stated justifications that make the imposition of pain acceptable to criminal law and, on the second part, to examine the protests that generate the penal standards relative to cannabis. The examination of the justifications and of the protests concerning the prohibition of cannabis reveal two prominent stars: the deviant and the victim. These stars show up under different aspects. The prohibitionist rhetoric identifies five typical aspects for deviance: the dangerous, the crazy, the junky to be, the smoker and the “amotivated”. The typical aspects of the victim that give life to the protests as well as to the justifications are: the body, liberty and society. The analysis of how these two stars are built and of the roles for which the red carpet is laid before them gives some insight into the cultural products of the prohibitionist regime, in particular how it may be justified by some of its effects that are seen as causes.
-
La politique américaine en matière de drogues et l’état des connaissances sur le cannabis
Mitch Earlywine
RésuméFR :
L’impact du cannabis sur la santé est faible, comparativement aux drogues légales. Il n’y a pas de dose létale pour cette plante. Malgré la croyance populaire, elle ne réduit pas la motivation, elle n’incite pas à consommer des drogues dites dures et elle n’affecte pas la structure du cerveau. Son association aux maladies mentales suggère que les personnes qui souffrent de désordres psychotiques devraient éviter le cannabis de même que tous les psychotropes. L’usage chronique quotidien crée des problèmes potentiels sur la performance rapide des tâches complexes. Lors d’un usage chronique quotidien, il y a déviation des fonctions cérébrales – mais pas plus que celle observée chez les alcooliques. L’inhalation quotidienne de la fumée peut abîmer les poumons, mais les nouvelles techniques de vaporisation pourraient ne pas les abîmer. L’usage occasionnel par des adultes en santé ne crée pas de maladies. Un petit pourcentage d’usagers réguliers rapporte une dépendance au cannabis mais ce désordre ne semble pas aussi aversif que la dépendance à d’autres drogues. Le cannabis semble avoir moins d’effets négatifs sur la santé que les drogues légales comme l’alcool, la caféine ou le tabac et il tue moins de personnes. Les impacts négatifs des pénalités imposées à la possession de cannabis semblent dépasser les impacts négatifs de la drogue elle-même, suggérant que la politique anti-drogue des Etats-Unis pourrait être améliorée en décriminalisant la possession de cannabis et en permettant à chaque adulte de cultiver quatre plants pour son usage personnel. Cette nouvelle approche permettrait d’économiser des milliards de dollars sur l’application de la loi, sur le temps d’administration de la justice de même qu’un nombre incalculable d’irritants.
EN :
Compared to drugs that are currently legal, cannabis's impact on health is low. The plant has no lethal dose. Despite myths to the contrary, it does not sap motivation, lead to the use of harder drugs, or alter brain structure. Associations with mental illness suggest that people with psychotic disorders should avoid cannabis, as they should avoid all psychoactive drugs. Chronic daily use creates potential problems for the quick performance of complex tasks. Brain function is deviant in chronic daily users, but no worse than that found in alcoholics. Smoking daily can harm the lungs, but the new technique of vaporization might not. Occasional use by healthy adults does not create illness of any sort. A small percentage of regular users report cannabis dependence, but the disorder does not appear as aversive as dependence on other drugs. Cannabis seems to have fewer negative health effects than legal drugs like alcohol, caffeine, or tobacco, and kills far fewer people. The negative impact of penalties for cannabis possession appear to outweigh these negative impacts of the drug itself, suggesting that U.S. drug policy could improve by decriminalizing possession of cannabis and permitting each adult to grow 4 plants for personal possession. This new approach could save billions of dollars in law enforcement and judicial time and countless hours of hassle. It also has the potential to increase respect for the law and law enforcement.
-
Dépénalisation de la consommation du cannabis : expériences en Europe occidentale, aux États-Unis et en Australie
Verena Maag
RésuméFR :
L’opinion publique sur la criminalisation ou la décriminalisation de l’usage de drogues est rarement basée sur des faits scientifiquement prouvés. Des notions préconçues en matière d’acceptation ou de tolérance de produits narcotiques déploient souvent plus d’impact. Actuellement, en Suisse, on discute de la décriminalisation du cannabis et l’on procède à une révision de la loi sur les stupéfiants. L’Office fédéral suisse de la santé publique a demandé à trois experts internationaux de réaliser une évaluation critique des expériences menées dans d’autres pays en matière de décriminalisation de la consommation de cannabis. Ces spécialistes ont remis à l’Office une étude comparative sur le plan européen, un survol de l’état des recherches menées aux États-Unis et en Australie, et une évaluation, dans une perspective historique, de la politique en matière de drogue en Italie. D’une manière générale, les trois rapports suggèrent qu’il n’existe pas un lien systématique entre la politique en matière de drogue et le taux de prévalence en ce qui concerne la consommation de cannabis ou de drogues illégales. Par contre, il s’avère que les frais de poursuite pénale et les conséquences négatives d’un usage illégal peuvent être réduits par des mesures de décriminalisation. Nous avons maintenant besoin de mener davantage d’études empiriques parce que, d’une part, les politiques publiques en matière de drogues se trouvent dans une phase de transformation et que, d’autre part, aucune étude fiable sur l’introduction de mesures de décriminalisation n’a encore vu le jour.
EN :
Public views on criminalization or decriminalization of drug use are rarely based on scientific evidence. Preconceived notions about the acceptance or tolerance of the use of narcotics in comparison are more influential. The decriminalisation of cannabis is currently being discussed and revision of the Swiss law on narcotics is pending. The Swiss Federal Office of Public Health commissioned three international experts to provide a critical assessment of the experience gained in other countries with decriminalisation of cannabis use. The reports include a European comparative study, an overview research conducted in the United States of America and Australia, and a historical evaluation of drug policy in Italy. The three expert reports suggest that no systematic relationship between drug policies and prevalence rates of cannabis use or illicit drug use in general can be detected. However, the costs of drug enforcement and the negative consequences for the criminalized use can be reduced by decriminalisation measures. More empirical evidence is needed because policy changes and the implementation of decriminalization measures have not been evaluated so far within a truly comprehensive research design.