Résumés
Résumé
Le nombre d’unions où les deux conjoints n’ont pas la même langue maternelle est en augmentation depuis les dernières décennies au Québec. Sachant que les enfants issus de ces unions gravitent dans un univers familial plurilingue, cette étude s’intéresse aux langues maternelles qui leur sont transmises. En utilisant les données du recensement canadien de 2006, différentes analyses ont été produites de sorte à cerner les langues maternelles véhiculées aux enfants issus d’une union mixte. De plus, par le biais d’une régression logistique, une analyse explicative a été conduite afin de connaître si certains déterminants socio-démographiques sont susceptibles d’expliquer le choix de transmettre le français ou l’anglais comme langue maternelle à ces enfants. Les résultats obtenus démontrent la place prédominante des langues officielles canadiennes, au détriment des langues non officielles, et de surcroît, la force d’attraction supplémentaire exercée par la langue anglaise chez les familles exogames. De plus, le choix de la langue maternelle transmise s’avérerait, entre autres choses, influencé par le lieu de résidence, le parcours migratoire des parents et le pays de naissance des enfants.
Abstract
The number of unions where both partners do not share the same mother tongue has grown substantially over the recent decades in Quebec. Given that children born to these unions live in a multilingual family setting, the purpose of this research is to study the mother tongue transmitted to these children. Using the 2006 Canadian Census data, different analyses have been conducted. These were intended to identify the mother tongue transmitted to children born to mixed-language unions. In addition, using logistic regression, we examined the contextual, ethno cultural and socioeconomic determinants explaining the choice to transmit French or English as a mother tongue to children. The results show a predominance of the two official Canadian languages in mixed-language families, at the expense of non-official languages as well as an additional attraction exerted by the English language. Furthermore, the choice of the transmitted mother tongue is influenced, among others things, by the place of residence, the parent’s migration path and the children’s birthplace.
Corps de l’article
Introduction
Au cours des dernières décennies, la composition linguistique de la population québécoise s’est largement diversifiée, fruit de la modification des comportements de fécondité et de mortalité des différents groupes linguistiques qui la composent ainsi que d’une immigration sans cesse croissante. La diversification d’une population entraînant inévitablement un rapprochement au quotidien des différentes cultures, il en résulte par le fait même une mixité conjugale de plus en plus présente, dont celle de l’exogamie linguistique. Cette mixité implique une dynamique linguistique au quotidien qui est propre à chaque couple, et qui est susceptible de se complexifier lorsqu’un enfant s’ajoute au noyau familial. En effet, sachant que les deux parents n’ont pas la même langue maternelle, ils doivent faire un choix quant à la langue maternelle qu’ils transmettront à leurs enfants.
Le Québec, du fait que le français y soit la seule langue officielle mais que l’anglais dispose d’un statut particulier dans les différents domaines de la sphère privée et publique, se démarque des autres provinces canadiennes. Par conséquent, alors que dans les provinces anglophones du pays on remarque que l’anglais reste la langue la plus fortement transmise aux enfants issus de couples linguistiquement exogames, on ne constate pas pour autant l’effet inverse au Québec (Statistique Canada, s.d.). En effet, au Québec, l’anglais est davantage transmis aux enfants que ne l’est le français dans le reste du Canada. Pourquoi certaines familles québécoises privilégient-elles la transmission du français, alors que d’autres privilégient la transmission de l’anglais ?
Peu de recherches ont fait état de la question de la transmission intergénérationnelle de la langue maternelle aux enfants issus de couples exogames québécois, et des déterminants qui y sont reliés. Il est toutefois intéressant d’étudier cette transmission intergénérationnelle auprès de ces enfants, car la langue maternelle dont ils hériteront est une indication de la langue dans laquelle ils recevront leur éducation, ils s’exprimeront en public et ils élèveront leurs propres enfants. L’objet d’une telle recherche est d’autant plus pertinent pour une province comme le Québec où les unions mixtes sont en croissance et où les questions linguistiques sont au coeur de nombreux débats de société.
L’objectif de cette étude est de vérifier dans le contexte québécois la part d’explication apportée par certains facteurs d’ordre socio-démographiques dans le choix de transmettre le français ou l’anglais aux enfants issus d’un couple linguistiquement exogame. Les résultats, obtenus au moyen d’une régression logistique binaire, nous permettront de vérifier dans quelle mesure des déterminants tels que le lieu de résidence de la famille, le rôle des parents et leur parcours migratoire apportent un élément d’explication au choix de la langue transmise. Nous serons également en mesure de vérifier lequel, ou lesquels, de ces facteurs interviennent davantage dans la transmission linguistique intergénérationnelle. Pour ce faire, nous observerons tout d’abord quelle langue maternelle est transmise aux enfants issus d’un couple exogame au Québec, pour ensuite passer à l’analyse des déterminants socio-démographiques intervenant dans ce processus qu’est la transmission linguistique.
L’exogamie linguistique et la transmission linguistique intergénérationnelle
L’exogamie linguistique est un phénomène relativement nouveau au Québec. Les grands changements qu’a connus la province depuis la deuxième moitié du xxe siècle ont transformé la famille québécoise. Le passage d’une société traditionnelle, rurale et agricole à une société moderne, urbaine et industrielle a tout d’abord poussé les individus à quitter leur village et paroisse (Bernard, 1994). La majorité de la population vivant en ville, elle est davantage confrontée à la diversité linguistique et ethnique québécoise. Ajoutons à cela les changements culturels, religieux, démographiques, écologiques et sociolinguistiques des dernières décennies (Bernard, 1994), une ouverture religieuse croissante, une nouvelle mobilité sociale et occupationnelle, l’émancipation de la femme (Castonguay, 1981) ainsi que la diversification du portrait ethnique québécois et canadien. Tous ces changements favorisent les contacts interculturels. Il en résulte qu’aujourd’hui, les unions linguistiquement exogames sont non seulement plus nombreuses, mais aussi plus diversifiées et mieux acceptées socialement.
