Volume 32, numéro 1, printemps 1999 La justice réparatrice Sous la direction de Mylène Jaccoud et Lode Walgrave
Sommaire (8 articles)
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Présentation
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La justice restaurative : à la recherche d’une théorie et d’un programme
Lode Walgrave
p. 7–29
RésuméFR :
Au cours de la dernière décennie, la justice restaurative s'est manifestée progressivement comme une thématique très importante dans les débats réformateurs de la justice pénale et dans la recherche criminologique. Plusieurs raisons plaident en faveur d'une optique « maximaliste » de la justice restaurative, considérant cette orientation comme un autre paradigme à développer pour devenir à plus long terme une alternative complète et systémique pour les systèmes traditionnels punitifs et réhabilitatifs. En principe, cette option devrait proposer une réponse restaurative à tout délit, y compris les plus graves. De ce point de vue, la médiation entre victime(s) et celui/celle qui a commis le délit ne satisfait pas, et ce pour deux raisons. Primo, parce qu'elle tient insuffisamment compte des besoins de sécurité et de paix dans la société plus large; secundo, parce qu'elle se limite à des règlements volontaires des conséquences d'un délit. L'article examine les possibilités de pallier ces insuffisances de façon restaurative. Les questions posées sont : comment définir et faire participer une troisième partie, soit la collectivité, dans le règlement restauratif d'un délit? Comment définir et restaurer les préjudices vis-à-vis de cette troisième partie? Comment appliquer les principes restauratifs si la victime et/ou le délinquant ne participent pas volontairement à un processus de restauration?
EN :
In recent years, restorative justice has become an increasingly important theme in criminal justice reform and in criminological research. Many reasons favour a “maximalist” approach to restorative justice, considered as another paradigm. This would be developed over the longer term into a fully fledged systemic alternative to both the retributive and rehabilitatitive approaches to crime. In this view, a restorative response should be proposed for all crimes, including the most serious ones. The several varieties of victim/offender mediation fall short then, for two reasons. First, because they do not include sufficient concern for the larger community's security and peace needs; second, because they are limited to voluntary settlements in the aftermath of crimes, excluding the use of power. The article examines the possibilities of finding restorative solutions for these shortcomings. Questions to be asked include: how can a third collective party be involved in the restorative settlement of a crime; how can the harms done to that third party be defined and restored; and how can restorative principles be applied if the victim and/ or the offender refuse to participate voluntarily in a restorative process?
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Les cercles de guérison et les cercles de sentence autochtones au Canada
Mylène Jaccoud
p. 7–105
RésuméFR :
Au Canada, les cercles de sentence et les cercles de guérison constituent les deux principaux modèles de justice réparatrice en milieu autochtone. Ces initiatives se sont développées surtout à partir des années 1990. L'article propose d'abord d'identifier le contexte précurseur à leur émergence puis de décrire et de comparer leurs principes et leur fonctionnement respectifs. L'auteure est amenée à conclure que les cercles de guérison s'inscrivent davantage dans une démarche d'autonomisation (empowerment) alors que les cercles de sentence risquent de se situer dans une démarche de légitimation de l'intervention du système de justice étatique.
EN :
In Canada, sentencing and healing circles represent the two main models of restorative justice in the First Nations environment. These initiatives were developed in the 90's. This paper first identifies the context from which these initiatives come, then describes and compares their principles and functions. The author concludes that healing circles are largely inscribed in an attempt to empower native communities whereas sentencing circles are more of a step for creating a new legitimacy for the intervention of the state justice system.
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Le crime pardonné : la justice réparatrice sous l’Ancien Régime (XVI e -XVIII e siècles)
Marie-Sylvie Dupont-Bouchat
p. 31–56
RésuméFR :
Deux modèles de justice criminelle coexistent tout au long des XVI e , XVII e et XVIII e siècles : celui de la justice royale fondé sur la condamnation et la punition, et celui, plus caché, de la justice réparatrice, fondé sur la négociation et l'accommodement, hérité du Moyen Âge. Mais à partir du XVI e siècle, le souverain qui a monopolisé l'exercice de la justice, le droit de punir, s'est aussi réservé le droit de pardonner. Punir et pardonner constituent ainsi les deux volets complémentaires d'une double stratégie de maintien de l'ordre, fondée à la fois sur l'éclat des supplices et la générosité du pardon. Pour être pardonné, l'accusé doit reconnaître son crime, en demander pardon au souverain. Celui-ci lui accorde sa rémission, moyennant la réparation des dommages causés à la victime, ou à sa famille, et le paiement d'une amende au profit du souverain. La justice réparatrice s'inscrit désormais dans un modèle de « justice imposée » où la négociation est reléguée dans l'accord conclu avec la partie offensée.