En 2006, de toutes les unions recensées au Québec, un peu plus de 9 % étaient des unions linguistiquement exogames. Alors que près de 80 % des Québécois sont de langue maternelle française, 9 % d’entre eux sont en couple avec un conjoint de langue autre que le français. Chez les personnes de langue anglaise, qui composent 8 % de la population québécoise, 59 % forment une union linguistiquement exogame. Finalement, ce sont 29 % des personnes de tierce langue maternelle qui sont en couple avec un partenaire dont la langue maternelle est le français ou l’anglais. On constate dès lors que les personnes du groupe composant la minorité linguistique au Québec sont proportionnellement plus nombreuses à former une union exogame que les personnes du groupe de la majorité.
Dans la mesure où les deux parents forment un couple linguistiquement homogame, la langue maternelle de l’enfant s’avère dans la quasi-totalité des cas à l’image de celle des deux parents : les statistiques tirées du recensement révèlent qu’au Québec, 99 % des enfants issus d’une union endogame francophone avaient le français comme langue maternelle en 2006. À titre comparatif, 96 % des enfants du Québec issus d’un couple endogame anglophone avaient l’anglais comme langue maternelle (Corbeil, Chavez et Pereira, 2010).
Les enfants issus d’une union exogame sont de plus en plus nombreux au Québec : alors qu’en 1971, 5 % des enfants du Québec vivaient dans une famille linguistiquement exogame (Corbeil et Marmen, 2004), en 2006 ils étaient près de 9 %. Or la croissance de l’exogamie soulève la question de la transmission linguistique aux enfants issus de tels couples. En effet, chez les couples linguistiquement mixtes, la relation entre la langue maternelle des parents et celle de leurs enfants n’est pas aussi directe, l’enfant vivant dans un milieu familial linguistique plurilingue. Ainsi, chez ces familles exogames, la langue maternelle transmise aux enfants s’avère davantage être le résultat d’un choix réfléchi, qui lui-même s’avère conditionné par divers facteurs.
Les facteurs intervenant dans la transmission linguistique intergénérationnelle
Les facteurs influençant le choix de la langue maternelle transmise aux enfants sont nombreux et diffèrent d’une famille à l’autre. Ce choix relève bien souvent d’un choix parental qui se révèle très sensible au parcours des parents, à l’histoire familiale et aux valeurs qui sont uniques à chaque famille. Ce choix est également influencé par l’environnement linguistique, l’histoire et le contexte politique caractérisant la société dans laquelle réside la famille.
Néanmoins, le facteur qui semble être le plus important dans la transmission linguistique est le rôle de la mère. Une mère, ayant pour langue maternelle la langue minoritaire du groupe environnant, transmettrait davantage sa langue à ses enfants qu’un père homologue (Comeau, 1997 ; Heller et Lévy, 1992 ; de Klerk, 2001 ; Morris et Jones, 2007 ; Stanford, 2008 ; Takeuchi, 2006 ; Varro, 1997 ; Yamamoto, 2002). Cette caractéristique est grandement liée au fait que les mères sont plus enclines à rester au foyer pour s’occuper de leurs enfants en bas âge. Passant plus de temps avec leur progéniture, elles ont davantage l’opportunité de transmettre leur langue. Plusieurs parents, majoritairement les mères, tiennent également à véhiculer leur langue maternelle dans le but d’inculquer à leurs enfants une seconde culture et de transmettre un sentiment d’appartenance pour le pays d’origine.
Notons aussi que les facteurs contribuant à créer l’environnement linguistique dans lequel vivent les enfants interviennent dans le processus de la transmission linguistique (Bernard, 1995 ; O’Keefe, 2001). Tout d’abord, si le père ou la mère parle la langue du parent qui, au sein du couple, est en situation linguistiquement minoritaire[1], les enfants semblent plus enclins à hériter de cette langue maternelle (Lachapelle, 2009 ; O’Keefe, 2001). Au Canada, chez les familles où le conjoint non francophone parle le français, les enfants utilisent presque cinq fois plus le français comme langue le plus souvent parlée à la maison (O’Keefe, 2001). De plus, les trois quarts des enfants issus de familles linguistiquement exogames dont le parent non francophone parle français peuvent parler le français, contrairement au tiers des enfants dont le parent non francophone ne connaît pas le français. De plus, le parent qui décide de transmettre sa langue maternelle à son enfant doit se sentir encouragé par son conjoint (Takeuchi, 2006). Si ce dernier n’accorde pas d’importance à l’apprentissage d’une seconde langue, le parent de langue minoritaire sera moins enclin à transmettre sa langue à ses enfants. Finalement, la présence des grands-parents dans la vie des enfants serait également à considérer. Les couples exogames qui retournent souvent dans le pays d’origine du conjoint parlant la langue minoritaire du couple, ou qui fréquentent régulièrement les grands-parents de langue minoritaire, transmettent davantage cette langue à leurs enfants (Morris et Jones, 2007 ; Takeuchi, 2006). Il est important pour ces parents que leurs enfants soient en mesure de discuter avec leurs grands-parents. Par conséquent, l’environnement linguistique dans lequel vit l’enfant est non seulement influencé par le profil linguistique des deux parents, mais aussi par les différents éléments qui contribuent, de près ou de loin, à dynamiser cet environnement familial.
Par ailleurs, la valeur accordée à la langue minoritaire dans le pays où habite le couple exogame serait un autre facteur très important. Par exemple au Japon, les langues latines et germaniques sont très bien perçues par la société. En contrepartie, les langues asiatiques sont perçues comme étant de seconde classe (Yamamoto, 2002). Par conséquent, les couples linguistiquement exogames dont un des parents parle une langue d’un pays européen sont beaucoup plus encouragés par la famille et les amis à transmettre cette langue à leurs enfants que les couples dont un des conjoints est de langue maternelle asiatique. Dans le contexte français, Philip-Asdish (1997) arrive également à une conclusion similaire. En France, la transmission de l’arabe aux enfants issus de couples franco-maghrébins varierait selon le milieu social des parents. Dans les quartiers populaires, les familles exogames transmettraient moins l’arabe à leurs enfants, à cause d’une vision négative de cette langue et des populations du Maghreb. À l’inverse, dans les milieux dits intellectuels, puisqu’il y aurait une position favorable envers le bilinguisme, l’arabe serait davantage transmis aux enfants.
De leur côté, les recherches propres au contexte canadien démontrent que l’augmentation du nombre de services et d’écoles en français hors Québec (Lachapelle, 2009 ; Comeau, 1997), l’importance accordée aux milieux familial, scolaire et socio-institutionnel (Landry, 2003 et 2004) ainsi que l’aptitude des deux conjoints à parler la langue maternelle de l’autre favoriseraient la transmission du français aux enfants.
Les données des recensements de 1971 et 2006 confirment qu’il y aurait effectivement eu une augmentation de la transmission du français à titre de langue maternelle aux enfants de couples canadiens français/anglais et français/tierce langue, hors Québec (Corbeil et Marmen, 2004 ; Statistique Canada, s.d.). À partir d’un indice de continuité et en utilisant une perspective intergénérationnelle (transmission de la langue maternelle entre la mère et ses enfants), Lachapelle (2009) a remarqué que la mobilité linguistique a très peu évolué entre 1971 et 2006 chez les minorités francophones hors Québec, ce qui s’explique en partie par la montée de la transmission du français chez les couples exogames. Au Québec, les statistiques tirées du recensement révèlent qu’en 2006, les enfants de couples français/anglais étaient plus nombreux qu’ils ne l’étaient en 1971 à avoir le français comme langue maternelle, et ce, au détriment de l’anglais (Corbeil, Chavez et Pereira, 2010). Les enfants de couples français/tierce langue et anglais/tierce langue étaient quant à eux plus nombreux à avoir une tierce langue maternelle.
Bélanger et collab. (Bélanger, Sabourin et Lachapelle, 2010), se sont plutôt intéressés à la langue d’usage à la maison adoptée par les enfants québécois âgés de moins de 15 ans et dont au moins un parent est de langue maternelle tierce. Ils ont constaté que ceux dont les mères sont des immigrantes allophones utilisent beaucoup plus le français à la maison que ceux dont les mères sont allophones et nées au Canada. Ils ont également remarqué une plus forte attraction pour la langue anglaise chez les enfants dont la mère est arrivée au pays avant l’application de la Charte de la langue française, soit avant 1977. Cependant, les enfants dont la mère a une langue maternelle qui se rapproche du français seraient plus enclins à utiliser le français à la maison. Par ailleurs, le niveau de scolarité de la mère et le type d’emploi qu’occupe le père favoriseraient l’anglicisation chez les enfants dont les parents n’appartiennent pas à une classe socio-économique inférieure.
La littérature démontre à quel point les facteurs intervenant dans le processus de la transmission linguistique sont nombreux et leur interaction complexe. Certes, ils sont conditionnés selon les déterminants qui caractérisent l’environnement linguistique familial, tels le rôle de la mère, la connaissance et la valeur accordées à la langue minoritaire du couple par les deux conjoints ainsi que la relation entretenue avec les grands-parents. Néanmoins, on ne peut faire abstraction du contexte politique et linguistique qui définit la société dans laquelle vit la famille linguistiquement exogame. Dans le contexte québécois, dont on connaît la spécificité, y a-t-il certains facteurs qui s’avèrent plus déterminants dans le choix de la langue transmise aux enfants pour les couples exogames ? Les données du recensement canadien apportent quelques éléments de réponse à cette question.
L’utilisation du recensement canadien pour étudier la transmission linguistique
L’étude de la transmission linguistique nécessite une base de données qui d’une part contient des variables de nature linguistique et d’autre part fournit de l’information propre à chacun des membres d’une famille. Le Canada est l’un des rares pays qui détiennent de l’information de nature linguistique d’aussi bonne qualité et de façon aussi détaillée. Dans le cadre de cette recherche, nous avons utilisé les données collectées par l’entremise du questionnaire long du recensement canadien de 2006 qui comprend, entre autres choses, une section très détaillée sur la connaissance et l’utilisation des langues dans le pays. Ce questionnaire a été acheminé à un échantillon (20 %) représentatif des ménages privés canadiens et il contient de l’information représentative de la population canadienne.
Description de l’échantillon
L’objectif de cette étude repose sur l’analyse des familles linguistiquement exogames du Québec. Ainsi, pour bien circonscrire le phénomène de la transmission, seules ont été conservées les familles résidant au Québec avec des enfants âgés de 2 à 17 ans ayant tous la même langue maternelle[2] et dont les parents forment un couple linguistiquement exogame.
Une fois la sélection effectuée, l’échantillon total analysé est composé de 11 975 familles exogames observées, pour un total de 59 315 familles une fois l’échantillon pondéré. Cet échantillon comprend uniquement les familles avec enfants composées de parents de sexe opposé et n’ayant aucune langue maternelle commune[3]. Ces familles devaient par ailleurs être composées d’au moins un enfant âgé de 2 à 17 ans puisque seuls ces derniers faisaient l’objet de notre recherche. Une telle sélection se justifie, d’une part, par le fait qu’avant l’âge de deux ans, les enfants parlent peu. Conséquemment, la fiabilité des déclarations relatives à la langue maternelle de ces enfants vivant en contexte d’exogamie linguistique est questionnable (Lachapelle, 2009). D’autre part, chez les enfants âgés de plus de 17 ans, nous savons que dépassé cet âge, leur comportement linguistique n’est plus essentiellement défini par la dynamique familiale initiale mais aussi par la mise en union avec un conjoint, la dynamique linguistique au travail, l’éducation post-secondaire et l’influence de facteurs externes à ceux que nous souhaitons étudier (Castonguay, 1976).