EN :
Two models of criminal justice coexisted during the 16th, 17th and 18th centuries: Royal justice based on condemnation and punishment, and another less prevalent one, of restorative justice (system of compensation). This latter one, inherited from the Middle Ages, is based on negotiation and agreement. However, since the 16th century, the King has kept the monopoly of justice, giving himself the right to punish or to forgive. He practices a double strategy of maintaining public order using both the "spectacle of suffering" and the generosity or forgiving. To be forgiven, the accused has to confess his crime and ask the King for pardon. According to the religious model, the King gives him "letters of remission", with the conditions of compensating the damages caused to the victim's family and the payment of a fine to the King. Since then, restorative justice (compensation system) takes place in a model of imposed justice where negotiation is confined to the agreement made with the offended party.
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Un exemple de justice réparatrice au Québec : la médiation et les organismes de justice alternative
Serge Charbonneau et Denis Béliveau
p. 57–77
RésuméFR :
Depuis une vingtaine d'années, le secteur de la justice des mineurs au Québec a connu de nombreux bouleversements. Cette période a notamment été marquée par la tenue de plusieurs commissions d'étude ainsi que par l'adoption de la Loi sur la protection de la jeunesse et de la Loi sur les jeunes contrevenants. Elle se caractérise également par la mise en place des premières expériences de justice réparatrice reposant sur la médiation. Dans cet article, les auteurs cherchent d'abord à situer dans quel contexte s'est développée la médiation au Québec, depuis la mise sur pied du Projet d'intervention jeunesse en 1977 jusqu'à la création des premiers organismes de justice alternative. En se penchant sur les raisons pouvant expliquer le lent développement de la médiation au Québec, les auteurs examinent notamment l'hypothèse qui met en cause le modèle protectionnel et sa prééminence dans les institutions pour mineurs. Une telle dynamique, qui aurait pour effet d'amener les professionnels à concentrer leur attention sur le développement des jeunes au détriment des besoins des victimes d'actes criminels, expliquerait le recours peu fréquent à la médiation. Les auteurs se penchent ensuite sur l'évolution des pratiques de médiation dans les organismes de justice alternative. Ils montrent que les façons de faire ont connu d'importantes modifications, lesquelles sont à mettre au compte de l'influence de différentes perspectives européennes et américaines. Ainsi, les débats sur le potentiel réparateur de la médiation, loin d'être terminés, animent encore le milieu et soulèvent d'importantes questions. Plus que jamais, la nécessité de recherches descriptives et évaluatives sur le potentiel de la médiation en matière criminelle se fait donc sentir.
EN :
In the last 20 years, juvenile justice in Quebec has undergone many changes. This period has been caracterised by numerous Commissions of Inquiry and by the adoption of the Youth Protection Act and the Young Offenders Act. It is also marked by the implementation of the first attempts at restorative justice based on mediation. In the following article, the authors first place the development of mediation in Quebec in its context, from the implementation of "Projet d'intervention jeunesse" in 1977 through to the creation of the first alternative justice organisms. Among the reasons explaining the slow development of mediation in Quebec, the authors study the hypothesis that identifies the pre-eminence of the protectionnist model in juvenile institutions as a cause. The under use of mediation could be explained by the professional attention given to youth development, which neglects the victim's needs. Second, the authors study the evolution of mediation practices in alternative justice organisms. They demonstrate that mediation practices have been significantly modified in response to different European and American perspectives. The transformative potential of mediation still raises important questions about the principal aim of mediation. Experts still often debate the real impact of mediation. More than ever, there is a need for descriptive and evaluative research on the potential of mediation in criminal matters.
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La justice réparatrice en Allemagne
Frieder Dünkel
p. 107–132
RésuméFR :
L'article décrit la mise en place des programmes de médiation en Allemagne. La médiation est d'abord devenue un élément majeur de la justice des mineurs, pour s'appliquer ensuite à la justice criminelle en général. 74% des départements locaux de protection de la jeunesse ont introduit des programmes de médiation. En Allemagne de l'Est (après la réunification de 1990), les programmes de médiation sont même plus développés que dans les anciens États fédéraux. En Allemagne, l'approche de la justice réparatrice fait désormais partie du système de justice criminelle ; cette approche est gérée par des organismes privés et publics. Dans cet article, l'auteur décrit aussi l'expérience de la justice réparatrice en Europe depuis les dix dernières années.
EN :
The paper describes the introduction of mediation schemes in Germany, which have become a major issue for juvenile justice policy and lately for criminal policy in general. Seventy-four percent (74%) of all German local youth departments have introduced mediation schemes. The situation in East Germany (after the reunification in 1990) is even better than in the old Federal states. The restorative justice approach in Germany is integrated in the juvenile justice system and organized by private and state institutions. The author outlines the European experiences with restorative justice during the last decade.