Précisons que l’échantillon ne comprend que des familles dont tous les enfants ont la même langue maternelle, ces dernières représentant plus de 95 % de l’échantillon composé de familles linguistiquement exogames avec enfants. De plus, pour cause de petit nombre, nous avons dû supprimer les familles dont les enfants sont de tierce langue maternelle et dont les parents sont de langue maternelle anglaise et française[4].
Des 59 315 familles linguistiquement exogames qui forment la population à l’étude, 43 % sont composées d’un couple anglais/français, 31 % d’un couple français/autre, 14 % d’un couple anglais/autre et 12 % d’un couple où les deux conjoints ont une langue maternelle autre, cette répartition variant largement selon le lieu de résidence (tableau 1). En effet, plus on s’éloigne de l’île de Montréal, plus la proportion de couples anglais/français augmente, au détriment des couples composés d’au moins un parent de langue maternelle tierce.
Les pères et les mères de notre étude sont majoritairement nés au Canada (70 %), ceux nés à l’étranger formant près de 30 % des cas (tableau 2). Plus de 30 % des parents sont des immigrants, près de 20 % sont des Canadiens de deuxième génération et près de 50 % sont des Canadiens de troisième génération ou plus[5]. Parmi les pères et les mères qui ont immigré au Canada, près du quart sont arrivés au pays avant 1976, la moitié entre 1976 et 1995 et le dernier quart entre 1995 et 2006. Enfin, plus de la moitié des parents ayant immigré proviennent d’un pays francotrope[6].
Quant aux enfants, ils sont tous nés au Québec dans 85 % des familles (tableau 3) et ils sont tous nés dans la même province (hors Québec) ou dans le même pays[7] dans 10 % des cas. Par conséquent, dans moins de 5 % des familles les enfants ne sont pas tous nés dans la même province ou dans le même pays. Par ailleurs, les enfants d’une même famille ont entre 6 et 17 ans dans 62 % des familles, entre 2 et 5 ans dans 23 % des cas et entre 2 et 17 ans dans 15 % des cas.
Selon l’environnement linguistique dans lequel ils vivent, les enfants observés par le biais de cette étude sont susceptibles d’hériter de diverses langues maternelles. Or, avant d’examiner si certains déterminants socio-démographiques interviennent dans la transmission linguistique intergénérationnelle, il est pertinent de connaître la langue maternelle des enfants issus des unions exogames du Québec. Ainsi, alors que la prochaine section propose un portrait des langues maternelles transmises aux enfants, la section suivante portant sur l’explication apportée par certains déterminants socio-démographiques aux choix de la transmission linguistique.
Les langues maternelles transmises aux enfants en 2006
Les statistiques présentées figure 1 révèlent qu’en 2006, 51 % des familles québécoises où les deux conjoints n’ont pas la même langue maternelle ont déclaré avoir transmis le français comme unique langue maternelle à leurs enfants, contre 33 % qui ont véhiculé l’anglais. De plus, dans 8 % des cas, les familles ont transmis une tierce langue aux enfants. Enfin, dans 8 % des cas, les parents ont véhiculé plus d’une langue maternelle aux enfants.
À la lumière des résultats présentés tableau 4, on constate que la transmission des différentes langues varie en fonction de la combinaison linguistique du couple. D’après ce tableau, la langue française est majoritairement véhiculée à titre de langue maternelle unique lorsque les parents forment un couple français/tierce langue ou anglais/français. Cette langue se voit transmise, respectivement, chez 75 % et 57 % de ces familles. Le français est également transmis dans 19 % des familles où les deux parents ont une tierce langue maternelle et dans 5 % des familles où les parents forment un couple anglais/tierce langue. Ainsi, dans la mesure où un des conjoints est de langue maternelle française, le français serait davantage transmis aux enfants.
Quant à elle, la langue anglaise s’avère davantage transmise par les couples anglais/autre (83 %), suivis des couples allophones (37 %), français/anglais (34 %), et enfin chez les familles où les parents forment un couple français/tierce langue (9 %).
Quant aux langues non officielles, elles sont peu transmises chez les familles où les parents forment des unions anglais/tierce langue et français/tierce langue.
Cependant, chez les familles où les deux conjoints ont une langue maternelle tierce, dans 39 % des cas une langue maternelle tierce est véhiculée aux enfants. Les parents ont transmis une des deux langues officielles à leurs enfants plutôt qu’une langue maternelle tierce dans 56 % des familles exogames allophones. On observe en effet que parmi les familles où les deux conjoints ont une langue maternelle tierce, l’anglais a été transmis à titre de langue maternelle dans 37 % des familles, alors que le français a été transmis dans 19 % des cas. Cette observation reflète par conséquent le pouvoir d’attraction qu’a la langue anglaise auprès des couples allophones comparativement à la langue française.
Dans la très grande majorité des familles, on déclare que les enfants ont une seule langue maternelle. Néanmoins, précisons que peu importe la combinaison linguistique du couple, la proportion de familles où les enfants ont plus d’une langue maternelle est inférieure à 10 %.
La force d’attraction qu’opère la langue anglaise par rapport à la langue française est également perceptible chez les familles où un seul des conjoints a une langue maternelle tierce. En comparant les couples anglais/tierce langue aux couples français/tierce langue, nous remarquons que l’anglais (9 %) est davantage transmis chez les couples où le conjoint est francophone que ne l’est le français (5 %) chez les couples ou le conjoint est anglophone.
La littérature affirme l’importance du lien qu’il y a entre la langue maternelle de la mère et la langue maternelle transmise aux enfants. Dans le cadre de cette étude, les analyses confirment ce lien. Les résultats obtenus démontrent en effet que dans 53 % des familles, les enfants ont la même langue maternelle que celle de leur mère, alors que dans 31 % des cas il s’agit de la langue maternelle du père. De plus, alors que dans 6 % des familles les enfants acquièrent la langue maternelle des deux parents, dans 10 % des cas la langue maternelle transmise aux enfants est différente de celle des parents.
Les résultats obtenus démontrent que le rôle du parent interviendrait dans la transmission intergénérationnelle. L’information obtenue en combinant la langue maternelle du parent à son rôle au sein du couple nous apporte des éléments d’explication supplémentaires qui bonifient l’analyse.
Manifestement, lorsque nous tenons compte de cette combinaison, nous observons qu’en réalité les parents les plus nombreux à transmettre leur langue maternelle seraient les mères de langue maternelle française ou anglaise, dans la mesure où leur conjoint est de langue maternelle autre. En effet, comme l’illustre la figure 2, dans près de 90 % des familles où le conjoint a une langue maternelle tierce, les enfants acquièrent uniquement la langue maternelle de leur mère. Par la suite, ce sont les pères de langue maternelle anglaise ou française et également en union avec une conjointe de langue maternelle tierce qui, à 79 % et 66 % respectivement, transmettent leur langue comme unique langue maternelle à leurs enfants. De plus, observons que chez ces familles, les mères et les pères de langue anglaise transmettent davantage leur langue à leurs enfants. De surcroît, remarquons que la proportion de familles où les enfants ont une langue maternelle différente de celle du père et de la mère est légèrement plus élevée lorsque ces derniers ont le français comme langue maternelle. Dans ces familles, la majorité des enfants ont en réalité l’anglais comme langue maternelle. Ces constats illustrent une fois de plus la force d’attraction exercée par la langue anglaise lorsqu’un des parents est allophone.
Chez les couples où les deux conjoints ont une langue maternelle officielle, la dynamique linguistique diffère. Dans la mesure où la mère est de langue maternelle française, nous remarquons qu’elle transmet dans 69 % des cas sa langue comme unique langue maternelle à ses enfants, comparativement à son conjoint de langue maternelle anglaise qui transmet sa langue dans 22 % des cas. Or, dans le cas où le père est de langue maternelle française, ce dernier véhicule à 45 % sa langue comme unique langue maternelle à ses enfants, alors que sa conjointe de langue anglaise agit de même dans 46 % des cas.
Cela nous laisse donc croire que chez les couples anglais/français, la transmission de la langue maternelle est certes influencée par le rôle du parent, mais aussi par la langue maternelle de ce dernier. En effet, les pères et les mères de langue maternelle française transmettent davantage leur langue que leurs homologues de langue maternelle anglaise. Dès lors, chez les familles où les parents francophones sont en situation d’exogamie linguistique avec un conjoint anglophone, le français est transmis dans des proportions importantes.
Les résultats obtenus démontrent donc que les familles linguistiquement exogames du Québec transmettent davantage le français que l’anglais à titre de langue maternelle à leurs enfants. Néanmoins, la force d’attraction exercée par l’anglais est supérieure à la part que représentent les anglophones au Québec.
Précisons également qu’une faible proportion d’enfants ont plus d’une langue maternelle. Alors que cette proportion avoisine les 10 % chez les familles où les parents ont le français et l’anglais comme langue maternelle ou chez ceux dont le père est de langue maternelle française et la mère de langue maternelle tierce, elle est pratiquement nulle chez les autres couples. Certes, cela ne nous permet pas de conclure que les enfants ne comprennent pas ou ne parlent pas une autre langue. Néanmoins, alors qu’il serait possible de transmettre plus d’une langue dès la naissance de ces enfants, la majorité des parents semblent en véhiculer une seule. À l’inverse, il se pourrait que ces enfants aient acquis plus d’une langue maternelle dans leur prime enfance mais qu’ils ne comprennent plus toutes ces langues au moment du recensement. Par conséquent, selon la définition du recensement canadien, ils ne peuvent plus déclarer ces langues à titre de langue maternelle.
Les statistiques tirées des données du recensement de 2006 nous ont permis de connaître les langues maternelles transmises aux enfants issus d’un couple linguistiquement exogame au Québec. Alors que les langues françaises et anglaises sont majoritairement transmises aux enfants, certaines familles déclarent plutôt avoir transmis une langue maternelle tierce (8 %), et d’autres une combinaison de différentes langues (8 %). La littérature démontre que la transmission linguistique relève à la base d’un choix conditionné par une multitude de facteurs qui sont propres et uniques à chaque famille. Dans le contexte québécois, certains déterminants socio-démographiques caractérisant les familles à l’étude sont-ils eux aussi en mesure de contribuer à l’explication ? Alors que certaines familles linguistiquement exogames québécoises choisissent de transmettre le français à titre de langue maternelle aux enfants, pourquoi d’autres se tournent-elles vers l’anglais ou vers une tierce langue ?
Comment expliquer la transmission intergénérationnelle ?
Dans le cadre de cette étude, nous avons sélectionné six variables socio-démographiques qui étaient disponibles et fiables, et avons vérifié le rôle qu’ont ces déterminants dans la transmission intergénérationnelle de la langue maternelle au Québec.
D’une part, notre analyse inclut, à titre de variables explicatives, la langue maternelle de la mère, la langue maternelle du père et le lieu de résidence de la famille. Bien que le français soit la seule et unique langue officielle du Québec, la langue anglaise conserve un statut et un pouvoir d’attraction non négligeable, particulièrement à Montréal. Dès lors, sachant que l’utilisation de la langue anglaise n’est pas uniforme d’une région à l’autre du Québec, nous avons décortiqué la variable « lieu de résidence » selon trois modalités de réponse, soit l’île de Montréal, le reste de la région métropolitaine de Montréal (RMR) et le reste du Québec.
D’autre part, nous avons ajouté à notre analyse deux variables explicatives relatives aux caractéristiques des enfants, soit leur lieu de naissance et leur âge. La variable concernant le lieu de naissance des enfants a été créée de sorte à préciser si les enfants sont nés au Québec, dans une autre province canadienne, dans un pays francotrope ou dans un pays non francotrope. La variable relative à l’âge des enfants a été quant à elle produite de façon à identifier les familles où tous les enfants ont entre 2 et 5 ans, celles où tous les enfants ont entre 6 et 17 ans et celles où les enfants de la famille ont entre 2 et 17 ans.