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La participation des victimes dans le processus décisionnel de la justice des mineurs : les résultats d’un sondage national auprès des juges aux États-Unis
Gordon Bazemore, Leslie Leip et Jason Nunemaker
p. 133–159
RésuméFR :
Les tribunaux pour mineurs ont traditionnellement fonctionné comme des systèmes clos prioritairement centrés sur les besoins des jeunes délinquants et l'évaluation du danger qu'ils représentent. Bien que la législation sur les droits des victimes contraigne le personnel de la justice des mineurs à faire une place aux victimes d'actes criminels dans le processus de prise de décision, leur véritable participation n'est pas assurée pour autant. L'importance que le mouvement de justice réparatrice accorde, depuis ces derniers temps, à la réparation des torts subis par les individus et les collectivités a contribué à intégrer les besoins des victimes à une définition élargie du mandat des tribunaux pour mineurs et a encouragé la participation des victimes comme partenaires actifs du processus décisionnel. À partir des résultats d'un sondage national fait auprès des juges des tribunaux pour mineurs, aux États-Unis, cet article analyse les attitudes quant à la participation des victimes aux différentes étapes du processus décisionnel de la justice des mineurs. Les expériences individuelles, l'environnement organisationnel ainsi que les idéologies professionnelles sont considérés comme des variables indépendantes qui expliquent les différents degrés d'appui à la participation des victimes, en tant que composante d'une justice fondée sur l'idée de la réparation. Les auteurs examinent également les implications de la mise en œuvre des réformes orientées dans cette direction et formulent des propositions de recherches subséquentes.
EN :
Juvenile courts have traditionally operated as closed systems, focused primarily on the individual needs and risks of young offenders. Although victims rights legislation is now challenging juvenile justice professionals to open up decision-making processes to the input of crime victims, meaningful victim involvement is by no means a guaranteed outcome. Recently, the restorative justice focus on repairing harm to victims and victimized communities has helped to link victims' needs to a broader juvenile court mission and has encouraged the participation of victims as active co-participants in justice decision-making processes. Based on a national survey of U.S. juvenile court judges, this paper examines attitudes toward victim involvement in several phases of juvenile justice decision-making. Individual experiences, the organizational environment, and professional ideology are analyzed as independent variables to explain differences in support for victim involvement as one component of a restorative justice orientation. Implications for the implementation of restorative reforms and for future research are considered.
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L’évolution de la violence chez les adolescents québécois : phénomène et prévention
Marc Le Blanc
p. 161–194
RésuméFR :
Les moyens de communication de masse nous transmettent un message alarmiste sur l'évolution de la violence, particulièrement chez les adolescents. Qu'en est-il exactement? L'analyse de la trajectoire de la violence criminelle permet de conclure que notre société vit depuis quelques années une croissance extrêmement rapide de ces délits. En particulier, les enquêtes auprès d'adolescents et d'adolescents judiciarisés signalent que ce n'est pas tant le nombre d'adolescents violents qui progresse que la fréquence de leurs actes. Il est ensuite apparu que plusieurs caractéristiques du milieu de vie des adolescents, plutôt que les facteurs macrosociaux, peuvent être responsables de cette situation : la détérioration des conditions de vie des adolescents, l'intimité accrue dans les familles, l'importance accrue des pairs et des bandes d'adolescents et leur plus grande impulsivité ainsi que la tendance à déformer la réalité. Ces facteurs ne seraient pas nécessairement responsables du niveau de la violence interpersonnelle dans notre société, ils rendraient surtout compte de sa fréquence, de sa précocité et de sa nature. En particulier, ils expliqueraient pourquoi les voies de fait sont plus fréquentes, et de loin, que les vols qualifiés alors que l'inverse était vrai à d'autres époques. Comment modifier la trajectoire à la hausse de la violence interpersonnelle? Plusieurs voies d'action préventives semblent indiquées compte tenu des facteurs qui ont été mis à jour. Ce sont l'intégration des jeunes immigrants, le développement de mécanismes de convivialité adolescente, l'amélioration du climat de vie dans les écoles, le support à la transition de l'école au milieu de travail et une intervention énergique auprès des bandes d'adolescents.
EN :
The mass media tell us that violence is increasing, particularly among adolescents. What is the exact situation? We observe that there is an increase of official violent delinquency over the past decade. This observation is also confirmed for self-reported delinquency in normative and adjudicated samples. In addition, there is more of an increase in the frequency of violent acts than in participation in violent activities. This increase could be explained by macrosocial factors, but our conclusion is that it is more directly influenced by the living conditions of adolescents, family and school experiences, peer influences and changes in routine activities. We then look at possible strategies to curb this increase of violence among adolescents.