Finalement, une sixième variable, dérivée à partir de trois autres variables disponibles dans le recensement, a été intégrée pour résumer le plus efficacement possible l’histoire migratoire du père et de la mère. Cette variable précise à la fois si le père est immigrant ou non ainsi que la génération d’immigrants de la mère et la période à laquelle cette dernière a immigré.
Pour cette analyse explicative, nous avons choisi de cibler spécifiquement la transmission du français et de l’anglais. En effet, comme nous l’avons observé, 84 % des couples exogames québécois déclarent avoir transmis une des deux langues officielles à leurs enfants, nonobstant le fait que près de 60 % des familles à l’étude sont composées d’au moins un conjoint de langue maternelle tierce. Les résultats obtenus démontrent non seulement l’importance accordée à la langue française dans ces familles, mais aussi le pouvoir d’attraction de la langue anglaise dans une province où le français est la seule langue officielle. Sachant cela, nous voulons vérifier si certains déterminants socio-démographiques sont en mesure d’expliquer pourquoi certaines familles transmettent davantage le français alors que d’autres choisissent de véhiculer l’anglais.
Nous ne conserverons dès lors pour cette analyse que les familles linguistiquement exogames dont les enfants ont le français ou l’anglais comme langue maternelle. Ainsi, alors que notre échantillon initial contient 59 315 familles, notre analyse portera seulement, une fois la pondération appliquée, sur les 49 770 couples dont les enfants ont soit le français, soit l’anglais comme langue maternelle.
Pour étudier l’impact qu’ont ces facteurs dans le choix de la langue maternelle transmise, nous avons utilisé le modèle de la régression logistique binaire. Cette régression a permis de préciser quelle est la part d’explication apportée par les six facteurs socio-démographiques retenus dans le choix de transmettre le français ou l’anglais comme langue maternelle aux enfants issus d’un couple linguistiquement exogame au Québec.
La variable dépendante, soit la langue maternelle des enfants, étant dichotomique (français ou anglais), elle a été codée de sorte à accorder la modalité 0 aux familles dont les enfants ont acquis le français et 1 à celles dont les enfants ont acquis l’anglais. Ainsi, plus le rapport de cotes obtenu est inférieur à l’unité, plus le facteur favorise la transmission de la langue française. À l’inverse, plus le rapport de cotes est supérieur à l’unité, plus la catégorie correspondante favorise la transmission de l’anglais comme langue maternelle.
Avoir le français ou l’anglais comme langue maternelle ?
L’examen des résultats (tableau 5) révèle que les facteurs qui favorisent, à des seuils statistiquement significatifs, la transmission de la langue française comme langue maternelle aux enfants sont multiples. Tout d’abord, en regardant les trois premières variables explicatives intégrées au modèle (langue maternelle du père, celle de la mère et lieu de résidence de la famille), nous observons que les enfants dont la mère est de langue maternelle française héritent beaucoup plus du français comme langue maternelle que les enfants dont la mère est de langue anglaise (rapport de cotes [RC] = 0,006). Le rapport de cotes étant très près de 0, ceci démontre un impact réel et très fort. Les régressions montrent également qu’un père de langue maternelle française est beaucoup plus enclin à transmettre le français à ses enfants qu’un père de langue maternelle anglaise ne l’est (RC = 0,018). Un père ou une mère de langue maternelle tierce se voient eux aussi plus susceptibles de véhiculer le français qu’un parent de langue maternelle anglaise ne le fait (RC = 0,134 et RC = 0,227). Toutefois, chez ces parents, l’effet, bien que non négligeable, est moins prononcé que celui observé chez les familles où les parents sont de langue maternelle française. Remarquons également que le rapport de cotes pour les mères de langue maternelle française est plus faible que celui pour les pères homologues, démontrant une fois de plus le rôle prépondérant de la mère dans la transmission de la langue maternelle aux enfants.
Cette régression permet également de confirmer que, quelle que soit la langue maternelle des deux parents, le lieu de résidence influence la langue maternelle véhiculée aux enfants. Plus on s’éloigne de l’île de Montréal, plus la langue française est transférée aux enfants, démontrant un effet très important du lieu de résidence et de l’environnement linguistique extérieur sur la dynamique linguistique chez nos familles à l’étude (RC = 0,475 pour le reste de la RMR et RC = 0,257 pour le reste du Québec). Ainsi, les familles résidant sur l’île de Montréal véhiculeraient davantage l’anglais à leurs enfants.
Par ailleurs, comparativement aux familles dont tous les enfants sont nés au Québec, ce sont les familles dont tous les enfants sont nés dans un pays francotrope qui sont les plus susceptibles de véhiculer la langue française aux enfants (RC = 0,276).
De plus, si on prend pour référence les familles dont le père est non immigrant et la mère est canadienne de troisième génération ou plus, ce sont les familles où le père est immigrant et la mère une immigrante arrivée depuis 1995 qui véhiculent le plus la langue française (RC = 0,313). Ces familles sont suivies de celles formées d’un père immigrant et d’une mère immigrante arrivée entre 1976 et 1994 (RC = 0,495) ou d’un père immigrant et d’une mère canadienne de troisième génération ou plus (RC = 0,636). Ceci confirmerait donc que le parcours migratoire des parents influence le choix de la langue officielle transmise aux enfants : les enfants dont les deux parents ont immigré et, qui plus est, dont la mère est arrivée au Canada après l’application de la Charte de la langue française, véhiculent davantage le français à leurs enfants. Ainsi, on observe en quelque sorte l’influence que la Charte opère sur l’apprentissage du français chez les immigrants et leurs enfants.
Bien que certains facteurs favorisent la transmission du français, d’autres jouent en faveur de l’anglais. Nombreuses sont les caractéristiques des enfants qui contribuent en partie à l’explication. Comparativement aux familles où tous les enfants sont nés aux Québec, ce sont celles dont tous les enfants sont nés dans le reste du Canada (ROC) qui sont les plus enclines à transférer l’anglais (RC = 3,521), suivies de celles où tous les enfants sont nés dans un pays non francotrope (RC = 2,825) et de celles où tous les enfants ne sont pas nés dans la même province canadienne (RC = 1,765). De plus, dans les familles où les enfants ont entre 6 et 17 ans, ces derniers sont plus enclins à avoir l’anglais comme langue maternelle (RC = 1,291). Les enfants susceptibles d’avoir l’anglais pour langue maternelle sont aussi ceux dont le père est non immigrant et la mère est canadienne de deuxième génération ou immigrante arrivée avant 1976 (RC = 2,365 et RC = 1,671). Il en est de même pour les enfants dont le père est immigrant et la mère canadienne de deuxième génération (RC = 1,876).
En somme, héritent davantage du français comme langue maternelle les enfants dont la mère est de langue française, qui résident à l’extérieur de l’île de Montréal, qui sont nés au Québec et qui sont issus de parents récemment arrivés au pays ou de Canadiens de troisième génération ou plus. À l’inverse, ceux dont la mère est de langue anglaise, qui habitent sur l’île de Montréal, qui ont 6 ans ou plus, qui sont nés à l’extérieur du Québec et qui sont issus de parents canadiens de deuxième génération ou d’immigrants arrivés au pays avant 1976 sont plus enclins à recevoir l’anglais comme langue maternelle.
Conclusion
En 2006, plus de 9 % des familles biparentales québécoises avec enfants étaient formées de couples où les deux conjoints n’avaient pas la même langue maternelle. Malgré une mixité conjugale en croissance, très peu d’études se sont intéressées à la question de la transmission linguistique intergénérationnelle chez ces familles. Pourtant, appliquée au contexte québécois, l’étude de la transmission linguistique aux enfants issus de ces unions s’avère très pertinente. En effet, le Québec est une province qui a le français pour seule langue officielle, mais où l’anglais y exerce une force d’attraction qu’on ne peut nier. Ce pouvoir d’attraction se reflète dans les différents domaines de la sphère publique comme dans la sphère privée. Sachant que les couples linguistiquement exogames ont un choix à faire quant à la langue maternelle qu’ils véhiculeront à leurs enfants, il est intéressant de voir s’ils choisiront davantage de transmettre le français, l’anglais ou une langue tierce à leurs enfants, car, en réalité, la langue maternelle transmise est en partie à l’image de la langue que ces enfants utiliseront à l’extérieur de l’environnement familial et dans laquelle ils se sentiront le plus à l’aise.
Cette étude a permis de démontrer que les couples linguistiquement exogames du Québec transmettent principalement le français (51 %) et l’anglais (33 %) comme langue maternelle aux enfants, et que dans la moitié des familles, les enfants ont seulement hérité de la langue maternelle de leur mère. Les résultats obtenus ont de plus démontré la place prédominante des langues officielles canadiennes, au détriment des langues non officielles, chez les familles exogames, et ce, malgré le fait que près de 60 % des familles à l’étude soient composées d’au moins un parent de langue maternelle tierce. Cependant, lorsque nous poussons l’analyse, nous remarquons que la langue anglaise exerce une force d’attraction supplémentaire par rapport à la langue française. Carisse (1969), Castonguay et Veltman (1980) et Castonguay (1981) avaient déjà noté, il y a de cela quelques décennies, cet attrait indéniable pour l’anglais dans ce type de familles. Quarante ans plus tard, bien que le climat politique ait changé, ce pouvoir d’attraction de la langue anglaise ne s’est pas complètement dissipé (Bélanger, Sabourin et Lachapelle, 2010).
Sachant que plus de 80 % des couples exogames québécois véhiculent le français ou l’anglais comme langue maternelle à leurs enfants et, qui plus est, que l’anglais exerce un pouvoir d’attraction supplémentaire, nous avons cherché à connaître si certains déterminants socio-démographiques sont susceptibles d’expliquer le choix de la langue officielle canadienne transmise aux enfants. La langue maternelle des parents, le lieu de résidence de la famille, le lieu de naissance des enfants, l’âge de ceux-ci et le parcours migratoire des parents sont autant de facteurs qui contribuent à expliquer le choix de la langue transmise.
Ainsi, nous avons notamment remarqué que les familles où tous les enfants ont entre 2 et 5 ans transmettent davantage le français alors que celles où tous les enfants ont entre 6 et 17 ans ont davantage hérité de l’anglais. Malheureusement, cette étude ne nous permet pas de vérifier directement pourquoi les enfants plus âgés seraient plus enclins à avoir l’anglais comme langue maternelle. D’une part, il se pourrait que les enfants les plus âgés aient des parents également plus âgés, ayant peut-être été scolarisés en anglais avant l’application de la loi 101, comparativement aux enfants ayant entre 2 et 5 ans dont les parents, plus jeunes, ont commencé à aller à l’école après 1977 et ont dès lors été scolarisés en français. D’autre part, sachant que ce sont les couples dont les deux conjoints sont immigrants et, qui plus est, dont la mère est récemment arrivée au Canada, qui sont les plus susceptibles de transmettre le français, et présumant que ces couples ont des enfants plus jeunes que les parents issus d’une immigration plus lointaine, on pourrait penser que ces enfants, étant plus jeunes, héritent davantage du français. Finalement, ce constat illustre d’une certaine manière le fait que les familles exogames québécoises choisissent de plus en plus de transmettre le français à leurs enfants.
Quant au parcours migratoire des parents, ce sont les enfants dont les deux parents sont immigrants et dont la mère est arrivée après 1976 qui héritent le plus du français comme langue maternelle française. À l’inverse, ceux qui ont davantage l’anglais comme langue maternelle sont les enfants dont le père n’est pas immigrant et dont la mère est canadienne de deuxième génération ou immigrante arrivée avant 1976.
Dans le contexte québécois, les résultats obtenus révèlent l’importance de la période d’immigration. En effet, nous constatons que l’implantation de la Charte de la langue française en 1977 aurait eu des répercussions jusque dans la transmission linguistique intergénérationnelle chez les couples mixtes : les parents arrivés après cette date ont davantage transmis le français à leurs enfants, et ce, au détriment de l’anglais. Ainsi, dans les prochaines années, les nouvelles familles exogames seront peut-être davantage portées à se franciser, puisque les parents seront de plus en plus nés après la promulgation de la Charte et que les enfants des prochains immigrants étudieront obligatoirement, dans la très grande majorité des cas, en français. Par conséquent, alors que la présente étude nous permet de conclure que les parents canadiens de deuxième génération en 2006 étaient plus enclins à véhiculer l’anglais à leurs enfants, elle nous permet aussi d’évoquer la possibilité que les futurs parents de deuxième génération transmettront davantage le français, puisqu’ils auront pour la plupart été scolarisés dans cette langue.
Peu de chercheurs s’étant concentrés sur l’étude des familles linguistiquement exogames québécoises et la dynamique linguistique qu’elles adoptent à la maison, cet article avait pour objectif, en s’intéressant à la question de la transmission linguistique intergénérationnelle, d’apporter une contribution à ce champ de recherche. Néanmoins, l’étude de la transmission de la langue maternelle ne représente qu’un des nombreux aspects qui interviennent dans l’étude de la dynamique linguistique adoptée par les familles mixtes. Maintenant que nous en savons davantage sur la première langue apprise et encore comprise par les enfants issus de couples linguistiquement exogames, qu’en est-il de la langue qu’ils utilisent le plus souvent au foyer ? La langue maternelle de ces enfants est-elle, en réalité, le reflet de la langue qu’ils utilisent au quotidien à la maison ? Dans la négative, quelle langue parlent-ils avec leurs parents ainsi qu’avec leurs frères et soeurs ? Pourquoi ont-ils effectué un transfert linguistique ? Par ailleurs, bien que la majorité d’entre eux déclarent avoir une seule langue maternelle, mais du fait qu’ils gravitent dans un environnement familial plurilingue, il serait également approprié d’évaluer si ces enfants apprennent d’autres langues, sans qu’il ne s’agisse de langues dans lesquelles ils se sentent particulièrement à l’aise ou qu’ils utilisent sur une base quotidienne.
Finalement, bien que l’étude de la dynamique linguistique familiale soit fort pertinente, puisqu’elle nous renseigne sur l’univers dans lequel les enfants sont élevés et donc sur leurs comportements linguistiques dans leur prime enfance, l’étude de la dynamique adoptée à l’extérieur du foyer s’avère tout autant intéressante. Cette dernière permet d’analyser le comportement linguistique qu’adoptent ces enfants dans les différents domaines de la sphère publique. Ce comportement est-il à l’image de la langue maternelle qu’on leur a transmise ? Sachant que ces enfants héritent principalement du français ou de l’anglais, sont-ils plus enclins à utiliser leur langue maternelle à l’école, avec leurs amis, à l’épicerie voire au travail ? Quelle que soit leur langue maternelle, sont-ils plus susceptibles d’adopter la langue majoritaire du groupe environnant — soit le français — à l’extérieur du domicile familial, ou orientent-ils leur comportement linguistique vers l’utilisation de l’anglais ? Le comportement linguistique privilégié hors du foyer familial doit aussi être étudié, car il est, au même titre que le comportement linguistique adopté à la maison, un indicateur de la vitalité des différentes langues au Québec.
Parties annexes
Remerciements
La recherche a bénéficié de l’appui financier de l’Office québécois de la langue française et du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS). L’auteure tient tout particulièrement à remercier Pierre Bouchard, Jean-François Lepage et Robert Bourbeau pour leur précieuse collaboration. Les opinions exprimées n’engagent cependant qu’elle-même.
Notes
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[1]
La langue minoritaire du couple correspond à la langue maternelle déclarée par un des conjoints et qui diffère de la langue majoritaire du groupe environnant. Au Québec, la langue minoritaire du couple est l’anglais ou une langue non officielle alors que dans le reste du Canada il s’agit du français ou d’une langue non officielle.
-
[2]
Dans le recensement canadien, la langue maternelle se définit comme étant la première langue apprise à la maison dans l’enfance et encore comprise par le recensé au moment du recensement.
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[3]
Une fois les familles linguistiquement exogames sélectionnées, les réponses multiples relatives à la langue maternelle des parents ont été redistribuées également, ces derniers se voyant désormais attribuer le français, l’anglais ou une langue tierce à titre de langue maternelle. Quant aux enfants, aucune redistribution des réponses multiples n’a été appliquée.
-
[4]
La politique de confidentialité de Statistique Canada relative à la divulgation des résultats impose qu’un nombre minimal d’observations soit présent dans les différentes cellules des tableaux produits. Cette condition ne pouvant être remplie pour les familles dont les couples anglais/français ont des enfants de langue tierce, ces dernières ont été retirées de l’échantillon.
-
[5]
Alors qu’un Canadien de deuxième génération se définit comme étant un citoyen canadien né au Canada mais dont les parents ont immigré au Canada, un Canadien de troisième génération ou plus correspond à un citoyen canadien né au Canada dont les parents sont également nés au pays.
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[6]
Différents auteurs ont défini les pays francotropes. Dans le cadre de cette étude, nous avons retenu la catégorisation de Ouellet (2011), selon laquelle un pays doit respecter une des trois conditions suivantes pour être considéré comme francotrope :
avoir le français comme langue officielle ;
avoir comme langue officielle une langue latine, à condition que l’anglais ne soit pas également langue officielle du pays ;
avoir une histoire intimement liée à la langue française.
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[7]
Autre que le Canada.
Bibliographie
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